Salaire
Le salaire est un revenu versé par un employeur à un travailleur, dans la forme d'organisation appelée salariat.
1 Salaire direct et salaire socialisé[modifier | modifier le wikicode]
La partie la plus visible du salaire est le salaire direct (salaire net), mais il y a également le salaire socialisé (la différence entre le salaire brut et le salaire net) qui revient au salarié sous forme de pensions de retraites ou de prestations de la sécurité sociale.
2 Salaire, prix et profits[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Salaire minimal[modifier | modifier le wikicode]
Quand le rapport de force est largement en faveur des patrons, le salaire des travailleur-se-s peut descendre très bas. La limite inférieure est celle qui permet tout juste à la masse ouvrière de survivre (c'est-à-dire que certain-e-s meurent, mais qu'un minimum de main d'oeuvre parvient à se reproduire). Cette limite inférieure a été étudiée de façon récurrente par l'économie classique.
La valeur moyenne du salaire journalier est déterminée par ce dont le travailleur a besoin « pour vivre, travailler et engendrer ». (William Petty : Political anatomy of Ireland. 1672, p. 64.) « Le prix du travail se compose toujours du prix des choses absolument nécessaires à la vie... Le travailleur n'obtient pas un salaire suffisant toutes les fois que ce salaire ne lui permet pas d'élever conformément à son humble rang une famille telle qu'il semble que ce soit le lot de la plupart d'entre eux d'en avoir. » (L. Vanderlint, l.c., p.19.) « Le simple ouvrier, qui n'a que ses bras et son industrie, n'a rien qu'autant qu'il parvient à vendre à d'autres sa peine... En tout genre de travail il doit arriver, et il arrive en effet que le salaire de l'ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer la subsistance. » (Turgot : Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (1766) OEuvres édit Daire, t.1, p.10.) « Le prix des choses nécessaires à la vie est en réalité ce que coûte le travail productif. » (Malthus : Inquiry into, etc., Rent. London, 1815, p.48, note.)[1]
C'est elle qui a conduit Lassalle à parler de « loi d'airain des salaires ». Marx a appliqué son analyse de la valeur d'échange des marchandises à la force de travail, qui est une marchandise sous le capitalisme. Il en découle que la valeur de la force de travail est la somme des valeurs des marchandises nécessaires à sa reproduction (nourriture, loyer...).
2.2 Fluctuations du salaire[modifier | modifier le wikicode]
Le salaire fluctue selon les circonstances, notamment les capacités du capital à accorder des concessions (situation de croissance, stagnation, crise) et les capacités des travailleurs à lutter ensemble pour contrecarrer la concurrence entre travailleurs et arracher des augmentations.
Quand il y a beaucoup de chômage et un rapport de force très bas pour les prolétaires, il peut arriver que certains d'entre eux reçoivent un salaire plus bas que le salaire minimal de survie. A l'inverse, dans certains secteurs en manque de main d’œuvre ou à certaines périodes de plein-emploi, le salaire est tiré à la hausse.
Marx soulignait que l'évolution du salaire est sur-déterminée par le niveau de la croissance : « pour formuler les choses mathématiquement : c'est la grandeur de l'accumulation qui est la variable indépendante, et la grandeur du salaire la variable dépendante, et non l'inverse. »[2]
Ainsi Marx, reprenant notamment ici des analyses de Smith, analysait que si les salaires augmentent, une rétroaction les fera diminuer (baisse de la croissance, hausse du chômage). Donc une augmentation des salaires « ne signifie dans le meilleur des cas qu'une diminution quantitative du travail non payé que l'ouvrier doit fournir. Cette diminution ne peut jamais se poursuivre jusqu'au point où elle menacerait le système lui-même. »
En tous les cas, les lois économiques capitalistes ne prennent absolument pas en compte la dureté du travail effectif ou une quelconque notion de justice. Comme le relevait un économiste classique :
« Le produit du travail », dit J. St. Mill, « est aujourd'hui distribué en raison inverse du travail; la plus grande part est pour ceux qui ne travaillent jamais; puis les mieux partagés sont ceux dont le travail n'est presque que nominal, de sorte que de degré en degré la rétribution se rétrécit à mesure que le travail devient plus désagréable et plus pénible, si bien qu'enfin le labeur le plus fatigant, le plus exténuant, ne peut pas même compter avec certitude sur l'acquisition des choses les plus nécessaires à la vie. »[3]
2.3 Salaire nominal et salaire réel[modifier | modifier le wikicode]
Entre le salaire nominal (celui qui est sur la fiche de paie) et le salaire réel, il existe des facteurs comme l'inflation qui influe sur le pouvoir d'achat des salariés.
