Coopératives

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La Bellevilloise, coopérative fonctionnant de 1877 à 1936

Les coopératives sont des regroupements de travailleurs visant à gérer eux-mêmes des entreprises. On distingue plusieurs types :

  • coopératives de production
  • coopératives de consommation (magasins coopératifs)
  • coopératives de crédit (crédit mutuel)

Le mouvement coopérativiste est une des composantes du mouvement ouvrier.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Corporations et sociétés amicales[modifier | modifier le wikicode]

Les sociétés amicales, souvent centrées sur le rôle de mutuelles, sont des formes de proto-coopératives.

Selon certains, on peut voir dans les corporations du Moyen-Âge une forme précoce de coopératives. Cependant le contexte est très différent, notamment parce que les artisans qu'elles regroupaient étaient beaucoup plus hiérarchisés (maîtres, compagnons...) et qu'elles étaient des véritables institutions de l'Ancien régime, bloquant notamment la concurrence.

En 1696 en Angleterre le quaker John Bellers proposa au Parlement une solution pour mettre un terme à la misère qui commençait à devenir massive (développement précoce du capitalisme marchand). Il demandait la fondation de coopératives, produisant tout ce dont elles auraient besoin, produits industriels comme produits agricoles.

1.2 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

1.2.1 Révolution industrielle et socialismes utopiques[modifier | modifier le wikicode]

Au 19e siècle, la Révolution industrielle engendre à la fois une forte hausse de la production, et une révolte face à l'apparition d'une classe travailleuse exploitée. Face à la misère et à la précarité, de nombreuses solutions sont recherchées, y compris localement, sans faire de politique. C’est le siècle d’une myriade d’expérimentations associatives, dont le mouvement des coopératives. Elles sont parfois interdites par les autorités qui craignent l'auto-organisation ouvrière, et interdisent les « associations », ce qui frappe indistinctement les embryons de syndicats et de coopératives (Loi le Chapelier de 1791, Combination Act de 1799...).

Mais les coopératives sont souvent mieux tolérées, surtout lorsqu'elles affichent un apolitisme. Beaucoup de coopératives émergent à partir des besoins concrets de travailleurs-artisans. Si certains coopérateurs sont sensibles à des théories qui donnent un sens au mouvement, la plupart restent peu préoccupés d'idéologie.

De nombreux socialistes soutiennent le mouvement coopérativiste qui se développe (Owen, Fourier, Proudhon, Blanc, Marx...). Beaucoup de socialistes utopistes vont jusqu'à tenter de mettre en place des communautés idéales, qui sont des formes élaborées de coopératives.

Mais les coopératives sont aussi soutenues par des bourgeois libéraux (Schulte-Delitzsch...) qui y voient un moyen de canaliser les ouvriers vers des solutions dans le cadre du marché, ou des chrétiens sociaux (de Boyve...) pour qui il s'agit d'une troisième voie entre lutte des classes et libéralisme.

1.2.2 Angleterre[modifier | modifier le wikicode]

Robert Owen fut un soutien actif des coopératives en Angleterre

Dès 1819, Robert Owen proposait aux autorités anglaises de transformer les workhouses en « villages de coopération et d’amitié ». Mais devant leur silence, il appelle, en 1820, les ouvriers à créer eux-mêmes leurs propres coopératives, leurs « colonies ». Lui-même créa au milieu des années 1820 la ville de New Harmony dans l’Indiana. Ce fut un échec, « un essai hardi, mais prématuré ». Cela entraîna toute une série d’expériences de villages coopératifs, principalement agricoles, qui toutes échouèrent.

