Spéculation

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La spéculation est aujourd'hui massive et permanente dans le secteur financier.

En économie, on nomme spéculation l'activité consistant à dégager une marge en anticipant l'évolution à court, moyen ou long terme du niveau général des prix ou d'un prix particulier.

1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Une plus-value improductive[modifier | modifier le wikicode]

La spéculation est une activité qui a lieu dans la sphère de la circulation, et qui présuppose donc une économie marchande. Elle peut être utilisée ponctuellement par une entreprise voire un particulier, mais se retrouve en tant qu'activité récurrente dans le capital commercial et dans le capital financier.

La spéculation est un jeu à somme nulle : si certains réussissent leurs paris, d'autres les perdent. La capacité qui semble miraculeuse de créer de l'argent rien qu'avec de l'argent (A-A') est une illusion. La plus-value tirée par les spéculateurs est :

  • soit issue de la sphère productive : dans le cas d'actions qui ont pris de la valeur parce qu'effectivement tel secteur a connu une croissance réelle ; les financiers ont ainsi obtenu un "droit de tirage" sur les profits industriels ;
  • soit issue d'une bulle spéculative (capital fictif), qui finit par éclater ; il peut s'agir d'investissements dans la sphère productive qui sont surdimensionnés par rapport aux besoins réels.
Panneau d'affichage de 1914 qui critique la spéculation foncière et qui cite Henry George.

La spéculation peut porter sur des marchandises, des terrains, des monnaies, des titres financiers...

La base du capitalisme depuis la révolution industrielle est la sphère productive, dans laquelle une survaleur est sans cesse dégagée, grâce à l'exploitation de la force de travail. Le capital est ainsi globalement dirigé vers le capital industriel.

Le capital est fluide, et peut plus ou moins se diriger vers les investissements ordinaires ou vers la spéculation financière selon les moments. Notamment, lorsqu'une bulle se forme et qu'avec elle apparaissent des possibilités de gains substantiels à court terme.

La spéculation est inhérente à toute économie marchande, mais son ampleur peut grandement varier, notamment en situation de crise.

1.2 Crises et spéculation[modifier | modifier le wikicode]

Les crises sont propices aux spéculations : lorsqu'un prix se met brusquement à s'envoler ou à s'effondrer, les spéculateurs essaient d'en tirer profit (attendre avant de vendre ou d'acheter).

Marx évoque ainsi les cas de frénésie spéculatives suivants :

  • de 1844 à 1847, une spéculation sur les actions de chemin de fer.
  • pendant la guerre civile américaine, spéculation sur le cours du coton brut à la bourse de Liverpool.

Les spéculateurs ont très souvent un effet néfaste en temps de crise. Par exemple lorsqu'il y a des pénuries alimentaires, ils amplifient encore plus l'augmentation des prix. Pendant la révolution française, on dénonçait ainsi les « accapareurs » ou « agioteurs »[1], de riches paysans ou négociants qui gardaient des céréales en pleine disette, attendant que les prix grimpent encore.

Des mesures de répression sont parfois prises contre les spéculateurs. Cependant, il arrive assez fréquemment que les réglementations soient à leur tour détournées pour donner lieux à d'autres spéculations (marché noir...).

« Dans la France de 1793, comme récemment en Russie, le terrorisme [d'État] n'a pas eu pour effet de restreindre la spéculation ; il l'a simplement rendue plus coûteuse (...). L'État est obligé de supporter les frais d'un appareil policier toujours plus grand, tandis que les spéculateurs doivent supporter les frais de corruption des autorités. (...) Tant que la circulation des marchandises et le capital existeront, la spéculation existera. Plus la situation sera précaire, plus la spéculation sera importante. Tant que le capitalisme existera, il ne sera pas possible de réduire l’ampleur de la spéculation par la force ; cela ne pourra se faire que par la stabilisation des conditions politiques et économiques. »[2]

1.3 Détournement de réglementations[modifier | modifier le wikicode]

Certaines réglementations peuvent générer des opportunités pour des spéculateurs, qui en détournent l'esprit.

Le simple fait que des barrières douanières existent peut inciter des spéculateurs à jouer sur les différences de prix. L'échelle à laquelle cette spéculation peut joueur dépend aussi des moyens de communication et de transport. C'est un phénomène ancien : on observait de fortes spéculations commerciales (cf. ci-dessous) lorsqu'il y avait des barrières douanières entre provinces d'un même pays. Dans le cadre du capitalisme, l'extension du libre-échange peut donc avoir un effet anti spéculatif.

On peut voir également des phénomènes importants de spéculation lorsqu'il y a des prix réglementés, ou plus précisément une cohabitation de prix réglementés et des prix de marché. Par exemple dans le cas des marchés de l'électricité que nous connaissons actuellement, de nombreux courtiers fraudeurs[3][4] et spéculateurs profitent de la situation, et ont un impact nuisible qui peut aller jusqu'à engendrer des blackouts.[5][6]

En France, les fournisseurs alternatifs peuvent obtenir des surprofits en arbitrant sur le tarif réglementé. Celui-ci étant fixe sur une année, les fournisseurs alternatifs peuvent voler des clients à EDF quand le prix de marché passe en dessous, et quand il passe au dessus, vendre le KWh plus cher, quitte à renvoyer les clients vers EDF (qui est alors obligé pour répondre à la demande de racheter des KWh à prix élevés).[7]

2 Types de spéculation[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Spéculation commerciale[modifier | modifier le wikicode]

La spéculation sur des marchandises est le plus simple et le plus ancien des phénomènes de spéculation.