2.4 Salaire réel et profits[modifier | modifier le wikicode]
C'est donc le salaire réel qu'il faut comparer à la plus-value pour déterminer le taux d'exploitation, la répartition entre part salariale et part des profits. Ceci étant, le salaire réel peut effectivement augmenter, sans que cela porte atteinte aux profits. Il suffit pour cela que l'augmentation de la productivité du travail soit plus forte.
Augmentation de la part du capitaliste au détriment de celle du travailleur. Exemple : début 19e, tournant néolibéral... |
Une hausse de la productivité permet aux capitalistes d'accorder des hausses de salaires réel, tout en augmentant leurs profits. Exemple : 30 glorieuses, Belle Époque... |
3 Analyse du salaire[modifier | modifier le wikicode]
On peut distinguer le salaire versé dans le cadre du travail productif capitaliste des autres formes salariales.
3.1 Production capitaliste[modifier | modifier le wikicode]
Sur un cycle de production capitaliste, de la valeur nouvelle est créée par le travail ouvrier, se cristallise dans des marchandises, et se réalise à la vente. Le salaire est une partie de la valeur créée.
- Le capitaliste investit un capital c + v , où c est le capital constant et v le capital variable (la masse salariale).
- Les marchandises créées ont une valeur A' = c + v' (c n'a rien produit, mais v si).
- Le capitaliste paie la valeur du capital constant c, et répartit v' en v + pl (où pl est la plus-value produite).
De fait, ce sont quasi-uniquement les ouvriers qui par leur travail ont créé la valeur v'. Mais la propriété bourgeoise inverse cette réalité : v' appartient à l'entreprise, et elle "verse" un salaire aux travailleurs.
Remarque : Le salaire moyen des travailleurs pour l'entreprise en question est :
Sr = v / ns |
où ns le nombre de salariés.
3.2 Travail non capitaliste[modifier | modifier le wikicode]
D'autres formes de travail ne sont pas voire ne peuvent pas être organisées par la forme capitaliste. Ce sont par exemple le fonctionnariat (police, armée, justice, éducation...). Les travailleur-se-s du secteur public reçoivent un salaire qui n'est pas de même nature que le salaire d'un travailleur du secteur productif, car le traitement d'un fonctionnaire est versé par l'État bourgeois, et la valeur ajoutée créée par ces travailleurs ne s'incarne généralement pas dans des marchandises.
4 Formes de salaires[modifier | modifier le wikicode]
4.1 Salaire au temps et salaire aux pièces[modifier | modifier le wikicode]
Dans la plupart des contrats de travail, les salariés sont payés selon un « salaire au temps ». C'est-à-dire qu'ils/elles sont payés pour l'utilisation de leur force de travail sur une durée donnée. L'autre grand mode de salaire est le « salaire aux pièces », c'est-à-dire le paiement en fonction de la quantité de marchandises (pièces) produites.
Cependant, selon l'analyse de Marx[4][5], le salaire aux pièces n’est rien d’autre qu'une forme voilée de salaire au temps. On considère, pour le fixer, la quantité de marchandises produites par l’ouvrier pendant une unité de temps donnée. Si en 8 heures l’ouvrier produit 16 unités d’une marchandise, le salaire au temps étant de 4 francs par jour, le salaire aux pièces sera de 0,25 pour chaque unité de marchandise. De même que le salaire au temps, le salaire horaire n’est nullement la rétribution de la valeur créée par l’ouvrier en une heure, de même le salaire aux pièces n’est pas la rémunération du travail dépensé par l’ouvrier pour la production d’une unité de la marchandise donnée.
Si le salaire au temps crée l’apparence que c’est le travail qui est rétribué et non pas la force de travail, le salaire aux pièces dissimule plus encore l’exploitation. Ici, on a l’impression que l’ouvrier se présente comme vendeur de la marchandise qu’il a produite. Le salaire dépend de la quantité des pièces produites, c’est pourquoi le salaire aux pièces agit comme moyen automatique d’augmentation de l’intensité du travail.
