Socialisme scientifique

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Marx and Engels at the Rheinische Zeitung.jpg

Le socialisme scientifique est le nom du courant du socialisme qui s'est démarqué du socialisme utopique.[1] De fait, c'est une théorie et une pratique que l'on doit en majeure partie à Karl Marx, et qui est donc un cas particulier du marxisme.

1 Acquis du socialisme scientifique[modifier | modifier le wikicode]

Les principaux acquis du socialisme scientifique sont que :

  • La société se divise toujours plus en deux classes sociales aux intérêts antagonistes : la bourgeoisie et le prolétariat.
  • La bourgeoisie au pouvoir ne laissera pas son pouvoir sans une révolution.
  • La seule classe vraiment révolutionnaire est la classe ouvrière. Par conséquent c'est cette dernière qui doit être au centre de la stratégie des révolutionnaires.

Cependant, l'objet d'étude du marxisme (et des sciences sociales en général) est extrêmement complexe, et nous n'avons pas à notre disposition des résultats que l'on peut facilement automatiser comme des ingénieurs. Il est impossible pour des organisations révolutionnaires de se reposer sur des "résultats" considérés comme figés, mais au contraire indispensable d'utiliser la méthode matérialiste pour s'orienter et rectifier le modèle que nous nous faisons du capitalisme, et la stratégie qui en découle.

2 Origine de l'expression[modifier | modifier le wikicode]

C'est Pierre-Joseph Proudhon qui dans Qu'est que la propriété ? défini l'opposition entre une socialisme utopique et socialisme scientifique. Mais il recherche sa science uniquement dans des recettes économiques qui ne font pas intervenir activement le prolétariat, ce qui lui vaudra la cinglante critique de Karl Marx dans Misère de la philosophie.

Proudhon se targuait tellement souvent d'être scientifique, que Marx fit la remarque suivante :

Aucune école n'a encore autant usé et abusé du mot «science» que l'Ecole proudhonienne, car

«Là où les idées manquent,

Il y a toujours un mot qui vient à point nommé». [Goethe, Faust, Ière partie, Scène du cabinet d'étude][2]

Cependant, c'est Engels qui va populariser les expressions dans l'Anti-Dühring publié en 1878. Il en sortira des chapitres pour l'opuscule demandé par Paul Lafargue : Socialisme utopique et socialisme scientifique. Marx et lui, se distinguent ainsi du « Socialisme utopique » et de l'idéalisme néokantien, courant de pensée spéculatif alors dominant parmi les socialistes de cette fin 19e, dont chez les sympathisants marxistes.

Engels qualifia leur doctrine de « socialisme scientifique » comme l'avait déjà fait Proudhon vis à vis des doctrines socialistes spéculatives. Cependant, l'expression est construite sur le modèle de la Doctrine de la science de Fichte, une référence philosophique importante  :

« La conception matérialiste de l’histoire et son application particulière à la lutte des classes moderne entre prolétariat et bourgeoisie n’était possible qu’au moyen de la dialectique. Mais si les maîtres d’école de la bourgeoisie allemande ont noyé les grands philosophes allemands et la dialectique dont ils étaient les représentants dans le bourbier d’un sinistre éclectisme, au point que nous sommes contraints de faire appel aux sciences modernes de la nature pour témoigner de la confirmation de la dialectique dans la réalité – nous, les socialistes allemands sommes fiers de ne pas descendre seulement de Saint-Simon, de Fourier et d’Owen, mais aussi de Kant, de Fichte et de Hegel » F. Engels, 21 sept. 1882, Préface à la 1ère éd. allemande de Socialisme utopique et socialisme scientifique [Le développement du socialisme de l’utopie à la science], trad. fr. E. Botigelli, Paris, éd. sociales, 1977 p. 12/13.[3].

Karl Marx parlait de « socialisme rationaliste critique »[4]. Il considérait clairement que son travail était de nature scientifique[5], notamment dans le Capital :

« [L]'analyse scientifique démontre que la production capitaliste est d'une nature spéciale, qu'elle est déterminée historiquement [...] »[6]

Dans une lettre à Lassalle, il écrit que son œuvre « représente pour la première fois d’une façon scientifique une importante manière de voir les rapports sociaux. »

Engels pouvait encore écrire :

« Pour la première fois, depuis qu´il existe un mouvement ouvrier, la lutte est menée dans ses trois directions — théorique, politique et économique-pratique (résistance contre les capitalistes). [...] Ce sera en particulier le devoir des chefs de s´éclairer de plus en plus sur toutes les questions théoriques, de se libérer de plus en plus de l´influence de la phraséologie reçue, qui appartient à la conception du monde du passé et de ne jamais oublier que le socialisme, depuis qu´il est devenu une science, veut être pratiqué comme une science, c´est-à-dire étudié. »[7]

En France, Gabriel Delville, un des théoriciens du Parti ouvrier français, est un des premiers à avoir popularisé le marxisme et l'expression de socialisme scientifique.[8]

3 Méthode et doctrine[modifier | modifier le wikicode]

Le socialisme utopique est un nom donné a posteriori à un ensemble de courants socialistes hétérogènes. Les points communs entre ces socialismes sont l'absence d'une rigoureuse analyse du capitalisme et la mise en avant de "sociétés idéales" qui ne s'appuient pas sur le mouvement ouvrier concret.

