Salaire maximum

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Le parti social-démocrate suédois a mis en vigueur un revenu maximal dans les années 1960, un des seuls exemples historiques.

Le salaire maximum (ou revenu maximal) est la fixation d'un plafond pour les revenus. C'est un sujet généralement discuté dans le but de réduire l'écart des revenus.

Cela peut être obtenu par la fixation d'un taux d'imposition de 100% pour la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu (le seuil de cette tranche définissant ainsi le revenu maximal). Cette mesure, qui suppose une redistribution a posteriori par l'État bourgeois, est hautement contradictoire avec toute la logique du capitalisme, et n'a donc jamais été appliquée, hormis dans les années 1960 en Suède.

Cela peut aussi être obtenu dans une situation où l'économie serait planifiée démocratiquement : il n'y aurait pas de riches rentiers et dans les entreprises autogérées, les travailleur·ses n'attribueraient pas des revenus mirobolants à certains d'entre eux·elles. Dans ce cas, le revenu maximal est obtenu a priori (et non pas par la redistribution).

1 Histoire[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Sociétés précapitalistes[modifier | modifier le wikicode]

1.1.1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]

On retrouve une réflexion sur un revenu maximal chez le philosophe grec Platon[1] qui préconisait une échelle de 1 à 4.

Dans les sociétés précapitalistes, les inégalités pouvaient être énormes, mais il n'y avait pas les conditions pour un large débat sur les revenus. Les classes possédantes s'accaparaient la plus grande part des richesses sans encombre. En particulier la noblesse, car pour la bourgeoisie, il pouvait encore y avoir une certaine « précarité » de la richesse (saisies ou répudiation de dettes par les aristocrates...).

1.1.2 Régulations de certains secteurs[modifier | modifier le wikicode]

Il a pu arriver que des pénuries de main d’œuvre dans certains secteurs fassent beaucoup augmenter les salaires de certains ouvriers qualifiés, faisant réagir les autorités.

Une réglementation sur le salaire maximal des ouvriers est promulguée par ordonnance royale en 1383 en France[2].

En Angleterre, le Statut des artificiers de 1562 a permis aux juges de paix de fixer le salaire et le salaire maximum en fonction de « l'abondance ou la rareté de l'époque ».

Pour la même raison les colonies américaines au 17e siècle ont créé un salaire plafond et la durée minimale de l'emploi[3].

Lors de la révolution française, le décret du 4 août 1789 a plafonné à 3 000 livres annuelles les revenus tirés de rentes.

1.2 Russie soviétique[modifier | modifier le wikicode]

Après la Révolution d'Octobre, le pouvoir soviétique met en place un système voulant tendre vers l'égalité salariale, en commençant par fixer un écart maximal de 1 à 3 entre salaire minimum et salaire maximum (pour les fonctionnaires et les communistes). Le maximum était appelé partmaximum. Le partmaximum a été aboli par Staline en 1932.

1.3 Réformes dans les pays capitalistes[modifier | modifier le wikicode]

Involution du taux d'imposition sur les revenus dans la tranche la plus élevée, dans plusieurs pays

Les États capitalistes modernes ont progressivement été obligés de lever plus d'impôts pour assurer leurs fonctions de régulation (au service de l'intérêt général de la bourgeoisie). Même si de nombreux bourgeois étaient vent debout contre cette idée, des impôts sur les revenus ont été instaurés partout, presque toujours sous une forme proportionnelle (taux d'imposition unique pour tout le monde). Avec le développement du rapport de force instauré par le mouvement ouvrier et par les idées socialistes, la revendication d'un impôt progressif a gagné du terrain, ajoutant un rôle de redistribution des richesses à l'impôt.

Une dose de progressivité été introduite dans les impôts dans presque tous les pays. Au cours du 20e siècle, l'évolution des taux d'impositions dans la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu est corrélé aux situation de crises du capitalisme et des luttes de classes. Ainsi aux États-Unis à partir de la Grande dépression, puis dans beaucoup de pays du centre impérialiste dans l'Après guerre, le taux supérieur d'imposition a voisiné les 90%.