Marx analysait qu'il avait des effets ambivalents, mais globalement défavorables pour la classe ouvrière :
« en donnant une plus grande latitude à l'individualité, le salaire aux pièces tend à développer d'une part avec l'individualité l'esprit de liberté, d'indépendance et d'autonomie des travailleurs, et d'autre part la concurrence qu'ils se font entre eux. Le salaire aux pièces, tout en élevant certains salaires individuels au dessus du niveau moyen, comporte donc une tendance à faire baisser ce niveau lui-même. »[6]
Pour cette raison, selon lui :
« le salaire aux pièces est la forme du salaire la plus convenable au mode de production capitaliste. Bien qu'il ne soit pas nouveau - il figure déjà officiellement à côté du salaire au temps dans les lois françaises et anglaises du XIV° siècle - ce n'est que pendant l'époque manufacturière proprement dite qu'il prit une assez grande extension. Dans la première période de l'industrie mécanique, surtout de 1797 à 1815, il sert de levier puissant pour prolonger la durée du travail et en réduire la rétribution. »
A ce moment-là le salaire aux pièces était très répandu (80% dans les fabriques en 1858). Le salaire aux pièces permettait également aux patrons de faire porter certains risques sur les ouvriers :
- si certains aléas réduisent le nombre de pièces produites, la répercussion sur le salaire est directe
- si un patron veut être sûr d'augmenter la production rapidement, il peut embaucher ponctuellement plus d'ouvriers pour le même coût, sachant que la valeur finale se divisera sur plus de têtes
Le salaire aux pièces était cependant peu adapté à la grande industrie moderne, qui révolutionne constamment la productivité, et donc nécessité de réévalue constamment le prix payé par pièce. Ce réajustement pose d'ailleurs l'inconvénient pour les patrons de mettre encore plus en lumière l'exploitation. Marx cite un cas sorti dans la presse : un patron ayant acheté une nouvelle machine qui augmentait nettement la productivité, annonce à ses ouvriers une baisse du salaire par pièce, pour que leur salaire reste le même qu'auparavant.
Dans les premières années du régime soviétique, au nom de l'augmentation de la productivité pour survivre à la guerre civile et ensuite pour sortir le pays de la crise et aller vers le socialisme, les bolchéviks ont souvent rétabli le salaire aux pièces. Trotski le justifiait par exemple dans son livre Terrorisme et communisme (1920). Plus tard, dans La révolution trahie (1936), Trotski dresse un tableau critique de l'absence de pouvoir des ouvriers dans les usines, et cite Marx pour critiquer le salaire aux pièces, ce « système de surexploitation sans contraintes visibles (…) correspondant le mieux au monde capitaliste de la production ».
4.2 Primes et intéressement[modifier | modifier le wikicode]
Pour inciter les travailleur·ses à produire davantage (émulation), ou simplement pour acheter une certaine paix sociale, les patrons ou les cadres versent parfois des primes.
Les modalités de ces primes varient énormément. Parfois c'est l'ensemble du personnel qui reçoit un bonus lorsque l'entreprise a fait un bon résultat (ce bonus peut être forfaitaire, ou proportionnel au revenu), parfois ce sont uniquement certain·es employé·es, sur la base de certains critères plus ou moins arbitraires. Généralement, le mouvement ouvrier se bat pour diminuer la part d'arbitraire dans ces primes, et la part de primes dans le salaire.
4.3 Truck system[modifier | modifier le wikicode]
Dans certains cas, des patrons ont mis en place des modes de rémunérations qui leur permettent d'avoir un contrôle plus total de la consommation de leurs employé·es, et d'augmenter encore leur profit indirectement : en les payant en nature, en leur faisant un crédit utilisable dans un magasin contrôlé par le patron (économat)... On parle alors de truck system.
5 Quelques positions politiques[modifier | modifier le wikicode]
5.1 Salaire juste ?[modifier | modifier le wikicode]
Lorsque l'on comprend l'exploitation capitaliste, on ne peut plus parler de "salaire juste". Le simple fait qu'il existe une classe exploiteuse est une injustice permanente pour la classe laborieuse. C'est pour cette raison que Marx disait :
« Au lieu du mot d'ordre conservateur: "Un salaire équitable pour une journée de travail équitable", ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d'ordre révolutionnaire: "Abolition du salariat". »[7]
Cela n'empêche pas qu'aujourd'hui, la conscience de classe ayant beaucoup reculé, on ne trouve plus vraiment d'autre horizon dans les revendications syndicales qu'un "salaire décent" ou "salaire juste"...
5.2 Écarts de salaire / salaire maximum ?[modifier | modifier le wikicode]
Le sujet des écarts de salaires est une vieille question. Platon préconisait une échelle de 1 à 4. Avec l'avènement du capitalisme et la généralisation du salariat, cette question devient centrale.