La London Co-operative Society est fondée en 1824 par de oweniens. Elle est imitée en 1827 par la Brighton Co-operative Society, créée sous l’impulsion de William King et avec l’appui de l’Institut ouvrier de Brighton. Un peu partout des magasins coopératifs s’ouvrent sur le modèle de celui de Brighton. En 1829 apparaît la British Association for the Promotion of Co-operative Knowledge, avec son journal le British Co-operator. En 1830 on compte environ 300 sociétés coopératives, réparties en majorité à Londres, dans le Nord et les Midlands. En 1832, le chiffre s’élève à 500. Parmi ces sociétés, certaines servent seulement à propager les doctrines owenistes : c’est le cas de l’institution principale, la National Union of the Industrial Classes, que dirige Owen en personne. D’autres fonctionnent comme magasins (co-operative stores) gérés par des oweniens. Enfin il existe un certain nombre de coopératives de production, qui fabriquent des objets vendus ensuite dans les magasins coopératifs. C’est à l’intérieur de cette dernière catégorie que se développe le lien avec les trade-unions. Dans nombre de localités se mêlent activité syndicale et production coopérative, sur l’initiative de petits groupes ouvriers qui, attirés par les idées nouvelles (sans pour autant être toujours des oweniens orthodoxes), décident de traduire en actes leur désir de substituer au mode capitaliste de production un régime coopératif. Lorsque Owen s’aperçoit du parti que sa doctrine peut tirer de cette alliance avec les trade-unions, il se lance à fond dans l’entreprise afin de prendre la tête du mouvement syndical.

De là naît l’idée de Bourses d’échange du travail où les travailleurs pourraient vendre directement leurs produits fabriqués selon le mode coopératif. Ainsi seraient supprimés tout à la fois le patron capitaliste et le marchand capitaliste. Owen lance donc en 1832 à Londres le National Equitable Labour Exchange. Bientôt une institution similaire est créée à Birmingham. Le prix des marchandises est calculé d’après le temps de travail passé à la fabrication, en ajoutant le prix de la matière première. Ce sont des syndicalistes qui sont chargés de faire les évaluations et de fixer des taux d’échange « équitables ». Pour mettre fin au pouvoir de l’argent, une nouvelle monnaie entre en vigueur : les « billets du travail » (Labour Notes).

Au début le système semble réussir. Il bénéficie d’un courant de confiance et de curiosité. Aussi les échanges vont-ils bon train. Durant les quatre derniers mois de 1832 l’ensemble des marchandises mises en dépôt représente 445 000 heures de travail (équivalent de 11 000 livres sterling), dont 376 000 (soit 9 400 livres) sont échangées (c’est-à-dire achetées). Les « billets du travail » sont même acceptés par des commerçants privés. Avec euphorie certains oweniens se demandent si le socialisme ne va pas pour de bon remplacer l’économie de marché. Mais bien vite ils doivent déchanter. La Bourse d’Echange équitable du Travail ne parvient pas à ajuster la demande à l’offre. L’expérience reste limitée à un secteur étroit de l’industrie, celui de la production artisanale en petits ateliers, elle n’englobe ni le textile ni l’alimentation. Aussi beaucoup de produits de consommation manquent, tandis que d’autres, en surnombre, s’accumulent sur les rayons des invendus. De surcroît, la valeur des « billets du travail » garde un lien évident avec les prix du marché au lieu d’être définie par le seul travail. Peu à peu le déficit se creuse et Owen doit le combler de sa poche. En 1833 la Bourse de Londres est reprise par la London United Trades Association : une direction ouvrière remplace les philanthropes oweniens qui avaient jusque-là régi l’entreprise.

En 1834, Owen tente de fédérer tout le mouvement ouvrier dans une Grand National Consolidated Trades Union. Cela devait être à la fois la première confédération syndicale à l'échelle nationale, et un organe à vocation coopérative, ayant la capacité de socialiser toute l'économie, mettant fin à la concurrence. Mais malgré un certain enthousiasme, cela ne dépassa pas réellement Londres.

En 1844, les ouvriers de Rochdale, au Nord de Manchester, fondèrent une Society of Equitable Pioneers. Il s’agit au départ d’un groupement de quelques tisserands qui se rassemblent pour pouvoir acheter, dans un magasin coopératif, des produits bon marché. D’une quarantaine de souscripteurs en 1844, la Société en compte plus de 10 000 en 1880. D'une simple coopérative de consommation, elle évolua en coopérative de production et fut un des symboles du mouvement coopérativiste en Angleterre et ailleurs. Les Équitables Pionniers sont imités dans toute l’Angleterre : les coopératives de consommation comptent plus d’un million d’adhérents au début du 20e siècle.

