Réformisme
Le réformisme est un courant politique issu du mouvement ouvrier qui considère que le progrès social, voire le dépassement du capitalisme, peut et doit se faire par l'obtention de réformes et la participation aux institutions de l'État bourgeois.
On peut également parler d'un réformisme bourgeois.
On parle parfois de gradualisme pour évoquer l'idée d'un changement social progressif et continu, sans rupture.
1 Réformisme bourgeois[modifier | modifier le wikicode]
Parmi la classe capitaliste elle-même, l'idée qu'il faut adopter quelques réformes sociales peut aussi être présente. Cela peut se baser sur de la philanthropie plus ou moins sincère, mais ce qui a le plus poussé la majorité des bourgeois à accepter ces réformes, c'est la pression du mouvement ouvrier. Dans tous les cas, le réformisme bourgeois n'a pas du tout vocation à contester ni dépasser le capitalisme, mais au contraire, à le stabiliser.
Même des conservateurs ont, à différentes périodes, mené des réformes. Au 19e siècle, ce fut le cas de Disraeli en Angleterre et de Bismarck en Allemagne. Au début du 20e siècle en Angleterre, les gouvernements du Parti libéral ont introduit les allocations chômage, le paiement des jours de maladie et les retraites. Bismarck cherchait à couper court à la montée du SPD, les libéraux britanniques réagissaient à l’apparition du Parti travailliste. En France c’est sous la 3e République que les premières mesures de protection sociale ont été adoptées. Plus tard, ce sont Roosevelt et le Parti démocrate qui ont introduit le New Deal dans les États-Unis des années 30.
Dans l’Europe d’après 1945, les réformes qui ont consolidé l’Etat-Providence et les nationalisations de secteurs plus ou moins importants de l’économie n’étaient pas toujours l’œuvre de gouvernements de gauche, comme c’était le cas en Grande-Bretagne. En France c’était l’œuvre des gouvernements tripartites SFIO-PCF-MRP. En Italie et en Allemagne la Démocratie chrétienne y était associée. Les bourgeoisies d’Europe de l’ouest agissaient en partie par crainte de la révolution ; mais aussi par volonté de retrouver une certaine stabilité économique, sociale et politique après les bouleversements de l’entre-deux-guerres et de la guerre elle-même.
Marx et Engels avaient déjà traité cette question dans le chapitre du Manifeste communiste qui analyse le « socialisme conservateur ou bourgeois » où ils caractérisent « une partie de la bourgeoisie » comme voulant « porter remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise ».
Les réformes mises en place d'en haut par la bourgeoisie peuvent avoir des effets variés sur le mouvement ouvrier. Elle peut le désamorcer en lui retirant des raisons de se battre. Mais elle peut aussi donner envie d'obtenir plus et donc stimuler les mouvements.
« Telle ou telle réforme « constitutionnelle » octroyée d'en haut, n'exclut nullement le mouvement des masses, au contraire, elle peut servir de prologue à ce mouvement. Les réformes de Turgot ont été faites au seuil de la Révolution française. »[1]
Le réformisme social bourgeois et le socialisme réformiste ont petit à petit fusionné. Des réformateurs bourgeois comme les Fabians en Angleterre ont intégré les partis socialistes.
2 Réformisme ouvrier[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Naissance du mouvement ouvrier[modifier | modifier le wikicode]
A la naissance du mouvement ouvrier, les régimes bourgeois (ou semi-féodaux comme la Russie) étaient très peu démocratiques. Lorsque les partis socialistes sont interdits et sont de fait des groupes clandestins, la question du réformisme contemporain ne peut éclater au grand jour. Cela dit cela ne faisait pas automatiquement des socialistes des révolutionnaires : le débat était ouvert avec insurrectionnels blanquistes, socialistes utopiques, coopérativistes...
La plupart des marxistes considèrent que le premier mouvement ouvrier révolutionnaire fut le chartisme anglais. Ce mouvement ne réclamait que des avancées politiques, mais au moyen de luttes de classe radicales, qui auraient pu ébranler l'État bourgeois.
