Gauchisme

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Le terme de gauchisme a une signification très différente selon qui l'emploie :

  • Au sens courant actuel, "gauchiste" désigne souvent simplement une personne plus ou moins "à gauche".
  • Pour des réactionnaires cela renvoie, négativement, à toute "la gauche".
  • Pour les marxistes à la suite de Lénine et Trotski, cela désigne certains courants communistes ou anarchistes jugés trop à gauche (principalement sur des questions de méthodes ou de tactiques). On parle aussi d'ultra-gauche.

1 Caractéristiques du « gauchisme »[modifier | modifier le wikicode]

Les caractéristiques qui reviennent le plus souvent dans les courants dits « gauchistes » sont les suivantes (ce qui ne veut pas dire que tous les courants ont l'ensemble de ces positions).

1.1 Refuser tout parlementarisme[modifier | modifier le wikicode]

La participation aux parlements a été un des premiers droits arrachés par les socialistes, et un des premiers points de clivage. La cause de cela a été l'adaptation totalement opportuniste de la social-démocratie au jeu parlementaire bourgeois. Pourtant, le parlementarisme est un des moyens pour un parti révolutionaire de renforcer le camp du prolétariat, à conditions de maintenir l'objectif de renforcer sa conscience de classe et sa conscience révolutionnaire.

1.2 Refuser de militer dans les syndicats de masse[modifier | modifier le wikicode]

C'est un fait que la bureaucratisation des grands appareil syndicaux est fréquente et conduit à de graves trahisons des luttes ouvrières. C'est pourquoi chez certains travailleurs ou militants, la prise de conscience de cette réalité les conduit à militer dans un syndicat avant-guardiste isolé, voire à ne plus militer syndicalement, par rejet "des syndicats". Or, tant que la grande masse des travailleurs accorde sa confiance aux directions syndicales réformistes / opportunistes, il est contre-productif de s'isoler d'eux et d'attendre simplement que les lignes entre syndicats majoritaires et minoritaires bougent lentement. En effet, les grands événements dans lesquels la traîtrise des bureaucrates se manifestent sont rares, et l'expérience a besoin d'un minimum d'analyse pour être vécue comme une trahison, sans quoi la défaite peut ne mener qu'à un profond découragement.

Il est important de ne pas considérer l'adhésion à un syndicat comme un soutien politique à sa direction. Le syndicat est surtout important pour les marxistes révolutionnaires lorsqu'il est un lieu d'organisation de nombreux travailleurs, qui permet au militant-travailleur de vivre les mêmes expériences de lutte que ses collègues non-révolutionnaires, et de s'en servir de point d'appui pour élever leur conscience de classe.

1.3 Refus du front unique face aux contre-révolutionnaires[modifier | modifier le wikicode]

Face à la montée du fascisme, il est très important de maintenir la critique révolutionnaire des "démocrates bourgeois" et des socialistes réformistes. L'opportunisme qui consisterait à l'atténuer soi disant par "moindre mal" (voire à faire des Fronts populaires avec eux) est en réalité une grave erreur, laissant les fascistes seuls à incarner une posture "anti-système" crédible.

Mais cela ne doit pas conduire à la grave erreur "gauchiste" qui consiste à dire que mettre toutes les forces pro-capitalistes sur le même plan. Comme par exemple le KPD qui dans l'Allemagne des années 1930 appelait les social-démocrates les "social-fascistes", les mettant dans le même sac que les nazis. Il est absolument nécessaire de défendre les droits démocratiques, mêmes formels et limités, car ils constituent une vraie marge de manoeuvre pour les révolutionnaires, qui sans cela courent le risque d'une dure répression et d'être coupés de l'ensemble du prolétariat. Ces combats doivent donc être menés avec les autres forces, mais en conservant l'indépendance de classe du prolétariat, et ses moyens d'action propre : grèves, manifestations, collectifs d'autodéfense... C'est la logique du front unique.

La dynamique est analogue dans le cas d'une révolution démocratique bourgeoise face à un régime despotique (féodal, bonapartiste...). Par exemple lors de la révolution russe de 1917, les bolchéviks ont fait un front unique ponctuel avec les bourgeois et les réformistes pour empêcher la contre-révolution de Kornilov de l'emporter.