L’Ecole Fabienne autour de Sidney et Beatrice Webb défendra l'idée que les coopératives sont un levier de changement social, sans plus faire de distinction entre coopératives de consommation et de production. Puisque ces coopératives ne nécessitent l'adhésion à aucune doctrine, Beatrice Webb soutient que la coopérative de consommation est socialiste « à son insu ».

1.2.3 France[modifier | modifier le wikicode]

En France, les premières coopératives de production apparaissent en 1834 à l’initiative de disciples du saint-simonien dissident Philippe Buchez.

On peut considérer les phalanstères des partisans de Fourier (ou le familistère de Godin) comme des coopératives.

Louis Blanc théorise l'organisation progressive du travail via des coopératives soutenues par l'État, et essaie de mettre en pratique ces ateliers sociaux depuis le gouvernement, pendant la Révolution de 1848. L'expérience reçoit un coup d'arrêt suite aux journées de juin.

Pierre-Joseph Proudhon soutient également les coopératives, mais son mutuellisme consiste surtout en des coopératives de crédit. Sa vision est celle de petits producteurs indépendants, sans remettre en cause le marché et la concurrence. Il met donc moins l'accent sur la coopération dans le travail (coopératives de production), et plus sur la sphère du crédit et de la distribution.

Dans les années 1880, le coopérativisme se développe. Charles Gide et l’Ecole de Nîmes y sont influents.

En France, la Bellevilloise est un bon exemple de ce à quoi pouvait ressembler une coopérative parisienne à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Avec jusqu’à 15 000 sociétaires en 1929, elle a été l’une des sociétés les plus représentatives et les plus célèbres du mouvement coopératif français. Autour de la distribution de produits de consommation courante, La Bellevilloise a progressivement développé des œuvres sociales, éducatives et culturelles étonnamment étendues. Les enfants pouvaient participer à son patronage et bénéficier de séjours en colonies de vacances. Les veuves ou les grévistes y trouvaient le soutien nécessaire pour faire face aux difficultés immédiates. On pouvait y apprendre l’espéranto ou la dactylographie, pratiquer un sport ou chanter, s’initier au théâtre ou assister à un concert donné par de grands interprètes, emprunter des livres à la bibliothèque ou venir danser à l’occasion de nombreuses fêtes, assister à la projection de films et de conférences, consulter un médecin... La Bellevilloise a largement contribué a recréer du lien et des solidarités dans tout l’Est parisien.

1.2.4 Allemagne[modifier | modifier le wikicode]

Vers 1850, le philanthrope allemand Schulte-Delitzsch réussit à fonder des milliers de coopératives de crédit qui permirent aux artisans d’acheter des matières premières. Ferdinand Lassalle, pionnier du socialisme, critique alors l'impuissance des coopératives livrées au marché, et prône l'intervention de l’État.

1.2.5 Première internationale[modifier | modifier le wikicode]

L'Association internationale des travailleurs abordait déjà la question des coopératives dans son adresse inaugurale (1864).[1]

Elle a adopté lors de son congrès de Genève (1866) des positions, qui étaient celles portées par Marx.[2]

1.3 Le mouvement coopératif dominant[modifier | modifier le wikicode]

En 1895, l’Alliance Coopérative Internationale publie une déclaration sur l’identité coopérative qui énonce sept principes d’une coopérative. Cette définition reste aujourd’hui encore la référence centrale pour la plupart des coopératives :