2.2 Deuxième internationale[modifier | modifier le wikicode]
Sous l'influence considérable du socialisme scientifique et l'action résolue d'Engels, l'Internationale ouvrière avait tranché de nombreuses questions et possédait un certain sérieux politique. Cela n'a pas empêché une importante dérive réformiste d'avoir lieu et des thèses révisionnistes d'apparaître pour les justifier.
En France un peu avant, le réformisme est représenté par l'entrée au gouvernement pour la première fois d'un socialiste, Alexandre Millerrand (en 1899), qui est fermement condamnée par le POF de Guesde. de Jaurès (PSF) soutient Millerand et se revendique « réformiste et révolutionnaire ». Le débat entre Guesde et Jaurès est connu comme « les deux méthodes ».[2]
La SFIO, fondée en 1905, était dès la naissance un parti réformiste, malgré son verbiage révolutionnaire. Le SPD allemand a gardé plus longtemps une image d'orthodoxie marxiste, assurée notamment par Kautsky (qui était réalité plutôt « centriste »).
La trahison de l'Internationale et de presque tous ses partis éclate au grand jour lors de son soutien à la guerre de 1914. La plupart des socialistes soutiennent l'État bourgeois, voire participent directement à des gouvernements de coalition. Un commentateur bourgeois dira :
« La différence qui existe entre nous autres, bourgeois, qui nous occupons de politique et de sociologie et ceux-là [les socialistes] n’est qu’une différence de degré. Encore quelques pas de plus dans la voie où vous vous êtes engagés, mes chers messieurs, la fumée communiste se dissipera. »[3]
La trahison se manifeste aussi lorsque les socialistes réformistes refusent de profiter de la situation révolutionnaire créée par la guerre pour entamer une révolution socialiste, sauf en Russie où le courant bolchévik était déjà séparé.
Durant la révolution allemande (1918), la monarchie est abattue essentiellement par les forces du mouvement ouvrier et le SPD se retrouve propulsé au pouvoir, mais il fait tout pour se limiter à une république démocratique maintenant le capitalisme. Les réformistes maintiennent l'idée que les conditions ne sont pas mûres pour le socialisme. Kautsky considérait qu'il n'y avait plus lieu d'être révolutionnaire si l'on disposait d'une constitution démocratique.[4]
Après la rupture avec les communistes en 1920, la SFIO tente de reprendre une image d'indépendance de classe, même si elle soutien le Cartel des gauches en 1924. Suite au revirement opportuniste du PC, les deux partis réformistes se vautreront dans le Front populaire de 1936.
L'immense majorité des partis affiliés à l'Internationale socialiste d'aujourd'hui ne sont même plus des partis ouvriers bourgeois. Le Parti socialiste en France, le SPD en Allemagne, le PSOE en Espagne... Tous sont des partis de gouvernement rompus au pouvoir et représentant des options tout à fait convenables pour les bourgeoisies, en face de leurs partis de droite traditionnels.
2.3 Troisième internationale[modifier | modifier le wikicode]
L'Internationale communiste créée en 1919 à l'initiative des bolchéviks attire de nombreux internationalistes et partisans de la révolution socialiste, qui considèrent que les dirigeants socialistes ont de fait mis leurs forces au service du capitalisme.
Mais au cours des années 1920, la politique de l'IC devient progressivement de plus en plus opportuniste, au fur et à mesure de sa bureaucratisation. L'État soviétique utilise de plus en plus l'IC comme un outil pour défendre ses intérêts matériels et diplomatiques, dans une logique d'autoconservation qui se cache derrière le concept de socialisme dans un seul pays. Cela conduit à une alliance avec les dirigeants syndicaux anglais qui brise la grève générale de 1926, et surtout à l'écrasement de la révolution chinoise (1925-1927) en raison d'un retour à un étapisme de type menchévik.