A l'inverse le socialisme scientifique s'appuie sur une analyse matérialiste et dialectique des classes sociales, de leur devenir et de leur lutte, cherche à en faire émerger des lois tendancielles, et à baser l'action politique sur cette analyse.

« Ces deux grandes découvertes : la conception matérialiste de l’histoire et la révélation du mystère de la production capitaliste au moyen de la plus-value, nous les devons à Marx. Et c’est grâce à elles que le socialisme est devenu une science. » Friedrich Engels dans l’Anti-Dühring

Marx consacre dans Misère de la philosophie un chapitre sur la "méthode". Il y écrit que la science utilisée par les socialistes est amenée à devenir révolutionnaire, mais avant tout sous l'effet de l'évolution historique elle-même qui va dégager la force révolutionnaire (le prolétariat), et non pas du fait d'une réflexion autonome des penseurs socialistes :

« De même que les économistes sont les représentants scientifiques de la classe bourgeoise, de même les socialistes et les communistes sont les théoriciens de la classe prolétaire. Tant que le prolétariat n'est pas encore assez développé pour se constituer en classe, que, par conséquent, la lutte même du prolétariat avec la bourgeoisie n'a pas encore un caractère politique, et que les forces productives ne se sont pas encore assez développées dans le sein de la bourgeoisie elle-même, pour laisser entrevoir les conditions matérielles nécessaires à l'affranchissement du prolétariat et à la formation d'une société nouvelle, ces théoriciens ne sont que des utopistes qui, pour obvier aux besoins des classes opprimées, improvisent des systèmes et courent après une science régénératrice. Mais à mesure que l'histoire marche et qu'avec elle la lutte du prolétariat se dessine plus nettement, ils n'ont plus besoin de chercher de la science dans leur esprit, ils n'ont qu'à se rendre compte de ce qui se passe devant leurs yeux et de s'en faire l'organe. Tant qu'ils cherchent la science et ne font que des systèmes, tant qu'ils sont au début de la lutte, ils ne voient dans la misère que la misère, sans y voir le côté révolutionnaire, subversif, qui renversera la société ancienne. Dès ce moment, la science produite par le mouvement historique, et s'y associant en pleine connaissance de cause, a cessé d'être doctrinaire, elle est devenue révolutionnaire. »[9]

Selon Franz Mehring :

« La science était pour Marx une force qui actionnait l’histoire, une force révolutionnaire. Si pure que fut la joie qu’il pouvait avoir à une découverte dans une science théorique quelconque dont il peut être impossible d’envisager l’application pratique, sa joie était tout autre lorsqu’il s’agissait d’une découverte d’une portée révolutionnaire immédiate pour l’industrie ou, en général, pour le développement historique. (…) Car Marx était avant tout un révolutionnaire. Contribuer, d’une façon ou d’une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d’État qu’elle a créées, collaborer à l’affranchissement du prolétariat moderne, auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. »[10]

Comme dans toute science, et particulièrement dans les sciences humaines, c'est la méthode qui peut avoir un caractère scientifique :

« Toutefois toute la conception (Auffassungsweise) de Marx n'est pas une doctrine mais une méthode. Elle ne fournit pas de dogmes tous faits mais les points de départ de l'étude ultérieure et la méthode pour cette recherche. Il y a donc ici encore un certain travail à accomplir que Marx, dans ce premier jet, n'a pas conduit à son terme. » (Engels, lettre à Werner Sombart, 11 mars 1895)

Ainsi, la méthode d'analyse de la société capitaliste adoptée par Marx et Engels est « scientifique » et rigoureuse, allant sans cesse des concepts philosophiques, historiques et sociologiques de l'époque à l'observation immédiate des phénomènes formés par la société.