  1. Adhésion volontaire et ouverte à tous. Les coopératives sont des organisations fondées sur le volontariat et ouvertes à toutes les personnes aptes à utiliser leurs services et déterminées à prendre leurs responsabilités en tant que membres, et ce sans discrimination fondée sur le sexe, l’origine sociale, la race, l’allégeance politique ou la religion.
  2. Pouvoir démocratique exercé par les membres. Les coopératives sont des organisations démocratiques dirigées par leurs membres qui participent activement à l’établissement des politiques et à la prise de décisions. Les hommes et les femmes élus comme représentants des membres sont responsables devant eux. Dans les coopératives de premier niveau, les membres ont des droits de vote égaux en vertu de la règle « un membre, une voix » : les coopératives d’autres niveaux sont aussi organisées de manière démocratique.
  3. Participation économique des membres. Les membres contribuent de manière équitable au capital de leurs coopératives et en ont le contrôle. Une partie au moins de ce capital est habituellement la propriété commune de la coopérative. Les membres ne bénéficient habituellement que d’une rémunération limitée du capital souscrit comme condition de leur adhésion. Les membres affectent les excédents à tout ou partie des objectifs suivants : le développement de leur coopérative, éventuellement par la dotation de réserves dont une partie au moins est impartageable, des ristournes aux membres en proportion de leurs transactions avec la coopérative et le soutien d’autres activités approuvées par les membres.
  4. Autonomie et indépendance. Les coopératives sont des organisations autonomes d’entraide, gérées par leurs membres. La conclusion d’accords avec d’autres organisations, y compris des gouvernements, ou la recherche de fonds à partir de sources extérieures, doit se faire dans des conditions qui préservent le pouvoir démocratique des membres et maintiennent l’indépendance de leur coopérative.
  5. Éducation, formation et information. Les coopératives fournissent à leurs membres, leurs dirigeants élus, leurs gestionnaires et leurs employés, l’éducation et la formation requises pour pouvoir contribuer effectivement au développement de leur coopérative. Elles informent le grand public, en particulier les jeunes et les dirigeants d’opinion, sur la nature et les avantages de la coopération.
  6. Coopération entre les coopératives. Pour apporter un meilleur service à leurs membres et renforcer le mouvement coopératif, les coopératives œuvrent ensemble au sein de structures locales, nationales, régionales et internationales.
  7. Engagement envers la communauté. Les coopératives contribuent au développement durable de leur communauté dans le cadre d’orientations approuvées par leurs membres.

1.4 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

1.4.1 Italie[modifier | modifier le wikicode]

Le nombre de coopératives explose pendant la Première guerre mondiale. Elles sont notamment encouragées par l’État pour organiser la distribution en évitant les phénomènes de spéculation et de marché noir. En 1921 il y avait 20 000 coopératives en Italie, dont 40% étaient des coopératives ouvrières. Elles sont regroupées majoritairement dans un organe appelé Ligue nationale.

Le mouvement des coopératives catholiques (la Ligue blanche) s'organise séparément en 1917, même s'il est plutôt dirigé par des catholiques de gauche.

Durant le Biennio rosso, le mouvement coopérativiste se radicalise. La Ligue nationale des coopératives décide en 1920 d'abandonner la traditionnelle position de "neutralité" et se rapproche du Parti socialiste italien et de la centrale syndicale CGdL. On la désignera alors comme la Ligue rouge.

L'État fasciste intègre progressivement les coopératives récalcitrantes. En novembre 1925, la Ligue nationale (dite aussi Ligue rouge) est liquidée. Les fascistes s'en prendront aussi à la Ligue blanche, dirigée par des catholiques de gauche. En parallèle, des coopératives fascistes avaient été formées et regroupées à partir de 1921.

1.4.2 Coopératives agricoles[modifier | modifier le wikicode]

Les petits paysans ont très vite senti la nécessité de mutualiser certains moyens dans des coopératives agricoles : tracteurs, moissonneuses, achats groupés d'engrais ou de pesticides, humidimètres, protéinomètres... A propos de la tendance à la ruine des petits paysans parcellaires, et des coopératives, Lénine ajoutait la remarque suivante :

« Les coopératives, c'est-à dire les associations de petits paysans, qui jouent un rôle progressif bourgeois des plus considérables, ne peuvent qu'affaiblir cette tendance, mais non la supprimer ; il ne faut pas oublier non plus que ces coopératives donnent beaucoup aux paysans aisés, et très peu ou presque rien à la masse des paysans pauvres, et qu'ensuite ces associations finissent par exploiter elles mêmes le travail salarié. » [3]

1.4.3 Révolution russe[modifier | modifier le wikicode]

En Russie dans les années qui précédent la révolution de 1917, le mouvement coopérativiste est bien distinct du mouvement socialiste (collectiviste), même s'ils ne sont pas forcément opposés. Dès 1907, les bolcheviks de Moscou et Petrograd se battaient pour que « les magasins et les boulangeries soient organisés par les organes officiels des villes pour le bien commun et placés sous le contrôle de représentants ouvriers ».