Il s'en suit une période ultra-gauche appelée « classe contre classe », pendant laquelle l'IC refuse de mener une vraie politique de front unique, traitant notamment les sociaux-démocrates de sociaux-fascistes. Après l'écrasement du KPD par le nazisme, cette ligne est soudainement remplacée par une ligne de fronts populaires, qui au lieu du front unique ouvrier passe soudain à un front rabaissant le dénominateur commun à la défense de la démocratie, y compris avec des partis bourgeois (comme le Parti radical français en 1936). Les staliniens jouent un rôle actif contre les partisans de la collectivisation pendant la guerre d'Espagne, au nom du front avec les bourgeois démocrates.
Face à ces zigzags, l'opposition de gauche de Trotski a caractérisé la politique de l'IC comme du « centrisme bureaucratique ». Au moins après la Seconde guerre mondiale, les partis communistes staliniens sont devenus des partis réformistes.
Les partis issus de ce courant (qu'il n'y a plus de sens à caractériser comme staliniens), comme le PCF, Rifundazione, ou en partie Die Linke... (réunis au niveau européen dans la Gauche Européenne) sont des partis réformistes proches de ce que pouvaient être les partis sociaux-démocrates quelques décennies auparavant.
2.4 Extrême gauche[modifier | modifier le wikicode]
De nombreux partis issus de l'extrême gauche, se réclamant de l'anticapitalisme (par exemple dans la Gauche anticapitaliste européenne), sont dans des postures plus ou moins ambigües sur la question du réformisme. Certains soutiennent que le clivage réforme-révolution n'est plus pertinent aujourd'hui. D'autres qu'il est nécessaire de passer par une période de reconstruction du mouvement ouvrier, en reportant la tâche de clarification révolutionnaire. Des désaccords existent également sur la définition de ce qui est une illusion réformiste et ce qui est une revendication transitoire... Cela suscite de nombreux débats au sein de ces partis.
3 Questions stratégiques associées[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Parlementarisme[modifier | modifier le wikicode]
Certains socialistes ont refusé toute participation aux élections organisées par l'État bourgeois, majoritairement ceux qui sont devenus les anarchistes. La majeure partie, notamment les marxistes, considèrent indispensable de participer à ces élections en temps de paix sociale, car elles paraissent légitimes à la majorité de la classe travailleuse, et sont des moments où elle est susceptible de se politiser davantage. Par ailleurs, des décisions importantes peuvent parfois être prises ou combattues à l'Assemblée, et à ce titre avoir des député·es peut être utile.
Mais face au courant socialiste majoritaire qui s'est embourgeoisé (notamment à travers ses élus) et intégré complètement à l'appareil d'État (considéré comme neutre et non bourgeois), le courant communiste a tenté de définir un parlementarisme révolutionnaire, visant à subordonner l'action parlementaire à l'action extraparlementaire (auto-organisation du mouvement ouvrier). La majorité du mouvement communiste est à son tour devenue réformiste.
3.2 Participation gouvernementale ("ministérialisme")[modifier | modifier le wikicode]
Plus encore que la participation aux élections et aux parlements, la participation aux gouvernements a divisé les socialistes. S'il est possible d'être un député de l'opposition, il n'est pas possible d'être un ministre de l'opposition. Un gouvernement est une équipe qui dirige concrètement l'État, et pour les marxistes révolutionnaires, en tant de paix sociale, cette politique ne peut être qu'au service des capitalistes. Théoriquement les révolutionnaires n'acceptent donc de participer qu'à un gouvernement qui se lance dans un processus de rupture avec le capitalisme. A l'inverse, les socialistes ont fini par accepter tout type de gouvernement, seuls ou en coalition avec des forces bourgeoises.
3.3 Électoralisme[modifier | modifier le wikicode]
Dans les nombreux débats qui ont eu lieu entre socialistes sur les élections, les révolutionnaires parlent de « dérive électoraliste » (ou d'électoralisme) lorsqu'un parti fait passer l'augmentation de son score avant les intérêts de la lutte des classes.
Cette dérive peut être favorisée lorsqu'un parti tire d'importants revenus de mécanismes de financement public des partis, ou de la reversion d'indemnités parlementaires.