Comme dans toute science, la condition pour que la recherche de la vérité soit efficace, c'est qu'elle soit libre. Engels l'a rappelé à la direction du SPD qui à certains moment a montré une frilosité à accepter le pluralisme dans sa presse : « Vous, le Parti, vous avez besoin de la science socialiste et celle-ci ne peut pas vivre sans la liberté du mouvement. »[11]

Beaucoup de marxistes distinguent l'analyse marxiste (descriptive) et les orientations politiques (normatives) portées par le socialisme :

« Il est faux, quoique ce soit là une opinion très répandue, de confondre marxisme et socialisme. Car, consi­déré uniquement en tant que système scientifique, et abstraction faite par conséquent de ses effets historiques, le marxisme n'est qu'une théorie des lois du mouvement de la société, qui formule d'une façon générale la concep­tion marxiste de l'histoire, tandis qu'elle applique l'éco­nomie marxiste à l'époque de la production de marchan­dises. [Mais] on peut parfaitement être convaincu de la victoire finale du socialisme et se mettre au service de ceux qui le combat­tent.  »[12]

Ce cas n'est pas si rare. Par exemple l'économiste Edwin Seligman reconnaissait la pertinence du matérialisme historique (qu'il préférait appeler « interprétation économique de l'histoire »[13]), tout en étant opposé au socialisme. D'autres ont critiqué cette idée[14], et avancé que tendanciellement, le fait de ne pas avoir de préjugé bourgeois est une condition pour faire de la bonne science sur les sujets (économiques, sociologiques, historiques...) qui touchent à la société, la propriété, l'égalitarisme...[15]

D'autres parlent « d'une politique scientifique de la classe ouvrière, c'est-à-dire d'une politique basée sur la théorie scientifique, mise à la disposition des prolétaires »[16].

Trotski défendait que le marxisme est une méthode scientifique, mais également une doctrine scientifique en tant que corpus des connaissances établies par cette méthode.[17]

En insistant sur la centralité de la méthode, certains marxistes ont rejeté tout aspect philosophique. Max Adler, surtout, à partir de 1904, défendit résolument la conception d’un marxisme comme science sociale n’ayant rien à voir avec une quelconque philosophie. À ses yeux, cette science n’avait aucunement besoin d’un fondement philosophique, elle n’avait besoin tout au plus que d’une théorie de la connaissance au fait des sciences sociales et de l’Histoire[18][19]. Cette position reçut l’approbation directe de Kautsky : pour celui-ci aussi, le marxisme n’était pas une philosophie mais bien une science sociale historique.[20]

4 Critiques du caractère scientifique[modifier | modifier le wikicode]

Inquiétée par cette montée de la critique radicale de l'ordre existant, que la répression ne freinait pas, la bourgeoisie a tenté depuis le 19e siècle de riposter idéologiquement au marxisme. Sa principale attaque fut de dénier sa scientificité.

4.1 L'objectivité[modifier | modifier le wikicode]

Une des premières critiques fut que le socialisme ne peut être scientifique puisqu'il est un engagement politique. Ainsi le sociologue Emile Durkheim écrivit dans Conscience et société que la recherche de Marx « était entreprise pour établir une doctrine… éloignée de la doctrine résultant de la recherche… C’était la passion qui inspirait tous ces systèmes ; ce qui leur donne naissance et constitue leur force est la soif pour une justice plus parfaite… Le socialisme n’est pas une science, une sociologie en miniature : c’est un cri de souffrance. »

Durkheim sous-entend que lui parvient à une sociologie "objective", "au dessus des classes". Pour les marxistes, une telle chose est une chimère. Ce qui paraît le plus être un positionnement "raisonnable", voire carrément du "bon sens", est quasiment toujours marqué par l'idéologie dominante. Celle-ci a son apparence de cohérence, mais inévitablement aussi ses contradictions, générées par les contradictions du capitalisme.

Le courant des Subaltern studies critique le marxisme en lui reprochant d'être une idéologie occidentale, inadaptée aux peuples dominés. S'il est évident que la politique pratique menée par les partis ouvriers de masse des pays développés (social-démocratie, stalinisme...) doit être critiquée d'un point de vue révolutionnaire et donc anti-impérialiste, la théorie et la méthode marxiste en elle-même ne peut être essentialisée comme blanche ou occidentale. Elle a été employée à de multiples reprises dans des combats émancipateurs, et n'appartient qu'à ceux qui la font vivre. Une grille de lecture simplement en terme d'Occident vs Orient a moins de puissance explicative et conduit à des contradictions. Par exemple, dans son livre Nation, Partha Chatterjee analyse unilatéralement la tentative «rationaliste» de planification dans l'Inde de Nehru comme une importation occidentale... sans évoquer la libéralisation qui a suivi... sous la pression occidentale ! La planification serait-elle plus occidentale que le libre-marché ?[21]

Comment une science pourrait-elle à la fois être une science du prolétariat et une science objective ? A ce sujet, Hilferding disait :

« Le maintien de la domination de classe est liée à la condition que ceux qui y sont soumis croient à sa nécessité. Reconnaître son caractère provisoire, c'est en préparer la chute. D'où la répul­sion insurmontable qu'éprouve la classe dominante à accepter les résultats du marxisme. En outre, la complexité du système exige une étude que seul peut s'imposer celui qui n'est pas convaincu d'avance du caractère nuisible des résultats. C'est ce qui explique que le marxisme, qui est une science objective, exempte de tout jugement de valeur, reste nécessairement la propriété des porte-parole de la classe dont la victoire est pour lui le résultat de son étude. C'est dans ce sens seulement qu'il est la science du prolé­tariat, opposée à la science économique bourgeoise, tout en maintenant fermement la prétention qu'a toute science à la valeur objective de ses résultats. »[12]

