Redistribution des richesses

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Un pourcent richesse Libération 2023.png

La redistribution des richesses est un objectif général du socialisme, principalement en tant que moyen pour mettre fin à la pauvreté. La formule en elle-même est compatible avec des visions assez différentes.

1 Visions modérées de la redistribution[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Partage des terres[modifier | modifier le wikicode]

Depuis qu'il existe des classes, il y a eu une tendance à ce que certains propriétaires concentrent dans leurs mains tellement de terres (la richesse par excellence dans les sociétés pré-capitalistes) que cela provoque des explosions sociales de la part des démunis. Il y a donc eu régulièrement des repartages de terres (réformes agraires). Cela n'empêche pas le phénomène de concentration de reprendre son cours par la suite.

1.2 Redistribution fiscale[modifier | modifier le wikicode]

L'essor du capitalisme a conduit à des inégalités sociales sans précédant et à des luttes ouvrières en réaction. Étant donné qu'en parallèle, l'État moderne est devenu une machine puissante et coûteuse, la question de la répartition des impôts est devenu une question politique majeure.

Malgré les résistances égoïstes des bourgeois, les États ont fini par mettre en place des impôts sur le revenu avec un barème progressif, c'est-à-dire faisant en sorte que les riches paient un pourcentage plus élevé de leur salaire. Des impôts progressifs sur l'héritage ont également été mis en place. Mais cela ne garantit pas que la fiscalité dans son ensemble est progressive, car il existe de nombreux impôts, dont la TVA, qui ne sont pas progressifs. Par ailleurs avec « l'optimisation fiscale » et les fraudes, les capitalistes se soustraient à une part très importante de l'impôt qu'ils doivent.

Les recettes fiscales peuvent notamment être utilisées pour assurer des revenus minimums aux plus pauvres (RSA, allocations...), relever les bas salaires (prime d'activité...).

Ainsi les impôts peuvent avoir une visée redistributive. La droite s'y oppose généralement, les conservateurs menant plutôt bataille contre toute taxe de l'héritage au nom de « la famille », et les libéraux étant surtout opposés à l'interventionnisme dans la fixation des revenus. Inversement l'idéal d'une fiscalité progressive est souvent avancé par la gauche.

La progressivité de la fiscalité a beaucoup reculé depuis le tournant néolibéral des années 1980.

En France, selon l'Insee (2018) :

  • les impôts pèsent plus sur le budget des 10% les plus pauvres (68%) que sur celui des plus riches (54%) ;
  • les plus pauvres et les plus riches sont ceux qui bénéficient le plus de l'argent collecté, par rapport aux classes intermédiaires : les plus pauvres grâce aux prestations sociales comme les allocations logement ou le RSA, les plus riches grâce au fait que leurs allocations chômage ou retraites sont, comme leurs revenus, très élevées ;
  • au global, la fiscalité a donc encore bien un léger effet redistributif.
L'effet redistributif de la fiscalité en France, imagée par le Monde[1]


Cependant, si l'on zoome sur les 1% les plus riches, la redistribution cesse de fonctionner, comme l'a montré l'économiste Thomas Piketty :

Taux d'imposition globale en France (Piketty, 2010)


1.3 Visions un peu plus radicales[modifier | modifier le wikicode]

La redistribution par la fiscalité est un mécanisme permanent, et d'ampleur modérée. Il est donc tout à fait compatible avec une vision social-libérale, selon laquelle on laisse fonctionner l'économie de marché en se contentant de corriger certains de ses effets.

Les socialistes plus radicaux (de type France insoumise), qui restent marqués par la lutte des classes et l'idée que l'ordre actuel est injuste, parlent généralement de redistribution des richesses avec une connotation plus radicale. Ils avancent généralement l'idée que leur arrivée au pouvoir verra la mise en œuvre d'une grande redistribution des richesses, ce qui est donc présenté comme un moment de « rupture » avec les politiques pro-capitalistes classiques. Dans sa nature, cette redistribution est cependant presque toujours de nature fiscale. Les variantes fiscales les plus radicales proposent de limiter l'écart de revenu en fixant un revenu maximal (en élevant à 100% de taux d'imposition de la tranche de revenu au dessus de ce seuil).

