Révolution française

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Le Serment du Jeu de paume

La Révolution française de 1789-1799 est aujourd'hui recouverte de bien des mystifications. Les mythes de la République d'abord, "liberté, égalité, fraternité". Mais tout le monde n'est pas leurré par ces grands principes affichés aux frontons de toutes les institutions. "Révolution bourgeoise" alors ? Sans aucun doute, mais encore faut-il comprendre dans quel sens on peut dire cela, et pourquoi c'était surtout un formidable mouvement populaire qui préfigure une prochaine révolution socialiste.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

1.1 La crise de l'Ancien régime[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Ancien Régime.

Louis XVI, qui appartenait à la dynastie des Capétiens, régnait sur 25 millions de Français à la veille de la Révolution. La société était d’essence aristocratique, fondée sur une série de privilèges de naissance et sur la propriété terrienne. Cette noblesse, représentant moins de 2% de la population du pays, était exempte d’impôts et détenait le cinquième des terres. Le clergé, reposant sur la perception de la dîme et sur la propriété foncière, comptait environ 120 000 membres. Le tiers état, lui, représentait l’immense majorité, plus de 24 millions d’habitants. Dans sa célèbre brochure de 1789, Sieyès répond à la question « Qu’est-ce le Tiers État? » : « Tout, mais un tout entravé et opprimé. (...) Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. »

Mais ce Tiers, regroupant tous les roturiers, ne formait pas une classe. Il se composait d’une bourgeoisie, portée par la croissance de l’industrie (de 60% sur 80 ans) et du commerce (qui a quadruplé), d’une paysannerie, d’une petite-bourgeoisie et des classes populaires des villes (petits boutiquiers, artisans, compagnons, ouvriers des manufactures). Le souci essentiel du "petit peuple" était le pouvoir d’achat. Le pain manquait. L’agriculture, freinée par les rapports de propriété féodaux, était incapable de suivre l’explosion démographique. A la veille de 1789, la part du pain dans le budget populaire constituait 58% ; elle fut portée à 88% en 1789, ne laissant que 12% du revenu pour les autres dépenses. L’État s’endettait de plus en plus, suite à la crise économique de la fin des années 1770 et à la participation de la France à la guerre d’Indépendance des États-Unis. Dans un pays prospère, l’État était au bord de la faillite, les privilégiés refusant de consentir à l’égalité devant l’impôt. La noblesse, détenant le monopole du pouvoir politique, pouvait bloquer toutes les mesures qui allaient à l’encontre des ses privilèges.

En avril 1789, les ouvriers de la fabrique de Réveillon, manufacture de papiers peints, s’étaient mis en grève. L’intervention de la troupe dans le quartier du Faubourg Saint-Antoine à Paris a fait plus de 300 morts. Cet événement (Affaire Réveillon) préfigure la lutte des classes moderne. La composante prolétarienne des sans-culotte parisiens deviendra l’une des principales avant-garde de la Révolution contre l’Ancien régime.

1.2 Idéologies présentes[modifier | modifier le wikicode]

Les années 1780 sont un moment d'intense critique sociale. On y revendique l'égalité et la fin des privilèges aristocratiques. Mais si la critique de la grande propriété y est récurrente, c'est en réalité au nom de l'idéal d'une société harmonieuse de petits propriétaires. Ainsi par exemple Brissot exprime de la compréhension pour ceux qui sont poussés au vol[1], Carra défend les notions « d’égalité morale, de propriété raisonnable »[2], et Marat fustige une société qui oppose les classes.[3] L’influence des philosophes des Lumières était très forte, notamment celle de Rousseau.

Lorsque la Révolution éclate, les utopistes sont confrontés à des camps politiques entre lesquels il devient nécessaire de choisir. La posture de la rêverie n'est plus tenable, et cela conduit à des évolutions notables : certains comme Restif de la Bretonne tourneront vite à la contre-révolution, d'autres comme Babeuf évolueront vers un communisme révolutionnaire.

Plus généralement, la révolution française s'inscrit dans le cadre des « révolutions de l'Atlantique », une séquence de mouvements révolutionnaires qu'on peut rapprocher les uns des autres car s'influençant mutuellement. En particulier la révolution états-unienne était toute récente. Un terme proche est celui d'âge des révolutions.[4]

2 L'enchaînement des événements[modifier | modifier le wikicode]

2.1 La convocation des États généraux (mai 1789)[modifier | modifier le wikicode]

Afin de lever de nouveaux impôts, le roi est poussé à convoquer les États généraux, une assemblée formée de représentants de la noblesse, du clergé et du tiers état. A cette occasion, on rédige partout dans le pays des cahiers de doléances, des listes de revendications qui contribuent à libérer largement la parole.

Les élections ont lieu en 1788 et la réunion des États généraux débute le 4 mai 1789. Après les discours inauguraux, chaque ordre se réunit séparément. Mais les députés du tiers état se radicalisent progressivement, et réclament le vote par tête au lieu du vote par ordre. Ce dernier, le vote traditionnel, n'avait rien de démocratique : chaque ordre disposait d'une voix, et ainsi la noblesse et le clergé, généralement unis en tant que propriétaires terriens, avaient la prépondérance sur le tiers état, qui représentant pourtant bien plus de monde.

Le 10 juin, le tiers appelle les autres députés à venir se réunir avec lui : une partie de la noblesse (autour de La Fayette) et du bas clergé répond à l'appel. Le 17 juin, ce groupe de députés se proclame Assemblée Nationale, car « il représente 96 pour cent de la nation ».

Le 20 juin, le roi fait fermer la salle, sous prétexte de travaux. Les députés se réunissent alors dans la salle du jeu de paume, où ils font le serment de ne pas se disperser avant d'avoir établi une constitution. Le 23 juin, le roi ordonne la dispersion de cette Assemblée, mais cette dernière tient tête. Le 11 juillet, le roi, qui s'apprête à sévir, congédie le ministre des Finances, Jacques Necker, qui était très populaire à Paris et qui était partisan de réformer le régime.

A la suite du Club breton fondé dès le 30 avril 1789, et qui deviendra le Club des Jacobins, des clubs politiques commencent à se former dans toutes les grandes villes. Dans ces ancêtres des partis politiques, la population (de la noblesse à la petite-bourgeoisie) s'empare des questions politiques, scrute ce qui se passe à l'Assemblée... Dans les plus importants clubs, les députés sont présents et participent aux débats, ce qui en fait des cadres d'élaboration et de confrontation, comme des proto-partis.