4.2 Les lois mathématiques[modifier | modifier le wikicode]

Certains affirment qu'il n'y a pas de vraie science en dehors de ce qui peut être formalisé par des lois mathématiques. Pourtant cela reviendrait à oublier que :

  • des équations mathématiques peuvent être établies pour décrire des phénomènes réels, sans que l'on parvienne à les résoudre totalement (équation de Navier-Stockes en dynamique des fluides...)
  • des équations mathématiques semblent hors de notre portée pour la météorologie, le darwinisme...
  • les outils mathématiques ont eux-mêmes une histoire, et ont été inventés au fur et à mesure et se sont complexifiés à mesure que les objets d'étude (en physique principalement) se sont complexifiés.

4.3 Karl Popper et la réfutabilité[modifier | modifier le wikicode]

Une des critiques devenues classiques du marxisme est celle de Karl Popper, qui étudia les critères pour distinguer sciences et pseudo-sciences. Il centra sa démonstration sur le principe de réfutabilité : une théorie ne peut être scientifique que si on a la possibilité de la réfuter ; pour cela, il faut qu'elle admette elle-même des énoncés axiomatiques, et si ceux-ci sont "faux", la théorie est fausse. Popper a rejeté tous les historicismes, en défendant que l'histoire n'a pas de déterminisme, et le marxisme était pour lui le pire des exemples. Popper défend l'idée de libre arbitre, et en politique, il est proche des néolibéraux, ayant contribué à la fondation de la Société du Mont Pèlerin aux côtés de von Mises, Friedman et Hayek. Il a écrit un livre nommé La Société ouverte et ses ennemis, dans lequel il critique ceux qui auraient selon lui nourri une façon de penser conduisant au totalitarisme, une ligne qui irait de Platon à Marx et Hegel.

Malgré l'anticommunisme de Popper, beaucoup de marxistes reconnaissent un intérêt à ses travaux. Par exemple Andrew Kliman soutient que le marxisme est réfutable. Il conteste par exemple l'idée que la loi de la valeur de Marx serait une tautologie :

« La théorie de Marx selon laquelle la valeur d’une marchandise est déterminée par la quantité de travail nécessaire pour la produire a été présentée comme une définition de la valeur des marchandises, mais c’est incorrect pour deux raisons. D’abord, Marx avait l’habitude d’exprimer la valeur des marchandises en termes monétaires, ce qui serait impossible si les valeurs étaient définies comme des quantités de travail. On devrait dans ce cas exprimer les valeurs exclusivement en termes de temps de travail. Ensuite, les théories peuvent en principe être réfutées, alors que les définitions ne peuvent pas l’être. »[22]

Par ailleurs, Popper connaît mal la pensée de Marx, et prend souvent comme objet de ses critiques des déformations faites par tel ou tel marxiste, comme cela arrive dans n'importe quelle pensée. Par exemple, Popper dit que Marx fait partie des penseurs pour qui la vérité est "manifeste", et que par conséquent cela rapproche le marxisme des théories du complot : puisque la vérité est apparente, c'est forcément que des forces mal intentionnées s'activent pour la cacher.

« La version marxiste de cette théorie du complot obscurantiste est bien connue : c’est la conspiration de la presse capitaliste qui déforme et censure la vérité afin d’installer dans l’esprit des travailleurs de fausses idéologies. »

Premièrement, il n'est pas exact que pour Marx la vérité saute aux yeux. Il dit même le contraire :

« Ainsi donc, pour expliquer la nature générale du profit, il vous faudra bien partir de ce théorème : en moyenne, les marchandises se vendent selon leurs valeurs réelles et l’on en retire du profit en les vendant selon leur valeur, c’est-à-dire à proportion de la quantité de travail qui s’y trouve réalisée. Si vous ne pouvez pas expliquer le profit par cette hypothèse, vous ne pouvez pas l’expliquer du tout. Voilà qui est paradoxal, et contraire aux constatations de chaque jour. Un autre paradoxe, c’est que la terre tourne autour du soleil, ou que l’eau se compose de deux gaz extrêmement inflammables. La vérité scientifique est toujours paradoxale à l’expérience journalière, qui ne saisit que l’apparence trompeuse des choses. »[23]

Il est vrai que Marx considère aussi l'idéologie dominante comme un facteur crucial pour expliquer les idées fausses communément répandues. Mais il donne des explications matérialistes sur ce qui conduit la classe dominante à croire en son idéologie. Par exemple, au début du Livre III du Capital, il explique l’illusion du capital qui fructifie de lui-même par le fait que, du point de vue du capitaliste, le capital avancé en travail ne se distingue pas du capital avancé en marchandises, le capital variable se confond avec le capital constant.