Dans des usines des résolutions votées à l'initiative des bolchéviks indiquaient :

« bien que nous reconnaissions que l’affermissement du mouvement politique soit la tâche principale du moment, nous mettons en garde contre l’emballement pour les coopératives de consommation. Nous sommes contre leur fondation dans des endroits où il n’y a pas de mouvement de masse en leur faveur ».[4]

Globalement, les coopératives étaient dominées par la petite-bourgeoisie qui y trouvait un moyen de survivre économiquement. Après la révolution de Février, elles se rangent aux côtés du gouvernement provisoire, hormis une minorité de coopératives indépendantes. Le 20 mars, le gouvernement provisoire donna une totale liberté d’action aux coopératives, la loi reprenant les termes mêmes du projet établi par le mouvement coopératif en 1912. Mais la révolution tiraillait le mouvement. Un des leaders du mouvement coopérativiste, P. Garvi (proche des menchéviks), témoigne :

« La « politisation » des coopératives, inévitable vu les conditions mêmes de la révolution, conduisit à leur différenciation. Les coopératives de consommateurs et les coopératives paysannes soutinrent le gouvernement sur les questions de politique générale et de politique étrangère. Elles formèrent ainsi une sorte de voie moyenne entre la démocratie révolutionnaire, unie par les Soviets et menée à cette date par les mencheviks et les SR, et, d’autre part, la petite bourgeoisie urbaine ou rurale. (...) Entre-temps, les coopératives ouvrières se définirent comme une branche du mouvement ouvrier (…) et cherchèrent à s’émanciper du mouvement coopératif »[5]

Le Ier Congrès pan-russe des coopératives ouvrières se tint au début d’août 1917. Plus d’un demi-million de membres étaient représentés, avec 64% de social-démocrates de toutes tendances et 18% de SR. Le Congrès rejeta la doctrine coopérative-bourgeoise de la paix sociale, et décida de soutenir les soviets et de favoriser les socialistes dans les élections à l'Assemblée constituante, sans proposer leurs propres candidats. Il fut néanmoins décider de rester indépendant de tel ou tel parti socialiste.

Lorsque les bolchéviks sont arrivés au seuil du pouvoir, ils ont cherché à composer avec les coopératives, afin de les intégrer au nouveau pouvoir ouvrier. Même si elles ne représentaient pas l'organisation idéale pour les communistes, elles étaient une force sociale qui comptait. « C’est pourquoi, malgré l’hostilité qui s’était créée entre nous et les couches supérieures de la coopération, nous n’avons pas hésité à préférer l’appareil de la coopération à celui du commerce privé »[6]

Parmi les premières mesures du gouvernement révolutionnaire, le décret du 11 avril 1918 exprime un compromis : les coopératives sont exemptées de l’impôt sur les sociétés afin de les favoriser et de permettre qu'elles alimentent un plus grand nombre de personnes, et en revanche il leur est interdit d’élire dans leur conseil d’administration des commerçants ou des dirigeants d’entreprises privées. Le décret du 20 mars 1919 approfondit les liens entre l'État ouvrier et les coopératives.

Un des tous derniers articles de Lénine visait à réaffirmer l'importance des coopératives dans le contexte transitoire de l'économie russe.[7]

1.4.4 Internationale communiste[modifier | modifier le wikicode]

Des bolchéviks comme Miasnikov[4], Krestinsky[6] ou Kramorov[8] ont écrit sur ces positionnements en 1920-1921 dans le Bulletin communiste, organe en langue française du comité de la Troisième internationale.

Le  3e congrès de l’Internationale communiste (1921) vote des Thèses sur l’action des communistes dans les coopératives.[9] Les coopératives existantes dans les pays capitalistes y sont considérées comme « subordonnées à la politique de la bourgeoisie impérialiste », derrière leur apolitisme et leur réformisme. Par conséquent, elles ne peuvent « à aucun  degré servir les buts révolutionnaires du prolétariat ». « Seule la coopérative ouvrière dans les villes et dans les campagnes » peut se ranger au côté du prolétariat. En dépit de ces sévères caractérisations, les thèses préconisent que les communistes fassent « de la coopération un instrument de lutte de classe pour la révolution sans détacher les diverses coopératives de leur groupement central ». Outre l’activité générale des communistes dans le mouvement coopératif, le point 5 des Thèses recommande de « créer des relations non seulement de pensée, d’organisation, mais encore d’affaires entre les coopératives ouvrières de différents pays ». Le point 7 conclut que les communistes doivent « doivent continuer de travailler énergiquement à propager l’idée de la coopération, des groupements de coopératives, en un instrument de lutte de classes et à forme un front unique ouvrier avec les syndicats révolutionnaires »

