Reproduction sociale
La reproduction sociale désigne le fait que très majoritairement, les enfants d'une classe ou d'une couche sociale continueront à faire partie de la même classe ou couche sociale.
Cela s'oppose à l'idée d'un « ascenseur social » ou d'une mobilité sociale.[1]
On parle de déclassement lorsqu'une catégorie sociale voit son niveau social baisser (ou déclassement intergénérationnel lorsque c'est la génération suivante qui vit moins bien que ses parents).
Cette page ne concerne pas la théorie de la reproduction sociale, qui est une explication marxiste des rapports entre patriarcat et capitalisme.
1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]
Ce terme englobe l'ensemble des mécanismes qui font que l'origine sociale d'un individu détermine en général le milieu social dans lequel il va rester toute sa vie. C'est en grande partie au sein de la famille que ces mécanismes agissent (transmission d'une génération à l'autre d'un patrimoine, qu'il soit matériel ou immatériel).
La reproduction sociale est particulièrement forte si on considère les deux grandes classes sociales de la société capitaliste : le prolétariat et la bourgeoisie. Les enfants de patrons héritent des entreprises de leurs parents. Les enfants de rentiers héritent du foncier de leurs parents et ainsi de suite . Les enfants de prolétaires (c'est-à-dire celles et ceux qui n'ont que leur force de travail à vendre), ont de très fortes chances d'être des prolétaires.
Bien entendu il s'agit de tendances sociologiques, qui agissent à l'échelle des masses. Il y a des exceptions, mais cela n'invalide en aucun cas la tendance majoritaire.
On peut également observer ce phénomène, de façon moins forte, au sein de couches sociales à l'intérieur du prolétariat, de la petite-bourgeoisie ou de la bourgeoisie. Par exemple, un individu a plus de chance de recevoir un capital culturel (d'avoir le goût de le mettre en valeur) s'il vient d'une famille ayant un capital culturel (enseignants, artistes, intellectuels...), de même qu'un individu venant d'une famille au capital économique a toutes les chances de vivre de ce capital. Mais les barrières sociologiques entre types de capitaux est moins forte qu'avec les prolétaires. Par exemple un enfant d'enseignant peut réussir à utiliser son capital culturel pour devenir un cadre supérieur dans une entreprise, tout comme un enfant de patron peut utiliser sa facilité d'accès à la culture ou l'enseignement supérieur pour transformer son capital en capital culturel.
Il faut cependant savoir qu'il peut y avoir des cas particuliers, par exemple les policiers. Ils ne sont pas forcément payés beaucoup et ont une origine sociale souvent prolétaire, mais sont aussi formatés par un milieu policier tellement réactionnaire qu'il surpasse de loin tout sentiment de solidarité de classe. Ce milieu des « forces de l'ordre » a un goût de « l'ordre » qui est utilisé par les classes dominantes pour assurer l'ordre établi. Mais la culture de l'ordre et de la violence qui règne dans leur sein, renforcée par la spécialisation dans la répression, va souvent un peu plus loin que ce qui est strictement nécessaire pour l'État. C'est ce qui fait que les policiers sont très réceptifs aux idées d'extrême droite.
2 Mécanismes[modifier | modifier le wikicode]
La reproduction sociale repose sur des mécanismes économiques et culturels. Karl Marx est un de ceux qui a le premier théorisé la reproduction sociale, mais d'autres avant lui avaient analysé la société en termes de classes. Karl Marx s'est surtout attaché à décrire l'accumulation et à la reproduction du capital. Toutefois, on peut tout à fait considérer que l'étude des facteurs culturels s'inscrit pleinement dans l'analyse marxiste des classes.
2.1 Capital économique[modifier | modifier le wikicode]
La transmission du capital aux enfants de la bourgeoisie est le facteur premier qui explique que la concentration de la propriété des moyens de production reste aux mains de la même classe.
Dans une moindre mesure, la transmission de la propriété d'une maison par une famille de travailleurs peut constituer un mécanisme de reproduction sociale en pérennisant appartenance à une couche "plus aisée" du prolétariat, par rapport notamment aux travailleurs locataires.
