Philosophie postmoderne

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Cet ouvrage de 1979 a popularisé la notion de postmodernité.

La philosophie postmoderne désigne un ensemble de discours qui se sont développés à partir des années 1960 et surtout à la fin du 20e siècle. Ce qu'on range derrière fait l'objet de nombreux désaccords, mais on retient généralement que la philosophie postmoderne se construit sur une forte défiance vis-à-vis des idées fortes de la « modernité occidentale » (rationalisme, universalisme...). Cette posture s'est diffusée plus largement dans les sciences sociales, et dans une moindre mesure dans d'autres disciplines.

Parmi les universitaires de la deuxième moitié du 20e siècle, dont le nombre augmente brusquement, et qui penchent nettement à gauche, la pensée postmoderne est influente. Beaucoup parmi celleux qui amorcent les études de genre ou les études post-coloniales en sont proches.

De nombreux philosophes marxistes ou « marxiens » sont associés à ce courant. Le marxisme a beaucoup été utilisé par des philosophes postmodernes pour déconstruire les métarécits dominants, mais en retour, le postmodernisme a beaucoup été utilisé contre le marxisme, parfois inclus lui-aussi dans ces métarécits.

Aujourd'hui le postmodernisme est une question controversée parmi les marxistes. Certains reconnaissent des apports importants, d'autres en font une critique virulente[1]. Ce qui est souvent critiqué est la tendance au relativisme vis-à-vis des discours scientifiques, qui désarme aussi la critique marxiste, qui se veut une critique scientifique du capitalisme.

Le postmodernisme a aussi un autre sens en tant que courant artistique.

1 Bref historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Précurseurs[modifier | modifier le wikicode]

Martin Heidegger est un précurseur de la philosophie postmoderne. Il est un des premiers à utiliser le terme de déconstruction (plus ou moins utilisé dans le sens d'analyse critique d'un texte) qui sera largement repris.

Dès cette époque, on peut voir une différence notable de réception de son œuvre entre ce qui allait devenir la philosophie analytique et la « philosophie continentale ». Pour quelqu'un comme Rudolf Carnap, Heidegger représentait dans le fond comme dans la forme un des exemples de la pire façon de faire de la philosophie.[2] Bertrand Russell y voyait une philosophie « extrêmement obscure ».[3]

1.2 French Theory[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 1960, une série de philosophes français développent des idées qui auront beaucoup de succès dans le monde universitaire aux États-Unis sous le nom de French Theory dans les années 1970 et 1980, ce courant influençant en retour de nombreux universitaires dans le monde dans les années 1990-2000.

Jean-François Lyotard est un des premiers à populariser l'idée de condition postmoderne, avec son ouvrage de 1979. Il y soutient que désormais, on ne peut plus croire aux métarécits qui ont structuré la modernité, comme le Progrès, les Lumières, l'Émancipation et le Marxisme.

Les psychanalystes (très implantés en France) sont nombreux à avoir épousé le courant postmoderne. En France, Freud est souvent cité avec Nietzsche et Marx comme appartenant aux « philosophes du soupçon »[4], qui auraient aidé à déconstruire les évidences. Le psychanalyste Jacques Lacan a eu une forte influence (sur Derrida et Guattari notamment[5]), et aux États-Unis il est inclus dans la French Theory. La psychanalyste Julia Kristeva fait aussi partie du postmodernisme.

Aux États-Unis, ce sont dans les facultés de littérature que la French Theory a eu le plus de succès, avec le développement des Cultural Studies, se voulant transdisciplinaires (touchant à la sociologie, l'anthropologie...). La notion de déconstruction de Derrida y est devenue très populaire.

1.3 Années 1990[modifier | modifier le wikicode]

Le contexte des années 1990, avec l'effondrement du bloc « communiste » (stalinien) a favorisé l'essor du postmodernisme. Les partis ouvriers historiques (socialistes / communistes) étaient sur le recul, cessaient de se revendiquer du marxisme ou prenaient fortement leurs distances. L'influence du marxisme a reculé dans la sphère académique, et le libéralisme apparaissait comme triomphant. Beaucoup d'intellectuels ont alors été nombreux à développer un certain nihilisme intellectuel, exprimant souvent leur rejet du discours dominant dans un scepticisme radical, qui a tendance à manquer de méthode.

1.4 Diffusion mondiale[modifier | modifier le wikicode]

Stanley Cavell aux États-Unis

Gilles Lipovetsky en France

En Italie (Giorgio Agamben), en Slovénie (Slavoj Žižek), en Allemagne (Peter Sloterdijk), en Inde.[6]

2 Sciences sociales[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Sociologie[modifier | modifier le wikicode]

Jean Baudrillard est un des premiers sociologues français postmodernes.

Dans les années 1990, un courant postmoderne a pris de l'ampleur au sein des sciences sociales, et notamment en sociologie.

Un exemple qui a mis en lumière cet aspect est l'affaire Sokal. En 1996, le physicien Alan Sokal propose un article à la revue de sociologie Social Text, chef de file du courant postmoderne. L'article, intitulé Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique, est volontairement du charabia utilisant abondamment des termes de physique, et, même si son argumentation ne repose sur rien, ses conclusions vont dans le sens de la ligne de la revue : relativiser la portée de la science au nom d'une critique de gauche. Il écrit ainsi que la science « ne peut pas prétendre à un statut épistémologique privilégié par rapport aux narrations contre-hégémoniques émanant de communautés dissidentes ou marginalisées ».