Le congrès décide de créer une section coopérative dans l’Internationale pour coordonner les activités dans différents pays et notamment « mener la lutte pour la remise aux coopératives de la répartition des vivres et des objets de consommation dans tout État » et dernier point conclusif « favoriser l’établissement de rapports commerciaux et financiers internationaux entre coopératives ouvrières et organiser leur production commune ».

En 1922, à la veille du 4e congrès de l’IC, une conférence de six jours des « coopérateurs communistes » de 20 pays différents est organisée début novembre 1922. V.N. Meshcheriakov, communiste russe, est rapporteur de la « section coopérative » de l’IC. Il constate en ouverture que « le mouvement coopératif est une des plus puissantes formes du mouvement ouvrier… ». Cependant, la coopération était restée sur le terrain économique et par conséquent « n’attirait pas l’attention des éléments révolutionnaires », une situation « fort bien exploitée par les social-traites de toutes nuances et tout acabit ». L’expérience de la révolution d’Octobre illustre selon lui les conséquences de cette inattention. Le parti bolchevique a négligé la question des coopératives considérant la direction de ce secteur comme petite-bourgeoise. Cette erreur a eu comme conséquence, au moment de la guerre civile, de laisser le secteur coopératif aux mains de forces contre-révolutionnaires et ainsi de faciliter le sabotage de la production et de la distribution. Sur la base de l’expérience russe, le congrès mondial devait donc recommander que chaque parti communiste implante des cellules dans les coopératives de leur pays afin de les orienter sur la ligne de leur parti. Le contrôle des coopératives, avant toute transformation révolutionnaire, était selon lui indispensable : voilà ce que l’expérience russe enseignait.

Meshcheriakov soutien dans son rapport que le mouvement communiste international ne se préoccupe pas assez de cette question, et vise notamment la SFIC. Très peu de ses membres sont dans des coopératives et ceux qui y sont mènent des orientations contradictoires. En Allemagne, par contre souligne le rapporteur, le parti est réellement investi dans les coopératives. Il édite Le coopérateur communiste dédié à cette question et plus généralement sa presse, contrairement à l’Humanité, publie de nombreux suppléments sur les coopératives.

Le délégué français Lauridan répond pour défendre l’activité de la SFIC dans le mouvement coopératif et souligne le caractère trop général de la résolution proposée qui n’aborde pas la question des coopératives de production. Il ajoute que dans le nord de la France, les communistes sont investis et même majoritaires dans les coopératives à Tourcoing, Halluin ou Marcq-en-Barœul. À Roubaix, ils animent une coopérative dissidente des réformistes. Il insiste sur l’existence  des coopératives agricoles « syndicats de petits fermiers, des métayers qui s’assemblent parfois avec des petits propriétaires » et« entrer dans ces coopératives est une nécessité » car « parce que dans ces instants de la vie en commun peut faire pénétrer dans le cerveau individualiste des paysans cette idée d’une société nouvelle qui doit faire disparaître d’individualisme de la société actuelle ». Concernant les coopératives de production qu’il condamne comme illusoires, il mentionne cependant la coopérative de tissus « La solidarité ouvrière » qui existe depuis des années à Tourcoing.  Enfin il aborde la question des coopératives de reconstruction dans une région dévastée par la guerre et en défend l’idée car « on doit parler de la socialisation des logements : on peut trouver une formule qui empêche les ouvriers locataires de se dresser contre les ouvriers propriétaires de bicoques ». En contre-point de cette intervention,  Arthur Henriet, un autre délégué français,  s’insurge contre les dangers que font courir les coopératives de production où « les camarades qui s’en occupent sont presque totalement perdus pour la cause révolutionnaire ». Il dénonce le « rêve » de Charles Gide même s’il reconnaît que « la valeur des coopératives est indiscutable ». Mais elles ne peuvent déployer toute leur force qu’après la révolution. Ainsi par exemple « la NEP que l’on aurait peut-être pu éviter si au lieu d’être obligés de détruire la coopération dont on n’avait pas compris le rôle dans l’organisation sociale, on avait su se servir de cette coopération »

1.5 Période contemporaine[modifier | modifier le wikicode]

L’Alliance Coopérative Internationale est presque complètement dépolitisée.

