Révolution allemande (1918-1923)

De Wikirouge
(Redirigé depuis Révolution allemande (1918))
Aller à la navigation Aller à la recherche
Berlin, le 9 novembre 1918

La révolution allemande désigne la période mouvementée de 1918 à 1923, qui a vu le renversement de l'empereur, l'échec d'une tentative de révolution socialiste, et l'affaiblissement durable du mouvement ouvrier allemand, et bien au delà, de par ses répercussions internationales.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

1.1 La guerre et la vague révolutionnaire européenne[modifier | modifier le wikicode]

Avec la Première guerre mondiale, l'Europe connut un des plus grands carnages de son histoire, et l'impact politique fut immense. D'abord en 1914, lorsque la social-démocratie trahit ses engagements internationalistes, chaque parti de l'Internationale ouvrière soutenant son État contre les autres (à de rares exceptions près).

Mais alors que le déferlement de chauvinisme avait semblé faire reculer brusquement la conscience de classe, les ravages de la guerre provoquent rapidement une radicalisation des masses, dans un premier temps captée par les socialistes révolutionnaires (mais plus tard, de plus en plus, le fascisme montant). La colère monte contre les gouvernements autoritaires (qui censurent, répriment les grèves et les déserteurs...) et contre les profiteurs de guerre (comme le groupe Krupp).

Dès février 1917, la ruine sociale et économique causée en Russie provoque un profond processus révolutionnaire qui fait tomber l'Ancien régime, et qui se radicalise jusqu'à une deuxième révolution en Octobre, la première tentative de révolution socialiste de l'Histoire. La Russie se retire alors de la guerre. Partout en Europe, des conflits similaires existent, et la minorité communiste naissante veut transformer la guerre impérialiste en révolution. Les espoirs des révolutionnaires se tournent en particulier vers l'Allemagne, puissance industrielle majeure qui pourrait s'intégrer à la révolution soviétique et y apporter son avance technologique, sans quoi la Russie isolée serait en grave danger. Les bolchéviks russes étaient alors convaincus de l'urgente nécessité de la révolution mondiale :

"La vérité absolue, c'est qu'à moins d'une révolution allemande, nous sommes perdus." Lénine, mars 1918

Cet espoir semblait à portée vu les soubresauts déjà présents en 1917, et la révolution allemande de 1918 ressemble par bien des aspects à une révolution de Février 1917 ayant évolué différemment.

1.2 La situation politique en Allemagne[modifier | modifier le wikicode]

En 1918, il n'y a pas de parti communiste en Allemagne. L'aile gauche du Parti social-démocrate (SPD), comprenant les révolutionnaires, exclue en 1916, s'est regroupée dans l'USPD (« social-démocrates indépendants »), et considère qu'il faut attendre du mouvement montant de la classe ouvrière une régénération de la social-démocratie. Sur le plan international, le Parti bolchévik a fait partie des rares à s'être opposés à la guerre, et à avoir préparé dans les années précédentes une délimitation d'avec les réformistes. Avec l'autorité morale qu'il acquiert ensuite du fait de la Révolution d'Octobre, il est le leader du courant révolutionnaire du socialisme, qui sera baptisé communiste. La toute nouvelle Internationale communiste (fondée en 1919) va alors se fixer comme priorité d'étendre la révolution à l'Europe occidentale. En particulier, pendant 5 ans elle va travailler à reconstruire un parti ouvrier révolutionnaire en Allemagne.

2 Révolution de 1918-1919[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Novembre 1918 : révolution et dualité de pouvoir[modifier | modifier le wikicode]

L'éruption révolutionnaire spontanée du prolétariat allemand se produit en novembre 1918. Le 6 novembre, les marins basés à Kiel refusent d'aller à un nouveau massacre décidé par l'état-major, et envoient des émissaires dans toute l'Allemagne pour appeler à leur secours la classe ouvrière. Les jours suivants, l’Allemagne se couvre de conseils d’ouvriers et de soldats qui commencent à se substituer aux organismes de l’État monarchique en crise. Le 9 novembre, la révolution atteint Berlin et le Kaiser s'enfuit sans combattre. Tous les socialistes, y compris la social-démocratie majoritaire, salue la "révolution socialiste" et le 11 novembre, l’état-major allemand doit signer l’armistice.

