Étapisme

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L'étapisme est une vision erronée de la révolution à l'époque contemporaine, qui consiste à penser qu'il faut d'abord lutter pour une révolution démocratique-bourgeoise (et anti-impérialiste), et attendre le développement de conditions plus favorables à la révolution socialiste.

1 Origine de l'étapisme[modifier | modifier le wikicode]

1.1 D'un constat historique...[modifier | modifier le wikicode]

L'étapisme prétend tirer sa justification des fondateurs du socialisme scientifique, Marx et Engels. En effet, en étudiant l'histoire sociale récente de l'humanité, ceux-ci avaient observé que les révolutions bourgeoises avaient permis le développement du mode de production capitaliste, et que celui-ci rendait désormais possible et nécessaire une révolution socialiste.

Certes les contradictions de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat étaient déjà perceptibles pendant la Révolution française, voire même dans la Révolution anglaise, mais le socialisme était objectivement impossible à cette époque.

1.2 à un dogme mécaniste[modifier | modifier le wikicode]

C'est ce constat de Marx que certains idéologues comme Plékhanov vont ériger en dogme, au mépris de la réalité et de la méthode vivante que doit être le matérialisme historique.

Or, le fait que les pays Européens et les États-Unis aient vu se développer un capitalisme avancé pendant qu'au même moment subsistaient des rapports sociaux féodaux dans la plupart des autres pays va modifier profondément la question de la révolution. Ces pays, que l'on peut caractériser comme impérialistes, injectent massivement des capitaux dans des pays qu'ils dominent, ce qui a plusieurs conséquences majeures :

Trotski employait le terme de développement inégal et combiné pour décrire cette évolution dans les pays arriérés. On comprend alors qu'il est absolument vain d'espérer un développement "classique" d'une bourgeoisie nationale prenant la tête de la nation et créant tranquillement les conditions du socialisme.

2 L'étapisme chez les marxistes russes[modifier | modifier le wikicode]

La situation russe créa un terrain favorable à l'étapisme. En effet, dans une Russie encore largement féodale à la fin du 19e siècle, tous les marxistes voyaient à l'horizon une révolution bourgeoise. Sur le modèle des révolutions bourgeoises « classiques » comme la révolution française, ils s'attendaient à ce que la bourgeoisie soit la force dirigeante de cette révolution. Mais la Russie avait connu un développement particulier du fait de son retard. Une classe ouvrière faible en proportion mais concentrée et déjà politiquement active s'était formée. La question du rôle des marxistes et du parti ouvrier qu'ils étaient en train de construire devait donc être tranchée.

2.1 Les « économistes » et le « marxisme légal »[modifier | modifier le wikicode]

Entre 1898 et 1901, le jeune mouvement social-démocrate (marxiste) russe était dominé par un courant qui a été nommé « économiste ». Celui-ci théorisait que les marxistes devaient se limiter à une action « économique » (organiser des proto-syndicats, soutenir des revendications salariales...), sans parler aux ouvriers de questions politiques comme la lutte contre le tsarisme, pour laquelle il fallait soutenir passivement les libéraux bourgeois jusqu'à ce que ces derniers l'aient emporté sur le féodalisme.

Un autre courant, le « marxisme légal », peut être relié à l'étapisme. En effet, celui-ci insistait sur le rôle progressiste du capitalisme, au point de devenir apologiste de la bourgeoisie. Son principal représentant, Struve, évolua très vite vers les libéraux bourgeois.

2.2 L'étapisme des menchéviks[modifier | modifier le wikicode]

Martynov fut le fil conducteur de l'étapisme en Russie : passé de l'économisme au menchévisme, il fut ensuite théoricien de l'étapisme stalinien

Ces deux courants furent mis en minorité par le groupe autour de l'Iskra. Mais celui-ci éclata vite entre deux courants, les menchéviks et les bolchéviks. Si la scission à l'origine ne concernait pas la question de la révolution, les deux groupes ont fini par incarner deux attitudes nettement opposées, qui apparaissent surtout après la révolution manquée de 1905. Celle-ci fit la démonstration que les libéraux bourgeois étaient prêts à se réconcilier avec le régime tsariste si le mouvement ouvrier prenait la tête du mouvement.

Sous la justification de Plékhanov, qui se présentait comme l'orthodoxie marxiste, les menchéviks en déduisaient qu'il fallait autolimiter les revendications ouvrières pour ne pas effrayer la bourgeoisie. Les menchéviks s’appuyaient notamment sur la formule de Marx « aucun régime ne disparaît de la scène avant d'avoir épuisé toutes ses possibilités » pour nier la possibilité de la dictature du prolétariat dans la Russie arriérée où le capitalisme était encore loin de s'être développé. Cet aveuglement des menchéviks s'est transformé en idéologie justifiant le manque de courage politique et le suivisme à l'égard des libéraux.

Face à eux, les bolchéviks n'avaient pas une théorie très nette, mais défendaient l'idée que la classe ouvrière devait au contraire être au cœur de la prochaine révolution, en alliance avec les paysans. Bien que ce soit une révolution démocratique-bourgeoise, elle sera accomplie malgré la grande bourgeoisie, comme cela a souvent été le cas. Lénine appelait cela la « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie ».

3 L'étapisme stalinien[modifier | modifier le wikicode]

Tout en étant parmi les bolchéviks, Staline défendait sur ce point une orientation menchévique depuis longtemps. Entre février et avril 1917, il défendait qu'il fallait disperser les soviets et convoquer une Assemblée constituante, pour laisser se former une démocratie bourgeoise.

