L'argent fait-il le bonheur ?

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Beaucoup de gens qui critiquent le capitalisme partent du principe que les pauvres manquent d'argent pour être heureux / heureuses. Cela va dans le sens « l'argent fait le bonheur ».

Beaucoup d'autres utilisent la formule « l'argent ne fait pas le bonheur » (milieux généralement plutôt petit-bourgeois). Chez certains, cela montre une ignorance totale de la situation des pauvres, voire une hypocrisie de ceux qui n'ont jamais manqué de rien, revenant à un certain mépris de classe. Mais c'est aussi utilisé de façon progressiste pour souligner que l'argent des ultra-riches est du luxe inutile.

Alors l'argent fait-il le bonheur ?

1 Réponse courte[modifier | modifier le wikicode]

Il y contribue.

2 Réponse longue[modifier | modifier le wikicode]

La première difficulté est bien sûr de définir quelque chose d'aussi subjectif que le bonheur. Néanmoins, on peut prendre avec prudence certains indicateurs, et faire des comparaisons avec.

La notion de « tapis-roulant hédonique » est à prendre en compte, mais ne fait pas tout.

Certains ont souligné un mécanisme du cerveau humain appelé l'adaptation hédonique (ou « tapis-roulant hédonique »)[1] : quand nous faisons l'expérience de quelque chose qui nous apporte durablement une source de bonheur supplémentaire, notre cerveau s'adapte vite à ce nouveau standard, et notre état moyen retrouve son niveau précédent. Quelqu'un de relativement pauvre qui reçoit un héritage qui lui donne un niveau de vie nettement supérieur, va en général ressentir dans les premières semaines un sentiment de satisfaction plus élevé. Mais assez vite, habitué à ce nouveau standard, il va cesser de se sentir « spécialement heureux ».

Ce mécanisme existe évidemment. En moyenne, un bourgeois d'aujourd'hui n'est sans doute pas « plus heureux » qu'un aristocrate de l'ancien régime.

Mais il ne fait pas tout. D'abord, des études ont montré que le point d'équilibre de différentes personnes n'est pas au même niveau. Quelqu'un de bien portant qui se met à souffrir d'une maladie chronique ne revient pas à son niveau de satisfaction antérieur. La dépression est bien sûr un cas emblématique. Ou encore, l'adoption d'objectifs « à somme non nulle », ceux qui enrichissent les relations avec les autres et avec la société dans son ensemble (objectifs familiaux et altruiste[2]), augmenteraient le niveau de bien-être subjectif. Inversement, attacher de l'importance aux objectifs de vie à somme nulle (succès professionnel, richesse et statut social) aurait un impact négatif faible mais néanmoins statistiquement significatif sur le bien-être subjectif global des gens.[3]

Par ailleurs, l'adaptation hédonique tend à fonctionner pour les changements durables. Elle ne change pas le fait que quelqu'un dont la vie est faite de mauvaises nouvelles en série sera plus stressé et moins heureux que quelqu'un qui en serait préservé. Là encore, la classe laborieuse est donc plus exposée aux malheurs :

  • la précarité du travail, qui entraîne souvent la précarité de tout le reste,
  • l'accès à la santé moins bon, et le renoncement aux soins, qui peuvent favoriser l'apparition de maladies,
  • les ennuis plus fréquents avec les autorités, pour ceux qui sont obligés de vivre du travail au noir ou de trafics,
  • les ennuis plus fréquents avec la police, surtout pour ceux qui vivent dans les quartiers populaires les plus ségrégués,
  • toutes ces raisons favorisent les dépressions.
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Empiriquement, il a été bien établi que le bonheur est lié à la classe sociale.[4][5][6] Ou encore que les pays d'Europe du Sud fortement touchés par la crise de la zone euro ont vu leur "bonheur" s'effondrer.[7]

Certains études indiquent cependant que le bonheur, ou en tout cas certains types de satisfaction, cesse de croître à partir d'un certain revenu (autour de 5000 € par mois[8][7]...).

Il semble assez clair que l'inégalité sociale joue un grand rôle. Le fait de se sentir « parmi les perdants » (d'autant plus dans une société qui fait croire à la méritocratie) pousse à la baisse le moral des pauvres, et le fait de se sentir supérieur ne serait pas étranger à une partie du bonheur des riches.

La logique même du capitalisme, celle de la concurrence pour le profit, pousse beaucoup de gens (sans doute plus dans la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie) à se focaliser sur la comparaison avec d'autres.

A l'échelle macroscopique, l'adaptation hédonique fait que l'augmentation de la richesse d'un pays, et donc du standard de vie moyen, est suivie d'une adaptation à la baisse. Mais celle-ci compense-t-elle totalement la hausse moyenne du bonheur des habitants du pays ? En 1974, l'économiste Richard Easterlin a soutenu que oui, ce qui a été nommé le paradoxe d'Easterlin. Cependant des recherches ultérieures, suite à l'augmentation des données disponibles, ont bien établi un lien entre PIB par habitant et degré de satisfaction des individus.[9]

Ainsi, les pays riches tels que le Danemark, la Norvège, la Suisse, les Pays-Bas et la Suède, par exemple, occupent généralement les places de tête dans ces sondages, et les pays pauvres tels que le Rwanda, le Burundi, la République centrafricaine, le Bénin et le Togo occupent les dernières places.[7]

Il a cependant été constaté que le niveau moyen de bonheur déclaré était différent selon les pays (que ce soit en fonction du climat ou de la culture), ce qui peut conduire à des exceptions surprenantes : les Mexicain·es ont besoin de moins d'argent que les États-Unien·nes pour être heureux·ses, la Chine se retrouve derrière la Zambie dans certains classements, le Costa-Rica est au niveau de la Nouvelle-Zelande.[7]

On voit donc que le capitalisme met l'humanité dans de mauvaises conditions pour la poursuite du bonheur du plus grand nombre.

3 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Adaptation_hédonique
  2. Huffington Post, Le bonheur est dans le don, 2016
  3. (en) Bruce Headey, « Life Goals Matter to Happiness: A Revision of Set-Point Theory », Social Indicators Research, vol. 86, no 2,‎ , p. 213–231 (DOI 10.1007/s11205-007-9138-y)
  4. Le Figaro, L'argent fait largement le bonheur, démontre l'Insee, 2013
  5. Le Figaro, L'argent fait-il le bonheur, 2015
  6. Institut de l'économie du bonheur, Les inégalités de bonheur suivent-elles les inégalités de revenus ?, 2016
  7. 7,0 7,1 7,2 et 7,3 Carlos A. Primo Braga, L’argent fait le bonheur, mais avec de grandes différences. Crédit Suisse, 17 février 2015
  8. France Inter, L'argent fait-il le bonheur ? La théorie du Prix Nobel Angus Deaton, 2015
  9. (en) Justin Wolfers et Betsey Stevenson, « Economic Growth and Subjective Well-Being: Reassessing the Easterlin Paradox », Brookings Papers on Economic Activity, vol. 39, no 1,‎ , p. 1-102 (JSTOR 27561613, lire en ligne).