RévolutionAllemandePierreBroué.jpg

Mais concrètement, c’est une façade rouge qui a été jetée sur un appareil d’État intact, celui des bourgeois prussiens et de leur état major. Une direction de 6 sociaux-démocrates (3 SPD et 3 USPD) baptisés "commissaires du peuple" se met en place, au dessus des ministères maintenus tels quels. Ce gouvernement proclame dès le 12 novembre des mesures importantes : instauration (formelle) des libertés démocratiques élémentaires, début de législation du travail (promesse de la journée de huit heures, conventions collectives, allocations chômage...), que le patronat entérine dès le 15 en signant un accord avec les syndicats sur ces points. La bourgeoisie a conscience qu'elle risque de tout perdre et est prête à beaucoup de concessions.

Il y a situation de double pouvoir avec un pouvoir ouvrier embryonnaire, face à un État bourgeois fragilisé. Mais l’existence des conseils en soi ne suffit pas. L'appareil social-démocrate tenu par des chefs bourgeois ou embourgeoisés a la main sur les conseils. Si des militants sincères et/ou révolutionnaires sont présents à la base, plus on s'élève dans les organes de délégation, plus le SPD est hégémonique. Celui-ci piétine d’ailleurs sans remords la démocratie ouvrière, imposant des représentations "paritaires" quand elle est ultra minoritaire.

Le gouvernement provisoire convoque des élections à une Assemblée Constituante pour le 16 février 1919. Les conseils d’ouvriers et de soldats doivent, eux, tenir leur congrès à Berlin le 16 décembre 1918. Et c'est exactement dans ces termes, « Assemblée nationale ou gouvernement des conseils » qu'est formulé le deuxième point de l'ordre du jour de ce congrès.

Mais les dirigeants SPD mettent tout leur poids pour la première solution, et pour ravaler les conseils au rang d’auxiliaires consultatifs. Au nom du respect de la « démocratie », c'est-à-dire la démocratie bourgeoise, ou au nom du fait que « Les masses ne sont pas mûres ». Au congrès des Conseils, les quatre cinquièmes des délégués sont contrôlés par le SPD, contre 100 à l'USPD (et parmi eux une moitié pour l’aile gauche des délégués révolutionnaires, une dizaine de spartakistes). Et malgré les arguments marxistes inlassablement avancés par Rosa Luxemburg, c'est le poids du SPD qui tranchera... pour la voie de l'État (bourgeois) pour construire le socialisme...

La direction du SPD doit concéder aux délégués des mesures pour révolutionner l'armée (abolition des grades, élection des officiers par les conseils...), mais le pouvoir chargé d'appliquer ces mesures reste un pouvoir bourgeois protégé par le SPD. Le Congrès avance les élections à la constituante au 19 janvier, et donne les pleins pouvoir au gouvernement Ebert-Scheidemann.

Les spartakistes s'appuient sur les ouvriers radicaux et les marins qui reviennent du front, dirigeant notamment la grande manifestation du 25 décembre (« Noël sanglant ») qui se bat avec des éléments de l'armée fidèles au gouvernement. Les spartakistes quittent l'USPD et fondent le Parti communiste d'Allemagne (KPD) lors d'un congrès du 28 décembre 1918 au 1er janvier 1919.

2.2 Janvier 1919 : l'insurrection spartakiste[modifier | modifier le wikicode]

Après le congrès des conseils, la réaction relève la tête. Étant donné que la chaîne de commandement de l'armée est disloquée, le SPD va s'appuyer des éléments proto-fascistes. Le social-démocrate Noske, qui admettait "je hais la révolution comme la peste", se met en lien et soutient discrètement les Corps Francs, des groupes paramilitaires d'extrême-droite issus eux-aussi de la débandade de l'armée.