1.4 L'aventurisme[modifier | modifier le wikicode]

Une autre erreur gauchiste peut être de se lancer dans des aventures manifestement vouées à l'échec : appeler à une grève ou à un soulèvement en période de démobilisation des masses, imposer des mots d'ordres révolutionnaires comme plate-forme d'une lutte partielle... en bref, s'attaquer à une tâche trop difficile par rapport aux forces actuelles du mouvement révolutionnaire.

L'aventurisme est bien évidemment relié aux autres erreurs plus fondamentales : le refus de militer dans les syndicats de masse condamne à "proclamer" des actions minoritaires, le refus de tout parlementarisme va de pair avec la prétention de constituer immédiatement un gouvernement des travailleurs... En bref c'est en lien avec une absence de vision matérialiste.

En 1850, Marx analysait les types de violence révolutionnaire, notamment avec l'exemple des exilés politiques cherchant à renverser les gouvernements tyranniques européens. Si Marx n'a jamais été un pacifiste, il écrivait à propos des « conspirateurs de profession » :

« Alchimistes de la révolution, ils ont en partage avec les alchimistes d’antan la confusion des idées et l’esprit borné rempli d’idées fixes. Ils se précipitent sur des inventions censées accomplir des prodiges révolutionnaires : bombes incendiaires, machines infernales aux effets magiques, émeutes qui, espèrent-ils, seront d’autant plus miraculeuses et surprenantes qu’elles auront moins de fondements rationnels. (...) Ces alchimistes de la révolution ont à coeur d'anticiper le processus d'évolution révolutionnaire, à l'amener artificiellement à son point de crise, à déclencher une révolution artificiellement sans que les conditions soient requises. » [1]

1.5 Suivisme gauchiste[modifier | modifier le wikicode]

On peut également considérer qu'un certain gauchisme peut ironiquement être le fruit d'un suivisme acritique. Si des militants révolutionnaires sont de toutes les luttes minoritaires, et à côté, délaissent le travail de propagande et d'implantation dans la classe ouvrière, cela peut revenir à se couper des masses. Ce qui pose également problème, c'est de s'investir fortement dans des luttes partielles / sectorielles sans chercher à apporter de perspectives politiques (pousser vers des revendications transitoires fédératrices) ou de mobilisation (pousser à la coordination des luttes, à l'auto-organisation...).

Ces erreurs peuvent être dues à des illusions dans le pouvoir de l'exemplarité ou de la spontanéité. Elles peuvent aussi venir d'une démobilisation dans une période jugée "peu favorable", ce qui tend à négliger la dialectique parti / masses et notre responsabilité de militants pour agir sur la situation.

2 Exemples historiques[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Marx et Engels ont connu la vague révolutionnaire de 1848, et puis ils ont observé certains de leurs camarades qui devenaient incapables d'admettre que la situation avaient changé, et qui s'enfermaient dans une attitude "révolutionnariste" contre-productive.

La défaite violente d’une révolution laisse dans les cerveaux de ceux qui y ont participé, de ceux surtout qui se trouvent rejetés de leur patrie en exil, une commotion telle que même des personnalités distinguées en restent, pendant plus ou moins longtemps, comme incapables de discernement ; on ne peut rentrer dans le courant de l’Histoire, on ne veut pas voir que la forme du mouvement a changé. Aussi joue-t-on à la conspiration et à la révolution, ce qui est également compromettant pour eux et pour la cause qu’ils servent. De là viennent les bévues de Willich et de Schapper.[2]

Déjà dans la Première internationale, Marx et Engels devaient répondre à certains courants, en particuliers anarchistes, qui refusaient toute action politique (participation à des élections, prise de position dans certains débats sur des réformes...) au motif que cela serait cautionner l'ordre établi.

