Marxisme légal
Les « marxistes légaux » étaient un groupe de penseurs russes qui ont commencé par défendre un révisionnisme très droitier du marxisme (entre 1894 et 1901) avant de devenir des libéraux bourgeois. Leur nom vient de leur position légaliste : ils publiaient dans des publications légales tolérées et prétendaient réaliser pacifiquement la démocratie et le socialisme, à l'époque où les social-démocrates (qu'ils soient futurs menchéviks ou bolchéviks) appelaient à la révolution contre le tsarisme.
1 Historique[modifier | modifier le wikicode]
Les principaux membres de ce courant étaient Pierre Struve, Nicolas Berdiaev, Sergueï Boulgakov, Mikhail Tugan-Baranovsky et Siméon Frank.
Contrairement à la génération précédente des socialistes russes appelés narodniks (populistes), qui prétendaient s'appuyer sur la paysannerie pour réaliser le socialisme directement, sans subir les affres du capitalisme, les « marxistes légaux » ont utilisé la théorie de Marx pour justifier le développement du capitalisme comme inévitable et progressiste. Comme Struve l'a dit lui-même, ils ont fourni une « justification du capitalisme » en Russie.
Les marxistes légaux ont tenu de nombreux débats ouverts depuis le milieu des années 1890 jusqu'au début des années 1900, notamment à la « Société libre d'économie »[1] de Saint-Pétersbourg, et ils ont publié trois magazines entre 1897 et 1901, chacun d'entre eux ayant fini par être interdit par le gouvernement impérial :
- Novoïe Slovo (avril-décembre 1897)
- Nachalo (janvier-juin 1899)
- Jizn (1899–1901, poursuivie à l'étranger en 1902)
Ils deviennent particulièrement influents après l'arrestation et l'emprisonnement des dirigeants de l'aile révolutionnaire du marxisme russe (dont Martov et Lénine) en 1895-1896.
Vers la fin des années 1890, les marxistes légaux et les marxistes révolutionnaires s'allient dans le mouvement social-démocrate naissant. Pierre Struve écrit même le manifeste du congrès de fondation du POSDR en 1898. Les marxistes révolutionnaires en exil ou à l'étranger (Plekhanov, Lénine, Martov, Trotski, Zassoulitch...) publient beaucoup de leurs écrits dans les journaux des marxistes légaux. Gorki, écrivain de plus en plus populaire, écrit aussi dans ces journaux.
On peut d'ailleurs noter que Zinoviev, en 1924, utilisait n'utilisait pas le terme « marxisme légal » comme synonyme de ce courant politique précis, mais comme l'ensemble de ceux qui écrivaient dans ces journaux légaux : « Ainsi le marxisme légal de cette époque comprend deux tendances essentielles : l’une représentée principalement par Strouvé et Tougane-Baranovsky, l’autre par Lénine et Plékhanov. »[2]
A partir de 1897, les marxistes légaux sont de plus en plus ouvertement en faveur du révisionnisme d'Edouard Bernstein, ce qui leur vaut les critiques de Plékhanov, Lénine et d'autres marxistes révolutionnaires. Struve et d'autres marxistes légaux abandonnent bientôt le matérialisme pour le néo-kantisme, et d'autres comme Berdiaev, Boulgakov et Frank deviennent théologiens. Tugan-Baranovsky développe une théorie de la cyclicité des crises capitalistes qui est également critiquée par les marxistes révolutionnaires, dont Lénine[3].
Lénine critiqua fermement Struve en 1894.[4] Cependant, à cette époque, il pensait encore qu'il était possible de débattre fraternellement avec lui. Quand il rencontra son mentor Plékhanov en août 1900, il fut choqué de son sectarisme envers Struve.[5]
À partir de 1901, les « marxistes légaux » abandonnent le marxisme, et à partir de 1902 Struve publie un journal de tendance monarchiste libérale, Osvobojdénié (« Libération »).
Puis les dirigeants du mouvement s'allient en 1903-1905 aux éléments « radicaux » des zemstvos au sein de Soyouz Osvobozhdeniya (Union Libération) .
Après la Révolution russe de 1905, la plupart d'entre eux furent membres du Parti constitutionnel démocratique.
2 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Ouvrages[modifier | modifier le wikicode]
- Richard Kindersley. The First Russian Revisionists: A Study of Legal Marxism in Russia, Oxford University Press, 1962, 260p.
- Richard Pipes. Struve: Liberal on the Left, 1870-1905, Harvard University Press, 1970, xiii, 415p. ISBN 0-674-84595-1
- Arthur P. Mendel. Dilemmas of Progress in Tsarist Russia: Legal Marxism and Legal Populism, Harvard University Press, 1961, 310p.
2.2 Articles[modifier | modifier le wikicode]
- Lénine, Une critique acritique, 1899
- Theodore H. von Laue, Legal Marxism and the "Fate of Capitalism in Russia", The Review of Politics, janvier 1956
3 Notes[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ https://en.wikipedia.org/wiki/Free_Economic_Society
- ↑ Grigori Zinoviev, Histoire du Parti Bolchevik, 31 mars 1924
- ↑ Lénine, Lettre à sa mère et à son frère, 20 juin 1899
- ↑ Lenin, The Economic Content of Narodism and the Criticism of it in Mr. Struve’s Book, 1894
- ↑ Lenin, How the “Spark” Was Nearly Extinguished, September 1900