La situation très tendue explose à Berlin. Le préfet Emil Eichhorn (lié à la gauche de l'USPD) a été porté à son poste par la Révolution et jouit de la confiance des masses berlinoises. Il avait refusé lors du « Noël sanglant » (23-25 décembre) de participer à la répression des marins qui s'étaient mis en grève. Le SPD ne le considérait donc pas comme fiable, et décide de le révoquer le 4 janvier, via le gouvernement (Conseil des commissaires du peuple) où il a tous les postes.

Un mouvement de protestation démarre alors, une grève générale et des manifestations de masse ont lieu pendant deux jours dans la capitale. Des barricades sont montées et des sièges de journaux occupés, dont le Vorwärts, organe officiel du SPD, qui publiait des articles hostiles aux « spartakistes sanglants et dictatoriaux » depuis le début du mois de septembre. Les meneurs de l'USPD et du KPD décident rapidement de soutenir la révolte. Ils appellent à la grève générale à Berlin pour le 7 janvier. Mais le comité d'action révolutionnaire qui se forme alors est très divisé, y compris au sein du KPD. Luxemburg est pour se limiter à la revendication du maintien de Eichhorn, Liebkecht est pour le renversement du gouvernement. Les discussions s'éternisent et les masses commencent à se démobiliser.

Quand Liebknecht et d'autres leaders ouvriers proclament un "gouvernement révolutionnaire provisoire" à Berlin (8 janvier), le rapport de force est défavorable. Les Corps Francs sont lâchés dans tout le pays contre les ouvriers révolutionnaires (des milliers de morts), et ces derniers, sans coordination, sont vaincus. C'est la Semaine sanglante (6-13 janvier). Les conseils ouvriers issus de la révolution de novembre sont liquidés. Liebknecht et Luxemburg sont capturés par les Freikorps et assassinés le 15 janvier.

Durant tout le printemps, ce qui s’est passé à Berlin va se répéter dans toute l’Allemagne, les conseils ouvriers résistant plus ou moins vigoureusement. En Bavière, en avril, les sociaux-démocrates proclament une République des conseils, ensuite dirigée par les communistes, deux semaines durant, avant que la répression particulièrement sauvage fasse de la Bavière le bastion de la réaction en Allemagne.

3 Délimitation d'une stratégie révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Mars 1920 : putsch militaire et "gouvernement ouvrier"[modifier | modifier le wikicode]

En mars 1920, estimant que la répression conduite par Noske créé les bonnes conditions, des généraux lancent un putsch et portent Wolfgang Kapp au pouvoir. Le drapeau impérial est hissé, les journaux et libertés suspendus, l'état de siège proclamé. Le gouvernement, prévenu à l’avance, n’a rien fait: les ministres sociaux-démocrates prennent la fuite. Or, en l’absence de Paul Levi, emprisonné, la direction du KPD publie un tract suicidaire qui appelle les travailleurs "à ne pas lever le petit doigt pour la défense de la République".

C'est l’appareil des syndicats qui va se dresser contre le putsch de Kapp. Le dirigeant syndical Legien, pilier du SPD, perçoit avec la menace de restauration celle de la perte de tous ses privilèges. Le lendemain, la centrale syndicale lance un appel à la grève générale, suivie des social-démocrates majoritaires qui n’ont pas pris la fuite et des indépendants (USPD). Dès le 14 mars, Berlin est paralysé par la grève, un comité central unitaire voit le jour, puis dans tout le pays les ouvriers se soulèvent, s’arment. Le 17, Kapp s’enfuit, balayé par la puissance de combat de la classe ouvrière. La grève générale ne va pas cependant s'arrêter là, d'autant que les dirigeants syndicaux n'appellent pas à la reprise car ils veulent des garanties. Comme lors de tout mouvement d’ampleur de la classe ouvrière, c’est la question du pouvoir qui est posée.