2.2 La révolte des sans-culottes (juillet 1789)[modifier | modifier le wikicode]

Le prix du pain en juillet 1789 était remonté à son niveau le plus élevé depuis 1707. Les 11 et 12 juillet, 40 des 45 barrières douanières de l’enceinte des fermiers généraux furent saccagées.

La Prise de la Bastille, anonyme vers 1790

Le 14 juillet, les sans-culottes du Faubourg Saint-Antoine ont pris la Bastille, forteresse dont le rôle était de dominer l’Est parisien, plébéien. Les masses voulaient des armes. Elles voulaient aussi détruire cette prison pour dettes, hautement symbolique. La prise de la Bastille, qui n’était aucunement commandée par la bourgeoisie, marque l’entrée des masses parisiennes sur la scène de la Révolution comme force indépendante. Cette force conduit aussi à la mise en place d'un gouvernement populaire, la Commune de Paris, avec ses sections locales, sa démocratie directe et agitée, et ses revendications socialisantes...

Cette irruption des masses urbaines neutralise la réaction monarchiste qui allait s'abattre, et pousse les leaders bourgeois du tiers état à aller de l'avant.

En même temps, une série d’insurrections urbaines eut lieu également à Rennes, à Caen, au Havre, à Strasbourg et à Bordeaux.

2.3 La Grande Peur et la Nuit du 4 août 1789[modifier | modifier le wikicode]

Dans le sillage du 14 juillet, une vague de révoltes paysannes se répand dans tout le pays. Des paysans attaquent les seigneurs, brûlent des châteaux, ou les documents qui actaient les droits féodaux. C'est la Grande Peur.

C'est pour prendre acte de cet état de fait et pour calmer les masses que les députés votent finalement, dans la Nuit du 4 août, l'abolition des privilèges féodaux. Le servage est déclaré aboli, ainsi que de nombreux impôts locaux, la vénalité des offices...

2.4 Droits de l'homme et lois constitutionnelles[modifier | modifier le wikicode]

Declaration of the Rights of Man and of the Citizen in 1789.jpg

Le 26 août sont votés des premiers articles de constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Tout le monde est alors dans l'idée d'une monarchie constitutionnelle, mais pendant tout le mois de septembre, l'Assemblée est divisée sur la question du droit de véto concédé au roi. Louis XVI de son côté rechigne à promulguer les textes élaborés par l'Assemblée.

Les masses parisiennes sont en colère : les rumeurs courent que le régiment de Flandre, rappelé par le roi, va servir à réprimer ; le prix du pain explose, pendant qu'on fait un banquet à Versailles pour le régiment ; et on se dit que l'Assemblée à Versailles subit trop l'influence conservatrice. C'est alors que les 5 et 6 octobre 1789, les femmes sans-culottes de Paris ont marché sur Versailles. C'est par leur manifestation que la situation se débloque : des livraisons de pain sont envoyées à Paris, le roi est forcé de signer les textes, et finalement, à venir s'installer à Paris.

2.5 La fuite du roi et la Constitution de 1791[modifier | modifier le wikicode]

Le Cercle social est le premier club à dénoncer le suffrage censitaire en 1790, à se proclamer ouvertement républicain en 1791, et à mettre en avant l'égalitarisme. Mais les députés les plus influents se retrouvent au Club des Jacobins, qui regroupe surtout des députés représentant la bourgeoisie. Celle-ci est coincée entre la réaction monarchiste et les revendications des masses populaires. Différentes fractions politiques s'opposent et n’arrivent pas à trouver un consensus quant à la forme de gouvernement « qu’il faut à la Nation ».

Mais une radicalisation progressive va avoir lieu parmi les députés bourgeois, en raison notamment du refus du roi et de la haute noblesse d'accepter des compromis. Ainsi les 20-21 juin 1791, le roi tente de fuir le pays, avant d'être rattrapé à Varennes. L'événement provoque une scission : ceux qui sont opposés au renversement du roi malgré sa fuite fondent le club des Feuillants. Ceux qui restent au club des Jacobins se retrouvent entre républicains.

Finalement, une Constitution est adoptée en septembre 1791. Celle-ci prévoit un suffrage censitaire, et maintient l'esclavage dans les colonies.

2.6 Les Girondins et la guerre[modifier | modifier le wikicode]

Mais des secteurs de plus en plus importants de la bourgeoisie savaient dès l’été de 1791, lors de la fuite du roi à Varennes, dans un contexte de coopération croissante entre les Monarchies européennes, que tout projet de réforme interne ou de coexistence pacifique avec l’étranger était impossible. Un groupe de députés de la région de Bordeaux à l’assemblée nationale - les Girondins - ont trouvé la solution : la guerre. Ces députés espéraient qu’une guerre internationale unirait la nation, du monarque au sans-culotte. Ils avaient également une motivation économique, puisqu’ils appartenaient au secteur de la bourgeoisie le plus concerné par le commerce international, qui avait donc tout à gagner d’une victoire sur la Grande-Bretagne.

L'exécution de Louis XVI par la guillotine

Le projet a fait faillite, comme les Girondins eux-mêmes. Ils avaient espéré maintenir une monarchie constitutionnelle à travers des victoires militaires. Au contraire, ils ont perdu la guerre et le roi. La défaite militaire a exacerbé la crise économique et a renforcé le républicanisme des sans-culottes.

Suite à l'émeute du 10 août 1792, les Girondins sont obligés de suspendre le roi ; en septembre 1792, ils doivent abolir la royauté; en janvier 1793, contre leur volonté, ils devront exécuter le roi.

La crise générale de l’économie et particulièrement des subsistances s’aggrava à l’automne 1792, donnant lieu à de vastes émeutes, en particulier sur les confins de la Beauce. Partisans et adversaires de la liberté du commerce des grains s’affrontèrent à la tribune de la Convention. Tandis que les Girondins et Roland, ministre de l’Intérieur, s’en tenaient obstinément à leur politique libérale, Saint-Just déclarait le 29 novembre 1792 : « Un peuple qui n’est pas heureux n’a point de patrie », et liait étroitement bonheur et liberté. Robespierre fut plus net encore le 2 décembre, lorsqu’il subordonna le droit de propriété au droit à l’existence.

