Sociétés précapitalistes
Les sociétés antérieures au capitalisme n'ont pas beaucoup été étudiées sous l'angle du marxisme. La première des raisons est bien sûr que les militants et théoriciens du marxisme, relativement peu nombreux, souhaitent en priorité articuler leurs analyses aux enjeux de notre époque et avant tout la tâche révolutionnaire. Une autre raison est le manque relatif d'information, et notamment du type d'information permettant des analyses fines.
1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Naissance des classes[modifier | modifier le wikicode]
Pendant les 95% des débuts de l'humanité, il n'y avait pas de classes à proprement parler, et pas d'État. Les groupes humains de chasseurs-cueilleurs / cueilleuses pouvaient bien sûr être traversés par des oppressions (probablement l'oppression patriarcale, l'oppression des aînés, les conflits entre tribus...), mais il n'y avait pas de division du travail (hormis la division genrée). C'était ce que l'on peut appeler le « communisme primitif ».
Il a fallu une transformation importante pour que l'exploitation de l'homme par l'homme apparaisse et devienne institutionnelle. Cette « révolution néolithique » a eu lieu de façon indépendante dans plusieurs régions du monde. Schématiquement, il y a eu l'invention de l'agriculture, qui a favorisé la sédentarisation, qui a favorisé l'apparition de villes divisées en classes.
La division du travail apparaît alors aussitôt : des scribes chargés de compter les stocks, des soldats, des prêtres... Dans le cas de la Mésopotamie à partir de 3000 ans avant JC, les prêtres alliés aux soldats ont pris le pouvoir dans leurs mains pour devenir la première classe dominante. La fonction religieuse leur servait d'idéologie, leur gestion des infrastructures publiques (irrigation...) leur donnait une certaine légitimité, et la force pouvait toujours être utilisée contre les exploités en dernier recours (ce qui signifie l'apparition d'un État au sens de force surplombant la société).
L'apparition des classes est aussi l'apparition de premières formes « d'impérialisme ». Vu que les classes dominantes prélèvent une fraction de la richesse produite par les communautés agricoles, elles ont intérêt à régner sur un territoire plus vaste.
Évidemment les variations dans les types de classes dominantes et les types d'exploitation seront très grandes dans l'histoire. Mais toutes les sociétés de classe précapitalistes auront en commun la division entre une classe de type clergé / noblesse (propriétaires terriens), et une très large majorité paysanne. La bourgeoisie au sens large de classe intermédiaire habitant en ville (marchands, artisans), apparaît dès l'apparition des classes, mais d'abord de façon très ténue et fragile (très dépendante de la stabilité des cités-États ou des empires garantissant la stabilité du commerce).
1.2 Antiquité[modifier | modifier le wikicode]
Les sociétés de l'Antiquité étaient généralement des sociétés esclavagistes. L'esclavage est en effet une conséquences de l'expansionnisme militaire qui apparaît avec la lutte des classes. Si bien que Marx faisait de « mode de production antique » un synonyme de « mode de production esclavagiste ». Cependant le rôle de l'esclavage est loin d'être le même dans toutes les sociétés antiques. En Égypte ancienne par exemple, il y avait des formes de corvées imposées aux cultivateurs, une forme d'exploitation plus proche de celle du servage médiéval que de l'esclavage chez les Grecs ou les Romains.
La Satire des métiers, écrite il y a 3500 ans dans l'Égypte des pharaons, évoquait l'exploitation des paysans par des scribes (que les paysans comparaient à des nuisibles).
En Chine, de nombreuses révoltes paysannes ont fait tomber des dynasties... et porté au pouvoir de nouvelles dynasties. Par exemple, en 1368 en Chine, la Dynastie Yuan est remplacée par la Dynastie Ming. Celui qui devient le premier empereur Ming était à l'origine un paysan pauvre. Bien qu'il réalise une réforme agraire une fois au pouvoir, la structure de la société ne changea pas. Les révolutions politiques de ce type ne pouvaient pas être des révolutions sociales.