Aux États-Unis en 1942, le président Franklin Delano Roosevelt déclarait : « Aucun citoyen américain ne doit avoir un revenu (après impôt) supérieur à 25 000 dollars par an ». Finalement, ce projet de salaire maximum n'a pas été retenu. Les plus hautes tranches de revenus ont été imposées à 88%, puis 94% en 1944-1945 [4]. [5]

1.4 Le paroxysme suédois[modifier | modifier le wikicode]

Le revenu maximal a été imposé par quelques gouvernements sociaux-démocrates, comme celui de la Suède durant les années 1960.

Un cas a ensuite été monté en épingle, celui de la romancière Astrid Lindgren, qui s'est retrouvée en 1976 avec un taux d'imposition marginal de 102 %, ce dépassement étant dû à un mic mac légal non prévu (en tant qu'auto-entreprise elle devait payer à la fois l'impôt sur les revenus et des cotisations employeur). Elle a elle-même publié une satire contre les taxes, Pomperipossa in Monismania. Cette affaire a contribué à la défaite du Parti social-démocrate cette même année[6], alors qu'il était au pouvoir depuis 44 ans.

Le taux supérieur d'imposition a par la suite été réduit à 50% dans les années 1980.

1.5 Tournant néolibéral[modifier | modifier le wikicode]

Depuis le tournant néolibéral des années 1980, les gouvernements ont beaucoup diminué la progressivité des impôts. En parallèle, les revenus des grands patrons et des actionnaires sont montés en flèche (en lien avec la centralisation du capital dans des entreprises plus grosses, avec la financiarisation...).

Les écarts de revenus sont devenus gigantesques, et sans précédant dans l'histoire. Aux États-Unis, alors que les écarts entre PDG de grande entreprise et salarié·e non qualifié·e étaient de 1 à 20 dans les années 1950, ils étaient de 1 à 42 en 1980, de 1 à 100 en 2000, et de 1 à 204 en 2013[7]. Des études montrent que le grand public sous-estime à quel point les écarts sont importants. En moyenne, ils estiment que l'idéal serait un écart de 1 à 4,6 et ils pensent que l'écart en pratique est de 1 à 10.[8]

Avec le recul des idées socialistes, le revenu maximal est devenu moins concevable.

Cependant, la lente dégradation des conditions sociales tend à faire resurgir des luttes et des idées socialistes.

1.6 Propositions plus récentes[modifier | modifier le wikicode]

Lors de sa course à l'investiture présidentielle des années 2000 du Parti Vert, Jello Biafra a appelé à un salaire maximum de 100 000 $ aux États-Unis.

Dans le film Pater (2011), le Premier ministre propose de faire passer une loi visant à imposer un salaire maximum, avec un écart de 1 à 10 entre le salaire minimum et le salaire maximum.

1.7 Limitarisme[modifier | modifier le wikicode]

Certain·es philosophes tentent de justifier sur des positions éthiques peu engagées politiquement la nécessité de limiter les hauts revenus. Ingrid Robeyns est ainsi connue pour défendre une position qu'elle qualifie de « limitarisme ». Pour elle, le patrimoine maximal aux États-Unis devrait être autour de 20 millions de dollars.[9]

Il est cependant très improbable que ce type de mesures puissent être mises en place par un gouvernement qui n'ait pas un large appui populaire. Ce n'est donc pas essentiellement de nouvelles théories intellectuelles et de nouveaux mots dont nous avons besoin, mais de façons efficaces de créer un mouvement socialiste de masse.

2 Positions politiques[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Vision néolibérale[modifier | modifier le wikicode]

Rapport du revenu moyen des PDG sur le revenu moyen d'un ouvrier

Bien évidemment, les défenseurs du libre marché capitaliste soutiennent que ce type de mesure ne peut être que nuisible.

Milton Friedman affirme qu'une telle politique réduirait l'incitation à innover et, pour les employés hautement qualifiés, à poursuivre des travaux exigeants, ce qui nuirait à la croissance économique.