2.7 Les Montagnards[modifier | modifier le wikicode]

Fin 1792, les Montagnards avaient étendu leur influence dans toutes les principales villes, et leur nom devint synonyme de Jacobins quand les Girondins furent rayés du Club des Jacobins ou en partirent. Ces Jacobins avaient compris qu’il fallait rendre prioritaire la lutte contre l’ennemi à l’intérieur même du pays. Aile radicale de la bourgeoisie, les Montagnards étaient prêts à faire des concessions aux masses populaires afin de mieux s’en servir. Cependant, la rupture avec les sans-culottes était inévitable, étant donné les différences de classe entre ces deux forces politiques.

Après la faillite du projet militaire des Girondins et les révoltes de la Vendée et à Lyon en mars 1793, les députés de la Convention ne pouvaient que soutenir la Montagne. La majorité des députés - le "marais" - ne s’alignaient pas directement sur les principales fractions. Ils changeaient souvent de camp, en fonction de la crise et du soutien populaire dont bénéficiaient les différents programmes des fractions en lutte. En 1793, ils ont tranché en faveur des Jacobins, à la faveur d'une nouvelle mobilisation des masses sans-culottes. Il y eut de nouvelles émeutes de la faim en février 1793. En avril, la Commune de Paris créa son propre comité de correspondance pour entrer en contact avec les autres municipalités. En mai, les sections ont élu leur nouveau comité central révolutionnaire. Le jacobinisme a dû temporairement céder devant cette mobilisation, mais il cherchait à la freiner et à la contrôler. En août, le Comité de salut public, où siégeaient maintenant Robespierre et Carnot, commanda la levée en masse. La guerre à outrance contre les monarchies européennes, contre la Vendée et Lyon insurgé correspondait à la mentalité révolutionnaire des sans-culottes. Malgré quelques réformes en guise de concessions aux masses, la tendance globale de la politique jacobine fut, dans les faits, de réduire l’organisation des sans-culottes. Ce faisant, les jacobins signaient leur propre arrêt de mort.

En septembre 1793, sur la recommandation de Danton, la Convention a limité le nombre de réunions des sections à deux par semaine. C’est la première attaque contre la démocratie des sections. De plus, l’extrême-gauche des sans-culottes, les Enragés, fut décapité : Jacques Roux, trop extrême pour la bourgeoisie, est arrêté. Rentrant de plus en plus en contradiction avec la base sociale qui les avait portés au pouvoir, les 12 membres du Comité de salut public commençaient eux-mêmes à se diviser politiquement sur la voie à suivre. En même temps, ce Comité, suspendu au-dessus de la Convention qui lui avait accordé les pouvoirs révolutionnaires, fut miné par ses propres succès : Lyon fut regagné à la République en octobre 1793 et la Vendée fut écrasée. De même, les armées révolutionnaires de la France avaient vaincu l’Autriche aux Pays-Bas et commencé à envahir l’Espagne. La menace réelle d’invasion et de défaite, qui avait ouvert la voie à la formation du Comité, s’éloignait.

La lutte entre Danton et Robespierre au sein du Comité exprimait ce dilemme. Danton voulait assouplir la dictature jacobine sur la Convention et opérer une "ouverture" vers la droite non-jacobine au sein de celle-ci. En avril 1794, la fraction de Robespierre le fait guillotiner avec ses alliés, sous prétexte de corruption. Pour Robespierre, il s’agissait toujours de rester vigilant et donc de garder la dictature centralisée et l’appareil de la Terreur.

Mais cette Terreur devait être contrôlée par lui-même et mise au service de la bourgeoisie. Il s’agissait de contrôler les masses plébéiennes en frappant durement leurs dirigeants, tout en portant des coups contre la réaction. La bourgeoisie n’avait pas encore pu consolider son Etat. Jouant le rôle d’un "Bonaparte sans cheval", Robespierre marchait sur une corde raide : il voulait exproprier les masses de leur indépendance politique tout en menant la guerre contre la réaction. Mais frapper contre la gauche, contre le pouvoir des sans-culottes, c’était frapper ceux qui tenaient la corde sur laquelle Robespierre marchait. La Convention de la bourgeoisie avait accepté que sa fraction la plus révolutionnaire prenne le pouvoir pour des raisons tactiques, liées à la conjoncture (profondeur de la crise et puissance des masses parisiennes). C’est pourquoi la Convention avait accordé les mesures d’exception au Comité du salut public et fait ses dernières concessions à l’égalitarisme de la sans-culotterie, mais seulement « jusqu’à la paix », selon le mot de Saint-Just. Ce faisant, elle avait aussi accepté une dictature sur elle-même, souvent très douloureuse pour elle. En vérité, la bourgeoisie n’avait aucune alternative.

Loin d’avoir été un "dérapage", un saut dans l’irrationnel, le jacobinisme de 1793 était le produit d’un mélange hautement combustible de lutte des classes internationalisée, d’une bourgeoisie de plus en plus divisée et de l’intervention musclée des masses plébéiennes. Les Jacobins étaient des guerriers de la révolution bourgeoise qui cherchaient à la défendre à tout prix. Ce faisant, ils ont péri, tenaillés entre la démocratie radicale et la dictature terroriste.

2.8 Thermidor[modifier | modifier le wikicode]

Le 27 juillet 1794 (9 Thermidor), la Convention mit fin à la dictature jacobine, exécutant Robespierre le lendemain. La Commune de Paris fut abolie. La Terreur blanche commença, la "jeunesse dorée" s’attaquant aux quartiers plébéiens dans une chasse aux révolutionnaires. Les lois imposant un "maximum" aux fortunes et à la propriété privée furent abolies à la fin de 94. Les salaires, suite à l’inflation, sont tombés à leur niveau le plus bas depuis 89. Les dernières tentatives jacobines de rallier la sans-culotterie étaient donc vouées à l’échec. Les Jacobins devaient eux-mêmes payer le prix de leur travail de démobilisation des masses populaires. Comme l’a noté Saint-Just, "La Révolution est glacée". Ils ont creusé leurs propres tombes en s’aliénant le soutien des sans-culottes. Ils ont ouvert la voie à la réaction et, en fin de compte, à Napoléon Bonaparte.