Selon l’Alliance Coopérative Internationale, un milliard de personnes sont membres de coopératives dans plus de 90 pays. Un million de coopératives dans le monde emploierait 100 millions de personnes en 2012.

La plus grande entreprise coopérative, la Mondragon cooperative corporation (MCC), est souvent citée comme exemple de réussite. Beaucoup de coopérativistes avancent qu'elle a fait la preuve de la compétitivité de la forme coopérative sur le marché. Pourtant, la MCC a plutôt connu du succès malgré sa forme coopérative (et en atténuant toujours plus ses aspects progressistes), que grâce à elle. Créée en 1956 au Pays Basque par un catholique de gauche, elle s'est en effet beaucoup éloignée de ses préceptes d'origine :

  • les travailleurs-sociétaires (les « socios ») ne représentent aujourd'hui plus que la moitié des effectifs, tandis que le groupe embauche un grand nombre de précaires, sur qui reposent les aléas du marché,
  • l'écart de salaire, à l'origine de 1 à 3, est désormais de 1 à 6, voire de 1 à 12 dans certaines entreprises du groupe.[10]
Une supérette Co-op en Angleterre (2019)

La plus importante branche industrielle de la MCC était Fagor, entreprise d'électroménager, qui a fait faillite en 2013.

Au Royaume-Uni, l'héritage du mouvement coopératif reste fort, avec le groupe Co-op. C'est la plus grande organisation de ce type dans le monde, avec 5,5 millions de membres. Il existe un réseau de chaînes de supermarchés Co-op, des assurances Co-op...

L'engouement pour les AMAP, les SELs et autres formes d'associations sont une résurgence du coopérativisme. Les idéaux, le rejet des dysfonctionnements de l'économie capitaliste et la conviction dans le pouvoir de l'essaimage par l'exemple sont très similaires à ceux des tentatives passées.

Beaucoup de pays d'Europe ont des chaînes de magasins coopératifs

2 Limites[modifier | modifier le wikicode]

Bien que les coopératives soient des unités de productions sans patron, tant qu'elles restent dans un cadre capitaliste, elles ne peuvent se développer et se heurtent à la concurrence, souvent déloyale et violente, finissant par l'avoir (liquidation judiciaire, mettant à la porte tous les salariés) ou par renforcer la dynamique capitaliste (en instaurant un chômage partiel...). Seule une révolution socialiste victorieuse permettra de dépasser la coopérative pour aboutir à l'autogestion totale.

Marx voyait un avantage dans les coopératives, celui d'aider à faire progresser l'idée que les producteurs associés peuvent assurer une gestion sans patrons (dans les coopératives de production plutôt que dans les coopératives de consommation). En même temps, il soulignait l'insuffisance d'un mouvement replié sur lui-même. Mais il ne présentait pas la planification et le communisme comme quelque chose de contradictoire et sans rapport avec les coopératives. Au contraire, il soulignait que la généralisation du principe coopératif à l'ensemble de la société était de fait le communisme :

« Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et une duperie; si elle doit évincer le système capitaliste; si l'ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous son propre contrôle et mettant fin à l'anarchie constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du très « possible » communisme ? »[11]

Mais les coopératives de consommation se heurtent à un obstacle de taille : elles ne peuvent être créées que si elles n’ont besoin que d’un très faible capital. C'est pourquoi les coopératives de production se sont faites de plus en plus rares au fur et à mesure de l'industrialisation. Les techniques modernes sont vite hors d'accès des coopératives.

Certains ont alors théorisé que si les coopératives de production subissent les problèmes de leur intégration à l’économie de marché, la solution peut venir des ateliers liés aux coopératives de consommation, qui ne produisent que sur la commande des consommateurs.

