Cercle social (club révolutionnaire)
Le Cercle social, également appelé Les Amis de la Vérité, est un club révolutionnaire, actif de 1790 à 1793, puis vivotant jusqu'en 1799.
Création originale de la période révolutionnaire, le Cercle social est un mélange de club politique révolutionnaire, de loge maçonnique et de salon littéraire.
1 Historique[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Création[modifier | modifier le wikicode]
Il est fondé en 1790 par Nicolas de Bonneville et Claude Fauchet, qui annoncent sa naissance par voie de presse le .
Tous deux étaient disciples de Rousseau, et appartenaient à la fraction démocratique de la première Commune de Paris, après la révolution municipale de juillet 1789. Bonneville avait adhéré à la franc-maçonnerie, et à la secte des Illuminés de Bavière.
L'objectif initial du cercle est de devenir un centre de correspondance pour les lettrés de toute l'Europe. Dans l'esprit de ses fondateurs, le Cercle social doit aussi exercer une « censure publique ». C'est ainsi qu'une Bouche de Fer reçoit les lettres du public, qui peut ainsi déposer ses observations et dénoncer des complots contre-révolutionnaires. Le Cercle se donnait, comme le Club des jacobins, un rôle de surveillance des travaux de l’Assemblée constituante et des actes du pouvoir exécutif, au nom de la souveraineté populaire.
« Cercle social », ses fondateurs ont expliqué ainsi leur choix de ces mots « les plus doux » : dans leur esprit, social signifiait « dans l’intérêt de la société » ; quant au cercle, il était pour eux « le symbole éternel de l’égalité ».
1.2 Ouverture vers l'extérieur[modifier | modifier le wikicode]
D’abord organisation fermée, avec un nombre réduit d’adhérents, le Cercle s’élargit ensuite au mois d'octobre 1790. Le 13 octobre 1790 est lancée la première séance « de la Confédération universelle des Amis de la Vérité » au Cirque du Palais-Royal. Les séances sont publiques pour montrer au plus large public possible ce qu'est un salon littéraire. Les spectateurs sont invités à poser des questions et une résolution est votée à chaque fin de séance.
Son but était, selon le numéro 5 de La Bouche de fer, « l’union de tous les peuples et de tous les individus qui habitent la Terre en une seule famille de frères ralliés par la tendance de chacun au bien général ».
Devant un public qui peut aller de 5000 à 8000 personnes chaque semaine, Claude Fauchet, autoproclamé « procureur de la Vérité », fait des conférences sur le Contrat social de Rousseau, relayées par La Bouche de fer. Les tendances égalitaires de Rousseau sont mises en avant.
1.3 Républicanisme avancé[modifier | modifier le wikicode]
La Bouche de fer fut dans les premières publication à défendre courageusement l’idée démocratique et républicaine. Dès 1790, le suffrage censitaire est dénoncé, et dès 1791, il se proclame ouvertement républicain.
Le Cercle social fait également des théories politiques sur le gouvernement démocratique, rejetant la démocratie directe à l'Antique pour lui préférer le mandat impératif sous le contrôle des citoyens.
Dans les colonies, à l'instar de la Société des Amis des Noirs, il milite pour l'égalité des droits des hommes de couleur libres avec les Blancs et pour l'abolition progressive de l'esclavage des Noirs.
En , Etta Palm d'Aelders fonde la Société patriotique et de bienfaisance des Amies de la Vérité, cercle exclusivement féminin du Cercle Social qui va se préoccuper de la défense des droits des femmes.
Le Cercle social a également l'originalité, dans cette Révolution patriotique, de s'affirmer clairement comme cosmopolite. Il lance des appels aux lettrés du monde entier, et rédige une édition polyglotte de la Constitution de 1791. Son but est de créer une République universelle dirigée par des lettrés.
1.4 Égalitarisme agraire[modifier | modifier le wikicode]
Il prône également une réduction des inégalités de richesse, toujours dans une optique rousseauiste. La revendication essentielle de Fauchet est « une parcelle libre pour un homme libre ».