La Convention revient sur les régulations sur le grain, et avec la disette de l'hiver 1794-1795, un soulèvement parisien eut lieu, soutenu de façon opportuniste par les Jacobins, mais il est écrasé. Les insurrections du 12 germinal et du 1er prairial an III (avril et mai 1795) sont un échec, et 1 200 jacobins et sans-culottes sont arrêtés.

3 Nature de la Révolution[modifier | modifier le wikicode]

L'image que l'idéologie dominante voudrait à tout prix véhiculer, notamment dans les manuels d'histoire, est celle du Tiers-Etat se levant comme un seul homme contre l'insupportable arbitraire de la monarchie absolue. Depuis, il n'y aurait plus que des citoyens égaux dans une démocratie représentant l'intérêt général. En réalité il n'y pas de Tiers-État homogène, encore moins de "peuple". Celui-ci était, tout comme la société d'aujourd'hui, traversé de contradictions de classe. En 1789, les petits-bourgeois, les petits-paysans et les sans-culottes se sont soulevés contre la féodalité, mais aussi contre la bourgeoisie elle-même lorsqu’elle hésitait devant sa "propre" révolution. Mais après des concessions momentanées aux franges les plus radicales, la classe qui a le plus profité du nouvel ordre social, économique et politique est bien la bourgeoisie.

C'est une définition nuancée de « révolution bourgeoise » que les marxistes utilisent pour caractériser la révolution française. C'est parce que certains historien·nes[5][6] ne comprennent pas cette définition ou la combattent qu'ils réfutent cette idée de révolution bourgeoise.

3.1 Une révolution bourgeoise...[modifier | modifier le wikicode]

Les rapports de production féodaux freinaient de jour en jour le développement des forces productives. Ces dernières devaient finir par faire sauter l’ancien ordre féodal. Malgré les divisions réelles entre les différents secteurs et catégories de la bourgeoisie, cette classe formait néanmoins un tout : sa richesse fut d’abord acquise dans le commerce, sous la forme du profit. Cette source de richesse devait inéluctablement retourner cette classe bourgeoisie contre la féodalité qui agissait comme frein au capitalisme embryonnaire. Certes les classes sociales ne sont jamais homogènes et le caractère dégénéré du féodalisme à la fin du 18e siècle, sa recherche de nouvelles sources de financement de l’Etat, explique l’intégration de certains grands bourgeois dans l’Ancien régime. Ceux-ci préféraient donc mille fois maintenir le système existant plutôt que de s’engager dans des revendications audacieuses. Les obstacles au libre développement de la production marchande et capitaliste furent détruits d’en bas, par les producteurs eux-mêmes, par les petits-bourgeois ou par ceux qui sont devenus petits-bourgeois grâce à leur engagement en 1789. La propriété industrielle devait dominer et remplacer la possession des terres comme fondement du nouveau système.

Le 4 août 1789, l’assemblée nationale "abolit entièrement le régime féodal". Les droits seigneuriaux, les privilèges des ordres et la vénalité des offices furent abolis. Désormais, tous les Français pouvaient accéder à tous les emplois et payaient les mêmes impôts (à condition qu’ils possèdent des richesses suffisantes !). Le territoire fut unifié, libérant le commerce. La bourgeoisie commença à faire table rase du système féodal. Le 26 août, l’assemblée adopta la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le seul droit de l’homme proclamé "inviolable et sacré" étant la propriété ! En octobre 1789, l’assemblée a légalisé l’offre de prêts accompagnés d’intérêts. En mai 1790 furent prises les premières mesures en vue de la confiscation et de la vente des terres du clergé. Les traites et douanes intérieures furent supprimées (31 octobre 1790). Les prix des grains furent libérés, ainsi que le commerce. Le 14 juin 1791 fut votée, dans un climat de revendications ouvrières, la loi Le Chapelier, interdisant la grève et les syndicats. Il est donc clair qu’en 1791, la révolution avait déjà ouvert la voie au développement capitaliste. La révolution était d’abord celle de la bourgeoisie commerçante qui créa un marché libre.

3.2 ... avec les masses populaires comme bélier[modifier | modifier le wikicode]

La bourgeoisie avait beaucoup à gagner, mais certains secteurs craignaient aussi pour ce qu'ils avaient déjà. Le souhait moyen était plutôt une réforme raisonnable du régime qu'un saut dans l'inconnu. Elle avait d’abord tenté d’arriver à un compromis avec la monarchie de Louis Capet, l’assemblée du 4 août 1789 le proclamant "restaurateur de la liberté française". Louis ne pouvait accepter cette offre servile et l’audace du "peuple" et la résistance de l’Ancien régime forcèrent de plus en plus la main à la bourgeoisie. Alors, en dernière analyse, si la révolution de 1789 fut bourgeoise dans ses objectifs et ses tâches historiques, elle fut accomplie malgré une bourgeoisie hésitante grâce à l’action des masses plébéiennes révolutionnaires des villes et des campagnes. Sans la force des masses révolutionnaires, la bourgeoisie aurait reculé. Cette force plébéienne fut à maintes reprises et à tous les moments critiques de la Révolution, la vague de fond qui empêcha la bourgeoisie de fuir et l’obligea à combattre le féodalisme jusqu’au bout.

La prise de la Bastille le 14 juillet 1789 n’aurait pas eu lieu sans l’action des sans-culottes parisiens : la bourgeoisie à l’assemblée n’avait pas donné le signal de la prise violente de la Bastille et aurait fini par succomber face aux troupes royales.

« Sans la marche sur Versailles, le 5 octobre, des bras nus affamés et sans leur irruption dans l’enceinte de l’assemblée, la Déclaration des droits de l’homme n’eût pas été sanctionnée. Sans l’irrésistible vague de fond partie des campagnes, l’assemblée n’eût pas osé s’attaquer, bien que timidement, à la propriété féodale, dans la nuit du 4 août 1789. Sans le puissant mouvement des masses du 10 août 1792, l’expropriation sans indemnité des rentes féodales n’eût pas été, enfin, décrétée; La bourgeoisie eût hésité devant la république et devant le suffrage universel. »[7]

Qui étaient donc ces masses révolutionnaires qui ont assuré la victoire de la révolution bourgeoise ? Le retard du capitalisme français avait eu comme conséquence le développement tardif de l’industrie et, donc, de la classe ouvrière. Chez les sans-culottes, il y avait des ouvriers des manufactures, une classe pré-prolétarienne. Encore loin du prolétariat du 19e siècle, ce prolétariat embryonnaire comprenait des éléments pré-capitalistes, liés à l’artisanat petit-bourgeois. Initialement les plus farouches opposants au régime féodal, ils sont devenus de plus en plus les adversaires acharnés des bourgeois vacillants. Ils ont forcé la main de la bourgeoisie. L’action de ces masses semi-prolétariennes, armées, constituait une menace permanente pour le pouvoir de la bourgeoisie dont elle était très consciente.