Plus généralement, le critère de Popper s'applique mal aux "sciences humaines" (sociologie, psychologie, économie...). En effet, il est en général impossible de procéder à des expériences, et a fortiori à des expériences exactement identiques.

« Le parti marxiste peut réaliser des expériences seulement à une échelle extrêmement restreinte : "évaluer" tel ou tel slogan partiel sur une usine, une ville, avant de le lancer à une échelle nationale. Dans les questions décisives, il n'a aucun droit à l'expérimentation. En conséquence, l'observation acquiert une valeur des plus importantes. Les marxistes étudient scrupuleusement le passé, et avant tout les traditions de leur classe et ses luttes. »[24]

4.4 La prédictibilité[modifier | modifier le wikicode]

Pour certains épistémologues, c'est le critère de prédictibilité qui définit une science. Par exemple le fait de pouvoir prédire quand une comète repassera dans le ciel fait de l'astronomie une science. Pourtant rien n'empêche que pendant la longue disparition de la comète, celle-ci soit détruite par une collision quelconque. La prédiction n'est raisonnable que parce que cette hypothèse est improbable. Mais d'autres domaines comme la climatologie ou l'écologie, communément admis comme étant des sciences, ont pourtant une capacité de prédiction beaucoup plus faible. Il est pourtant évident que cela est dû avant tout à la difficulté de l'objet d'étude (le climat et ses innombrables facteurs), bien plus qu'à une méthode "non scientifique" qu'auraient les scientifiques étudiant le climat.

Les sciences qui étudient les sociétés humaines ont un objet d'étude encore plus complexe que le climat.

Bien d'autres domaines restent pour l'instant difficiles à expliquer, dans la cosmologie (théorie du Big Bang, formation des trous noirs...), dans la géologie (composition du noyau terrestre...), la prédiction des séismes... Une difficulté plus ou moins grande pour établir de façon plausible des causes - et à fortiori la prédiction - provient donc de l'incapacité à reproduire des expériences (reproduire un univers en miniature, reproduire la naissance de la vie sur une planète vierge, reproduire des révolutions sociales...).

La théorie quantique et la théorie du chaos, elles-mêmes issues du développement des sciences, ont prouvé qu'il ne peut y avoir de prédictibilité absolue, tout en niant pas le déterminisme. Comme l’explique le physicien prix Nobel Steven Weinberg :

« Même un système très simple peut présenter un phénomène connu sous la dénomination de chaos et qui fait échouer nos efforts pour prédire l’avenir de ce système. La caractéristique d’un système chaotique est qu’à partir de conditions initiales similaires, il peut aboutir, après un certain temps, à des résultats entièrement différents. La possibilité du chaos dans des systèmes simples est en fait connue depuis le début du siècle ; le mathématicien et physicien Henri Poincaré a montré à cette époque que le chaos peut se développer même dans un système aussi simple qu’un système solaire avec seulement deux planètes. On a compris pendant des années les espaces sombres entre les anneaux de Saturne comme se produisant précisément aux endroits de l’anneau d’où toute particule en orbite serait éjectée par son mouvement chaotique. Ce qui est nouveau et excitant à propos de l’étude du chaos, ce n’est pas que le chaos existe, mais que certaines formes de chaos montrent des propriétés quasi universelles qui peuvent être analysées mathématiquement. L’existence du chaos ne signifie pas que le comportement d’un système comme les anneaux de Saturne ne soit pas, de quelque façon, complètement déterminé par les lois du mouvement et de la gravitation et par ses conditions initiales, mais signifie seulement que, de façon pratique, nous ne pouvons pas calculer comment certaines choses (comme l’orbite des particules dans les espaces sombres entre les anneaux de Saturne) évoluent. Pour être un peu plus précis : la présence du chaos dans un système signifie que pour n’importe quelle précision donnée avec laquelle nous décrivons les conditions initiales, il arrivera finalement un moment où nous perdrons la capacité de prédire comment le système se comportera... En d’autres mots, la découverte du chaos n’abolit pas le déterminisme de la physique pré-quantique, mais il nous force à être un peu plus prudent lorsque nous disons ce que nous entendons par ce déterminisme. La mécanique quantique n’est pas déterministe dans le même sens que la mécanique de Newton ; le principe d’incertitude de Heisenberg nous avertit de ce que nous ne pouvons pas mesurer précisément en même temps la position et la vélocité d’une particule, et, même si nous effectuons toutes les mesures qui sont possibles à un moment donné, nous ne pouvons émettre que des probabilités pour ce qui est des résultats d’expériences à tout autre moment futur. Néanmoins, nous verrons que même dans la physique quantique, il y a toujours un sens dans lequel le comportement de n’importe quel système physique est entièrement déterminé par les conditions initiales et les lois de la nature. »[25]

5 Sortir de l'idéalisme en science[modifier | modifier le wikicode]

Ces critiques se basent souvent sur une vision idéaliste de "la science" et de l'épistémologie. Cet idéalisme consiste à croire qu'il existe une différence de nature entre ce qui est "science dure" et "science humaine", croire qu'il existe a priori une définition précise de la démarche scientifique alors que celle-ci est elle-même un objet d'étude...