2.2 Capital culturel[modifier | modifier le wikicode]
Le phénomène de reproduction sociale est notamment étudié et décrit par Pierre Bourdieu (le plus connu) et Jean-Claude Passeron dans Les Héritiers. Les étudiants et la culture, paru en 1964. Ils montrent par l'exemple des étudiants comment la position sociale des parents constitue un héritage pour les enfants. Certains héritant de bonnes positions sociales : d'où Les Héritiers tandis que d'autres au contraire sont les déshérités.
Dans La reproduction, ces mêmes auteurs s'efforcent de montrer que le système d’enseignement exerce un « pouvoir de violence symbolique », qui contribue à donner une légitimité au rapport de force à l’origine des hiérarchies sociales.
2.3 Évolutions[modifier | modifier le wikicode]
Les mécanismes de la reproduction sont dynamiques : ils peuvent connaître des évolutions, profondes ou marginales.
Par exemple, l'industrialisation a engendré la prolétarisation de la paysannerie, ce qui a quasiment fait disparaître cette classe dans les pays capitalistes centraux. On peut donc dire que la reproduction sociale a été enrayée pour la paysannerie (en France, particulièrement après la Seconde guerre mondiale).[2]
De plus, l'évolution technologique transforme les types de métiers de prolétaires dont le capitalisme a besoin. A partir de la fin du 20e siècle, l'industrie a progressivement besoin de moins d'ouvrières et ouvriers, mais de plus en plus d'employé·es pour tous les métiers dont l'industrie a indirectement besoin. Ainsi, si un enfant d'ouvrier devient employé, cela ne signifie pas forcément une ascension sociale, cela peut aussi être simplement un changement formel de catégorie au sein du prolétariat.
3 Observations[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Donnée sur très longue période[modifier | modifier le wikicode]
La reproduction sociale est étayée par de nombreuses études sociologiques pour l'époque contemporaine (sous le capitalisme), mais fait remarquable, elle est aussi observée sur de très longues périodes.
Ainsi il a été montré que les élites anglaises s'étaient globalement conservées entre 1 170 et 2012.[3]
De même pour les élites de la ville de Florence entre 1 427 et 2011.[4]
3.2 France[modifier | modifier le wikicode]
Selon le sociologue Camille Peugny, la reproduction sociale n’a pas diminué en France entre le début des années 1980 et la fin des années 2000 : 70 % des enfants de cadre exercent un emploi d’encadrement tandis que 70 % des enfants d’ouvrier occupent un emploi d’exécution.[5]
Les statistiques concernant l'éducation sont éloquentes :
L'augmentation générale du taux d'obtention du bac donne l'impression générale qu'il n'y a une large "classe moyenne" avec l'égalité des chances. Or on constate que même si le taux d'obtention du bac a augmenté pour toutes les catégories sociales, l'écart est quasiment inchangé.[6]
Certaines familles ont eu de nombreux représentants dans les institutions républicaines en France (famille Carnot, famille Casimir-Perier, famille Pelletan...), si bien que certains sociologues ont parlé d'une « aristocratie républicaine ».[7][8]
3.3 Royaume-Uni[modifier | modifier le wikicode]
En Angleterre aussi, selon les sociologues, « l'ascenseur social ne fonctionne plus » pour les classes populaires dans leur ensemble[9].
3.4 Comparaisons internationales[modifier | modifier le wikicode]
Le capitalisme étant généralisé à l'ensemble de la planète, la reproduction sociale est observable dans tous les pays. Cela étant dit, il y a des variations : la faible part de mobilité sociale est plus ou moins grande selon les pays. Cela dépend de nombreux facteurs historiques (y a-t-il eu de grandes réformes agraires dans le pays, des mouvements ouvriers forts...) et des systèmes sociaux et fiscaux en place.
Les statistiques s'intéressent par exemple à la « mobilité intergénérationnelle » à travers un indicateur comme l'élasticité intergénérationnelle des revenus.
3.4.1 Great Gatsby curve[modifier | modifier le wikicode]
Un résultat statistique intéressant est ce qui a été la « courbe de Gatsby le magnifique ». Elle montre que plus un pays a des inégalités de revenus élevées, plus la reproduction sociale y est forte.
