Prolétariat

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Le prolétariat est l’ensemble des personnes obligées de vendre leur force de travail pour vivre, ne possédant pas de moyen de production. Par extension y sont aussi inclus ceux qui sont sans emploi (chômeurs), ceux qui en ont vécu (retraités) et ceux qui en vivront (jeunes de familles prolétaires). Dans notre société capitaliste, c'est la classe sociale dont les intérêts objectifs sont diamétralement opposés à ceux de la bourgeoisie, et qui seule est capable de le renverser.

1 Origines du terme[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Étymologie[modifier | modifier le wikicode]

Le mot prolétaire désigne à l'origine un citoyen romain de la plèbe qui n'a que ses enfants (proles) comme richesse. Il forme la classe la moins considérée de la civitas (ensemble des hommes ayant le statut de citoyens, au dessus des esclaves), constituée de ceux qui ne peuvent s'acheter aucune pièce d'armure et qui ne possèdent le droit de vote qu'en théorie.

1.2 Réutilisation au 17e siècle[modifier | modifier le wikicode]

Le terme prolétaire commence à être réutilisé par des intellectuels anglais au début du 17e siècle, alors que les transformations précoces engendrées par le capitalisme marchand commencent à se voir à grande échelle dans le pays.

On le définissait comme « sujet à multiplier et à engendrer » (1609), « destiné seulement à faire des enfants » (1610). Harrington dans son Oceana (1658), parle de sujets qui, « à cause de leur pauvreté, ne contribuent en rien à l'État sinon en enfants ».[1]

1.3 Réutilisation au 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

Suite à la révolution industrielle, le mot prolétaire se voit réutilisé pour désigner les nouvelles couches de travailleur·ses pauvres qui s'élargissent. Le terme a été largement employé par les jeunes mouvements socialistes et communistes.

En 1825, Jacques Marquet de Montbreton de Norvins affirme : « L'Empire a doté tous les prolétaires. Il n'y a plus de prolétaires en France »[2]. Cela faisait référence à l'attribution de nombreuses terres à des paysans à la suite de la Révolution française, facilitée par l'émigration de nombreux nobles.

En , une proclamation du Gouvernement provisoire écrite par Lamartine annonce qu'« il n'y a plus de prolétaires en France » à dater de la loi électorale provisoire qui substitue le suffrage universel masculin au suffrage censitaire.[3] C'est ici une utilisation édulcorée de « prolétaire » (celle d'un républicanisme bourgeois), qui fait comme si l'égalité en droit résolvait la question de l'égalité sociale.

Karl Marx et Friedrich Engels n'ont donc pas inventé le terme de prolétariat, mais ils ont en revanche donné une définition plus précise, et ont vu dans cette classe un rôle politique majeur, en tant que sujet révolutionnaire.

2 Définition marxiste[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Dans le Manifeste communiste (1848), Marx parle du prolétariat comme étant « la classe des travailleurs modernes ». C'est à ce moment qu'ils définissent cette classe comme opposée à la bourgeoisie. C'est le rapport social de production entre ces deux classes (principales) qui les définit mutuellement, et qui alimente la lutte des classes.

Dans le Capital (1867), Marx écrit :

« Par prolétaire, au sens économique, il faut entendre le travailleur salarié qui produit du capital et le met en valeur. »[4]

« Il faut entendre par prolétaire le salarié qui produit le capital et le fait fructifier, et que M. Capital […] jette sur le pavé dès qu'il n'en a plus besoin » [5]

Dans une note de 1888 au Manifeste, dans un but de clarification, Engels écrit :

« Par bourgeoisie, on entend la classe des capitalistes modernes, qui possèdent les moyens de la production sociale et emploient du travail salarié ; par prolétariat, la classe des travailleurs salariés modernes qui, ne possédant pas en propre leurs moyens de production, sont réduits à vendre leur force de travail pour vivre[6]. »

Marx et Engels évoquent parfois une couche en dessous du prolétariat (le lumpen-prolétariat), qui est à l'écart du marché du travail et qui est numériquement bien plus faible.

2.2 Prolétaires, ouvrier·ères, travailleur·ses[modifier | modifier le wikicode]

Les termes évoluent par rapport à leur origine, et se trouvent employés dans des sens différents selon les contextes.