Avec une telle vision, il y aurait d'un côté les "scientifiques" mettant au point des énoncés "sérieux", et de l’autre des domaines (comme le socialisme) où l'on ne pourrait rien affirmer sauf à être dogmatique.

Cette illusion prend racine dans la facilité à reproduire des expériences, qui est par exemple élevée en physique, faible en psychologie. Mais en réalité il s'agit d'un continuum. En physique, à de nombreuses reprises les théories ont finalement été invalidées, comme la théorie newtonienne qui fonctionne en général (dans nos conditions de vie habituelles) mais s'est avérée fausse avant que l'on invente la relativité générale, qui est elle-même est fausse puisqu'incompatible avec la mécanique quantique... Il y a un consensus pour considérer que la météorologie est une science, pourtant la fiabilité des prévisions est très limitée (à cause des limites des modèles actuels). La plupart des scientifiques reconnaissent qu'entre la neurologie et la psychologie, malgré le niveau extrêmement rudimentaires de nos connaissances actuelles, il doit y avoir des ponts vers une meilleure connaissance du fonctionnement de la pensée.

Pour Marx, il n'a jamais été question d'inventer un schéma qui serait calqué sur la logique métaphysique, où les énoncés ressembleraient à "telle cause A engendre tel effet B". Non pas parce que le principe de causalité serait faux, mais parce qu'avec des sujets sociaux complexes, on n'a jamais affaire exactement à la "même cause A". De plus, les effets ont des rétroactions sur les causes (B modifie A). Enfin, un constat comme "A implique B" est valable dans un contexte donné, mais ce contexte est lui-même modifié lentement par les sommes de changements, et peut brutalement changer les "lois apparentes".

Il ne faut donc pas avoir une vision réductrice de la science, basée sur une analogie avec la logique formelle qui n'est valable que dans un système où toutes les données sont maîtrisées. Pour expliquer le monde réel, que ce soit en météorologie ou en histoire des sociétés de classe, il faut des modèles, qui seront toujours limités et améliorables. Mais renoncer par principe à chercher une base rationnelle au socialisme, ce n'est au fond que céder à l'idéologie dominante qui veut que la société actuelle soit "naturelle" et indépassable.

6 Une science non reconnue ?[modifier | modifier le wikicode]

Si le marxisme est scientifique, pourquoi n'est-il pas reconnu ? Pourquoi depuis ses quelques 150 ans d'existence il n'a toujours pas été admis dans la communauté scientifique, comme toutes les autres "découvertes" ont fini par l'être ?

6.1 Rapports entre science et idéologie[modifier | modifier le wikicode]

 La raison fondamentale, c'est que le marxisme véhicule indissociablement une idéologie, qui se heurte à l'idéologie dominante (qui, elle, ne s'assume pas comme telle). Les théories connaissent bien sûr des évolutions dans le domaine sociologique, historique et économique, notamment sous l'effet des transformations de la société capitaliste et des flux et reflux de la lutte de classe. Mais tant que les capitalistes continueront à dominer, les théories majoritaires seront des théories qui légitiment le capitalisme ou critiquent seulement certains de ses effets.

A l'échelle de masse, le progrès de la méthode marxiste ne peut avoir lieu qu'en parallèle du progrès du mouvement communiste, donc il apparaît forcément comme une lutte politique. La perception du "marxisme" pourra alors totalement changer. Comme disait Henri Lefebvre :

« Il est évident qu'un jour on ne dira pas plus le "marxisme" qu'on ne dit le "pasteurisme" pour désigner la bactériologie. Mais nous n'en sommes pas encore là ! »[26]

Une raison plus "conjoncturelle", même si ses effets sont longs comparés à une vie humaine, est la terrible déformation et décrédibilisation qu'a subi le marxisme du fait de la domination stalinienne. Victor Serge décrivait ainsi les perspectives en 1939, alors qu'il était "minuit dans le siècle" :

