Légalisme

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Portia et Shylock (1835). Shakespeare a beaucoup joué sur les oppositions entre la lettre et l'esprit de la loi.

Le légalisme désigne le souci de l'obéissance à la loi et au droit en vigueur quel qu'il soit.

Le terme est parfois utilisé pour dénoncer des attitudes qui s'attachent plus à la lettre qu'à l'esprit des lois[1].

L'illégalisme est au contraire l'attitude qui cherche activement à enfreindre les lois, presque par principe ou par plaisir.

1 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Christianisme[modifier | modifier le wikicode]

Dans le Nouveau Testament, les rédacteurs des évangiles présentent un Jésus qui dénonce le légalisme des pharisiens[2]. Jésus ne prétend pas abolir la loi juive mais à l'accomplir, la parfaire, avec le commandement de l'amour puisé dans le Lévitique.

1.2 Philosophie[modifier | modifier le wikicode]

Dans La Philosophie dans le boudoir (1795), Sade laisse une porte ouverte au vol comme réponse aux besoins de chacun et critique l'attribution des biens faite par la société. Il considère le vol comme la légitime réaction des forts contre l'ordre social (selon lui au service des faibles), conformément à un ordre naturel supérieur.

1.3 Socialisme[modifier | modifier le wikicode]

La question du respect de la légalité fait l'objet de nombreux débats dans le mouvement socialiste depuis son origine.

1.3.1 Anarchisme[modifier | modifier le wikicode]

La bande à Bonnot, célèbre groupe illégaliste

L'illégalisme est le nom d'un courant anarchiste présent au début du 20e siècle en France, en Italie, en Belgique et en Suisse. Ils prônent l'adoption du banditisme révolutionnaire comme mode de vie, ouvertement ou secrètement. Le cambriolage et le vol étaient pratiqués sur de riches propriétaires, des patrons, des politiques, des clercs.

Il y eut divers illégalistes, avec diverses méthodes. Les plus connus sont Marius Jacob (dont Maurice Leblanc s'inspirera pour écrire Arsène Lupin à partir de 1905), la bande à Bonnot et Georges Darien.

Dans L'Opéra de quat'sous (1928), de Bertolt Brecht, Mackie le Surineur peut ainsi être considéré comme un illégaliste, considérant le discours qu'il prononce avant son exécution.

Pour l'écrivain Laurent Chollet, la résurgence de la délinquance révolutionnaire dans les années 1970 trouve ses origines dans le concept de « teppisme », désignant en italien les actions des « voyous » et des « vandales »[3]. Ce concept est alors théorisé par des situationnistes.

Depuis les années 1970, l'illégalisme révolutionnaire est pratiqué par les autonomes à travers le mouvement des squats et le mouvement des mal logés. En France, la délinquance révolutionnaire a été défendue par des groupes comme Marge (1974-1979), Les Fossoyeurs du Vieux Monde (1979-1983), l'Association des Prisonniers En Lutte (APEL, 1981-1994), ou Os Cangaceiros (1985-1992). Par beaucoup d'aspects, la délinquance révolutionnaire se rapproche donc du mouvement anticarcéral.

1.3.2 Marxisme révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Généralement, le marxisme révolutionnaire considère qu'il ne faut pas adopter une position de principe pour le légalisme (ce qui est la position réformiste), ni pour l'illégalisme (ce qui une tendance de certains anarchistes), mais de décider en fonction de la légitimité populaire. Si une majorité de la population considère qu'une légalité donnée est illégitime, elle peut être enfreinte, et remplacée par une légalité légitime. Le cas principal est celui d'un régime tyrannique détesté : il n'y a pas lieu de respecter sa légalité (généralement il ne la respecte pas lui-même).

Dans une démocratie libérale, l'hégémonie idéologique est souvent plus solide, et la bourgeoisie parvient presque toujours à légitimer le droit bourgeois. Néanmoins il y a des failles. La répression d'un sans-abri qui vole de la nourriture est souvent choquante pour la population. Dans des situations de crise sociale et de crise révolutionnaire, la contestation du droit bourgeois peut devenir légitime. Notamment l'objectif central des communistes : l'expropriation des grands groupes capitalistes pour satisfaire les besoins sociaux et préserver l'environnement.

Évidemment, contrairement aux caricatures contre-révolutionnaires, il ne s'agit pas de basculer d'un état de droit à un état d'anomie. Le droit actuel est un mélange de droit pour les capitalistes (notamment sur la propriété) et de règles élémentaires de vie en société et d'acquis de luttes progressistes (sociales, féministes, antiracistes...). La plupart de ces règles de droit n'ont pas être « abolies », mais conservées ou réformées.

1.3.3 Socialisme réformiste[modifier | modifier le wikicode]

A l'origine la social-démocratie était fortement imprégnée de marxisme et se revendiquait révolutionnaire. Il faut dire qu'au 19e siècle, la plupart des régimes en Europe n'étaient pas démocratiques, même du point de vue bourgeois libéral. La révolution était imaginée de façon un peu floue entre révolution démocratique et révolution socialiste.

Les sociaux-démocrates allemands espéraient l'origine un soulèvement révolutionnaire, mais essayaient malgré tout d'utiliser les armes tolérées par la monarchie. Lors du Congrès de Gotha de 1875 qui unifie ce qui deviendra le Parti social-démocrate, le programme indique que le parti cherche à atteindre ses buts par « tous les moyens légaux ». Après le vote des lois anti-socialistes qui rendent la plupart de l'activité du parti illégale, le Congrès de Wyden de 1880 supprime ce bout de phrase.[4]

Dans la guerre de 1914-1918 et la vague révolutionnaire qui l'a suivie, elle a clairement manifesté son manque de capacité et de volonté de sortir du cadre légal bourgeois même lorsqu'il est fortement oppresseur et contesté.

La social-démocratie a continué à se revendiquer d'une sorte de « transformation révolutionnaire de la société » pendant encore de longues années voire décennies, mais en définissant toujours plus clairement cette transformation comme graduelle et dans le strict respect du cadre légal. Une position réformiste assumée.

Léon Blum en 1925

Au sein de la social-démocratie, des courants et des intellectuels ont tenté de justifier le grand écart entre la pratique réformiste et la théorie révolutionnaire pouvant accepter l'illégalité. Une tendance qui a été qualifiée de centriste par les révolutionnaires.

Léon Blum par exemple, déclarait en 1926 : « Je ne suis pas légalitaire [on dirait plutôt légaliste aujourd'hui] en ce qui concerne la conquête du pouvoir [la révolution socialiste en elle-même], mais je déclare catégoriquement que je le suis en ce qui concerne l’exercice du pouvoir [la participation du PS à des gouvernements, avant la révolution]. » [5]

Évidemment, le moment n'est jamais mûr pour la révolution, tandis que l'exercice du pouvoir devient banale.

2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Voir la page « Lettre et esprit de la loi » sur Wikipédia pour un aperçu de ce débat philosophique.
  2. George Thomas Kurian, Mark A. Lamport, Encyclopedia of Christianity in the United States, Volume 5, Rowman & Littlefield, USA, 2016, p. 1338
  3. Laurent Chollet, L'Insurrection situationniste, Dagorno, , p. 228.
  4. Wilhelm Liebknecht, Manifesto of the Gotha Program, 1875
  5. Congrès extraordinaire de la Bellevilloise, Paris, 10-11 janvier 1926