« La pratique de la vie réelle et l'oppression politique que les gouvernements en place font subir aux ouvriers - à des fins politiques, aussi bien que sociales -contraignent les ouvriers à faire de la politique, qu'ils le veuillent ou non. Leur prêcher l'abstention en matière politique reviendrait à les pousser dans les bras de la politique bourgeoise. (...) Tous les abstentionnistes se nomment des révolutionnaires, et même des révolutionnaires par excellence. Mais la révolution n'est-elle pas l'acte suprême en matière politique ? Or, qui veut la fin doit vouloir aussi les moyens - l'action politique qui prépare la révolution, éduque l'ouvrier (...) Cependant, la politique qu'il faut faire doit être celle du prolétariat: le parti ouvrier ne doit pas être à la queue de quelque parti bourgeois que ce soit, mais doit toujours se constituer en parti autonome ayant sa propre politique et poursuivant son propre but. (...) On prétend que toute action politique signifie reconnaître l'ordre existant. Or, si ce qui existe nous donne les moyens pour protester contre l'état existant, dès lors l'utilisation de ces moyens n'est pas une reconnaissance de l'ordre établi. »[3]

2.2 Dans la social-démocratie allemande[modifier | modifier le wikicode]

A ses débuts, la social-démocratie allemande a commencé à militer dans un contexte très répressif. L'Empire allemand est alors une monarchie parlementaire dirigée autoritairement par le chancelier Bismarck.

Ce contexte est favorable à la radicalisation à gauche, dans les rangs socialistes mais plus largement dans sa périphérie. En 1878 ont lieu deux tentatives d'attentat contre l'Empereur Guillaume Ier. Les auteurs, Max Hödel et Karl Eduard Nobiling, avaient eu des liens avec les social-démocrates mais n'en faisaient pas partie.

Cela servit néanmoins de prétexte pour que des lois antisocialistes soient votées dans la foulée. Ces lois empêchent les socialistes de militer au grand jour, même si l'activité des députés socialistes est tolérée. Le SAPD (futur SPD) s'organise clandestinement pour continuer sa propagande, et malgré les difficultés sa popularité est croissante.

Cela radicalise encore une partie de la social-démocratie. Au sein du parti, Johann Most, alors déjà en exil en Grande-Bretagne et le député Wilhelm Hasselmann, penchent aussi pour l'action violente. Par exemple ils accueillent positivement l'annonce de l'attentat commis par les narodniks russes contre le Tsar Alexandre II. La direction du SAP condamne toutefois ces actions. Ainsi Most et Hasselmann sont exclus du parti lors du congrès de 1880, qui se tient en Suisse. Cette décision est surtout le fruit de la volonté d'Ignaz Auer et August Bebel, qui espèrent ainsi rendre inefficace la propagande antisocialiste menée par le gouvernement, les partis de la majorité et la presse.

A ce moment, la majorité social-démocrate se distancie de sa frange gauche en la dénommant « anarchiste ». La séparation des mouvements anarchistes et socialistes n'allait pas encore de soi à cette époque ; au niveau de l'Internationale elle avait seulement eu lieu sept ans auparavant.

Les lois antisocialistes sont finalement abrogées en 1890. A ce moment, certains militants refusent de faire un tournant dans la façon de militer et de se concentrer sur la bataille électorale, le groupe dit des Jeunes, principalement concentré à Berlin.

En 1890, un groupe qui sera nommé « les Jeunes » (Die Jungen) se forme dans la social-démocratie allemande. Il présentait une plate-forme qui refusait toute participation au parlement. En octobre 1891, au Congrès de la social-démocratie allemande, les « jeunes » furent exclus du parti.

Il est à noter qu'en 1892, le théoricien Karl Kautsky faisait déjà la comparaison entre certaines tendances gauchistes (sans employer ce terme) et une maladie infantile :

« Toute forme prise par la lutte de classe qui ne tendait pas au renversement immédiat et complet de l’ordre actuel, toute forme efficace, sérieuse de cette lutte n’était alors, aux yeux de ces socialistes, rien moins qu’une trahison envers la cause de l’humanité. (...) C’est une maladie d’enfance qui menace tout mouvement socialiste et prolétarien encore trop jeune pour être sorti de l’utopisme. »[4]

2.3 Dans le socialisme britannique[modifier | modifier le wikicode]

Le socialisme britannique, pionnier mais par la suite durablement plus faible que sur le continent, a souvent été coupé du mouvement ouvrier, dominé par une mentalité de collaboration de classe. Parfois, cela a pu enfermer les socialistes dans des postures, à l'inverse, gauchistes. Comme par exemple un refus de participer à des campagnes pour revendiquer le suffrage universel, parce que ce serait du « simple radicalisme » (le radicalisme étant un courant petit-bourgeois revendiquant les libertés politiques).[5]

2.4 Les « impossibilistes »[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Impossibilisme.

Un courant s'est détaché de la social-démocratie dès le tournant du 20e siècle, avec notamment le Parti socialiste de Grande-Bretagne, fondé en 1904, le deleonisme aux États-Unis... Il refusait la lutte pour les réformes sociales au nom du fait qu'elles renforcent le capitalisme et détournent de l'objectif révolutionnaire.