« Est-il besoin de souligner une fois de plus que le marxisme obscurci, falsifié et ensanglanté des fusilleurs de Moscou, n’est plus du marxisme ? Qu’il se ruine, se dément, se réfute, se démasque, se paralyse lui-même ? . Les masses, par malheur, mettront du temps à s’en apercevoir. Elles ne vivent pas sur une pensée claire et rationnelle, mais sur des sentiments que l’expérience modifie lentement par voie de réactions… Comme tout cela se passe sous les enseignes usurpées du marxisme, il faut nous attendre, de la part des masses incapables d’appliquer à cette tragédie l’analyse marxiste, à une réaction contre le marxisme. Nos ennemis ont beau jeu. La pensée scientifique ne pourra cependant pas rétrograder en-deçà du marxisme ; ni la classe ouvrière se passer de cette arme intellectuelle. [...] La lutte des classes continue ; on entend distinctement craquer, en dépit des replâtrages totalitaires, la charpente du vieil édifice social. Le marxisme connaîtra encore bien des fortunes diverses ; peut-être même des éclipses. Sa puissance, conditionnée par les circonstances historiques n’en apparaît pas moins indéfectible en définitive puisqu’elle est celle du savoir alliée à la nécessité révolutionnaire. »[27]

6.2 Le domaine de l'économie politique[modifier | modifier le wikicode]

Pour Marx, l'économie était un domaine dans lequel les intérêts capitalistes pesaient bien plus lourdement que sur n'importe qu'elle autre discipline.[28] C'est dans ce sens qu'il pouvait parler « d'économie bourgeoise »[29]. Il entendait par là des pensées qui justifient l'ordre social existant, souvent en le naturalisant et en le présentant comme voué à s'éterniser. Et il associait bien la critique de cette économie bourgeoise au prolétariat :

« En tant qu'une telle critique représente une classe, elle ne peut représenter que celle dont la mission historique est de révolutionner le mode de production capitaliste, et finalement d'abolir les classes - le prolétariat. »[29]

Cette caractérisation n'avait cependant rien de caricatural chez Marx, et il ne pensait pas que les travaux des économistes dominants n'étaient que de pures constructions idéologiques. En particulier, il estimait que l’École classique (Adam Smith, David Ricardo...) avait apporté beaucoup, mais que l'économie dominante était devenue plus idéologique au cours du 19e siècle, avec la montée de la lutte des classes entre le prolétariat et la bourgeoisie.

6.3 Science bourgeoise et science prolétarienne ?[modifier | modifier le wikicode]

Si Marx met en avant le caractère très idéologique de l'économie, il n'a jamais généralisé cette analyse aux sciences en général. Il est évident que les biais idéologiques affectent les scientifiques, qui sont des hommes et de femmes avec un point de vue situé, mais ces biais jouent de façon partielle, plus ou moins fortes selon les disciplines et les enjeux.

On ne peut donc pas rigoureusement parler de science bourgeoise ni de science prolétarienne. Si les biais de classes cohabitent avec les raisonnements scientifiques, cela ne génère pas une doctrine à part, purement coupée du réel. Pour qu'une doctrine puisse être coupée du réel, il faudrait par définition qu'elle n'ait plus rien de scientifique.

Il est arrivé que des marxistes utilisent, spécifiquement pour le marxisme, ou le socialisme scientifique, le terme de science du prolétariat (ou de science socialiste[11]). Il s'agit d'une utilisation dans un sens bien précis : la doctrine regroupant les résultats (économiques, sociologiques, historiques...) qui pris ensemble montrent que l'intérêt général coïncide avec l'émancipation du prolétariat et le socialisme. Mais cela ne signifie en aucun cas que ces résultats économiques ou sociologiques seraient établies par une méthode scientifique qui serait différente des autres.

7 Les marxistes et les sciences[modifier | modifier le wikicode]

Marx était très intéressé par toutes les sciences et se tenait au courant des avancées majeures de son époque. En rupture avec les dogmes (religieux ou non) hérités des sociétés rigides du passé, beaucoup d'intellectuels cherchaient à comprendre rationnellement le monde, introduisant la méthode scientifique dans tous les domaines. Marx était d'ailleurs loin d'être le premier à creuser dans les domaines qui l'intéressaient particulièrement : il s'est basé sur l'économie classique de Smith et Ricardo, sur les observations d'historiens bourgeois sur la lutte de classe... Mais Marx s'intéressait aussi aux travaux de scientifiques comme Justus von Liebig.

D'autres théoriciens marxistes comme Lénine et Trotski restaient attentifs au développement des sciences de la nature.

7.1 Le recours aux analogies[modifier | modifier le wikicode]

Il est fréquent que les marxistes utilisent des analogies entre sciences de la nature et sciences sociales pour appuyer leurs explications.

Marx s'est beaucoup inspiré des observations faites en chimie, reprenant certaines expressions comme "cristalliser"... Certaines analogies sont en effet parlantes. La réaction d'un liquide X en un gaz Y augmente la pression, mais la pression a un effet sur la vitesse de la réaction. A une certaine pression, c'est le réceptacle tout entier qui peut exploser, modifier profondément "l'ordre établi" précédent.