En France le sociologue Michel Maffesoli est le chef de file de ce courant (qui pèse autour de 30% selon certains), à travers sa revue Sociétés.[7] En 2001, Maffesoli est le directeur de thèse de l'astrologue Elizabeth Teissier, qui obtient son doctorat de sociologie avec thèse intitulée Situation épistémologique de l'astrologie à travers l'ambivalence fascination-rejet dans les sociétés postmodernes. Cela soulève une vague de protestations[8], y compris une pétition de 400 sociologues[9]. Mais de nombreuses personnalités s'expriment en soutien à Teissier, et parlent de « chasse aux sorcières ». En particulier, certains (comme Jean Ziegler) considèrent qu'il s'agit d'une attaque contre le courant de Maffesoli parce qu'il est de gauche.

2.2 Histoire[modifier | modifier le wikicode]

En histoire, l'influence du marxisme a été et reste majeure. Cependant, le recul du marxisme dans l'ensemble de la société a impacté les historien·nes, qui se revendiquent moins du marxisme, ou moins ouvertement. En parallèle, une certaine influence du postmodernisme se fait sentir, même si elle est rarement revendiquée comme telle.

Ainsi un historien comme Paul Veyne revient à une vision de l'histoire comme ensemble d'évènements dont on peut faire un « roman vrai », mais sans facteurs explicatifs notables. Ce qui est dénoncé par certains comme postmoderne.[1][10]

3 Critiques[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Relativisme scientifique[modifier | modifier le wikicode]

Le postmodernisme a une tendance à fortement relativiser voire nier toute objectivité d'une quelconque méthode scientifique, ce qui tend à désarmer les esprits.

Il faut souligner par ailleurs que ce relativisme envers les sciences de la nature va parfois de pair avec des connaissances très limitées dans ce domaine (ne pas savoir différencier une corrélation d'une causalité[11][12]...) venant de personnes n'hésitant pas à mobiliser l'image d'autorité que peuvent donner ces sciences (« le pouvoir de la pensée quantique »[13]...).

3.2 Passerelles avec la réaction[modifier | modifier le wikicode]

La philosophe Meera Nanda fait un rapprochement entre les intellectuel·les indien·nes influencé·es par le postmodernisme (Vandana Shiva, Ashis Nandy), et les nationalistes hindous.[6] Ils ont en effet en commun des tendances à réécrire l'histoire des sciences et à flatter de façon populiste les croyances traditionnelles, voire à vanter une « science védique » incluant astrologie et créationnisme. Les nationalistes n'ont pourtant aucun problème à utiliser la technologie moderne à des fins capitalistes, contrairement à des militantes comme Vandana Shiva très hostiles aux technologies (anti OGM, anti engrais, etc.).

3.3 Langage abscons[modifier | modifier le wikicode]

Une critique régulièrement faite à de nombreux philosophes est celle d'utiliser un langage exagérément compliqué, mais cette critique touche particulièrement les philosophes postmodernes.

Rudolf Carnap, philosophe et logicien, passant au crible un passage de Qu'est-ce que la métaphysique ?, de Heidegger, dira que c'est un énoncé dénué de sens.[14][2]

Le jour de la mort de Derrida, le New York Times titrait ainsi : « Jacques Derrida, théoricien abscons, meurt à 74 ans ».[15]

Plus généralement, les tenants d'une philosophie analytique reprochent souvent le manque de rigueur dans les formulations des philosophes postmodernes.[3]

4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. 1,0 et 1,1 Jérôme Métellus, Misère de la philosophie postmoderne, PCR, 6 décembre 2021
  2. 2,0 et 2,1 Rudolf Carnap, Le dépassement de la métaphysique par l'analyse logique du langage, 1932
  3. 3,0 et 3,1 Bertrand Russell, Wisdom Of The West, 1959
  4. FAQ Philo, La philosophie du soupçon
  5. René Major, Lacan avec Derrida, éd. Champs-Flammarion, 2001, et, du même auteur, l'article « Derrida, lecteur de Freud et de Lacan », Études françaises, vol. 38, n° 1-2, 2002, p. 165-178.
  6. 6,0 et 6,1 Meera Nanda, Postmodernism, Hindu Nationalism, and “Vedic Science”, in Scientific Values and Civic Virtues , Oxford University Press, July 2005
  7. Michel Maffesoli, Être postmoderne, Cerf, Idees, 26 Janvier 2018
  8. Christian Baudelot, Roger Establet, La sociologie sous une mauvaise étoile, Le Monde, 18 avril 2001
  9. Pétition des sociologues contre l'enregistrement de la thèse d'Elizabeth Teissier. Liste des signataires.
  10. Entretien avec Paul Veyne, Vérités de la fiction, Revue L'homme, 175-176, juillet-septembre 2005
  11. Michael Specter, Seeds of Doubt, The New Yorker, August 18, 2014
  12. Yann Kindo, Vandana Shiva démythifiée, 24 août 2014
  13. The Power of Quantum Thinking | Dr. Vandana Shiva at Consciousness Symposium (2024)
  14. James Conant, Carnap et la construction logique du monde, 2001
  15. Jonathan Kandell, Jacques Derrida, Abstruse Theorist, Dies at 74, The New York Times, 10 octobre 2004.