C'est encore le discours soutenu par des think tank « libertariens » comme le Cato Institute[10] ou le Mackinac Center for Public Policy.[11]

Par ailleurs, comme toujours, les milieux d'affaires menacent les gouvernements de fuite des capitaux en cas de telle mesure.[12]

2.2 Vision social-libérale[modifier | modifier le wikicode]

Les « social-démocrates » et quelque réformateurs bourgeois soutiennent au contraire que la réduction des écarts serait dans « l'intérêt général », mettant en avant :

  • l'objectif de redistribution des richesses pour lutter contre la pauvreté et les inégalités, et donc le manque de cohésion de la société (en essayant de convaincre la bourgeoisie qu'il est dans son intérêt d'être moins égoïste) ;
  • l'idée que ce serait « gagnant-gagnant » et efficace économiquement :
    • Un salaire maximum permettrait d'éviter une concentration des richesses trop excessive, et donc de limiter l'effet de frein à l'innovation des grands monopoles.
    • Un salaire maximum permettrait de stopper la course aux plus hauts revenus parmi les dirigeants de grandes entreprises (qui changent d'entreprise selon les plus actionnaires les plus offrants), recentrant leur attention sur la gestion de l'entreprise et rendant disponible une plus grande part des profits pour les investissements. En France, c'est par exemple le discours de Philippe Askenazy[13], Jacques Généreux et Olivier Ferrand[14].

En termes de moyens, les plus modérés veulent seulement appeler les PDG à faire preuve de responsabilité, sans obligation légale. Certains se contentent de vouloir mettre davantage en lumière leurs rémunérations pour qu'il y ait plus de pression sur eux. C'est dans cette optique que le Parti socialiste fait voter en 2016 une loi obligeant l'assemblée générale des actionnaires à acter par un vote la rémunération des dirigeants de l'entreprise[15].

Un ONG, la Wagemark Foundation, cherche à créer une labellisation internationale pour les entreprises pour certifier qu'elles ne pratiquent pas un écart supérieur à 1 à 8.

En Allemagne, le principe de cogestion (notamment la présence de syndicalistes dans les conseils d'administration) semble avoir eu pour léger effet de limiter les rémunérations des grands patrons.

Parmi les mesures les plus consensuelles sont la limitation des revenus dans les entreprises publiques ou ayant une délégation de service public. En , le président américain Barack Obama a annoncé son intention de limiter à 500 000 dollars les revenus annuels globaux des patrons d'entreprises renflouées par l'État[16]. Cela a été défendu au Royaume-Uni aussi bien en 2010 par Cameron (conservateur) qu'en 2017 par Corbyn (travailliste).[17]

2.3 Vision réformiste[modifier | modifier le wikicode]

Les propositions de réformes plus radicales (qui s'apparentent à ce qu'était le réformisme classique) veulent revenir à la solution fiscale pour imposer un revenu maximum.

C'est par exemple la position de Thomas Piketty. Il souligne qu'un salaire maximum directement fixé par un loi pourrait être facilement contourné en versant d'autres types de rémunérations, et rappelle que des revenus de différentes formes peuvent être cumulés : revenus financiers, rentes patrimoniales (héritage)... C'est pourquoi il préfère utiliser l'outil fiscal et propose des taux marginaux de taxe sur les très hauts revenus de l'ordre de 60 à 70 %[18].

Le Front de gauche[19],[20] et Jean-Luc Mélenchon défendent l'idée d'un revenu maximum dans leur programme pour l'élection présidentielle de 2012 : « Par la fiscalité, nous établirons un revenu maximum fixé à 20 fois le revenu médian (soit aujourd’hui 360 000 euros par an) »[21],[22].

En 2013, le PSOE dans l'opposition adopte une proposition de limitation des écarts de revenus de 1 à 12[12].

2.4 Vision marxiste[modifier | modifier le wikicode]

Les socialistes révolutionnaires sont historiquement pour l'abolition du salariat en tant que rapport d'exploitation entre patrons et salarié·es. Cela ne signifie pas en soi abolition du « salaire » au sens de somme d'argent, même si on peut, par ailleurs théoriser sur une abolition de l'argent à long terme.

Pour la plupart des marxistes (à l'exception de certains courants de type gauche communiste, communisation...), un « salaire » existe toujours dans la phase qui suit la révolution socialiste, et même si les écarts doivent être immédiatement et drastiquement diminués, ils n'est pas réaliste d'envisager de les égaliser totalement d'un coup. En effet, les normes bourgeoises de distribution (méritocratiques) existent encore.