Si l'on utilise le terme de « classe ouvrière » pour parler du groupe des ouvriers d'industrie, alors le prolétariat est une catégorie plus générale, car on peut être prolétaire dans de nombreux secteurs non-industriels : saisonnier agricole (« ouvrier agricole »), caissier·ère dans un supermarché, serveur·euse dans un restaurant, ambulancier·ère, dessinateur·ice dans un bureau d'études...

Toutefois, le terme de classe ouvrière est souvent employé au sens de « classe travailleuse ». Dans ce cas, cela correspond en théorie au prolétariat. Cependant, il y a bien évidemment des couches différentes parmi les travailleur·ses (cf. infra), et il arrive que l'on emploie le terme de prolétaires pour désigner celles et ceux qui sont tout en bas de cette classe.

2.3 Prolétariat et salariat[modifier | modifier le wikicode]

Le salariat dans son sens historique correspond au prolétariat. Mais le capitalisme a imposé partout la forme du « salariat » au sens de contrat de travail, si bien qu'on considère "salariés" certains dirigeants d'entreprises ou hauts fonctionnaires, qui font en réalité partie de la bourgeoisie. Les revenus des PDG et autres cadres dirigeants (bonus, dividendes...) sont souvent beaucoup plus dépendants des profits, car ceux-ci s'identifient à l'entreprise bien plus que les simples travailleur·ses.

Dans certaines entreprises, l'encadrement s'efforce de maintenir la fiction d'un ensemble de collaborateurs « dans le même bateau », notamment en encourageant largement l'intéressement, c'est-à-dire une part de revenu (même très faible) variant en fonction des bénéfices réalisés. Ceci afin que les travailleur·ses n'aient pas d'autres horizon que la concurrence sur le marché capitaliste, et ne considèrent pas les efforts qu'on leur demande pour cela comme de l'exploitation.

Le critère clé dans la définition marxiste du prolétariat n'est pas le montant du salaire, mais la position dans les rapports de production. Par exemple il peut arriver qu'un petit patron gagne moins d'argent qu'un salarié, mais cela n'en fait pas un prolétaire. Le fait qu'il possède un petit capital et soit directement investi dans la concurrence pour le profit a un profond impact sur son être social.

Cependant, cela ne signifie pas qu'un salarié pourrait avoir un salaire de plus en plus élevé sans que cela ait de conséquence. La quantité peut se transformer en qualité. Un salarié avec un salaire élevé peut par exemple plus facilement lancer une petite entreprise, ou devenir un petit rentier de l'immobilier.

2.4 Travail productif et non productif[modifier | modifier le wikicode]

Il peut être utile de distinguer, à des fins d'analyse économique, différentes sous-catégories dans le prolétariat.

Par exemple, Marx distingue le travail productif du travail non productif. Le travail productif est celui qui créé de la valeur nouvelle et donc de la plus-value. On le trouve dans les usines, la conception de logiciels, les chantiers, les mines, les transports, l'agriculture... A l'inverse le prolétariat non productif ne créé pas directement de la plus-value, ce qui ne change rien au fait qu'il doive lui aussi vendre sa force de travail comme marchandise. Ce terme n'a pas de connotation dévalorisante, et ne signifie pas nécessairement qu'il soit inutile au fonctionnement du capitalisme, loin de là.

3 Sociologie[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Origine des prolétaires[modifier | modifier le wikicode]

Le gros des prolétaires d'aujourd'hui est issu de la prolétarisation de la paysannerie, qui constituait l'immense majorité de la population avant le capitalisme. Dans une plus faible mesure, certains sont issus de la prolétarisation de petits artisans ou d'autres couches sociales. Dans le Manifeste communiste, Marx écrit que le prolétariat « se recrute dans toutes les couches de la population ».

L'origine principale de la prolétarisation des paysans en Angleterre a été le processus des enclosures, surtout de la fin du 16e siècle au 17e siècle. Sur les terres médiévales d'une seigneurie, il y n'avait pas de délimitations nettes des terres, et les paysans pouvait librement faire paître leurs bêtes ou cultiver des lopins de terre, du moment que la part due au seigneur était prélevée. Avec le développement commercial les nobles anglais se sont massivement lancés dans le commerce de la laine, généralisant les troupeaux de moutons, et pour cela, clôturaient les terres et chassaient les paysans pauvres.