4 Théories économiques associées[modifier | modifier le wikicode]
4.1 Coopérativisme et égalitarisme de petits producteurs[modifier | modifier le wikicode]
Un certain nombre de courants socialistes sont basés sur des rêves de petits producteurs concevant le socialisme comme un libre-marché débarrassé des gros capitalistes. Depuis Marx, on rattache plutôt ces courants au « socialisme utopique ». En effet, ces courants rêvent d'un capitalisme sans accumulation, sans centralisation du capital, sans inégalité sociale, alors que le marché les génère intrinsèquement. De plus, les grosses unités de production (industries en particulier) sont en contradiction avec la petite production, et la seule façon progressiste de les dépasser est de les gérer démocratiquement.
Marx critiquait les socialistes qui faisaient des mécanismes de marché une panacée démocratique, comme les proudhoniens :
« Certes, l'échange privé de tous les produits du travail, capacités et activités s'oppose à la distribution fondée sur la hiérarchie et la subordination naturelle ou politique des individus au sein des sociétés patriarcale, antique et féodale (...). Mais l'échange privé s'oppose tout autant au libre rapport des individus associés sur la base de l'appropriation et du contrôle collectif des moyens de production. »[5]
4.2 Keynésianisme[modifier | modifier le wikicode]
5 Racines du réformisme[modifier | modifier le wikicode]
Comment expliquer l’évolution assez systématique du mouvement ouvrier, de la naissance d’organisations de lutte aux positions radicales en appareils bureaucratiques et réformistes ayant, de fait abandonné la lutte pour une transformation révolutionnaire ? Comment expliquer la dégénérescence bureaucratique et réformiste du mouvement ouvrier ? Différents marxistes ont avancé des explications, souvent plus complémentaires que contradictoires.
5.1 Analyse de Friedrich Engels[modifier | modifier le wikicode]
Engels faisait le constat suivant à propos de l'Angleterre de la deuxième moitié du 19e siècle :
« En ce qui concerne les ouvriers, il faut constater au départ qu’aucun parti ouvrier indépendant n’a existé en Angleterre depuis l’effondrement du parti chartiste dans les années 1850. Ceci est compréhensible dans un pays où la classe ouvrière a partagé plus que n’importe où ailleurs les avantages de l’énorme expansion de sa grande industrie. Il ne pouvait pas en être autrement dans une Angleterre qui dominait le marché mondial ; et certainement pas dans un pays où les classes dirigeantes se sont fixées la tâche de réaliser, parallèlement à d’autres concessions, les points de la Charte du peuple, les uns après les autres »
Engels sera aussi le premier marxiste à évoquer la notion d'aristocratie ouvrière, pour désigner une couche enrichie de la classe ouvrière. Cette notion sera reprise par Kautsky, Lénine, Trotski...
5.2 Analyse de Rosa Luxemburg[modifier | modifier le wikicode]
Rosa Luxemburg fut une des principales militantes et théoriciennes de la gauche révolutionnaire dans la Deuxième internationale. En 1898 elle publie Réforme sociale ou révolution ?[6] en réponse notamment au révisionnisme de Bernstein.
Opposition lutte immédiate - lutte révolutionnaire : Contradiction entre le but poursuivi (la révolution socialiste) et les médiations (la prise en charges des luttes « élémentaires » dans le cadre de la société bourgeoise). La logique d’efficacité entre – partiellement- en contradiction avec la fonction essentielle du parti (l’éducation des travailleurs, leur prise de conscience de la nécessité d’une autre société).