« À côté de l’opposition entre noblesse féodale et bourgeoisie existait l’opposition universelle entre exploiteurs et exploités, riches oisifs et pauvres laborieux. (...). Dès sa naissance, la bourgeoisie était grevée de son contraire : les capitalistes ne peuvent pas exister sans salariés et à mesure que le bourgeois des corporations du Moyen âge devenait le bourgeois moderne, dans la même mesure le compagnon des corporations et le journalier libre devenaient le prolétaire. Et même si, dans l’ensemble, la bourgeoisie pouvait prétendre représenter également, dans la lutte contre la noblesse, les intérêts des diverses classes laborieuses de ce temps, on vit cependant, à chaque grand mouvement bourgeois, se faire jour des mouvements indépendants de la classe qui était la devancière plus ou moins développée du prolétariat moderne. »[8]

Ce sont ces masses plébéiennes qui ont conduit à la victoire la Révolution bourgeoise contre la bourgeoisie elle-même. À la campagne aussi ce sont les masses non possédantes qui ont pris l’initiative en prenant possession de la terre pendant l’été 1789. L’abolition formelle de la féodalité par l’assemblée ne fit qu’avaliser ce qui était déjà devenu réalité dans de nombreuses régions. En général, la paysannerie cherchait à abolir les droits féodaux, à confisquer systématiquement les terres et à les redistribuer dans un esprit d’égalitarisme petit-bourgeois. Elle ne voulait pas supprimer le marché mais elle voulait que la propriété privée soit limitée et que tous aient les mêmes avantages sur le marché. Consciente de la nécessité d’empêcher les petits-paysans de régler la question agraire à leur guise, la bourgeoisie a fait décréter par la Convention en mars 1793 la peine de mort pour tous ceux qui "proposeraient la loi agraire". C’est donc d’en bas que la paysannerie a détruit le féodalisme, ouvrant ainsi la voie à l’introduction du capitalisme dans l’agriculture. En même temps, les masses plébéiennes de Paris ont détruit les derniers vestiges politiques du système féodal.

Pour parvenir à ses buts, la bourgeoisie devait mobiliser l'ensemble du Tiers État contre l’aristocratie. Mais dans le même temps les revendications populaires étaient sans cesse une menace pour sa propre richesse, aussi elle souhaitait mettre fin au mouvement dès que la réaction semblait matée. Le développement insuffisant du capitalisme et le petit embryon de prolétariat qui existait en 1789 ne permettaient pas aux sans-culottes de franchir les limites objectives de la révolution bourgeoise pour mettre en place un mode de production alternatif.

Sans-culottes en armes - Lesueur.jpg

4 Les aspects « socialisants »[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Quelle égalité ?[modifier | modifier le wikicode]

Pendant la révolution, le mot égalité devient très populaire : l'aristocrate Louis-Philippe d’Orléans prit le nom de « Philippe Égalité » en 1792-1793 ; la ville de Bourg-la-Reine est renommée Bourg-Égalité entre 1793-1812, le pavillon de Flore du Louvre est renommé pavillon de l'Égalité... Cet égalitarisme visait essentiellement l'égalité des droits. Beaucoup d'idéologues de l'époque n'étaient cependant pas des défenseurs cyniques des inégalités sociales, mais leur idéal était celui d'une république de petits producteurs (idéal partagé par les sans-culottes).

Le Cercle social est le premier club à dénoncer le suffrage censitaire en 1790, à se proclamer ouvertement républicain en 1791, et à mettre en avant l'égalitarisme social. Dès 1789-1790, le curé Dolivier demande à l'État d'intervenir dans l'économie pour les pauvres.

Certains possédants se sont aussi d'emblée méfiés de l'égalité en droit, qui pouvait mener à la remise en cause de la propriété. Ainsi le réactionnaire Rivarol pestait contre les révolutionnaires qui mettaient en avant le « droit naturel » et l'égalité :

« Les nègres dans nos colonies et les domestiques dans nos maisons peuvent la Déclaration des droits à la main nous chasser de nos héritages. Comment une assemblée de législateurs a-t-elle feint d’ignorer que le droit de nature ne peut exister un instant à côté de la propriété ? »[9]

Quand la fuite du roi radicalise les révolutionnaires, le modéré Barnave s'écrie (15 juillet 1791) :

« Allons-nous terminer la Révolution, allons-nous la recommencer ? Vous avez rendu tous les hommes égaux devant la loi ; vous avez consacré l’égalité civile et politique... Un pas de plus serait un acte funeste et coupable ; un pas de plus dans la ligne de la liberté serait la destruction de la royauté ; dans la ligne de l’égalité, la destruction de la propriété. Si l’on voulait encore détruire quand tout ce qu’il fallait détruire n'existe plus ; si l’on croyait n’avoir pas tout fait pour l’égalité, quand l’égalité de tous les hommes est assurée, trouverait-on encore une aristocratie à anéantir, si ce n’est celle des propriétés ? »

Vergniaud affirmait le 13 mars 1793 : « L’égalité pour l’homme social n’est que celle des droits ». Mais d'autres, minoritaires, allaient plus loin, voulant passer à une égalité réelle, sociale :

« L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie ou de mort sur son semblable. »[10]

« Il ne suffit pas que la République française soit fondée sur l’égalité ; il faut encore que les lois, que les mœurs tendent par un heureux accord à faire disparaître l’inégalité des jouissances ; il faut qu’une existence heureuse soit assurée à tous les Français. »[11]

« dans quelques années (...) les sans-culottes ne font plus qu’une seule famille ; ils ne connaissent plus que la sainte égalité... On ne voit plus de riches insolents, mais aussi la misère a disparu. »[12]

Après Thermidor, la bourgeoisie se raidit. « Vous devez enfin garantir la propriété du riche. L’égalité civile voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger. » déclara Boissy d’Anglas, dans son discours préliminaire au projet de Constitution de l’an III, le 23 juin 1795.