Lorsque la colère populaire est forte contre les inégalités de salaires, les réformistes mettent souvent en avant des propositions de limitation des écarts de salaires et/ou de salaire maximum.[8] Par exemple le dirigeant stalinien Georges Marchais tonitruait « Au-dessus de 40 000 Francs, je prends tout ! »[9] En 2012, Jean-Luc Mélenchon tente de reprendre le flambeau avec son « Au-dessus de 30 000 Euros, je prends tout ! ». Ce dernier assortit sa proposition d'un écart de salaire maximal de 1 à 20 dans chaque entreprise.
La Confédération Européenne des Syndicats (CES) propose un écart de 1 à 20. L'Union syndicale Solidaires milite pour un écart de 1 à 20 dans l’immédiat pour atteindre ensuite 1 à 10.
Même de purs bourgeois proposent aussi ce genre de limitation. Le banquier J. P. Morgan (1837-1913) estimait qu’un PDG ne doit pas percevoir plus de 20 fois le revenu moyen de ses salariés. Henry Ford proposait de ne pas dépasser 1 à 40. Le journal Libération lance en 2016 une pétition pour la limitation de 1 à 100, signée par des politiciens totalement pro-capitalistes (Dany Cohn-Bendit, Nicolas Hulot, Cécile Duflot ou Jean-Christophe Cambadélis).[10]
En 1998, une recherche de l’économiste Thomas Piketty montrait que l’écart acceptable entre un cadre supérieur et une caissière de supermarché était de 3,6 pour une majorité de Français.
5.3 Indexation des salaires sur les prix[modifier | modifier le wikicode]
Pour que le salaire réel ne soit pas rongé par l'inflation, le mouvement ouvrier défend traditionnellement l'indexation des salaires sur les prix.
5.4 Doctrine keynésienne de relance par les salaires[modifier | modifier le wikicode]
L'économisme britannique John Maynard Keynes a critiqué le paradigme économique dominant dans les années 1930, en soutenant qu'il n'y avait aucune évidence à ce que l'offre corresponde à la demande. C'est pourquoi de nombreux keynésiens soutiennent la nécessité d'augmenter les salaires pour augmenter la demande et ainsi relancer la croissance. Pour la plupart des marxistes, il s'agit d'une illusion, laquelle est souvent reprise par les socialistes réformistes.
5.5 Salaire et bonheur[modifier | modifier le wikicode]
5.6 Abolition du salariat[modifier | modifier le wikicode]
L'abolition du salariat est une revendication issue du mouvement ouvrier, et particulièrement des courants anarchistes et communistes révolutionnaires. Elle signifie l'abolition du rapport d'exploitation entre patrons et salarié·es.
Les théorisations de Bernard Friot et du Réseau salariat, qui visent à « étendre et généraliser le salariat », ne sont qu'en contradiction apparente avec l'idée « d'abolition du salariat ». Dans leur optique, généraliser le salariat c'est généraliser un statut garantissant un revenu à tous les travailleur·ses, donc sortir du marché du travail, c'est-à-dire sortir du salariat au sens de Marx.
5.7 « Salaire » sous le socialisme ?[modifier | modifier le wikicode]
L'abolition du salariat (au sens marxiste de rapport social) ne signifie pas en soi abolition du « salaire » au sens de somme d'argent, même si on peut, par ailleurs théoriser sur une abolition de l'argent à long terme.
6 Données chiffrées[modifier | modifier le wikicode]
- Données historiques sur l'évolution des salaires : voir Salaire réel
7 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865
- ↑ Cité par Marx dans le Capital, Live I, Chapitre XII : La plus-value relative, 1867
- ↑ Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre XXV : Loi générale de l’accumulation capitaliste, I., 1867 (traduction de la 4e édition allemande, Editions sociales)
- ↑ Cité par Karl Marx dans Le Capital, Livre I, Chapitre XXIV : Transformation de la plus-value en capital, V., 1867
- ↑ Karl Marx, Le Capital - Livre premier - Chapitre XX : Le salaire au temps, 1867
- ↑ Karl Marx, Le Capital - Livre premier - Chapitre XXI : Le salaire aux pièces, 1867
- ↑ Karl Marx, Le Capital, Livre I - Chapitre XXI : Le salaire aux pièces, 1867
- ↑ Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865
- ↑ Jean Gadrey in Alternatives économiques, L’éventail acceptable des revenus : Platon, Georges Marchais etc., 2008
- ↑ En 1981 face à Jean-Pierre Elkabbach
- ↑ Daniel Mermet, Au temps de l’esclavage, ils auraient négocié le poids des chaînes, 23 mai 2016