Legien propose, pour s’assurer l’épuration des éléments contre-révolutionnaires – y compris les "socialistes" type Ebert - et garantir la place des syndicats, que soit constitué un "gouvernement ouvrier" regroupant l’ensemble des organisations ouvrières, partis, syndicats, et elles seules. Cette proposition prend de court les Indépendants qui s’y opposent dans l’ensemble, ne voyant là qu’une réédition du gouvernement sans ministres bourgeois ayant existé en Allemagne après la révolution de novembre. Le KPD lui la soutient après quelques hésitations, comprenant que la constitution d’un tel gouvernement, sans signifier la réalisation de la dictature du prolétariat, constituerait un pas en avant effectif pour toute la classe ouvrière allemande. Le refus de l'USPD de siéger dans un gouvernement aux côtés du SPD allait permettre à ces derniers de refuser les conditions posées par la centrale syndicale -notamment l’épuration radicale et l’armement du prolétariat- et le KPD n'essaie pas de prendre l’initiative sur la ligne du gouvernement d’unité des organisations ouvrières. Dans la Ruhr et dans la Saxe, des comités d’action unitaires assureront le pouvoir quelques temps, mais le gouvernement ouvrier ne verra pas le jour.

Cette occasion manquée, ce sont à nouveau les forces de l’État bourgeois qui vont se lancer dans une nouvelle vague de répression des masses.

Avec une stabilisation relative de la situation en Europe, les communistes dans tous les pays peuvent constater qu’ils ne regroupent qu’une minorité plus ou moins importante de la classe ouvrière. La tempête révolutionnaire qui a soufflé dans toute l’Europe est calmée, et il s’agit – une fois les PC délimités politiquement – de s’atteler à la construction de partis susceptibles de conquérir le pouvoir.

3.2 Vers un parti de masse : le poids de l'IC[modifier | modifier le wikicode]

C’est vers l'USPD, et non vers le KPD, que se tournent en masse les travailleurs allemands au fur et à mesure de leur désillusion envers la politique social-démocrate. Cet afflux radicalise ce parti, qui prend position en 1919 contre le régime parlementaire et pour le pouvoir des conseils, et dont l'aile gauche fonde beaucoup d'espoirs sur la Russie des soviets et l'Internationale communiste.

La direction du KPD, soutenue par l'IC, va alors décider à l'été 1919 d'exclure les gauchistes de ses rangs pour pouvoir se rapprocher de la gauche de l'USPD. Cela représente la moitié des effectifs (50 000 militants qui vont fonder le KAPD) mais conduira en décembre 1920 à la fusion dans le Parti communiste unifié d'Allemagne (VKPD), avec 350 000 membres. Lénine et l'Internationale auront joué un rôle fondamental en critiquant tant les positions de l'USPD que des gauchistes, et en offrant une ligne politique claire au prolétariat allemand. Cette fusion aura été menée par Paul Levi.