Grâce à la puissance du mouvement antiesclavagiste, caractérisé notamment par l'activisme de la Société des Amis des Noirs créée en février 1788 par Mirabeau, Brissot et Condorcet et qu'ont rejoint à la fin de 1789 Pétion et l'abbé Grégoire, la révolution du 10 août 1792 entraîne l'abolition par l'assemblée législative, le 11 août, des primes accordées aux armateurs négriers depuis 1784 par la royauté; cette mesure sera confirmée par la Convention montagnarde l'année suivante le 27 juillet et le 19 septembre 1793. Surtout la même Convention montagnarde abolit totalement sur demande de René Levasseur, Delacroix, l'abbé Grégoire et Danton, l'esclavage le 4 février 1794 après l'arrivée de trois députés de Saint-Domingue à Paris : un blanc Dufay, un métis Mills et un Noir Belley. Ces mesures d'émancipation ne seront pas remises en cause par les Thermidoriens ni par le Directoire. Ce sera Napoléon Bonaparte, fossoyeur de la république qui, en 1802, rétablira la traite et l'esclavage colonial.

4.2 Jacques Roux et les Enragés[modifier | modifier le wikicode]

Le curé Jacques Roux fut l'un des plus ardents défenseurs de l'égalitarisme.

A l'extrême gauche du jacobinisme, il existait quelques personnalités radicales au discours socialisant, que leurs détracteurs appelaient « les Enragés ».

Tout à fait conscient de la lutte des classes dans laquelle il s’était engagé, Jacques Roux pousse la Révolution jusqu’au bout.

« A quoi vous servira-t-il d’avoir coupé la tête au tyran et renversé la tyrannie, si vous êtes tous les jours dévorés lentement par les agioteurs, par les monopoleurs ? Ils accumulent dans leurs vastes magasins les denrées et les matières premières qu’ils revendent ensuite à des prix usuraires au peuple qui a faim, aux artisans qui ont besoin pour leur industrie, de laine, de cuir, de savon, de fer. Contre eux aussi il faut se soulever. »[13]

Conscient également du caractère de classe des lois, il explique que « les lois ont été cruelles à l’égard du pauvre parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches ». On peut donc comprendre que la scission entre les sans-culottes révolutionnaires et les bourgeois hésitants ait été si nette. La bourgeoisie toute entière tremblait devant les paroles et les actes de ces révolutionnaires qui ont osé présenter le Manifeste des Enragés devant la Convention, le 25 juin 1793. Ce Manifeste constate que « les riches seuls, depuis quatre ans, ont profité des avantages de la Révolution » et que les législateurs n’ont pas « prononcé la peine de mort contre les agioteurs et les accapareurs ». Pour Jacques Roux, inspirateur de Babeuf et du communisme moderne, « la classe laborieuse » devait agir contre les profiteurs. Il savait que:

« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie ou de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. »

4.3 Gracchus Babeuf et les Égaux[modifier | modifier le wikicode]

Babeuf, « premier communiste agissant » selon Marx

Pour Babeuf, l’égalité politique devrait conduire à l’égalité sociale. Il dénonce le fait que « l'abolition du régime féodal » proclamée dans la nuit du 4 août 1789 n'est que formelle. « La prétendue abolition répétée si souvent dans les décrets de l’Assemblée constituante n’existait que dans les mots, la chose en elle-même était conservée dans son entier. » Il réclamait non seulement l’abolition totale des redevances, sans indemnité, mais encore la confiscation de toutes les propriétés seigneuriales (février 1791) ; l’arrêt de la vente des biens du clergé et leur distribution aux paysans « mal aisés » sous forme de baux à long terme (mai 1790) ; le partage des communaux, non en propriété, mais en usufruit ; et finalement, le partage des terres.

Babeuf est le seul à concevoir un programme qui aurait pu donner satisfaction aux sans-culottes des campagnes, et apporter une solution définitive à la division en classes. Cependant Babeuf n'étant pas au pouvoir, il n’était pas tenu, comme les Robespierristes de ménager l’équilibre des forces révolutionnaires afin de sauvegarder l’unité du front anti-aristocratique. À prendre nettement parti pour les paysans sans terre, journaliers et petits paysans, on risquait de dresser les paysans propriétaires et les fermiers aisés. La population rurale était loin d’être homogène : elle ne fut jamais parfaitement unie que contre l’aristocratie. Très certainement, les conditions sociologiques n'étaient pas réunies pour une révolution communiste.

Néanmoins Babeuf soutient la Montagne contre les Girondins, même s'il critique la Terreur. Il disait « Je réprouve ce point particulier de leur système ». Il fut particulièrement critique envers les massacres en Vendée. C'est surtout contre la réaction thermidorienne qu'il entre en conflit ouvert. Avec ses partisans, il tente en vain de réaliser un soulèvement, la Conjuration des Égaux.

5 Autres transformations sociales[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Les femmes dans la Révolution française[modifier | modifier le wikicode]

A Versailles, à Versailles 5 octobre 1789 - Restoration.jpg

La Révolution française, malgré les grands principes émancipateurs qu'elle encensait, a maintenu l'oppression historique des femmes. Néanmoins, comme dans toute période révolutionnaire, on a assisté à une mobilisation spectaculaire des femmes et à des prises de position courageuses (Pauline Léon, Claire Lacombe, Olympe de Gouges, Condorcet...).

Dans le sillage du début de la Révolution, des clubs féminins, plutôt bourgeois, s'organisent dans plusieurs villes de France. Rapidement, le mouvement se radicalise, touche les femmes des classes laborieuses, et adopte des modes d'action plus collectifs. La célèbre marche sur Versailles en octobre 1789 en sera l'ouverture. Au paroxysme, le Club des citoyennes républicaines révolutionnaires se rapprochera même de l'aile "socialiste" de la Révolution, les Enragés

Mais toute cette libération nourrissait des rancœurs masculines, et au moment du repli du mouvement révolutionnaire, la réaction masculine se conjugua parfaitement avec la réaction sociale. Ainsi, assez symboliquement la première mesure réactionnaire de la Convention fut le renvoi des femmes dans la sphère familiale. Après ce recul, le combat féministe ne put se revitaliser que bien plus tard.