La spéculation peut naître dans certaines circonstances particulières dans un cadre de pur laissez-faire économique. Mais elle peut aussi être exacerbée par certains cadres institutionnels.

Kautsky faisait par exemple la remarque suivante en 1889, à propos de la France d'Ancien régime dans laquelle il n'y avait pas de libre commerce intérieur :

« Les obstacles mis au commerce des grains entre les différentes provinces, et notamment l'interdiction d'en exporter d'une province à l'autre sans une autorisation spéciale qui n'était pas facile à obtenir, empêchaient que des contrées où la moisson était bonne alimentent celles où elle était mauvaise, ils étaient donc de puissants leviers de la spéculation sur les grains, une spéculation qui prenait souvent des dimensions énormes et était l'un des moyens les plus efficaces d'exploiter le peuple. De même qu'aujourd'hui les tarifs douaniers protectionnistes facilitent la formation de cartels, les entraves au commerce intérieur des grains facilitaient la formation de sociétés de rachats spéculatifs et de conjurations qu'on appelait « pactes de famine ». À la tête de ces comploteurs, on trouvait parfois le monarque[8], et l'usure pratiquée sur le blé était l'une de ses meilleures sources de revenus. »[9]

2.2 Spéculation foncière[modifier | modifier le wikicode]

spéculation foncière

dont la spéculation immobilière, pouvant conduire à des bulles immobilières

Des spéculations immobilières ont conduit à des gâchis spectaculaires, et des complexes immobiliers entiers complètement vides (alors que des millions de personnes sont sans logement ou mal logées).[10][11]

2.3 Spéculation financière[modifier | modifier le wikicode]

spéculation financière (dont les spéculations boursières) : arbitrages...

2.4 Spéculation monétaire[modifier | modifier le wikicode]

Crise de la zone euro

3 Socialisme et spéculation[modifier | modifier le wikicode]

La plupart des théories de la transition du capitalisme vers le socialisme se basent sur une socialisation progressive de l'économie, et donc sur la cohabitation plus ou moins longue d'un secteur socialisé et d'un secteur privé (même dans le cas d'une révolution socialiste qui exproprie les grandes entreprises). Étant donné que tout marché implique des phénomènes de spéculation, la question de l'attitude d'un gouvernement socialiste envers la spéculation peut se poser.

Kautsky estimait que les méthodes coercitives ne peuvent pas être efficaces, et même plus fondamentalement, que la spéculation dans son sens général d'anticipation incertaine sur les prix fait partie des mécanismes de marché nécessaires pour coordonner de nombreuses entreprises.

« Dans une société fondée sur la production de marchandises, toute entreprise, même la plus solide, dépend de la prévision des prix à venir et donc de la spéculation. Toute tentative de limiter la spéculation nuit davantage aux entreprises authentiques qu'à la spéculation elle-même. (...)

Tant que la production pour le marché existera, toute entreprise, qu’elle soit socialisée ou encore dirigée sur des bases capitalistes, sera obligée de tenir compte des conditions changeantes du marché et d’en tirer parti, et donc de spéculer dans cette mesure. Dans ce domaine, l’initiative d’un propriétaire individuel est supérieure à celle d’une entreprise gérée par la bureaucratie. Cela n’implique pas que la socialisation serait désavantageuse ou impossible ; cela signifie seulement que cette circonstance doit être prise en compte pour déterminer les formes et les types de socialisation. »[2]

En revanche, les phénomènes de spéculation qui ont lieu au niveau des grandes entreprises n'ont plus aucune utilité économique, et peuvent être supprimés en même temps que celles-ci sont socialisées :

« Les branches d'activité de ce genre sont dans une large mesure indépendantes du marché. Dans la mesure où elles offrent encore une large place à la spéculation, ce n'est pas parce qu'elles sont dominées par le marché, mais parce qu'elles sont devenues assez puissantes pour dominer le marché. Ce genre de spéculation est le moins aléatoire et le plus lucratif ; elle ne répond cependant à aucune nécessité économique, mais naît de conditions de pouvoir déterminées. Elle n'est pas une conséquence, mais une cause d'incertitude économique.

Priver les maîtres de ces branches d’activité, les grands magnats du capital, de l’initiative privée, signifie un acte de libération non seulement pour les travailleurs, mais pour toute la société. »

4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Est républicain, Histoire de mots : Agiotage, 24 juil. 2012
  2. 2,0 et 2,1 Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
  3. Le Figaro, 410 millions d’amende pour JP Morgan Chase, Juillet 2013
  4. Les Echos, Enron, le champion des opérations frauduleuses, 27 juin 2002
  5. Chaîne Heu?reka, Le capitalisme ferait-il de la 💩 avec les renouvelables ?, 28 juillet 2024
  6. John Moylan, Electricity blackouts risk up, says National Grid, BBC, July 2015
  7. Chaîne Heu?reka, ⚡ Les super-profits des fournisseurs alternatifs & Erratum épisode 1, 22 oct. 2022
  8. Louis XV était l'actionnaire principal de la société Malisset, société de rachats spéculatifs. On trouve dans les inventaires des dépenses de sa Cour un trésorier spécialement affecté aux « spéculations sur les grains de Sa Majesté ». [Note de Kautsky]
  9. Karl Kautsky, Les antagonismes de classes à l'époque de la Révolution française, 1889
  10. Architectural Digest, Burj al Babas : à l'intérieur d'un troublant village « à la Disney » abandonné, 25 septembre 2023
  11. La Tribune, Les villes fantômes, une réalité chinoise, Déc 2015