Le conservatisme d’appareil et le fétichisme d’organisation : pour mener la lutte, le mouvement ouvrier se dote d’organisations de plus en plus puissantes, avec des permanents, des « fonctionnaires » (syndicaux ou de parti), un appareil. D’où une logique qui conduit à « surestimer l’organisation qui, peu à peu, de moyen en vue d’une fin se change en elle-même, en un bien suprême auquel doivent être subordonnés tous les intérêts de la lutte ». Paradoxalement, ce sont les succès mêmes du mouvement ouvrier – le développement de son organisation, les droits qu’il conquiert – qui vont se retourner contre lui…
5.3 Analyse d'Anton Pannekoek[modifier | modifier le wikicode]
Le marxiste néerlandais Anton Pannekoek analyse le réformisme dans un livre de 1909,[7] que Lénine trouve pertinent et résume dans un article de 1910[8]. Il s'agit alors d'expliquer le réformisme et son erreur symétrique, l'anarchisme, en terme d'écarts par rapport au marxisme, officiellement nettement dominant. Ces écarts seraient dus aux changements dans les conditions politiques (par exemple la période répressive en Allemagne de 1870 à 1890 favorisait le gauchisme tandis que la période libérale qui a suivi a favorisé le révisionnisme). Ils seraient aussi dus à l'arrivée de nouvelles couches d'ouvriers dans les rangs de la social-démocratie, dont certains issues de la paysannerie ou de l'artisanat.
5.4 Analyse de Boukharine[modifier | modifier le wikicode]
Boukharine étudie pendant la guerre de 1914-1918 les évolutions du capitalisme, et avance les idées suivantes[9] :
- aux débuts du capitalisme, les « relations patriarcales » dominaient dans les petites entreprises, conduisant souvent les salariés à une identification de leurs intérêts avec ceux de leur patron ; ces éléments ont perduré dans un certain corporatisme des travailleurs qualifiés (il parle de trade unions anglaises)
- à la fin du 19e siècle, l'industrialisation a conduit à faire reculer ce sentiment au profit de la conscience de classe, mais les illusions se sont maintenues dans l'Etat, assimilé à « la patrie », « l'intérêt général »... et les travailleurs européens et états-uniens reçoivent des salaires plus élevés du fait du colonialisme
- la politique de patrons comme Ford (sélection des travailleurs, salaires élevés, culture de fidélité à l'entreprise...) achète également la soumission des ouvriers
- l'État tendant à devenir un patron direct (dans sa théorie du capitalisme d'Etat), la fiction d'un État neutre, au dessus des classes, disparaîtrait.
L'analyse de Boukharine a influencé celle de Lénine. Mais on peut remarquer que d'une part Boukharine évoque d'autres facteurs, d'autre part il ne distingue pas une "aristocratie ouvrière", mais écrit simplement que « l'exploitation des «tiers» (producteurs pré-capitalistes) et de la main-d'œuvre coloniale a conduit à une hausse des salaires des travailleurs européens et américains. »
5.5 Analyse de Lénine[modifier | modifier le wikicode]
Avant 1914, Lénine employait le terme de réformisme pour qualifier certaines tendances, notamment celle de Bernstein ou d'une partie des menchéviks (« liquidationnistes »[10]), mais avec beaucoup moins d'ampleur que cela en aura par la suite.
L’hégémonie réformiste sur les organisations du mouvement ouvrier a une autre base sociale, produit du développement du capitalisme, notamment dans sa phase d’expansion impérialiste : l’aristocratie ouvrière. Cette expansion « procure des profits de monopole très élevés à une poignée de pays très riches, crée les possibilités économiques de corrompre les couches supérieures du prolétariat », notamment en entretenant « cette couche d’ouvriers embourgeoisés ou de l’aristocratie ouvrière, entièrement petit-bourgeois par leur mode de vie, par leurs salaires, par leur conception du monde (…) qui est le principal soutien social de la bourgeoisie ».
Le réformisme et l’opportunisme ont donc une double cause :
- La scission du prolétariat des pays impérialistes en une couche supérieure, petite-bourgeoise, l’aristocratie ouvrière et la masse du prolétariat.
- Le fait qu’une fraction de cette aristocratie ouvrière – la bureaucratie ouvrière – contrôle les organisations politiques et syndicales du mouvement ouvrier.
La "tendance au réformisme" n'est pas un phénomène métaphysique, agissant en tout temps avec la même intensité. Premièrement parce que l'idéologie a une histoire et une mémoire, deuxièmement parce que les conditions économiques permettant l'opportunisme dans le mouvement ouvrier sont variables, enfin parce que les deux ont un rapport dialectique.
Le capitalisme ne connaît pas seulement des phases d’expansion impérialisme mais aussi des phases de crises et de récession où les marges de manœuvres économiques de la bourgeoisie se restreignent, de même que sa capacité à « acheter » une fraction du salariat.