5.2 La Révolution et l'Église[modifier | modifier le wikicode]

Pillage d'une église en 1793

Le haut clergé, lié à la haute noblesse et à la royauté, va s'opposer à la Révolution. Étant donné l'influence idéologique de la religion, cela constituait une menace à combattre, en particulier pour les Jacobins. A l'inverse, de nombreux religieux s'engagent côté révolutionnaire. C'est un évêque, Talleyrand qui soumet au vote le décret de 1789 qui transfère les biens de l'Église à l'État. Les révolutionnaires votent le 12 juillet 1790 la constitution civile du clergé : les curés et évêques sont fonctionnarisés, le clergé régulier est supprimé... Il faut noter qu'il y avait des points d'appui au sein du clergé en faveur de cette réforme (gallicanisme, richérisme...). Le 10 mars 1791, le Pape condamne cette réforme, ce qui conduit à une rupture (environ 50/50) entre religieux qui jurent fidélité à la Constitution, et prêtres réfractaires.

La dynamique révolutionnaire provoque ensuite très vite une radicalisation entre les deux bords, qui a un double effet : côté réfractaires, une tendance de plus en plus marquée vers la contre-révolution ; côté religieux révolutionnaires, une tendance à abandonner la religion (beaucoup de prêtres se marient et/ou quittent l'église, certains comme Jacques Roux ou Pierre Dolivier deviennent d'ardents défenseurs de l'égalitarisme...). Si bien que dans le contexte, le catholicisme devient associé pour beaucoup à la réaction.

Une Église transformée en temple de la Raison en Normandie.

En août 1793, des mouvements populaires spontanés commencent, en province, à s'en prendre aux églises et aux religieux (iconoclasme, vandalisme, blasphèmes...). C'est un mouvement anticlérical intense et profond qui s'amorce, la déchristianisation. Il gagne Paris plus tardivement, et tend à se généraliser. Certains clubs et représentants du pouvoir encouragent le mouvement et ses excès, sans qu'officiellement la déchristianisation soit imposée. La Convention adopte le calendrier républicain le 5 octobre 1793, par opposition au calendrier grégorien lié à l’Église. A Paris les hébertistes, qui tiennent la Commune de l'automne 1793 au printemps 1794, sont des fers de lance de la déchristianisation. Ils développent le culte des martyrs de la Révolution, organisent le 10 novembre une « fête de la Raison » dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, et finalement le 23 novembre ordonnent la fermeture des églises.

Mais les dirigeants montagnards sont hostiles à la déchristianisation et voient les dangers que fait courir ce mouvement à la République tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’intervention de Danton, appuyé par Robespierre, fait refluer le mouvement. Mais le Comité de salut public, s’il rappelle la liberté des cultes (6 décembre 1793), ne peut pas la faire observer normalement et n’obtient là qu’un succès de principe. Contenu à Paris, le mouvement balaiera le pays pendant des mois encore. Au Culte de la Raison des hébertistes, les robespierristes tentent de substituer le Culte de l'Etre suprême, une sorte de déisme.

Le 18 septembre 1794, le financement des prêtres par l'État est supprimé. A ce moment-là, l’Église constitutionnelle est en miettes, il ne reste en fonction qu'une trentaine d'évêques constitutionnels. Sous Napoléon, le calendrier grégorien est rétabli, et finalement un compromis sur le clergé est établi avec la papauté, avec le Concordat (1801) : les prêtes sont à nouveau rémunérés par l'État.

5.3 Unité des poids et mesures[modifier | modifier le wikicode]

Les cahiers de doléances de nombreuses villes réclament l'uniformisation des poids et mesures, chaque province et parfois chaque ville ayant son propre système d'unités. Un premier projet porté par L.F.A. Arbogast est adopté en 1790. La tendance est à l'adoption de points de références de plus en plus objectifs, donc pris dans le monde physique (contrairement aux pouces, pieds...). En 1791, le mètre est défini comme la dix millionième partie du quart du méridien terrestre. En 1793 est adoptée la division décimale, et en 1795 le mètre étalon et le kilogramme.

6 Postérité[modifier | modifier le wikicode]

6.1 Échos à l'international[modifier | modifier le wikicode]

La révolution française eut un immense écho à l'international, et elle-même fut inspirée par des mouvements proches en Europe et dans le monde (notamment les « révolutions de l'Atlantique »).[14] Cependant, même si la radicalité inspire la radicalité, la nature des luttes de classes n'est pas identique d'un pays à l'autre. Dans beaucoup de pays d'Europe, ce fut la principalement noblesse qui s'opposa à la monarchie, comme avec le régicide d'Anckarström sur le roi de Suède Gustave III (1792). La noblesse féodale se révolta en Hongrie, la noblesse de robe en Belgique...

Caricature britannique, 1819.

Une partie de l'opinion en Angleterre s'enthousiasme pour la révolution française. En 1791, la commémoration de la prise de la Bastille est le déclencheur des émeutes de Birmingham.

Les poètes Wordsworth, Coleridge, Southey expriment leur enthousiasme. L’utopie va devenir réalité, non pas « sur quelque île lointaine, mais en plein cœur du monde, de notre monde à tous », écrit Wordsworth. Aux yeux de Coleridge alors étudiant à Cambridge, écrire des poèmes et des pièces de théâtre ne suffit plus. Il faut passer de la théorie à la pratique. C’est pourquoi il propose en 1794 à son ami Southey, étudiant à Oxford, de fonder une colonie communiste où régnerait une égalité parfaite. Ce sera Pantisocracy : là sera abolie la propriété et avec elle l’égoïsme. Southey manifeste peu d’enthousiasme, et peu de temps après Coleridge abandonne à son tour.

Cependant, après la Terreur, l'opinion bourgeoise parvient à forger une image repoussoir de la révolution.