Trotski emploie aussi l'analogie avec la cristallisation quand il raconte comment le commandant d’un régiment sent que sa fin est proche à la nouvelle de l’arrivée d’un nouveau soldat, un “léniniste” : « Il est évident que le soldat nouvellement arrivé jouait le rôle d'un premier cristal dans une solution saturée. »[30]

7.2 La science dans la production[modifier | modifier le wikicode]

A côté de l'importance de la science dans l'analyse de la société, le socialisme marxiste a aussi pour but d'utiliser au mieux la science (plus précisément la technique) dans la sphère de la production. C'est-à-dire en obtenant la meilleure productivité pour un travail donné, permettant de répondre à plus de besoins humains tout en dégageant plus de temps libre.

En 1919, devant le 2e congrès des Conseils ouvriers issus de la Révolution allemande, Kautsky déclarait qu'il fallait « gérer la production grâce à la coopération des trois grands facteurs : les travailleurs, les consommateurs et la science ».[31]

Dans le capitalisme, la technique est constamment employée d'une façon qui maximise les profits individuels et de court terme, même si cela génère des nuisances pour d'autres ou dans le futur (externalités). Mais le socialisme pourrait sortir de cette tare, et développer à l'inverse des sciences plus complètes et systémiques (dont l'écologie fait partie), pour différencier ce qui est de la vraie productivité (tous impacts compris) de ce qui condamne les travailleur·ses et les écosystèmes à l'épuisement.

8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Marxisme et science, Robin Goodfellow, 2012

  1. Friedrich Engels, Socialisme Utopique et Socialisme Scientifique, 1880.
  2. Karl Marx, Le Capital, 1867 - Chapitre premier : La marchandise, Deuxième édition
  3. Luc, Vincenti Fichte et le marxisme, site Marx au XXI - L'esprit et la lettre.
  4. Georges Haupt, De Marx au marxisme, « L'Historien et le Mouvement social », La Découverte, 1980, p. 93.
  5. Paul Lafargue, Souvenirs personnels sur Karl Marx, septembre 1890
  6. Karl Marx, Le Capital, Livre III, § 7, Chapitre LI, 1867
  7. F. Engels, Préface à La guerre des paysans allemands, 1850
  8. Gabriel Deville, Aperçu sur le socialisme scientifique, 1883
  9. K. Marx, Misère de la philosophie, 1847
  10. Franz Mehring, « Karl Marx, histoire de sa vie »
  11. 11,0 et 11,1 Friedrich Engels, Lettre à August Bebel, 1-2 mai 1891
  12. 12,0 et 12,1 Rudolf Hilferding, Préface du Capital financier, 1910
  13. Edwin Seligman, The Economic Interpretation of History. New York: Macmillan, 1902
  14. K. Korsch, Marxisme et Philosophie, Ed. de Minuit, 1964, publié en allemand en 1923.
  15. Ernest Mandel, Emancipation, science et politique chez Karl Marx, 1983
  16. Nikolaï Boukharine, La théorie du matérialisme historique, 1921
  17. Leon Trotsky, Letter to Sidney Hook, April 11, 1933, 11 April 1933
  18. Max Adler, Marxistische Probleme. Beiträge zur Theorie der materialistischen Geschichtsauffassung und Dialektik, Berlin – Bonn, J.H.W. Dietz, 1974, p. 36, 39 et 77 (1922).
  19. Max Adler, « Kausalität und Teleologie im Streite um die Wissenschaft », Marx-Studien, 1904, I, p. 229.
  20. Kautsky Karl, « Ein Brief über Marx und Mach », Der Kampf. Sozialdemokratische Monatsschrift, 1908-1909, II, pp. 451-452.
  21. Sumit Sarkar, Le déclin du subalterne dans les Subaltern Studies, Revue Contretemps, juin 2017
  22. Andrew Kliman, Reclaiming Marx’s Capital, Lexington Books, 2007
  23. Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865
  24. Jean van Heijenoort, L'Algèbre de la Révolution, 18 février 1940
  25. Dreams of a Final Theory : The Scientist’s Search for the Ultimate Laws of Nature (New York : Vintage, 1994), pp. 36-37.
  26. Henri Lefebvre, Le marxisme, Que-sais-je ?
  27. Victor Serge, Puissance et limites du marxisme, 1939
  28. Karl Marx, Préface de la première édition (1867) du Capital
  29. 29,0 et 29,1 Karl Marx, Le Capital - Livre premier, Postface de la seconde édition allemande, 1867
  30. Trotski, Histoire de la révolution russe, Février, L’offensive
  31. Intervention de Kautsky publiée en brochure à Vienne (Was ist Sozialisierung?). Cité dans Die proletarische Revolution und ihr Programm, 1922