Le développement des appareils syndicaux et politiques a engendré l’existence d’une couche « privilégiée » de représentants, de délégués et d’élus dont les conditions d’existence n’ont plus rien à voir avec celles des travailleurs de base, sur le plan des revenus mais, surtout, sur le rapport au travail et à l’exploitation salariée.
Différenciations sociales (aristocratie ouvrière, bureaucraties) et évolutions idéologiques s’alimentent mutuellement. Un élément essentiel : la question du réformisme soulève évidemment la question des divergences d’orientation et de stratégie ; mais elle ne se limite pas à cela : l’arrière-fond, ce sont les divergences d’intérêts sociaux.
5.6 Analyse de Trotski[modifier | modifier le wikicode]
Trotski a bien connu la social-démocratie allemande (et autrichienne) lors de sa période d'émigration, et percevait bien le conservatisme d'appareil qui s'était emparée d'elle. Ses critiques étaient dures, et proches de celles de Rosa Luxemburg. Ainsi dès 1905 il écrivait :
« Les partis socialistes européens ont élaboré leur conservatisme, qui devient d'autant plus fort que de plus grandes masses sont gagnées par le socialisme... Par suite la social-democratie peut devenir, à un certain moment, un obstacle immédiat dans un conflit qui se déclarerait entre les ouvriers et la réaction bourgeoise. En d'autres termes, le conservatisme de propagande socialiste du parti prolétarien peut, à un certain moment, gêner la lutte directe du prolétariat pour la conquête du pouvoir. »[11]
Ou encore, à la fin de l’été 1907 :
« Je rédigeai, à Hirschberg, un petit livre sur la social-démocratie allemande pour les éditions bolcheviques de Pétersbourg. Dans cet ouvrage, j'exprimai pour la deuxième fois une idée que j'avais émise en 1905 : je déclarai que la formidable machine de la social-démocratie allemande pourrait, à un moment de crise de la société bourgeoise, devenir la force principale de l'ordre conservateur. »[12]
Mais comme Lénine et Luxemburg, il sous-estimait largement l'ampleur du problème et la nécessité de lutter contre le réformisme et le centrisme, jusqu'en 1914.
6 Néoréformisme[modifier | modifier le wikicode]
Certains courants qui ont émergé au 21e siècle (Podemos, Syriza, France Insoumise, Sanders, Corbyn...) et qui ont connu un certain essor ont été caractérisés de « néoréformistes » par des communistes révolutionnaires.
La FT-QI considère que ces courants sont moins liés à la classe ouvrière et aux syndicats que ne l'était l'ancien réformisme (lequel survit aujourd'hui quasi exclusivement dans les syndicats), qu'il a une base bien plus petite-bourgeoise (d'étudiants surqualifiés et touchés par le chômage notamment), et que cela leur donne une assise beaucoup moins stable, ce qui peut les faire retomber comme un soufflet.
7 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
- Lénine, L'opportunisme et la faillite de la II° Internationale
- Socialisme International, Impérialisme et réformisme
Vulgarisation
8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Trotski, Nos tâches politiques, 1904
- ↑ Jean Jaurès, Jules Guesde, Débat sur les deux méthodes, 26 novembre 1900
- ↑ Hans Delbrück dans l'Annuaire Prussien, cité par Boukharine en 1922
- ↑ Karl Kautsky, Die proletarische Revolution und ihr Programm, Juin 1922 (Traduction partielle en anglais en 1924)
- ↑ Karl Marx, Grundrisse
- ↑ Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou révolution ?, 1898
- ↑ Anton Pannekoek, Les divergences tactiques dans le mouvement ouvrier, 1909
- ↑ Lénine, Les divergences dans le mouvement ouvrier européen, 1910
- ↑ Boukharine, Imperialism and World Economy, 1915
- ↑ Lénine, La maladie du réformisme, 29 novembre 1912
- ↑ Léon Trotski, Bilan et perspectives, in 1905
- ↑ Léon Trotski, Ma vie, 1930