Les sculptures, très nombreuses sur les tombes funéraires ibères, reflètent d’une certaine façon la lutte de classe. Alors que quelques familles aristocratiques avaient pris le dessus sur la majorité de travailleurs, elles ont eu recours à toute une imagerie pour justifier leur domination, et en particulier des sculptures montrant le mort sous les traits d’un guerrier terrassant un autre homme ou un animal mythologique. Fait intéressant : on a pu découvrir que beaucoup de ces sculptures tombales ont été détruites peu après leur création.
Les sociétés de l'Antiquité grecque et romaine étaient régulièrement secouées par des révoltes d'esclaves, dont celle de Spartacus. Et parmi les citoyens libres, une lutte de classe opposait les paysans endettés et les marchands-usuriers.
Le mythe de l'âge d'or, situé à l'aube de l'existence humaine, pourrait représenter une certaine nostalgie de l'ancienne vie communautaire. C'est un mythe que l'on retrouve aussi bien chez Virgile (qui parle d'une époque où les récoltes étaient partagées en commun), que chez des auteurs grecs ou chinois.
De nombreux philosophes ont considéré que la division de la société en classe est la source du malaise social. Platon écrivait que : « Même la ville la plus petite est divisée en deux parties, une ville des pauvres et une ville des riches qui s'opposent comme en état de guerre. »
Les rapports de classe ont joué un grand rôle dans le succès du prosélytisme des grands monothéismes. Les sectes juives, nombreuses au 1er siècle, ou encore les sectes chrétiennes aux 3e, 4e et 5e siècle prônaient le retour à la communauté des biens. Un Saint comme Jean Chrysostome fut le premier à dire « La propriété, c'est le vol. »
1.3 Féodalisme[modifier | modifier le wikicode]
En Europe, la chute de l'Empire romain a coïncidé avec le recul d'un puissant État central au profits d'États plus morcelés, un recul du commerce et du poids des villes, et le recul de l'esclavage au profit du servage. Cependant, ce découpage important dans l'historiographie européenne ne doit pas être vu comme une succession historiquement nécessaire qui se ferait entre esclavagisme et féodalisme.
Dès la fin de l'Empire romain, le christianisme était devenue la religion dominante sous la forme du catholicisme romain. Un puissant clergé s'est constitué, et est parvenu à survivre à la chute de l'Empire, et à rester un allié transnational de toutes les classes dominantes de l'Europe féodale (ce qui n'excluait pas des rivalités). Néanmoins le catholicisme reste traversé pendant tout le Moyen-Âge de courants plus sociaux, qui se tournent vers les pauvres, comme les franciscains et autres ordres mendiants. Les mouvements populaires et bourgeois radicaux s'appuyaient alors sur des "hérésies" qui professaient une forme ou une autre de millénarisme (Cathares, etc.), sur l'idée d'un retour du Messie balayant les corrompus, y compris la "mauvaise Église".
Dans le haut Moyen-Âge, il n'était pas rare que des seigneurs détiennent des milliers de serfs, dont il pouvait s'octrayer la moitié de la récolte. Cela provoque parfois de grandes révoltes paysannes, comme celle de Wat Tyler en Angleterre (1381), celle des Hussites en Bohême... En France on parle de « jacqueries ».
Pendant que la cour de Louis XIV se gavait de luxe, la paysannerie connaissait des journées de dur labeur :
« L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes ; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racine : ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé. » [1]
La lutte de classe au Moyen-Âge n'opposait cependant pas que la paysannerie et la noblesse. Les conflits se sont complexifiés, avec d'une part une autonomisation des royautés absolutistes, une montée en puissance progressive de la bourgeoisie urbaine, des conflits entre artisans et marchands...
Ainsi, il peut aussi y avoir des luttes entre des classes dominantes, comme entre noblesse féodale et administration centrale de la monarchie, ou entre clergé et noblesse. Les alliances pouvaient fluctuer : alliance entre royauté (accordant des statuts de « villes franches » etc.) et bourgeoisie contre seigneurs locaux, alliance noblesse-bourgeoisie contre un roi, pour en imposer un autre, etc. La plupart des conflits de ce type visaient à faire bouger le rapport de force entre différentes classes possédantes. En revanche, quand les dépossédés, les paysans pauvres, menaient de grandes révoltes, les possédants mettaient la plupart du temps leurs différents de côté pour réprimer.