Début janvier 1921, une réunion unitaire de métallos de Stuttgart adopte à l’initiative des communistes un appel aux dirigeants des centrales syndicales réclamant d’eux qu’ils organisent le combat pour les revendications urgentes (baisse des prix, hausse des allocations chômage, baisse des impôts sur les salaires et imposition des grosses fortunes, contrôle ouvrier sur le ravitaillement, l’inventaire de la production, désarmement des bandes réactionnaires et armement du prolétariat contre elles). Le VKPD publie cette adresse et la reprend à son compte. Il envoie le 7 janvier à toutes les organisations ouvrières (partis et syndicats) une «lettre ouverte» proposant une action commune sur un certain nombre de revendications recoupant largement celle des métallos de Stuttgart. Aucun parti ou centrale syndicale ne répond positivement à cette lettre . Mais, en mettant en avant la nécessité d’une action unitaire sur des revendications "transitoires", c’est-à-dire tournées contre les capitalistes et leur politique sans faire un préalable de l’adoption de son programme, le VKPD va remporter des succès considérables et élargir son audience. Des assemblées ouvrières se tiennent dans tous les secteurs et adoptent la lettre ouverte. Un pont est ainsi lancé entre les travailleurs communistes et ceux qui suivent les sociaux-démocrates. Les dirigeants syndicaux sont contraints, par le succès de la lettre ouverte, de durcir le ton à l’égard du gouvernement et de lancer eux-mêmes des combats partiels. La "Lettre ouverte", les revendications transitoires, le front unique, sont attaqués au sein du parti par sa "gauche" mais aussi par Bela Kun, et derrière lui Zinoviev. Ils considèrent cette tactique comme de l’opportunisme. Bela Kun, émissaire arrogant de l’I.C. aux moeurs d’aventurier qui repoussent nombre de vieux dirigeants communistes, utilise le prestige de l’Internationale pour pousser le PC "à l’offensive", "théorie" qu’il oppose au combat pour gagner la majorité de la classe ouvrière. Lénine tranchera le débat en soutenant, par écrit, puis au troisième congrès de l’I.C., la "Lettre ouverte": "ceux qui n’ont pas compris que la tactique de la «lettre ouverte» était obligatoire doivent être exclu de l’Internationale dans un délai maximum d’un mois après le congrès". Mais entre-temps, "l'offensive" a fait de terribles dégâts.

3.3 1921 : le fiasco gauchiste de « l'action de mars »[modifier | modifier le wikicode]

Des ouvriers communistes arrêtés par l'armée pendant les émeutes de mars 1921

En mars 1921, le KPD, sous la pression des Bela Kun et autres proches de Zinoviev, fait une terrible rechute gauchiste. Lors de son Comité Central des 16 et 17 mars, l'un de ses dirigeants s'exclame même : "de ce jour, nous brisons avec la tradition du parti. Jusqu’à maintenant, nous avions attendu et maintenant nous prenons l’initiative, nous forçons la révolution". Non content de rompre avec sa tradition, c’est le parti même qui va être près de se briser. L’occasion va venir vite. Le gouvernement saxon social-démocrate décide d’envoyer la police occuper des secteurs miniers, bastions communistes, officiellement pour désarmer les bandes qui y sévissent, en réalité pour ôter aux ouvriers les armes qu'ils avaient prises lors du putsch de Kapp. En quête d'une occasion (prête pour cela y compris à monter des provocations, escomptant que la répression s'en suivant galvanise les masses), la direction du PC allemand décide en majorité d'utiliser cette intervention militaire. Die Rote Fahne somme les ouvriers sociaux-démocrates de choisir leur camp ("qui n'est pas avec moi est contre moi"). Le 22 mars, le KPD, conjointement avec le KAPD gauchiste, appelle à la grève générale en Saxe, puis (à la veille de la fermeture des usines pour Pâques !) dans toute l’Allemagne le 24 mars. Une semaine durant, les communistes vont essayer d’entraîner les autres travailleurs, sans succès. Au contraire, "l’action de mars" dresse les autres travailleurs contre les communistes, isole ces derniers. Les manifestations convoquées avec le KAPD sont squelettiques. Dans les entreprises, une répression terrible va s’abattre contre les militants communistes qui se sont ainsi isolés et exposés aux coups du patronat qui les licencie à tour de bras, les jetant dans la misère, ou directement dans les prisons. En quelques mois, les effectifs du VKPD vont fondre de 350 000 à 150 000. Ce n'est pas tout. S'ensuit une terrible crise de direction. Paul Levi avait démissionné - Lénine s’en était indigné - peu auparavant de la présidence du VKPD pour protester contre les méthodes des émissaires de l'Internationale. Dès avril, Levi critique publiquement dans une brochure "l'action de mars", démontrant au passage que la "centrale" (l’exécutif) du Parti cherchait par tout moyen – y compris la provocation - à passer à "l’offensive". Pour les communistes allemands durement éprouvés pour être entrés en grève seule, c'est un coup de couteau dans le dos. Levi est exclu. Une grande partie de la direction prend sa défense (notamment Clara Zetkin, vieille militante spartakiste). De l’autre côté se manifeste une "gauche" du parti revendiquant fièrement la catastrophe de mars (Ruth Fischer). Le parti est profondément divisé, quoique officiellement soudé dans la défense de "l’offensive".

