Productivisme

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"Productivisme" désigne une pensée ou un système qui pousse à l'augmentation effrenée de la production. Le terme est employé depuis quelques décennies par divers courants écologistes critiquant le productivisme du capitalisme mais aussi parfois ce qu'ils considèrent être le productivisme marxiste.

1 "Développement", productivité et production[modifier | modifier le wikicode]

La niveau de production était très bas dans les premières sociétés humaines (communisme primitif), et en premier lieu en ce qui concerne la nourriture. En moyenne, il suffisait tout juste à la survie et à la reproduction de l'humanité. La recherche d'une augmentation de la production pour échapper aux aléas de la nature était alors une évidence. Les sociétés humaines n'avaient qu'une seule voie pour augmenter significativement la production : mettre au point des techniques et des outils pour augmenter la productivité du travail. Celle-ci a connu un prodigieux progrès depuis l'âge de pierre jusqu'à la révolution industrielle, et continue d'en connaître. Mais ce progrès ne s'est absolument pas réalisé de manière linéaire, il a connu des tendances et des freins, voire des reculs temporaires.

La dialectique de ce progrès est surtout déterminée par les rapports sociaux. Depuis les premières révolutions urbaines, des classes dominantes exploitent la majorité de la population et ce sont elles qui gèrent la distribution et qui ont un effet prépondérant sur les progrès ou les freins à la production. Ainsi le parasitisme des premières noblesses a souvent conduit à pressurer tellement les paysans producteurs que cela a conduit à des effondrements de civilisations entières et à des "âges sombres". Même derrière le prestige de l'Empire romain ou de l'Empire byzantin, il y a en réalité une profonde stagnation des forces productives. Sous le capitalisme, ces effets sont plus visibles que jamais, avec des alternances de dynamisme économique et des périodes de marasme.

D'un autre côté, l'augmentation de la productivité représente une maîtrise plus grande par l'homme des lois de la nature (physiques, chimiques, écologiques...). Mais cette maîtrise non plus n'est pas une paisible progression linéaire. Les hommes voient d'abord les premiers effets de leurs actions, et découvrent ensuite des conséquences qui peuvent revoir sérieusement à a baisse la "productivité réelle".

En théorie, les progrès de la connaissance et des moyens humains doivent permettre de trouver les solutions techniques optimales, pour minimiser le temps de travail, l'impact environnemental tout en satisfaisant au mieux les besoins. Mais cette logique rationnelle se heurte au fait que la société actuelle, capitaliste, est une société de classe. L'organisation de la production - qui sur-détermine celle de la consommation - est entre les mains des capitalistes, dont la concurrence pour le profit conduit à des pollutions et gâchis innombrables.

1.1 Un monde pré-capitaliste non productiviste[modifier | modifier le wikicode]

L’histoire de l’humanité montre un accroissement de l’emprise sur la nature, une tendance au développement de la production. Un raisonnement par induction à partir de ce résultat pourrait conduire à dire que les sociétés cherchent toujours à développer la richesse. Ce n’est pas ce que pense Marx :

« La question de savoir quelle forme de propriété foncière, etc., est plus productive, ou crée la plus grande richesse, n’a jamais préoccupé les anciens. A leurs yeux, la richesse n’est pas le but de la production, bien que Caton puisse s’interroger sur la manière la plus rentable de cultiver un champ, ou Brutus prêter son argent au taux le plus favorable. L’enquête porte toujours sur la question : quel mode de propriété crée les meilleurs citoyens ? C’est seulement chez de rares peuples commerçants -qui monopolisent le métier des transports- qui vivent dans les pores de l’ancien monde, (...) que la richesse apparaît comme une fin en soi. » (Principes d’une critique de l'économie politique 1857-1858)

Comment dans ce cas expliquer la tendance au développement des forces productives ?

Par l’effet dissolvant, pour toutes les sociétés, du développement de la richesse d’une part, la tendance à l’expansion des sociétés les plus développées au détriment des moins développées d’autre part.

1.2 Productivisme capitaliste ?[modifier | modifier le wikicode]

Depuis la révolution industrielle, le capitalisme a énormément accéléré le développement de la productivité et de la production. Mais comme cela s'est fait sous le règne de la concurrence capitaliste, la production capitaliste n'est régulée qu'a posteriori par le marché solvable. Elle n'a absolument pas pour but de satisfaire les besoins humains, ni de minimiser les pollutions et la consommation d'énergie ou de ressources... Le but d'un capitaliste est seulement d'augmenter son profit, sans quoi ce seront les autres capitalistes qui l'augmenteront à son détriment. Le résultat de ces motivations privées est une croissance de la production, en moyenne.