1.4 Époque moderne[modifier | modifier le wikicode]
Il y a eu des phases de développements de la bourgeoisie au sein des mondes antiques ou féodaux à plusieurs occasions. Mais dans l'Europe du 16e siècle, le capital marchand a commencé à prendre un essor particulier, favorisé par le pillage du monde entier. Cet essor a alimenté des révolutions bourgeoises, qui ont permis dans certains pays de faire sauter les obstacles au développement du capital. Ce fut en particulier le cas lors de la révolution des Pays-Bas (1566-1609) et de la Révolution anglaise (1641-1649). Ces mouvements ont brisé la résistance politique que les secteurs attachés au féodalisme pouvaient opposer, débouchant sur un compromis entre bourgeoisie et noblesse. Dans ces pays précurseurs, les nobles tendaient ensuite à se comporter de plus en plus comme des entrepreneurs bourgeois.
A cette époque où les inégalités sont de plus en plus criantes alors que l'imprimerie se répand, des plans de sociétés utopiques ont commencé à être imaginés et diffusés, comme L'Utopie, de More (1516) ou La Cité du Soleil, de Campanella (1602). Idéologiquement, cette époque est aussi marquée par la Réforme protestante. Celle-ci était composée de nombreux courants : les courants majoritaires ont particulièrement servi à exprimer les aspirations de la bourgeoisie, mais des courants plus radicaux servaient d'étendards à des mouvements égalitaristes plébéiens ou paysans, comme lors de la Guerre des paysans allemands du 16e siècle.
De plus en plus, la bourgeoisie se différencie, entre une grande bourgeoisie, une petite-bourgeoisie, et un proto-prolétariat. Des luttes opposent des maîtres artisans et des compagnons (pour lesquels il devenait plus difficile d'accéder au rang de maître), des riches banquiers et des commerçants, et la plèbe (les "bras nus") aux bourgeois.
Dans le New York des années 1760, une dépression provoque de grandes difficultés pour la plupart des commerçants, récemment immigrés, tandis que les riches marchands, fonctionnaires et officiers de marine s'en sortaient bien :
« Certains de nos compatriotes, par les sourires de la Providence ou d'autres moyens, sont en mesure de rouler dans leurs voitures à quatre roues, et peuvent s'offrir de bonnes maisons, de riches meubles, et une vie luxueuse. Mais, est-il équitable que 99, ou plutôt 999, doivent souffrir de l'extravagance ou de la grandeur d'un seul? Surtout lorsque l'on considère que les hommes doivent souvent leur richesse à l'appauvrissement de leurs voisins. »[2]
Si les auteurs du siècle des Lumières se sont surtout centrés sur une critique idéaliste de la religion, certains ont critiqué la propriété privée. Notamment Meslier, un curé de campagne qui a développé une critique cinglante de la noblesse et du clergé oisif vivant au crochet de la paysannerie, ou encore Morelly.
Dans le profond processus révolutionnaire ouvert par la Révolution française (1789-1799), bien que seuls les acquis de type « révolution bourgeoise » soient pérennisés, déjà de profondes aspirations populaires égalitaristes s'expriment. Cette fois le progressisme ne s'exprime plus sous la forme de réformes religieuses, mais sous la forme du républicanisme, qui aura une grande postérité.
2 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
Un recueil de textes de Marx et Engels sur les sociétés précapitalistes a été publié en 1973 par le Centre d'études et de recherches marxistes, et republié par les Éditions sociales en 2022[3].
Quelques ressources sur Wikirouge :
- Moyen-Âge européen
- Moyen-Âge japonais
- Rome antique
- Grèce antique
- Chine antique / impériale
- Perse / Iran antique
- Religion (de par la place importante qu'elle prenait)
Autres ressources :
- Neil Faulkner, Les croisades - une analyse marxiste, 2006
3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ La Bruyère, Caractères « De l'homme » XI, n°128, 1688
- ↑ Lettre envoyée à la New-York Gazette en 1765 - Citée par Burrows et Mike Wallace dans Gotham : A History of new York City to 1898
- ↑ Karl Marx, Friedrich Engels, Maurice Godelier, Sur les sociétés précapitalistes, Editions sociales, 2022