2.5 Dans la social-démocratie russe[modifier | modifier le wikicode]

Aux débuts du mouvement ouvrier russe, les marxistes forment souvent de petits groupes d'intellectuels qui organisent des cercles (« kroujki ») de discussion de théorie avec quelques ouvriers. Ces cercles ont alors une déformation sectaire et leur avant-gardisme les coupe des masses. Au début des anées 1890, le groupe de Plékhanov essaie de défendre la nécessité de l'agitation. Les écrits de lénine dans les années 1894-96 correspondent parfaitement à cette ligne. Par exemple, son tract L’ouvrier et l’ouvrière de l’usine Thornton se concentrait exclusivement sur des questions économiques, ne faisait aucune allusion à la politique et restait sur un ton très modéré. En novembre 1895, dans son article A quoi pensent nos ministres ? Lénine dénoncent les lois qui favorisaient les patrons, en esquivant la question du tsar, qui à cette épique était toujours « le petit père » pour les ouvriers et les paysans. Anna, la sœur de Lénine, rapporte les propos suivants de son frère : « Evidemment, si vous commencez d’entrée de jeu par critiquer le tsar et le système social, vous ne faites que braquer les travailleurs »[6]

Globalement, la politique suivie par les bolchéviks en 1917 est d'une qualité tactique et stratégique exemplaire. Le parti défendait clairement ses idées et sa perspective révolutionnaire (propagande), mais tant qu'il n'était pas encore majoritaire, il savait choisir ses mots d'ordres (agitation) de façon à avoir un effet immédiat qui permette au mouvement ouvrier d'avancer, et empêche la victoire de la contre-révolution. Cela ne veut pas dire que des tendances gauchistes n'existaient pas. Par exemple, lors des journées d'Avril, certains bolchéviks voulaient directement renverser le gouvernement.

« Pendant la démonstration d'avril 1917, une partie des bolcheviks lança le mot d'ordre " A bas le gouvernement provisoire ". Le Comité central rappela aussitôt à l'ordre les ultra-gauches. Nous devons, bien entendu, propager la nécessité de renverser le gouvernement provisoire mais nous ne pouvons pas encore appeler les masses dans la rue sur ce mot d'ordre, parce que nous sommes encore en minorité dans la classe ouvrière. Si, dans ces conditions, nous réussissions à renverser le gouvernement provisoire, nous ne pourrions pas le remplacer et, par conséquent, nous aiderions la contre-révolution. Il faut expliquer patiemment aux masses le caractère antipopulaire de ce gouvernement avant que sonne l'heure de son renversement. »[7]

2.6 Les anarchistes russes[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Anarchisme en Russie.

Comme le reste des marxistes, les social-démocrates russes ont eu à polémiquer contre les anarchistes de leur pays. La critique révolutionnaire du réformisme marxiste par les bolchéviks leur a néanmoins permis d'absorber l'essentiel des militants révolutionnaire en 1917, réduisant les anarchistes à des organisations groupusculaires.

2.7 Dans la révolution allemande de 1918-1923[modifier | modifier le wikicode]

Les révolutionnaires allemands et notamment les spartakistes ont beaucoup tardé à organiser la rupture avec la social-démocratie, et c'est une causes majeures de la situation ultérieure en Allemagne. Par rejet de l'opportunisme du SPD corrompu, la majorité des nouveaux militants du KPD (Parti communiste d'Allemagne, fondé en 1919) va se prononcer contre tout parlementarisme, toute participation aux vieux syndicats, et pour la proclamation immédiate du gouvernement révolutionnaire...Cela va conduire à leur exclusion, ceux-ci se regroupant notamment dans le KAPD.

Plus tard, lors du putsch de Kapp en mars 1920, ce même courant va affirmer qu'il n'y a pas à défendre la République bourgeoise face à ces proto-fascistes...