Dans le Manifeste, Marx et Engels voyaient dans le capitalisme un système en perpétuelle révolution technique (avec ses répercussions sociales), par opposition aux anciens modes de production :

« La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes.  »[1]

C'est plus ou moins ce que développera plus tard l'économiste Joseph Schumpeter (et son concept de "destruction créatrice") :

« Alors qu'une économie féodale stationnaire serait toujours une économie féodale, et qu'une économie socialiste stationnaire serait toujours une économie socialiste, un capitalisme sans croissance est une contradiction dans les termes ».[2]

Pour autant, il est faux de dire que "le but du capitalisme est de produire". Au contraire, en période de suraccumulation, les capitalistes délaissent relativement l'investissement pour la spéculation, et en période de crises on peut même assister à de grandes destructions de moyens de production.

« Dans le mode de production capitaliste, l’objectif n’est pas d’augmenter le PIB ou d’accroître la consommation des ménages. Cela peut être un sous-produit, mais l’objectif est de faire des profits. » Michael Roberts, économiste marxiste[3]

Bien sûr une des justifications de l'idéologie bourgeoise est de faire croire que les gouvernements recherchent la croissance pour "que l'on produise assez pour tous". En réalité ils craignent surtout la crise (de la croissance) parce qu'elle signifie que les tares du capitalisme explosent au grand jour : chômage et sur-exploitation d'un côté, enrichissement d'une poignée de capitalistes de l'autre.

L'usage du terme de "productivisme" fait donc débat parmi les anticapitalistes[4].

Dans un article de 1993, Daniel Bensaïd analyse en quoi le capitalisme et les bureaucraties soviétiques étaient productivistes, mais critique les courants prenant le contre-pied au point de faire de la décroissance (voire du malthusianisme) un principe :

« Il existe en effet une réponse non seulement critique du productivisme capitaliste ou bureaucratique, mais anti-productiviste et naturaliste. En poussant sa logique jusqu’au bout, on pourrait aller jusqu’à regretter les progrès de la médecine qui, en venant à bout de telle ou telle maladie, faussent les données d’une certaine régulation démographique. »[5]

2 Productivisme du marxisme ?[modifier | modifier le wikicode]

Un certain nombre de critiques, au sein ou en dehors du marxisme, estiment que le marxisme est une idéologie et un système productiviste.

2.1 Dans la théorie marxiste[modifier | modifier le wikicode]

Pour certains, la théorie marxiste partage avec les autres théories économiques du 19ème siècle une toile de fond productiviste, en raison d'un paradigme scientiste et industrialiste. Pour Marx, le développement des forces productives était en effet très important pour créer les conditions d'une société de l'abondance communiste. Néanmoins, il situait la perspective du développement de la liberté humaine (individuelle et collective) au delà des simples biens matériels, mais dans l'épanouissement permis en particulier par la réduction de la journée de travail :

« En ce domaine, la seule liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature, qu’ils la contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de forces et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en se fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la nécessité. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. »[6]

Pour Ted Benton, la pensée philosophique matérialiste de Marx reconnaît que l'homme fait partie de la nature, mais cela ne se retranscrit pas dans sa théorie économique. Dans cette dernière, l'origine de la richesse serait décrite comme purement sociale, sans prise en compte de la composante naturelle, et donc de ses limites propres. La nature a un rôle de simple "matière première".[7]

Mais il faut rappeler que pour Marx, il s'agissait de mettre à jour les lois de l'économie capitaliste : c'est le capitalisme qui considère la nature comme un « don gratuit » ! Dans le système capitaliste, seul le travail créé de la valeur. Mais Marx rappelait à l'occasion que la nature est autant une source de richesse que le travail. Il dénonçait aussi le fait que les bourgeois transforment des richesses naturelles communes en bien privés, les détruisant au passage.[8]

Kautsky écrivait en 1922 :

« Nous, socialistes, avons toujours soutenu que la vitalité d'une société socialiste ne dépend pas seulement de la capacité des travailleurs à devenir (...) maîtres du processus de production, mais aussi de leur capacité à accroître la productivité totale du travail. »[9]

Pour lui il ne faisait pas de doute que le socialisme augmenterait la productivité, pour plusieurs raisons :

  • il n'y aurait plus de grèves ;
  • les secteurs les moins efficaces pourraient être fermés ou reconvertis, puisque les emplois et les revenus seraient garantis, alors que sous le capitalisme, ils exercent un lobbying pour se maintenir à tout prix ;
  • de nombreux secteurs occupent la force de travail pour des productions peu utiles (luxe...) ;
  • les crises économiques maintiennent au chômage de nombreux salarié·es.

2.2 Productivisme soviétique[modifier | modifier le wikicode]

Mais les critiques les plus courantes du « productivisme communiste » sont basées non pas sur une critique de la théorie, mais sur le constat que la société stalinienne chercha à augmenter la production au mépris de l'environnement. Les critiques les plus simplistes reprennent l'idée bourgeoise d'une pure continuité entre le marxisme, le bolchévisme de 1917 et le stalinisme, et se basent sur une vision idéaliste : ce serait le productivisme contenu dans marxisme qui aurait conduit au productivisme stalinien. A l'inverse, toute analyse sérieuse de ce problème doit partir du matérialisme historique.