Des réformateurs relativement modérés peuvent aboutir à des positions similaires à partir d'une approche éthique, comme le limitarisme. Il est cependant très improbable que ce type de mesures puissent être mises en place par un gouvernement qui n'ait pas un large appui populaire. Ce n'est donc pas essentiellement de nouvelles théories intellectuelles et de nouveaux mots dont nous avons besoin, mais de façons efficaces de créer un mouvement socialiste de masse.

2 Visions révolutionnaires[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Critique marxiste de l'inégalité[modifier | modifier le wikicode]

Même dans le cas où la fiscalité a un effet global positif de redistribution, le plus fondamental est de prendre du recul, car se cantonner à la sphère de la fiscalité revient à considérer que l'argent des riches leur appartient à la base, et que l'État providence vient charitablement en redistribuer une partie.

A amont, c'est un transfert massif d'argent qui a lieu des prolétaires vers les capitalistes : d'abord et avant tout par l'exploitation salariale, mais également par d'autres biais comme le paiement des loyers à des rentiers (qui est un transfert bien plus massif que celui que représentent les APL). La comptabilité officielle de l'Insee ne s'intéresse pas à ces transferts là.

La critique marxiste du capitalisme permet de délégitimer fondamentalement les inégalités sociales. Aussi bien les inégalités de revenus (car les hauts revenus du patronat ne sont que l'envers des bas salaires et du chômage des autres) que les inégalités de patrimoine (qui sont l'accumulation de revenus issus de l'exploitation salariale et de procédés d'accumulation primitive plus violents).

2.2 Critique marxiste de la redistribution par l'État[modifier | modifier le wikicode]

Penser uniquement dans le champ de la redistribution fiscale, c'est implicitement accepter les rapports sociaux capitalistes (c'est le marché qui décide qui s'enrichit) et l'idéologie dominante (cela ne fait que valider le mérite de chacun·e). Tant que les socialistes ne sont pas davantage à l'offensive, les politiciens pro-capitalistes parviennent toujours à diminuer la part de redistribution fiscale. Ceci d'autant plus que la logique de la concurrence capitaliste leur sert d'argument : les États moins-disant, ceux qui font du dumping fiscal, l'emportent sur les autres, et cela alimente une spirale à la baisse. Ceci s'est surtout vérifié depuis le tournant néolibéral et la nouvelle vague de mondialisation, qui a accentué la concurrence internationale.

Mais il y a par ailleurs une autre critique de fond : cet accent mis sur la redistribution suppose que l'État est un instrument neutre pouvant être simplement utilisé dans un sens ou un autre. C'est évidemment la vision que l'État républicain moderne souhaite véhiculer, mais derrière ce voile idéologique, il reste un État au service de l'ordre établi, donc en dernière analyse au service de la classe dominante. Certes cet État a dû intégrer toute une série de fonctions utiles à la population, notamment sous la pression des luttes, mais ces avancées n'ont été possibles que parce qu'une majorité de la classe dominante a accepté l'idée que cela allait également dans le sens de son « intérêt général » de classe (un marché trop dérégulé conduit à trop d'incertitudes y compris pour elle, et à trop de révoltes potentielles).

Entretenir cette illusion d'un État neutre, arbitre impartial entre les classes, peut conduire à de graves impasses politiques. L'appareil d'État est dirigé par des hauts fonctionnaires qui sont socialement et idéologiquement imbriqués à la bourgeoisie, et qui n'aiment pas les forces politiques qui veulent leur faire appliquer de trop grandes ruptures. Cela se traduit souvent par du freinage voire du sabotage de politiques publiques. L'état major militaire fait partie de cette force conservatrice, et de nombreux coups d'État sont venus couper court à des tentatives réformatrices (l'exemple majeur étant celui du Chili en 1973).

2.3 Critique de la focalisation sur la distribution[modifier | modifier le wikicode]

Par ailleurs plus généralement, les marxistes ne considèrent pas que la question fondamentale du socialisme soit la clé de répartition des revenus. Plusieurs règles de distribution peuvent être envisagées dans la phase transitoire vers le socialisme, du moment qu'elles sont acceptées comme légitimes par la population travailleuse. Le critère principal du socialisme n'est pas dans sphère de la distribution, mais dans la sphère de la production.