4 Conquête de la majorité et défaite sans combat[modifier | modifier le wikicode]

4.1 1922-1923 : ligne juste et conditions objectives...[modifier | modifier le wikicode]

Tout au long de l’année 1922, la bourgeoisie allemande tente de reprendre un à un les acquis ouvriers de la révolution de 1918. Face à cette offensive, le KPD prend des initiatives sur tous les terrains. Les 3e et 4e Congrès de l'Internationale communiste ont défini la ligne du front unique et du gouvernement ouvrier : proposer les actions les plus larges possibles, sur une base de classe, et la mise en application va être directe (conseils d'usine, comités de contrôle des prix, appel à soutenir la grève des cheminots...), et fructueuse : soit la proposition rencontre un succès fortifiant le parti, soit en étant refusée elle éclaire la contradiction entre la base ouvrière de la social-démocratie et sa direction bourgeoise. Le parti commet quelques graves erreurs, comme la participation à un "front républicain", et son niveau théorique est extrêmement faible, mais son influence grandit toujours plus.

En janvier 1923, l’armée française envahit la Ruhr, pour saisir directement la production au titre des réparations de guerre. L'Allemagne sombre dans une grave crise économique et sociale, et la réaction nationaliste se renforce, au détriment du gouvernement qui perd peu à peu tout son crédit. Les PC engagent une campagne internationaliste contre l'occupation française, et le KPD organise directement les ouvriers dans la résistance, tout en gardant le cap de la lutte de classe. Les structures d'auto-organisation des travailleurs (dans les usines et dans les villes) se multiplient et l'influence des communistes y est incontestable. Le 9 août une grève générale lancée par les conseils s’étend à tout le pays. Cuno démissionne au bout de deux jours, et un nouveau gouvernement est constitué avec des ministres sociaux-démocrates.

4.2 Octobre 1923 : prise du pouvoir préparée... et c'est tout[modifier | modifier le wikicode]

Communistes à Hambourg lors du soulèvement d'Octobre 1923

Communistes à Hambourg lors du soulèvement d'Octobre 1923

Le KPD est alors fort de centaines de milliers de membres et jouit d'une influence sans équivalent. L'Internationale décide alors d’orienter le parti vers la prise du pouvoir, malgré les doutes de la direction allemande, qui ne voit pas à quel point la situation est révolutionnaire. Un plan est élaboré, et ses premières phases se déroulent comme prévu. Le 10 octobre, les communistes forment en Saxe et en Thuringe un gouvernement ouvrier avec les sociaux-démocrates de gauche. Le gouvernement fédéral envoie l'armée, qui s'approche prudemment de la Saxe.

L'appel à la grève générale en soutien à la Saxe ouvrière est proposé par plusieurs secteurs, et étouffé par le KPD qui attend l'heure H, ne voulant pas de combat prématuré. Mais quand elle sonne, les sociaux-démocrates de gauche s’opposent irrévocablement à l’appel à la grève générale. Pire encore, Brandler s’aligne sur eux et accepte le renvoi de cette question …en commission. La direction du KPD annule dans la foulée l’ordre de l’insurrection. Quelques jours plus tard, les communistes sont chassés de leurs ministères. Aucune résistance. C’est un incommensurable gâchis, une défaite sans combat et sur toute la ligne. "L'octobre allemand", aboutissement de tout un processus révolutionnaire ouvert par la chute du Kaiser en novembre 1918, échoue lamentablement.