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La Guerre de 1914-1918 avait déjà fait brutalement chuter la production (ce qui est une cause de la révolution), et la guerre civile qui a suivi la révolution a encore aggravé la situation, conduisant à la famine. Les bolchéviks étaient bien conscients que certaines décisions prises dans l'urgence étaient très négatives économiquement, en particulier les réquisitions dans les campagnes qui conduisaient les paysans à tuer leurs bêtes, à diminuer leurs récoltes... Mais dans la guerre civile, la lutte pour le pouvoir politique était prioritaire sur le développement économique (les Blancs aussi pratiquaient les réquisitions).

Dans ces conditions, quel que soit le mode de production que les révolutionnaires cherchent à édifier, il était indispensable de chercher à augmenter les forces productives. C'est d'ailleurs le besoin de lutter contre le sabotage des patrons (lock out, utilisation de leurs richesses pour les armées blanches...) qui a conduit les bolchéviks à nationaliser la plupart de l'industrie (communisme de guerre) beaucoup plus vite qu'ils ne l'avaient prévu. Au nom de la productivité, la direction du parti a prôné le maximum de discipline dans l'industrie, y compris en favorisant des directeurs d'usine au lieu de comités d'usine. Sur ce point, la direction bolchévique a été contestée. Cependant même la gauche du parti bolchévik ne contestait pas la nécessité de produire plus.

C'est toujours dans l'objectif de produire plus que le 10e congrès décide la Nouvelle politique économique (NEP), qui rétablit partiellement le jeu du marché dans les campagnes.

Sur le plan théorique, les bolchéviks s'appuyaient sur l'idée que le socialisme permettrait un développement des forces productives harmonieux contrairement aux crises et à la stagnation capitaliste, supposée être caractéristique du stade impérialiste du capitalisme.On trouve par exemple cette formule dans le programme de 1928 de l'Internationale communiste :

« La propriété privée des moyens de production abolie et transformée en propriété collective, le système communiste mondial substitue aux lois élémentaires du marché mondial et de la concurrence, au procès aveugle de la production sociale, l'organisation consciente et concertée - sur un plan d'ensemble - tendant à satisfaire les besoins rapidement croissants de la société. Les crises dévastatrices et les guerres plus dévastatrices encore disparaîtront avec l'anarchie de la production et de la concurrence. Au gaspillage formidable des forces productives, au développement convulsif de la société, le communisme oppose l'emploi systématique de toutes les ressources matérielles de la société et une évolution économique indolore basés sur le développement illimité, harmonieux et rapide des forces productives. »[10]

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Il n'y avait donc pas de conscience particulière des problèmes que pourrait causer une croissance illimitée. Il faut cependant souligner que les chercheurs soviétiques des années 1920 sont des pionniers de la science écologique embryonnaire, avant la chape de plomb stalinienne.

Le régime stalinien va stabiliser un système de production planifiée, et en apparence ses objectifs de produire plus s'inscrivent dans la continuité du bolchévisme. Cependant, on ne peut pas mettre sur le même plan le « productivisme » du jeune pouvoir soviétique, qui émanait des soviets révolutionnaires et qui exprimait l'intérêt prolétarien, et le productivisme du pouvoir stalinien, qui détournait autoritairement une grande partie des richesses pour l'entretien de la bureaucratie.

De plus en plus, les travailleurs soviétiques n'avaient plus le sentiment de travailler pour eux mêmes, comme en société capitaliste. Un des aiguillons principaux de la production devient le militarisme soviétique cherchant à rivaliser avec les grandes puissances impérialistes. Staline a abondamment utilisé le sentiment nationaliste pour stimuler la production.

Lors du Deuxième plan quinquennal (1933-1958), Staline fixe l'objectif de « rattraper et dépasser, en dix ans au plus tard, les pays capitalistes les plus avancés techniquement et économiquement ».

3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Karl Marx et Friedrich Engels, Le manifeste du Parti communiste, 1847
  2. Joseph Schumpeter, Capitalism in the postwar world, 1943
  3. Michael Roberts, Can austerity work ?, 2012
  4. Débat « écologie » sur l'article « Le lourd héritage de Léon Trotski », ESSF
  5. Daniel Bensaïd, Marx, productivisme et écologie, octobre 1993
  6. K. Marx, Le Capital, livre III, tome III
  7. Ted Benton, « Marxism and natural limits », New Left Review, novembre 1989
  8. John Bellamy Foster, Brett Clark, The Paradox of Wealth: Capitalism and Ecological Destruction
  9. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
  10. Internationale Communiste, VI° Congrès, Programme, 1928