De 1924 à 1927, lui et ses proches dans l'Internationale donnèrent au Parti communiste chinois une ligne de suivisme total vis-à-vis du Kuomintang, parti nationaliste bourgeois. Il soutenait que la bourgeoisie anticoloniale pourrait être plus révolutionnaire que la bourgeoisie anti-tsariste russe, et que les enseignements des révolutions russes ne pouvaient être appliqués à la Chine. Staline s'est d'ailleurs directement appuyé sur d'anciens menchéviks, comme Martynov qui a contribué à théoriser le bloc des 4 classes.

Jusqu'à la terrible défaite de 1927, il est possible de considérer qu'il s'agissait d'une erreur politique des staliniens. Mais par la suite, l'étapisme allait devenir une politique récurrente de l'Internationale, servant avant tout les intérêts de la bureaucratie russe. Ainsi lorsque Maurice Thorez, chef du PCF, disait en 1936 "il faut savoir terminer une grève", il le justifiait par l'idée que ce n'était pas le moment de faire la révolution socialiste, mais en réalité il recevait les consignes du Kremlin qui voulait absolument briser la grève générale pour rester en bons termes avec la bourgeoisie française. Lorsqu'en 1968, le PCF publie le Manifeste de Champigny Pour une démocratie avancée, théorisant une démocratisation progressive jusqu'au socialisme, il ne fait que justifier son opportunisme croissant qui le conduira jusqu'au programme commun avec le PS.

4 Semi-étapisme de l'Internationale communiste ?[modifier | modifier le wikicode]

Les élaborations des premiers congrès de l'Internationale communiste sur la révolution dans les pays dominés et semi-féodaux sont intermédiaires. Ils n'évoquent pas la « révolution permanente », mais de fait proposent aux communistes d'aller aussi loin que possible dans le sens révolutionnaire. S'ils développent la notion de front unique anti-impérialiste, ils avertissent aussi qu'il est nécessaire de savoir rompre lorsque les partenaires se mettent en travers du mouvement révolutionnaire réel.

Certains trotskistes rejettent pour cette raison le front unique anti-impérialiste et considèrent que la politique de l'Internationale était « semi-étapiste ».[1]

5 Révolution permanente[modifier | modifier le wikicode]

C'est après ce séisme social que fut la Révolution russe que Trotski apporta une des contributions majeures du 20e siècle au socialisme scientifique, la théorie de la révolution permanente. Il s'agissait ni plus ni moins que de tirer les enseignements du combat des bolchéviks, et de préciser le rôle des communistes dans les luttes de classes de la période contemporaine.

6 Autres positions[modifier | modifier le wikicode]

Certains groupes d'extrême gauche marxiste (généralement considérés comme « gauchistes » par les trotskistes) ont défendu des formes d'étapisme. Ce type d'explication est notamment utilisé par la gauche conseilliste pour expliquer que la prise de pouvoir par les bolchéviks ne pouvait être qu'une forme de la révolution bourgeoise, et ainsi déboucher sur un capitalisme d'État. Ainsi un texte de 1934 faisait l'analyse suivante :

« Le bol­che­visme a appelé la révo­lu­tion de février la révo­lu­tion bour­geoise, et celle d’octobre, la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne, fai­sant ainsi pas­ser son propre régime pour le règne de la classe pro­lé­ta­rienne, et sa poli­tique écono­mique pour du socia­lisme. Cette vision de la révo­lu­tion de 1917 est une absur­dité de par le simple fait qu’elle sup­pose qu’un déve­lop­pe­ment de sept mois aurait suffi à créer les bases écono­miques et sociales d’une révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne, dans un pays qui venait à peine d’entrer dans la phase de sa révo­lu­tion bour­geoise – en d’autres termes, sau­ter d’un bond par-dessus tout un pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment social et écono­mique qui néces­si­te­rait au moins plu­sieurs décen­nies. En réa­lité, la révo­lu­tion de 1917 est un pro­ces­sus de trans­for­ma­tion uni­taire, qui a débuté avec la chute du tsa­risme et a atteint son apo­gée avec la vic­toire de l’insurrection armée des bol­che­viks, le 7 novembre. Et ce violent pro­ces­sus de trans­for­ma­tion ne peut être que celui de la révo­lu­tion bour­geoise russe, dans les condi­tions his­to­riques et par­ti­cu­lières de la Russie. Au cours de ce pro­ces­sus, le parti de l’intelligentsia jaco­bine révo­lu­tion­naire a pris le pou­voir en s’appuyant sur les deux mou­ve­ments sociaux qui avaient déclen­ché l’insurrection de masse, celui des pro­lé­taires et celui des pay­sans. »[2]

7 Implications actuelles[modifier | modifier le wikicode]

Aujourd'hui, les rares "Partis Communistes" (issus de la période stalinienne) qui ont gardé des références au marxisme sont englués dans cette logique de la révolution par étapes. Bien souvent, cette conception sert à justifier l'opportunisme total de ces partis, qui se contentent de suivre la gauche bourgeoise dans des revendications démocratiques.

Le Parti Communiste Ouvrier Tunisien (PCOT) en fournit un triste exemple à l'heure actuelle en ne faisant aucune propagande pour le socialisme au sein de la révolution tunisienne, affirmant que la priorité de l'instant est la "conquête de la démocratie". Vouloir démobiliser la population face au simulacre de démocratie que conduit le vieux régime c'est la condamner à une réaction violente.

C'est ce genre de doctrines, également, qui explique que l'actuel vice-président de la Bolivie, Alvaro Garcia Linera, sociologue marxiste, défend la nécessité de construire, dans l'immédiat, un "capitalisme andin" en Bolivie.

8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Emilio Albamonte, Matias Maiello, Estrategia socialiste y arte militar, 2017
  2. Helmut Wagner, Thèses sur le bolchevisme, 1934