Dans son sixième discours, Du domaine réel, il reprit et commenta le chapitre correspondant (IX du livre I) du Contrat social, rendant hommage à Rousseau, « un des premiers qui ait compris la revendication éternelle de justice ». « Oui, tout homme a droit à la terre et doit y avoir en propriété le domaine de son existence. Il en prend possession par le travail et sa portion doit être circonscrite par le droit de ses égaux. Tous les droits sont mis en commun dans une société bien ordonnée. La souveraineté sainte doit tirer ses lignes de manière que tous aient quelque chose et qu aucun n’ait rien de trop... » « Il faut que l’homme pose sur la terre un pied souverain, qu’il ait un domaine d’existence inaliénable » (La Bouche de fer, novembre 1790, n° 22).
Propriété donc fondée sur le travail personnel et dans les limites restreintes d’une petite production indépendante. Mais tandis que pour Rousseau la propriété, instituée et consacrée par le contrat social et par le droit public, devient « plus forte et plus irrévocable », Fauchet accordait au Souverain, non seulement le droit d’atténuer l’inégalité, ainsi par des lois réprimant le luxe, comme l’entendait Rousseau, mais encore celui de réglementer les rapports de propriété. Avec la conclusion du contrat social, le droit de souveraineté s’étend des sujets à la terre. « Soit que les hommes associés jouissent en commun du terrain suffisant pour tous, soit qu’ils le partagent entre eux également ou selon des proportions établies par le Souverain, le droit que chaque particulier a sur son propre fond est toujours subordonné au droit que la communauté a sur tous, sans quoi il n’y aurait ni solidité dans le lien social, ni force réelle dans le lien de la souveraineté. »
La hardiesse de ces affirmations théoriques s’accompagnait d’un prudent réformisme. Fauchet réprouvait la violence et plaçait tous ses espoirs dans la réalisation pacifique de son programme agraire, par une législation « prudente, humaine », s’étendant sur l’espace d’une génération. Il n’a pas précisé quelle serait cette législation. Il repoussait toutefois l’éventualité de lois de partage qui conduiraient à une redistribution égalitaire de la terre, sans transformation en petits domaines inaliénables. Ce ne serait « qu’ôter aux uns pour donner aux autres, et faire changer de mains les richesses et l’indigence sans assurer à aucun l’inaliénabilité du domaine nécessaire à la vie... Poison exécrable qu’on donnait pour un remède salutaire »... « L’opinion publique, qui doit être consultée avec une rare prudence, peut seule prononcer dans cette grande cause à laquelle se trouvent liés la perfection des lois et le bonheur du genre humain. » Lorsqu’en 1791 Fauchet revendiqua la limitation par la loi des gros revenus, il n’aborda pas le problème de la redistribution de la propriété foncière.
On était loin de la loi agraire. Accusé de l’avoir prêché, Fauchet rappela son livre de 1789, De la religion nationale, qui présentait les moyens de procurer à chacun le nécessaire en abolissant l’excès du superflu. « Il faut fermer les trois grandes sources des crimes, l’extrême richesse, l’extrême misère et surtout l’oisiveté. » Misère et oisiveté : la création d’ateliers de charité et la mise en valeur des terres incultes (procédés classiques de l’Ancien Régime) permettront de les combattre. Quant à l’extrême richesse, Fauchet proposait une loi qui, sans léser les propriétaires actuels, empêcherait à l’avenir la formation de fortunes foncières dépassant 50 000 livres de rente, aucune limitation n’étant mise aux biens mobiliers ; une loi sur les successions établirait l’égalité des partages au même maximum. Peut-on ici encore parler de loi agraire ?... Dans La Bouche de fer du 14 avril 1791, répondant à Cloots, son « cher cosmopolite », Fauchet remettait à plus tard d’indiquer « plusieurs méthodes très douces et fort tranquillisantes », pour libérer tous les citoyens du joug des riches « sans déplacer une seule des propriétés actuellement tenues par les divers possesseurs », simplement « en déplaçant quelques-unes de leurs jouissances ».
