Révolution populaire
Le terme de révolution populaire a souvent été utilisé par des leaders de révolutions bourgeoises pour masquer le contenu de classe de leur mouvement et prétendre représenter l'intérêt de tout le peuple.
La notion de « révolution populaire » est utilisée par certains marxistes, notamment Marx et Lénine, dans un sens plus précis.
1 Utilisation marxiste[modifier | modifier le wikicode]
Dans sa lettre à Kugelmann du 12 avril 1871 au sujet de la Commune de Paris, Marx écrivait :
« Dans le dernier chapitre de mon 18-Brumaire, je remarque, comme tu le verras si tu le relis, que la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d'autres mains, comme ce fut le cas jusqu'ici, mais à la briser. C'est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. C'est aussi ce qu'ont tenté nos héroïques camarades de Paris. »[1]
Dans les débats avec les menchéviks, Lénine a employé la notion de révolution populaire au sujet de la révolution bourgeoise que la social-démocratie « attendait » en Russie. Dans sa brochure Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique[2], il développe l'idée qu'il y a deux types de révolutions bourgeoises :
- celles où seule la bourgeoisie est à l'initiative, généralement faible dans sa portée et dans sa dynamique par rapport à la réaction féodale,
- celles qui sont véritablement des révolutions populaires et qui balaient tout l'ordre ancien (démocratie la plus complète, réforme agraire...), accélérant brusquement l'histoire et créant les meilleures conditions pour la future révolution socialiste.
Lénine reproche aux menchéviks, sous prétexte d'avoir une vision clairement « de classe » (et sous prétexte de ne pas effrayer la bourgeoisie qui pourrait renoncer à la révolution), de vouloir freiner le rôle du prolétariat dans la révolution. Il assume donc que la ligne bolchévique prône une révolution bourgeoise populaire :
« Oui, une révolution populaire. La social‑démocratie a combattu et combat à bon droit l'abus que la démocratie bourgeoise fait du mot « peuple ». Elle exige que ce mot ne serve plus à dissimuler l'incompréhension des antagonismes de classes au sein du peuple. Elle insiste résolument sur la nécessité d'une complète indépendance de classe du parti du prolétariat. Mais si elle décompose le « peuple » en « classes », ce n'est pas pour que la classe d'avant‑garde se replie sur elle-même, s'assigne d’étroites limites, minimise son activité de peur que les maîtres économiques du monde ne se détournent; c'est pour que la classe d'avant-garde, qui n'aura plus à souffrir des équivoques, de l'inconstance, de l’indécision des classes intermédiaires, puisse combattre avec plus d'énergie, et avec d'autant plus d'enthousiasme, pour la cause du peuple entier, à la tête du peuple entier. »
Dans L'État et la Révolution, écrit entre les révolutions russes de février et octobre 1917, Lénine revient sur la notion de révolution populaire chez Marx dans sa lettre à Kugelmann :
« Cette notion de révolution "populaire" paraît surprenante dans la bouche de Marx : et, en Russie, les adeptes de Plékhanov ainsi que les menchéviks, ces disciples de Strouvé qui désirent passer pour des marxistes, seraient bien capables de qualifier son expression de "lapsus". Ils ont réduit le marxisme à une doctrine si platement libérale que, en dehors de l'antithèse : révolution bourgeoise et révolution prolétarienne, rien n'existe pour eux; encore conçoivent-ils cette antithèse d'une manière on ne peut plus scolastique.
Si l'on prend, à titre d'exemple, les révolutions du XX° siècle, force sera de reconnaître que, de toute évidence, les révolutions portugaise et turque sont bourgeoises. Mais ni l'une, ni l'autre ne sont "populaires", puisque la masse du peuple, son immense majorité, n'intervient d'une façon visible, active, autonome, avec ses revendications économiques et politiques propres, ni dans l'une, ni dans l'autre de ces révolutions. Par contre, la révolution bourgeoise russe de 1905-1907, sans avoir remporté des succès aussi "éclatants" que ceux qui échurent de temps à autre aux révolutions portugaise et turque, a été sans conteste une révolution "véritablement populaire". Car la masse du peuple, sa majorité, ses couches sociales "inférieures" les plus profondes, accablées par le joug et l'exploitation, se sont soulevées spontanément et ont laissé sur toute la marche de la révolution l'empreinte de leurs revendications, de leurs tentatives de construire à leur manière une société nouvelle à la place de l'ancienne en cours de destruction.
En 1871, le prolétariat ne formait la majorité du peuple dans aucun pays du continent européen. La révolution ne pouvait être "populaire" et entraîner véritablement la majorité dans le mouvement qu'en englobant et le prolétariat et la paysannerie. Le "peuple" était justement formé de ces deux classes. Celles-ci sont unies par le fait que la "machine bureaucratique et militaire de l'Etat" les opprime, les écrase, les exploite. Briser cette machine, la démolir , tel est véritablement l'intérêt du "peuple", de sa majorité, des ouvriers et de la majorité des paysans; telle est la "condition première" de la libre alliance des paysans pauvres et des prolétaires; et sans cette alliance, pas de démocratie solide, pas de transformation socialiste possible. »[3]
En écrivant cela, Lénine vise clairement à justifier la ligne des bolchéviks pour une « dictature démocratique des ouvriers et des paysans ».
Cette caractérisation utilisée par Marx, Lénine ou Trotski, n'a rien à voir avec la caractérisation en terme de classe dirigeante (révolution bourgeoise, révolution prolétarienne...) et se situe sur un autre plan. Quand des "marxistes" diluent leur objectif en utilisant le mot d'ordre de "révolution populaire" à la place de "révolution prolétarienne", il s'agit d'autre chose. Trotski critiquait par exemple le parti communiste allemand en 1931 lorsqu'il parlait de "révolution populaire" pour mieux draguer l'électorat du NSDAP.
« Le fait est là, dans une campagne déterminée, le bureaucratisme stalinien entraîna les ouvriers révolutionnaires dans un front unique avec les hitlériens contre la social-démocratie. Dans la fanfare communiste du 1er août, en pleine agitation pour le "referendum rouge", on publie, à côté du portrait de Scheringer, un de ses messages apostoliques, voici ce qu'on y lit textuellement . "Quiconque s'oppose aujourd'hui à la révolution populaire, à la guerre révolutionnaire libératrice, trahit la cause des morts de la guerre mondiale qui ont donné leur vie pour une Allemagne libre". Ainsi, la bureaucratie stalinienne tend de plus en plus à agir contre le fascisme en utilisant les armes de ce dernier ; elle lui emprunte les couleurs de sa palette politique et s'efforce de la dépasser en surenchère patriotique. Il est difficile d'imaginer une capitulation de principe plus honteuse que celle des staliniens qui ont remplacé le mot d'ordre de la révolution prolétarienne par celui de la "révolution populaire". »[4]
On peut également rapprocher cette notion de révolution populaire des analyses de Gramsci sur l'hégémonie. Selon Gramsci, les Jacobins ont réussi à créer une nouvelle hégémonie pendant la révolution française, tandis que le Risorgimento (unification italienne) s'est faite globalement par le haut (principalement via la force militaire du royaume de Piémont-Sardaigne), de façon non hégémonique.