Ces paysans chassés ne sont pas immédiatement tous devenus des ouvriers, car la révolution industrielle est arrivée plus tard, les métiers potentiels de reconversion étaient dispersés et ingrats, mais aussi parce que beaucoup sont devenus des vagabonds ou des bandits, soit désocialisés, soit jaloux de leur liberté. Il y a eu une longue période de répression violente, d'exécutions, de déportations en Amérique, d'enfermement dans des workhouses...

Une expression devenue populaire en Angleterre est celle des « coupeurs de bois et des puiseurs d'eau » (hewers of wood and drawers of water) pour désigner celles et ceux effectuant des tâches pénibles. Expression d'origine biblique, elle sonne bien en anglais, mais surtout elle s'appliquait assez bien à certains métiers prolétarien de l'époque moderne : les forêts anglaises étaient massivement coupées pour la construction de bateaux, et les porteurs d'eau travaillaient dur dans des villes comme Londres. Ils étaient même racialisés par certains high tories qui parlaient de « troupeau de l'humanité [formant] une espèce différente », des « membres isolés de la communauté quoique nés dans le pays », « marqués comme les Juifs, une race distincte de coupeurs de bois et de puiseurs d'eau ».[7] Par ailleurs, une « humiliation » supplémentaire était causée par les représentations patriarcales : « La disgrâce de cet état [celui des puiseurs d'eau] ne réside pas dans sa pénibilité, mais dans le fait qu'il constitue la tâche habituelle des femmes. »[8]

3.2 Strates au sein du prolétariat[modifier | modifier le wikicode]

Le prolétariat n'est pas un ensemble sociologique homogène. Pour le socialisme scientifique, il s'agit de mettre en avant les intérêts communs objectifs à l'ensemble, mais pas de nier les différentes couches en son sein. Au contraire, les étudier, c'est mieux comprendre comment l'idéologie dominante peut nous diviser, et comment on peut se battre pour réunifier.

Il existe une reproduction sociale relative : les travailleur·ses diplômé·es ont plus de chances de voir leurs enfants diplômé·es aussi, tandis que les non-qualifié·es forment souvent les non-qualifié·es des générations suivantes. Certaines exceptions sont facilement compréhensibles : les enseignant·es par exemple, s'ils ne sont pas particulièrement bien payé·es, ont un "capital culturel" qui peut les aider eux ou leurs enfants à se retrouver parmi les plus qualifiés.

Toutefois cela ne forme pas des classes : il est bien plus facile de "s'élever" ou de "chuter" au sein du prolétariat que de sortir de la condition de prolétaire (de devenir capitaliste, rentier, député...).

La délimitation est bien sûr floue pour certains catégories comme les ingénieurs ou les cadres. Ils ne possèdent pas non plus leur outil de travail. Mais leurs salaires et leurs fonctions dans les entreprises les rangent plus souvent dans le camp des patrons que dans celui des prolétaires. Pourtant aujourd'hui la catégorie des cadres n'est plus homogène, une partie de plus en plus grande se prolétarise. C'est-à-dire que ses conditions de travail sont régies par le capital : horaires, division et intensité du travail alors que la participation au profit est de plus en plus limitée. Par ailleurs dans des entreprises de plus en plus nombreuses la grande majorité du personnel est composée de cadres, ce qui les amène à des comportements proches de la classe ouvrière : syndicalisme, actions collectives. Seuls les cadres dits supérieurs échappent au processus.

3.3 Le prolétariat d'aujourd'hui[modifier | modifier le wikicode]

Les statistiques de l’INSEE sont éclairantes même si les définitions des catégories socioprofessionnelles utilisées ne recoupent pas la définition marxiste. Les ouvriers au sens le plus restrictif sont aujourd’hui environ 7 millions en France, soit a peu près 27% de la population active et les employés sont environ 7,8 millions soit 30% de la même population active. A cela s'ajoute les chômeurs et les retraités... et une bonne partie de ceux que l'INSEE classe comme « cadres » ou profession intermédiaires. Au total le salariat, la classe ouvrière au sens large représente entre 70 et 80% de la population adulte. C’est donc encore de loin la force sociale majoritaire dans la société.