1.5 Égalitarisme du travail[modifier | modifier le wikicode]
Fauchet en vint, en 1791, à une élaboration plus poussée de l’idée d’égalité, sans doute sous la pression idéologique des artisans et compagnons qui formaient l’essentiel du public des Amis de la Vérité. Ayant d’abord revendiqué pour chaque membre de la société une parcelle de terre, il exigeait maintenant que soit assurée à chacun la possibilité d’un travail garantissant un minimum d’aisance matérielle : revendication qui correspondait aux conditions d’existence et de travail des masses urbaines de l’époque. Le discours de Fauchet prononcé en février 1791 (La Bouche de fer, 1791, n° 19) et l’ouvrage de Bonneville, De l’esprit des religions, permettent de préciser les revendications sociales du Cercle en 1791.
Fauchet commentait le chapitre IX du livre II du Contrat social, selon lequel, puisque la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, la force des lois doit toujours tendre à la maintenir. Seule y parviendra une législation qui rende « la vie homogène », qui rapproche les degrés extrêmes et assure l’égalité fraternelle des moyens d’existence. « Si tout homme, en tout lieu, n’est pas assuré par la constitution de vivre d’une suffisante vie, il n’y a point de constitution, la nature est violée, la liberté n’est pas. »
Dans son discours de février 1791 il déclarait : « Non, messieurs, nous n’avons pas encore une constitution finie, nous n’en avons que les bases ; elle ne sera achevée et solide que quand tous les indigents de la nation seront assurés des moyens de bien vivre. » Cela anticipait clairement sur la déclaration que l'Enragé Jacques Roux fera le 25 juin 1793 devant la Convention.
Fauchet précisait ensuite les lois qu’il proposait. Le contrat social fixant les obligations naturelles de la société, les lois authentiquement sociales doivent contraindre les riches à donner aux pauvres tout ce qui leur manque ; le superflu, entendons tout ce qui n’est pas strictement nécessaire, sera confisqué et mis à la disposition de la communauté.
Le Journal des clubs accusa la Fédération des Amis de la Vérité d’avoir défendu le principe selon lequel « les hommes étant égaux en droits, doivent être égaux en biens ». C’était vouloir perdre Fauchet en insinuant qu’il prêchait la loi agraire. En fait, dépassant l’égalité formelle des droits, il entendait « fraterniser les moyens » et parvenir ainsi à « l’uniformité des situations » : en 1793, les sans-culottes revendiquèrent « l’égalité des jouissances ».
1.6 Bonneville et la loi agraire[modifier | modifier le wikicode]
Dans l’été 1791, Bonneville publia De l’esprit des religions : point culminant atteint par les idéologues du Cercle social dans le développement de leur critique de la propriété. On y trouve exposée, au milieu d’un plan de cité future, la nécessité de la loi agraire. « Vous objectez sans cesse que le partage égal et annuel des terres de chaque communauté est impossible. Je réponds qu’il a été fait, que c’était une loi de gouvernement de nos pères, et que ce peuple, heureux et libre, peuple frère et toujours souverain, a renversé le peuple roi qui dictait à l’Univers des ordres souverains. » Affirmation fondée sur des références à Tacite : chez les Germains, les terres auraient été partagées tous les ans.
Dans le chapitre « D’un moyen d’exécution pour préparer le partage universel des terres », la pensée quelque peu sybilline de Bonneville s’éclairait et se limitait en même temps. « Le seul moyen d’arriver à la grande communion sociale est de diviser les héritages territoriaux en parts égales et déterminées pour les enfants du défunt et d’appeler au partage du reste tous les autres parents. Fixez dès aujourd’hui l’héritage à cinq ou six arpents pour chaque enfant et petit-enfant, et que les autres parents se partagent également les restes de l’héritage. Vous serez bien loin de la justice et des aveux que vous avez faits sur les droits égaux et imprescriptibles de l’homme [Bonneville s’adressait à l’Assemblée constituante]. Vous laisserez encore sur la terre des traces du péché originel... » Le péché originel : la propriété privée. « Le péché d’origine ou péché originel peut-il être autre chose, pour un Ami de la Vérité, que les funestes suites de ces lois tyranniques et cruelles qui condamnent un homme, à sa naissance, à souffrir de tous les affronts et de tous les tourments qui attendent le pauvre ? » Bonneville condamnait l’égalité formelle qui ne soulage ni l’inégalité ni l’oppression sociale : elle ne fait que les couvrir.