3 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

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  • La Bellevilloise, de 1877 à 1936.
  • L’Association des ouvriers en instruments de précision (AOIP), qui exista de 1896 à 2003 et fut dans les années 1970 la plus grande coopérative d'Europe (hors URSS) avec 4 600 salariés[12]
  • Une coopérative de fabrication de boîtiers de montres (Boimondau) fonctionna de 1944 à 1971. Elle fut divisée entre la vision chrétienne de Marcel Barbu et la vision marxiste de Marcel Mermoz.
  • La compagnie de bus KTEL fonctionne sur un mode coopératif[13]
  • La Coporation Mondragon, fondée en 1956 et aujourd'hui le plus grand groupe coopératif au monde
  • Usine de montres LIP (1973)[14] [15] [16][17][18]
  • Ambiance bois (scierie autogérée dans la Creuse depuis 1988)[19]
  • Fumel technologies, de 2003 à 2007[20] [21]
  • L'usine de céramique Vio.Me, en Grèce, depuis 2013[22][23] [24]
  • Crisp, entreprise suédoise de services informatiques avec une cinquantaine de salarié·e·s, qui fonctionne sans PDG[25]
  • Enercoop, coopérative de distribution d'électricité en France.[26]
  • CoopCycle, plateforme coopérative de livraison à vélo, se voulant une alternative à des plateformes capitalistes rentières comme Deliveroo.[27]
  • Le Pain des Cairns, boulangerie en Scop à Grenoble depuis 2018[28]
  • L'Après M, un MacDo récupéré en coopérative pour la distribution d'aide alimentaire (2020)[29]

4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Karl Marx, Extraits sur le coopérativisme dans l'adresse inaugurale de l'Association internationale des travailleurs (1864)
  2. Karl Marx, Première internationale, Instructions pour les délégués du Conseil central provisoire de l'AIT sur les différentes questions, 3 septembre 1866
  3. Lénine, Karl Marx - La doctrine économique de Marx, 1914
  4. 4,0 et 4,1 Gabriel Miasnikov, La dictature du prolétariat et les coopératives, Bulletin communiste, 27 mai 1920
  5. P. Garvi, « Les coopératives ouvrières pendant la révolution de 1917-1921 », The Russian Provisional Government, P. Browder et A. F. Kerensky (dir.), tome II, p. 751-754
  6. 6,0 et 6,1 Nikolaï Krestinski, Les Coopératives de consommation, Bulletin communiste, 1920
  7. Lénine, De la coopération, 1923
  8. G. Kramorov, Le pouvoir des soviets et les coopératives,Bulletin communiste n°25, 16 juin 1921
  9. 3e congrès de l'Internationale communiste, Thèses sur l’action des communistes dans les coopératives, 1921
  10. https://fr.wikipedia.org/wiki/Corporation_Mondragon
  11. Karl Marx, La guerre civile en France, 1871
  12. https://fr.wikipedia.org/wiki/Association_des_ouvriers_en_instruments_de_précision
  13. Voir le film Leoforio (2019)
  14. Tendance CLAIRE du NPA, Lip, les patrons de gauche et l’autogestion, 14 juillet 2014
  15. https://npa2009.org/idees/cest-possible-une-femme-au-coeur-de-la-lutte-de-lip-1973-1974
  16. https://npa2009.org/node/39403
  17. https://npa2009.org/node/39402
  18. https://npa2009.org/node/38896
  19. Revue Ballast, Ambiance Bois : « Le modèle autogéré est applicable à n’importe qui », 15 juillet 2016
  20. Association Autogestion, Fumel technologie : une expérience d’autogestion industrielle de 2003 à 2007
  21. https://npa2009.org/node/36947
  22. http://www.carre-rouge.org/spip.php?article512
  23. https://npa2009.org/actualite/grece-fabrique-vend-se-paie
  24. https://npa2009.org/actualite/international/lorsque-nous-avons-decide-de-remettre-lusine-en-marche-notre-propre-compte
  25. Huffington Post, Cette start up suédoise fonctionne sans chefs ni PDG depuis 4 ans (et ça se passe très bien), 20 février 2017
  26. https://fr.wikipedia.org/wiki/Enercoop
  27. https://coopcycle.org/fr/
  28. https://www.lepaindescairns.fr/organisation/
  29. Le Figaro, Marseille : le «McDo» de Saint-Barthélémy se rêve en «fast social food», Octobre 2020