4 Prolétariat et socialisme[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Prolétariat et conscience de classe[modifier | modifier le wikicode]

Une première évidence s'impose : il est a priori plus facile de faire naître la conscience de classe dans un milieu ouvrier, où beaucoup de travailleurs sont réunis et sont sur le même plan. A l'inverse, c'est plus difficile lorsque les travailleurs sont peu et très hiérarchisés (secrétaire, technicien, ingénieur...) ou dispersés (routiers, télétravail...). La proximité avec le patron ou la direction joue aussi un rôle important : dans une très petite entreprise, des rapports personnels directs masquent souvent l'exploitation ou la rendent taboue. L'augmentation du recours à la sous-traitance par les grands trusts est un facteur de destruction de la conscience de classe.

Cela étant, ce serait un matérialisme mécaniste de penser que c'est la seule voie de formation de l’identité prolétarienne. Le peuple travailleur de Paris pendant la Commune avait une conscience de classe aigüe, alors que la grande industrie était encore embryonnaire. Au 19e siècle plus généralement, les lieux de travail ne ressemblaient pas aux grandes usines que nous connaissons, sans que cela empêche la révolte. La conscience d'être simplement "les pauvres exploités" peut aussi être très forte, lorsqu'elle est évidente dans la famille, le voisinage, la communauté... et que l'illusion d'ascension sociale n'existe pas.

Drapeau d'un syndicat du bâtiment de la CGT (1909)

4.2 Classe révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Les classes sociales existent toujours, leurs intérêts s’opposent et restent inconciliables. La bourgeoisie étant organisée et ayant conscience d’avoir des intérêts communs, il est nécessaire d’organiser les salariés en reconstruisant la conscience d’être une classe, d’avoir des intérêts communs.

Enfin, le prolétariat :

  • Puisqu’il fait tourner la société en produisant toutes les richesses.
  • Puisqu’il constitue la grande majorité de la population.
  • Puisqu’il est concentré dans les villes ou dans une entreprise et que donc il est lié, qu’il discute de ses problèmes et se rend compte qu’il a les mêmes que ses collègues : il a par conséquent la capacité de s’organiser
  • Pour toutes ces raisons, seul le prolétariat est donc capable de mener la bataille pour la révolution socialiste

Cette notion de prolétariat comme classe révolutionnaire est une idée centrale que Marx exprimait dans le Manifeste communiste :

« Tous les mouvements historiques ont été, jusqu'ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l'immense majorité au profit de l'immense majorité. Le prolétariat, couche inférieure de la société actuelle, ne peut se soulever, se redresser, sans faire sauter toute la superstructure des couches qui constituent la société officielle.  »[9]

Selon Maximilien Rubel, « le postulat de l'auto-émancipation prolétarienne sous-tend l'œuvre de Marx comme un leitmotiv »[10].

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Cité dans Marcus Rediker, Peter Linebaugh, L'hydre aux mille têtes - L'histoire cachée de l'Atlantique révolutionnaire, Editions Amsterdam, 2008
  2. Portefeuille de 1813, p. 489. Cité dans Samuel Hayat, Quand la République était révolutionnaire : citoyenneté et représentation en 1848, Paris, Éditions du Seuil, , 405 p. (ISBN 978-2-02-113639-5, lire en ligne), p. 204.
  3. Samuel Hayat, Quand la République était révolutionnaire : citoyenneté et représentation en 1848, Paris, Éditions du Seuil, , 405 p. (ISBN 978-2-02-113639-5, lire en ligne), p. 203-204.
  4. Marx, Œuvres I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1967, p. 1123.
  5. Karl Marx, Le Capital, 1867, Garnier-Flammarion, 1969, p. 675.
  6. Friedrich Engels, note au Manifeste communiste, 1888. Dans Karl Marx, Philosophie, Gallimard, 1994, p. 594.
  7. Henry St John 1er vicomte Bolingbroke en 1736, cité dans Marcus Rediker, Peter Linebaugh, L'hydre aux mille têtes - L'histoire cachée de l'Atlantique révolutionnaire, Editions Amsterdam, 2008
  8. Commentaire la Bible par Adam Clarke, cité dans Marcus Rediker, Peter Linebaugh, L'hydre aux mille têtes - L'histoire cachée de l'Atlantique révolutionnaire, Editions Amsterdam, 2008
  9. Marx et Engels, Le manifeste du Parti communiste, 1847
  10. Maximilien Rubel, Marx critique du marxisme, Payot, 2000, p. 288.