5 Un prix terriblement lourd[modifier | modifier le wikicode]

L’échec de la révolution allemande de 1923 marque un tournant décisif. En 1924, la bourgeoisie allemande stabilisera la situation, grâce aux capitaux américains (plan Dawes), mais surtout l'échec des communistes. Avec cet échec, la révolution russe est durablement isolée. Cet isolement va donner une impulsion aux forces les plus réactionnaires au sein de l’État et du Parti en Russie, derrière l’appareil et son chef, Staline ; contre les forces révolutionnaires du Parti qui précisément ont commencé de s’organiser dans l’opposition de gauche que dirigera Trotski. A partir de 1924 va s’ouvrir, sur la base de la stabilisation de la situation internationale, la lutte contre le "trotskysme", au nom d’une "théorie" inventée par Staline début 1924 : "le socialisme en un seul pays". Le développement du stalinisme, cancer bureaucratique de la révolution d’octobre, va se traduire dans toute l’internationale par la soumission jusqu’à les briser des différents partis communistes, au nom de la "bolchevisation". Cette interdiction faite aux partis communistes de s’éduquer, d’apprendre des leçons des expériences révolutionnaires passées va produire désastre sur désastre, de l’échec de la révolution chinoise de 1927 à … la prise du pouvoir par Hitler en 1933 dans laquelle le KPD aura une responsabilité écrasante.

6 Analyses[modifier | modifier le wikicode]

6.1 Point de vue socialiste révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

La révolution allemande montre l'importance, lorsqu'un processus révolutionnaire surgit, d'un parti révolutionnaire suffisamment préparé pour être une locomotive des masses vers la révolution socialiste. Même en Russie, la direction du parti bolchévik a eu beaucoup d'errements (Staline envisageait la fusion avec les menchéviks en mars 1917, Zinoviev et Kamenev ont failli faire flancher l'insurrection d'Octobre...). En Allemagne, les révolutionnaires parmi le SPD (Luxemburg, Liebknecht...) ont tardé à se délimiter des plus opportunistes et chauvins du parti. Et ce alors que paradoxalement, Luxemburg a perçu la dérive de Kautsky bien avant Lénine et Trotski. Même après la trahison de la social-démocratie, qui a surpris Lénine le premier, les révolutionnaires allemands ont tardé à réagir.

Cette première erreur en a aggravé une autre : celle du gauchisme. Après avoir tardé à réaliser l'ampleur de l'opportunisme de la direction du SPD, de larges secteurs de la gauche social-démocrate ont basculé dans l'autre excès, celui du gauchisme, sous la forme de l'aventurisme (en janvier 1919) et du sectarisme et du purisme, refusant l'unité d'action avec les masses qui avaient encore des illusions dans le SPD. Il est certain qu'organiser une fraction révolutionnaire centralisée dès 1914 aurait de beaucoup amoindri l'inexpérience et le manque d’homogénéité politique dans lequel se trouvait le KPD en 1919, au moment où ses actions allaient être décisives.

6.2 Autres analyses[modifier | modifier le wikicode]

En 1922, Kautsky écrivait que la révolution allemande avait échoué à être une révolution ouvrière parce que les socialistes auraient simplement été trop divisés dans des « conflits fratricides »[1]. Cependant il affirmait que la contre-révolution avait été moins violente que dans les révolutions bourgeoises du passé, et que cela marquait la différence entre les révolutions bourgeoises du passé et les révolutions socialistes imminentes (qui n'impliqueraient pas réellement de violence). Il généralisait son point de vue : « Une véritable contre-révolution ne se rencontre que dans les pays extrêmement arriérés, comme la Hongrie ».

Ceci montrait une profonde cécité sur un nouveau type de contre-révolution qui allait monter dans les années suivantes, le fascisme.

7 Références[modifier | modifier le wikicode]

Ouvrages

Notes

  1. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922