C'est ce que Marx souligne par exemple dans sa Critique du programme de Gotha (1875), où il reproche au programme de la social-démocratie allemande « de faire tant de cas de ce qu'on nomme le partage, et de mettre sur lui l'accent ». Une critique qu'a reprise Kautsky.[2]

2.4 Débats sur la transition révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Partant de cette critique radicale, les socialistes révolutionnaires ne veulent pas se contenter de limiter les inégalités en faisant appel à l'État actuel, mais mettre fin à la division de la société en classes, et à un pouvoir d'État qui n'est en réalité pas contrôlé par la société toute entière.

Il s'agit donc d'opérer une redistribution des richesses qui soit en même temps et surtout une réappropriation du pouvoir de décision sur les richesses (quoi produire, dans quelles limites écologiques...) et comment elles sont réparties. C'est-à-dire une collectivisation des moyens de production et d'échange (grandes entreprises, grande distribution, banques...). Cette collectivisation, ou socialisation, serait en grande partie réalisée par des organes de pouvoir représentant les premiers concerné·es, les salarié·es de chaque secteur collectivisé.

Pour les communistes d'inspiration marxiste, cette transition vers un nouveau mode de production ne peut pas se faire instantanément, mais nécessite tout un processus. Pour créer les conditions du changement, il faut d'abord faire progresser la conscience et le niveau d'organisation de la classe travailleuse, que ce soit par la lutte idéologique, syndicale, électorale, etc. Ensuite pour réellement amorcer un changement, lorsque les conditions sont mûres, il faut qu'une force politique appuyée sur l'auto-organisation des masses entame la socialisation d'une part significative de l'économie. C'est ce moment que l'on peut appeler révolution socialiste, et qui suppose à un moment ou un autre une rupture avec une part de la légalité bourgeoise (le Conseil constitutionnel rempli des anciens présidents déclarerait inconstitutionnelles les nouvelles lois...) et avec des pans entiers de l'appareil d'État (notamment la police coupée de la population et gangrenée par l'extrême droite). Un État d'un nouveau type devrait être mis en place, une réelle émanation de la classe travailleuse majoritaire.

S'il faut un minimum de transformation sociale pour que l'expérience ne soit pas un échec, il n'est pas nécessaire qu'elle soit d'emblée totale, et c'est même impossible à imaginer. D'abord la question du calcul économique des prix fait qu'il est complexe d'imaginer se passer instantanément du marché. Mais surtout, idéologiquement, tout le monde ne bascule pas spontanément de la méritocratie et de la motivation pécuniaire vers une mentalité communiste. S'il est possible qu'une majorité populaire se dégage pour que les grandes entreprises soient collectivisées et l'écart des salaires strictement réduit, il est probable que l'idée de socialiser les petites entreprises et d'appliquer une égalité de salaire stricte paraisse encore extrémiste.

Dans une analyse marxiste, on peut penser qu'une fois la sortie du capitalisme amorcée, l'évolution économique et idéologique conduirait vers une socialisation et une égalisation (matérielle, non culturelle) plus profonde, jusqu'à quasiment ne plus nécessiter d'autorité surveillant les individus, c'est-à-dire d'État. Ce n'est en tout cas pas un pré-requis pour la révolution socialiste.

Pour certains courants comme les anarchistes, la transition devrait être réalisée de façon quasiment immédiate, donc la question de l'État ou de l'échelle des salaires dans la période de transition n'est souvent pas abordée.

3 Sondages[modifier | modifier le wikicode]

En 2022, 57% des français jugent que "pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres", alors que seuls 23% se déclarent de gauche / extrême gauche, et 43% de droite / extrême droite.[3] Cela montre qu'après des décennies de dominations de la gauche par le PS et EELV, la gauche n'est plus associée fortement à l'idée de redistribution.

Aux États-Unis également, selon un sondage de 2019, deux tiers des citoyens estiment que les plus riches ne paient pas assez d'impôts, et 70% que les inégalités sont un problème majeur.[4]

4 Notes[modifier | modifier le wikicode]