C'est par exemple ce qu'exprimait Marx dans la Critique du programme de Gotha (1875). Pour Karl Kautsky, considéré comme le principal théoricien marxiste de la Deuxième internationale, il était clair également qu'il y aurait sous le socialisme, au moins au début, des salaires, avec des niveaux différents.[23][24] Notamment pour compenser la pénibilité de certains métiers[25]. On retrouve cela chez quasiment tous les socialistes de l'époque,[26][27][28] et par la suite chez la plupart des communistes.[29][30]

En revanche, il est raisonnable de penser qu'au fur et à mesure du développement de la civilisation socialiste, la société progresse vers le communisme, c'est-à-dire la réalisation du principe « à chacun selon ses besoins ». Il n'y a donc plus de revenu distribué en fonction du temps de travail, et donc plus de salaire.

3 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Fabienne Llense « Rémunérations des PDG français : Les actionnaires peuvent-ils souhaiter un plafonnement ? », Revue économique, vol 60, n°3, 2009, p. 759-766 lien web.

4 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. L’éventail acceptable des revenus : Platon, Georges Marchais etc.
  2. Gerhard Dohrn-Van Rossum, L' Histoire de l'heure: L'horlogerie et l'organisation moderne du temps, Les Editions de la MSH, (ISBN 978-2-7351-0741-4, lire en ligne)
  3. U.S. Department of Labor history on wage laws in England and the American Colonies
  4. Jean GADREY, « Quand les écarts de revenus furent enfin plafonnés »
  5. Thomas Piketty dans Libération, Roosevelt n'épargnait pas les riches, mars 2009
  6. Wikipédia, Élections législatives suédoises de 1976
  7. Elliot Blair Smith, Phil Kuntz, CEO Pay 1,795-to-1 Multiple of Wages Skirts U.S. Law, Bloomberg, 30 avril 2013
  8. Mohan, Bhavya; Norton, Michael I.; Deshpande, Rohit (2015). "Paying Up for Fair Pay: Consumers Prefer Firms with Lower CEO-to-Worker Pay Ratios"
  9. Philoxime, Les milliardaires, compatibles avec la démocratie ?, 21 décembre 2023
  10. Cato Institute Policy Analysis No. 4: Unemployment: Causes and Cures.
  11. Should the government ever impose a "maximum wage"? from "Conservative/Libertarian Think-Tank" The Mackinac Center for Public Policy.
  12. 12,0 et 12,1 "Switzerland's Proposed New Law To Link Executives' Pay With Their Lowest Paid Workers Could Lead To A Banking Exodus". Businessinsider.com. Retrieved 5 November 2017.
  13. Philippe Askenazy dans Le Monde, Salaire maximum, 2009
  14. L'Express, Salaire maximum: Obama peut-il faire des émules?, 2009
  15. « L'Assemblée renforce l'encadrement de la rémunération des patrons », sur LEFIGARO (consulté le 5 décembre 2020)
  16. Le Yéti, « Le revenu maximal, une mesure révolutionnaire d'Obama », Rue89.com,‎ (lire en ligne)
  17. Rowena Mason (10 January 2017). "Corbyn calls for wage cap on bosses at government contractors". Theguardian.com.
  18. Thomas Piketty, « Dissuader les entreprises par la fiscalité », Libération,‎ (lire en ligne).
  19. Le jour de la révolution citoyenne s’est levé
  20. Pour l'instauration d'un revenu maximum
  21. Lilian Alemagna, « Mélenchon propose le smic à 1700 euros et un salaire maximum », Libération,‎ (lire en ligne)
  22. Jean Luc Mélenchon invité de « Parole directe » sur TF1
  23. Karl Kautsky, Le programme socialiste, 1892
  24. Karl Kautsky, The Social Revolution, 1902
  25. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
  26. Anton Menger, L'État Socialiste, page 35;
  27. Vandervelde, Collectivism, pages 149-150.
  28. John Spargo, Socialism. A summary and interpretation of socialist principles, June 1906
  29. Lénine, L'État et la révolution, 1917
  30. Léon Trotski, Terrorisme et communisme, 1920