Cela permet de contrer la vision social-libérale qui voudrait se concentrer sur une « égalité des chances » déconnectée de la lutte contre les inégalités de richesse.
4 Déclassement[modifier | modifier le wikicode]
Le terme est employé à la fois pour une perte d'emploi, de statut social, ou une situation dans laquelle l'emploi occupé n'est pas au niveau de ceux attendu pour un niveau d'études et de qualification donné. Il est en partie lié à l'augmentation du niveau général de formation dans un pays, qui entraîne une inflation des diplômes[10].
On parle de déclassement intergénérationnel lorsqu'une génération vit moins bien (plus souvent en terme de position sociale - relative - et de dégradation des conditions de travail que de niveau de vie absolu) que la génération des parents[11]. En période de forte croissance, il y a souvent une mobilité sociale ascendante généralisée. Mais lorsque celle-ci s'arrête (comme à partir des années 1970 dans les vieux pays capitalistes), un phénomène de déclassement réapparaît parmi les travailleur·ses.[12] Selon les données de l'Insee :
« Pendant les '30 Glorieuses', le pouvoir d'achat du travail augmentait de 5% par an, pour la génération suivante de 2% en moyenne. Le décrochage s'observe depuis 2009 où le pouvoir d'achat est de 0,8% par an. »[13]
Il faut distinguer le déclassement objectif du sentiment de déclassement[14]. Ce sentiment est un ressort très fort du vote pour l'extrême droite. En 2024, le politologue Luc Rouban disait du vote RN :
« Le premier ressort du vote est le sentiment de déclin social (…) un déclin perceptible jusqu’au sein de la cellule familiale, avec le sentiment de vivre moins bien que la génération au-dessus et la crainte que ce soit encore pire pour celle d’en dessous »[13]
5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Voir les pages Wikipédia : Mobilité sociale, Economic mobility.
- ↑ L'héritage refusé. La crise de la reproduction sociale de la paysannerie française 1950-2000, Patrick Champagne, Paris, Seuil, 2002
- ↑ Clark, Gregory & Cummins, Neil. (2014). Surnames and Social Mobility in England, 1170–2012. Human nature (Hawthorne, N.Y.). 25. 10.1007/s12110-014-9219-y.
- ↑ Barone, Guglielmo and Mocetti, Sauro, Intergenerational Mobility in the Very Long Run: Florence 1427-2011 (April 28, 2016). Bank of Italy Temi di Discussione (Working Paper) No. 1060
- ↑ Camille Peugny, Le destin au berceau : inégalités et reproduction sociale, Seuil, 2013
- ↑ Observatoire des inégalités, L’inégal accès au bac des catégories sociales, 2014
- ↑ Paul Ribot, Exposé critique des doctrines sociales de M. Le Play, E. Plon, 1882
- ↑ Paul Baquiast, Une dynastie de la bourgeoisie républicaine: les Pelletan, L'Harmattan, 1996
- ↑ Pierre Lurbe et Guillaume Clément, Les Fondamentaux - Le Royaume-Uni aujourd'hui, Éditions Hachette Éducation, 2020
- ↑ Nauze-Fichet, Emmanuelle et Tomasini, Magda. Diplôme et insertion sur le marché du travail : approches socioprofessionnelle et salariale du déclassement suivi d'un commentaire de Saïd Hanchane et Eric Verdier. In: Économie et statistique, n°354, novembre 2002. pp. 21-43 & 45-48. Consulté le 28 décembre 2013
- ↑ Voir pp. 7-13 in Boisson, Marine (rapport coordonné par) La mesure du déclassement, Rapports et documents, n°20, Centre d'analyse stratégique, 2009, 145 pp.
- ↑ Le déclassement Camille Peugny, Grasset, 28 janv. 2009 - 180 pages
- ↑ 13,0 et 13,1 BFM, Le mal-être au travail, un carburant du vote RN?, 3 juillet 2024
- ↑ Forgeot Gérard et Gautié Jérôme Insertion professionnelle des jeunes et processus de déclassement. In: Économie et statistique, n°304-305, avril 1997. pp. 53-74.