Le ressort de cette position est un doctrinarisme terrible : il s’agirait de ne pas défendre cette République née de la répression des conseils ouvriers, cette forme de domination bourgeoise, contre une autre. Ainsi posé, on mesurera l’actualité du problème: la question n’est pas doctrinaire (une forme de domination de classe ou une autre), elle est dans la défense des conditions de combat, des libertés démocratiques, de la classe ouvrière. En réalité, seul le prolétariat peut effectivement assurer la défense des libertés démocratiques par un combat sur son propre terrain de classe, et ainsi remporter des victoires politiques des plus fécondes.

Les leaders de l'Internationale communiste reprochaient aussi aux gauchistes allemands une vision simpliste de la crise capitaliste. Pour eux, la crise allait forcément s'aggraver toujours plus, et toute aggravation de la crise serait forcément plus favorable à une explosion révolutionnaire. Trotski répondait que même si le capitalisme était en déclin, il y avait des flux et reflux. Il ajoutait que les travailleurs sont parfois démoralisés quand la crise frappe le plus durement, et que leur combativité peut reprendre de plus belle quand il y une légère reprise.[8]

2.8 Face au fascisme en Italie et en Bulgarie, 1922-1923[modifier | modifier le wikicode]

Ce n’est pas la seule fois que des Partis Communistes adopteront une telle politique catastrophique. Ainsi, en Italie, en 1922, face à la montée du fascisme, la direction du PC italien (Bordiga) ne verra dans les bandes armées fascistes qu’une variante de la domination du Capital, allant jusqu’à interdire aux militants communistes toute participation aux actions d’autodéfense ouvrière. En juin 1923, la même position abstentionniste sera celle du PC bulgare, parti de masse, qui restera passif face au coup d’Etat amenant au pouvoir un régime policier dictatorial, qui rapidement tournera ses coups contre le Parti. Tous ces dirigeants de Partis Communistes, comme le stigmatisera Lénine au troisième congrès de l’Internationale, « n’ont pas compris grand chose à la Révolution russe », et en particulier à l’épisode de la tentative de coup d’état militaire de Kornilov, lors duquel les bolcheviques, sans prendre la moindre responsabilité pour le gouvernement provisoire, avaient appelé les travailleurs à faire, inconditionnellement, échec au coup – lutte victorieuse, jalon essentiel vers la prise du pouvoir.

2.9 Les « gauches communistes »[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Gauches communistes.

Ces divergences dans la jeune Internationale communiste (avec les sections italienne et allemande en particulier), vont pousser  Lénine, à produire une brochure polémique, Le gauchisme, maladie infantile du communisme. Cela contribuera largement à populariser le terme de gauchisme dans les partis communistes.

A partir de différents exemples, Lénine généralise des traits qu'il estime communs à ces groupes, et s'appuie sur la réputation du parti bolchévik :

Le bolchevisme a grandi, s’est constitué et s’est aguerri dans une lutte de longues années contre ce révolutionnarisme petit-bourgeois qui a un air de ressemblance avec l’anarchisme ou lui fait quelque emprunt, et qui pour tout ce qui est essentiel, se dérobe aux conditions et aux nécessités d’une lutte prolétarienne conséquente (…) Le petit-bourgeois pris de rage devant les horreurs du capitalisme est un phénomène social propre, comme l’anarchisme, à tous les pays capitalistes. L’instabilité de ce révolutionnarisme, sa stérilité, la propriété qu’il a de se changer rapidement en soumission, en apathie, en vaine fantaisie, et même en engouement « enragé » pour telle ou telle tendance bourgeoise « à la mode », tout cela est de notoriété publique.


Ces clivages vont mener à la séparation de certains courants que l'on désigne comme les gauches communistes (bordiguistes, conseillistes...). Ces courants sont considérés comme gauchistes par la plupart des trotskistes, notamment parce que Trotski était d'accord avec Lénine au moment de cette rupture historique. A l'inverse, certains d'entre eux caractérisent les trotskistes « d'extrême gauche du capital »[9].