6.2 Théories conspirationnistes[modifier | modifier le wikicode]

Pendant la Révolution, de nombreuses visions complotistes circulaient dans la population. On s'imaginait des conspirations aristocratiques en bien plus grand nombre qu'il y en avait, et cela nourrira l'atmosphère paranoïaque pendant la Terreur.[15]

Cependant ce sont surtout des écrivains contre-révolutionnaires qui véhiculé des théories du complot après la Révolution. John Robison, ou le jésuite Augustin Barruel, ont défendu l'idée que les Illuminés de Bavière (connus comme Illuminati), auraient organisé dans l'ombre la Révolution française. Dans leur logique, les masses pauvres étaient trop stupides et ignorantes pour avoir des mobiles propres, et n'ont pu être que manipulées par des forces occultes (La Société des Illuminés est une société secrète, plus ou moins calviniste, fondée en 1776, qui avait été dissoute en 1787). Ce furent parmi les premières théories du complot, et des éléments de ces théories furent abondamment recyclés dans d'autres théories.

6.3 Les commémorations officielles[modifier | modifier le wikicode]

En 1989, le gouvernement et les médias ont fait grand bruit autour des diverses manifestations organisées pour commémorer le "bicentenaire". En effet, en grande pompe et à grands coups de publicité, on a fêté plutôt le bicentenaire que la révolution... Car la bourgeoisie française n’a aucun intérêt à fêter la révolution elle-même, première des révolutions modernes qui ait soulevé et mis en mouvement les grandes masses populaires contre toute forme d’oppression. Après tout, il ne fait pas bon évoquer les vieux démons, comme l’action du peuple.

Alors, oui, on a raison de fêter la Révolution de 89, mais en référence à nos propres critères de classe. Fêtons la Révolution que nos ancêtres du prolétariat embryonnaire ont faite. Fêtons les traditions de démocratie directe des sections de la sans-culotterie, d’égalitarisme et de lutte pour le droit au travail des masses plébéiennes. Fêtons l’action des femmes travailleuses, sans laquelle la Révolution n’aurait pas eu lieu. Fêtons l’éclosion du communisme, en se souvenant du programme social de l’extrême-gauche de la sans-culotterie.

6.4 Débats entre socialistes[modifier | modifier le wikicode]

Les socialistes, et Marx le premier, se sont beaucoup intéressés à la révolution française, souvent nommée la « Grande révolution ». Marx analysait de façon nuancée pourquoi objectivement 1789 a débouché sur une domination de la bourgeoisie en France, tout en soulignant que les sommets de la bourgeoisie ont été conservateurs voire contre-révolutionnaires dans les moments les plus forts de la révolution, et que la force principale a alors été la plèbe parisienne et la paysannerie. Il résumait en disant que « toute la Terreur en France ne fut rien d'autre qu'une méthode plébéienne d'en finir avec les ennemis de la bourgeoisie »[16].

Certains socialistes réformistes comme Jaurès ont souligné le contenu « socialisant » de la révolution française pour mieux défendre l'idée que les républicains devaient naturellement être socialistes. Pour lui les jacobins étaient les précurseurs du socialisme. A l'inverse, pour Kautsky, ils étaient les accoucheurs de la révolution bourgeoise.

D'autres réformistes ont minimisé l'aspect populaire, se contentant du schéma selon lequel c'est la bourgeoisie qui dirige la révolution bourgeoise, pour mieux justifier un suivisme de la bourgeoisie dans leur politique immédiate. Ce fut le cas de Plékhanov, vieux marxiste devenu réactionnaire, qui accusait les bolchéviks de vouloir « une révolution bourgeoise sans bourgeoisie ». Lénine[17] et Trotski[18] insistaient au contraire sur le fait que justement, la bourgeoisie n'était pas révolutionnaire, même pour les tâches démocratiques.

Daniel Guérin a défendu que la transformation de la révolution en révolution socialiste était déjà possible, alors que la plupart des marxistes considèrent que le développement économique et social n'était pas suffisant (voir notamment les réponses de Soboul).

7 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

Articles

Livres

  • Karl Kautsky, Les antagonismes de classe à l'époque de la révolution française, 1889
  • Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, 1901-1908
  • Piotr Kropotkine, La grande révolution, 1909
  • Semion Anissimovitch Fal'kner, Le papier-monnaie dans la révolution française, une analyse en termes d'économie d'émission, Moscou, 1919 (Publié en français chez Garnier en 2020)
  • Daniel Guérin, La lutte de classes sous la première république, 1946
  • Albert Soboul, Civilisation et révolution Française, 1970
  • Anatoli Ado, Paysans en Révolution. Terre, pouvoir et jacquerie (1789-1794), Moscou, 1971 (Publié en français en 1996)
  • Sur la Révolution française: écrits de Marx et Engels, Messidor/Éditions sociales, 1985
  • Jean-Numa Ducange, La Révolution française et l’Histoire du monde, Armand Colin, 2014

Voir aussi les travaux de Georges Lefebvre, Richard Cobb, sur les mouvements sociaux populaires dans les milieux ruraux et urbains.

8 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Jacques Pierre Brissot, Recherches philosophiques sur le droit de propriété et sur le vol considérés dans la nature et dans la société, 1780
  2. Jean-Louis Carra, Système de la raison ou le prophète philosophe, 1782
  3. Jean-Paul Marat, Plan de législation criminelle, 1780
  4. Wikipedia, Age of Revolution
  5. Florence Gauthier, « Critique du concept de «révolution bourgeoise» », Raison présente, vol. 123, no 1,‎ , p. 59–72 (DOI 10.3406/raipr.1997.3418, lire en ligne)
  6. Albert Mathiez (1874-1932), La vie chère et le mouvement social sous la Terreur. Tome 1, Paris, Payot-Le regard de l'histoire, (lire en ligne), page273
  7. Daniel Guérin, La révolution française et nous, 1969, p.15
  8. Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1880
  9. Rivarol, Journal politique national, août 1789
  10. Jacques Roux, Manifeste des Enragés, 25 juin 1793
  11. Félix Lepeletier devant la Convention, au nom des commissaires des assemblées primaires, le 20 août 1793
  12. Jacques-René Hébert, Père Duchesne n° 338, pluviôse an II (janvier-février 1794)
  13. Jacques Roux, Manifeste des Enragés, 25 juin 1793
  14. Wikipedia, Influence of the French Revolution
  15. France Culture, «  La Révolution française, à la croisée des complots », Épisode 1, Épisode 2, Épisode 3, Podcast Mécaniques du complot, Mars 2020
  16. Karl Marx, La bourgeoisie et la contre-révolution, La Nouvelle Gazette Rhénane n° 165, 10 décembre 1848
  17. Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, 1905
  18. Trotski, Le caractère de la révolution russe, 22 août 1917