Mais après avoir examiné les lois prescrivant le partage périodique des terres chez certains peuples de l’Antiquité, après avoir déclaré que le principe parfait est celui de la communauté des biens, que préconisait Bonneville se limite à préconiser le partage égal des successions (qui sera acté par lois montagnardes de l’an II).
Le 2 mai 1791, Bonneville répondit aux accusations de Mallet du Pan. « Entre demander la loi agraire et solliciter une grande prévoyance des lois de l’hérédité qui amèneraient insensiblement la diminution de tant de propriétés scandaleuses, il y a une différence énorme. »
1.7 Fréquentations du club[modifier | modifier le wikicode]
Les principales personnalités fréquentant le Cercle social, outre Bonneville et Fauchet, sont Goupil de Préfeln, Camille Desmoulins et Barère, mais aussi Condorcet. Environ 130 personnalités de la Révolution fréquentent ce club.
Il est alors un lieu de rencontres pour les Girondins.
1.8 Édition[modifier | modifier le wikicode]
À partir de 1791, le Cercle social s'adjoint une activité d'édition : il devient l'un des centres de diffusion d'écrits révolutionnaires les plus importants, publiant de nombreux journaux, pamphlets politiques, théâtre, poésie, affiches etc. Sont ainsi publiés Louis-Sébastien Mercier, Rétif de la Bretonne, Bernardin de Saint-Pierre, Lamarck, Condorcet, Brissot ou encore Roland. À partir de , il édite également le Bulletin des amis de la vérité[1]
1.9 Répression[modifier | modifier le wikicode]
Fauchet cherchait une réconciliation générale et une chimérique fraternité, et il était horrifié par la violence révolutionnaire. Cela le conduisit à préférer les Girondins aux Montagnards.
Après la chute de la Gironde, le cercle cesse ses activités. Fauchet est arrêté et exécuté le . Bonneville reprend son activité d'imprimeur après le 9 Thermidor. Il essaie de remonter le Cercle social, mais celui-ci ne retrouve pas son audience antérieure. Il continue cependant à exister jusqu'en Brumaire an VIII. On y trouve alors des Idéologues comme Daunou, Volney, Daubenton ou Berthollet.
2 Postérité[modifier | modifier le wikicode]
Le Cercle social est connu et est une référence chez les Romantiques du 19e siècle comme Nodier ou Victor Hugo, mais également chez les politiques et philosophes comme Charles Fourier, Saint-Simon.
Karl Marx écrivit :
« Le mouvement révolutionnaire qui commença en 1789 au cercle social, qui, au milieu de sa carrière, eut pour représentants principaux Leclerc et Roux et finit par succomber provisoirement avec la conspiration de Babeuf, avait fait germer l’idée communiste que l’ami de Babeuf, Buonarroti réintroduisit en France après la révolution de 1830. Cette idée, développée avec conséquence, c’est l’idée du nouvel état du monde »[2].
3 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
- Jacques Droz, Histoire générale du socialisme, 1972
- Albert Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française, PUF 1989.
- M. Dorigny, « Le Cercle social : égalitarisme et libéralisme au début de la Révolution. L'impossible compromis », Actes du colloque de l'IRM, 1987.
- (en) Gary Kates, The Cercle social, the Girondins and the French Revolution, Princeton Universisty Press, 1985.
4 Références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Voir le n° 1 en ligne.
- ↑ « VI -3 d: Bataille critique contre la révolution française (Marx, Engels) », dans La Sainte Famille, (lire en ligne)