2.10 La gestion ouvrière des industries[modifier | modifier le wikicode]

Dans le Mexique de Cárdenas, que Trotski considérait comme un régime bourgeois progressiste, le gouvernement cherchait à s'appuyer sur les ouvriers face au capital étranger. Il propose ainsi aux syndicats de participer à la gestion des entreprises nationalisées. Trotski percevait bien les risques d'intégration à l'État, et mettait en avant la nécessaire lutte contre la bureaucratie dans les syndicats.[10]

Mais il estimait qu'il ne fallait pas refuser par principe (faisant l'analogie avec l'attitude des révolutionnaires dans les élections municipales). « On peut, bien entendu, esquiver le problème en citant le fait que, sauf si le prolétariat s'empare du pouvoir, la participation des syndicats à la gestion des entreprises de capitalisme d'État ne peut donner de résultats socialistes. Cependant, une politique aussi négative de la part de l'aile révolutionnaire ne serait pas comprise par les masses et ne contribuerait qu'à renforcer les positions opportunistes. »

3 Actualité du gauchisme[modifier | modifier le wikicode]

Dans la pratique militante de la "gauche radicale" et même des trotskistes, l'appréciation sur ce qui est gauchiste ou au contraire réformiste est toujours une source de débats tendus. En plus des positions caricaturales justifiées par l'étapisme, le spontanéisme ou encore l'exemplarité, affirmer la nécessité d'un programme transitoire ne garantit pas d'en avoir un.

3.1 Mouvement autonome[modifier | modifier le wikicode]

Le mouvement autonome est l'exemple le plus tranché de gauchisme aujourd'hui. Lorsque des autonomes, en prônant le "communisme immédiat", s'isolent dans l'illégalisme ou les microsociétés, ils se coupent inévitablement du prolétariat, pour qui la "légitimité" est pour l'instant la légalité bourgeoise.

3.2 Divergences dans le trotskisme[modifier | modifier le wikicode]

Un autre problème est l'absence de débat sur ces questions essentielles qui doivent mobiliser largement les communistes révolutionnaires. Cela revient à se priver d'enseignements passés, quand cela ne s'apparente pas à du révisionnisme. Ainsi, on voit parfois resurgir la vieille dichotomie social-démocrate entre programme minimum et programme maximum.

Une des principales causes objectives à ces errements est la longue période d'atonie de la lutte des classes, qui n'a pas permis de faire de larges expériences des stratégies révolutionnaires. Ainsi des partis trotskistes en sont venus peu à peu à se cristalliser dans des profils militants très différents, malgré les références en commun.

4 Extrême gauche, ultragauche, gauchisme[modifier | modifier le wikicode]

Les termes d'extrême gauche, ultragauche et gauchisme sont des termes relatifs et fluctuants (le centre de gravité évoluant avec le temps et les rapports de force) mais en général on peut établir la correspondance suivante à notre époque en France :

  • les partis ou groupes trotskistes sont classés à l'extrême gauche ;
  • les groupes anarchistes traditionnels (UCL, FA...) sont classés à l'extrême gauche par les autorités, et considérés comme « gauchistes » par les trotskistes (même si l'UCL et le NPA sont assez proches par exemple), principalement en raison de la divergence tactique sur la participation aux élections ;
  • les autonomes et autres groupes qui participent à des actions illégales minoritaires sont souvent qualifiés d'ultragauche par les autorités, et de gauchistes par les trotskistes (parfois également par des anarchistes traditionnels[11]).

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Lénine, Le gauchisme, maladie infantile du communisme, 1920

  1. Karl Marx, Recension des Conspirateurs d’A. Chenu, Neue Rheinische Zeitung, 1850
  2. Karl Marx, Postface à « Révélations sur le procès des communistes de Cologne » (1875)
  3. F. Engels, Sur l'action politique de la classe ouvrière, Discours à la séance du 21 septembre 1871 à la Conférence de Londres
  4. Karl Kautsky, Le programme socialiste. V. La Lutte de classe, 1892
  5. Eduard Bernstein, Karl Marx and Social Reform, 7 April 1897
  6. Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 2, 1975
  7. Trotski, Contre le national-communisme
  8. Trotski, La nouvelle politique économique des Soviets et la révolution mondiale, 14 novembre 1922
  9. CCI, Le legs dissimulé de la gauche du capital (I): Une fausse vision de la classe ouvrière, 2018
  10. Trotski, L’industrie nationalisée et la gestion ouvrière, Juin 1938
  11. UCL, Facs : Allegro ma non troppo, 17 novembre 2007