Situation révolutionnaire

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Une situation révolutionnaire est une phase historique dans laquelle la domination "normale" de la classe dirigeante est profondément déstabilisée.

1 Définition[modifier | modifier le wikicode]

Lénine a fait au détour d'un article en 1915[1] une définition d'une période révolutionnaire qui est devenu classique dans le mouvement communiste :

« Quels sont, d’une façon générale, les indices d’une situation révolutionnaire ? Nous sommes certains de ne pas nous tromper en indiquant les trois principaux indices que voici :
1) Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du "sommet", crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l’indignation des classes opprimées se fraient un chemin. Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas, habituellement, que «la base ne veuille plus» vivre comme auparavant, mais il importe encore que "le sommet ne le puisse plus".
2) Aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées.
3) Accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l’activité des masses, qui se laissent tranquillement piller dans les périodes "pacifiques", mais qui, en période orageuse, sont poussées, tant par la crise dans son ensemble que par le « sommet » lui-même, vers une action historique indépendante. »

Les situations révolutionnaires sont très souvent liées aux cycles économiques capitalistes, mais il n'y a aucun automatisme. Par exemple, la grande grève de Mai 68 est survenue dans une période de prospérité que le monde capitaliste n'avait jamais connue auparavant.

2 Situation révolutionnaire et révolution[modifier | modifier le wikicode]

Cette définition d'une situation révolutionnaire est objective, et Lénine précise qu'une telle situation est nécessaire à une révolution. Penser que la révolution est possible à n'importe quel moment serait une exagération du pouvoir de la volonté (subjectivisme).

« Sans ces changements objectifs, indépendants de la volonté non seulement de tels ou tels groupes et partis, mais encore de telles ou telles classes, la révolution est, en règle générale, impossible. C'est l'ensemble de ces changements objectifs qui constitue une situation révolutionnaire. » [1]

Dire qu'une telle situation est indépendante de la volonté des partis ne signifie pas que l'activité des partis n'a aucune influence sur la transition vers une période révolutionnaire. La crise actuelle fournit des bases objectives à une situation révolutionnaire, mais la très faible résistance des travailleurs stabilise la situation.

« Une situation révolutionnaire ne tombe pas du ciel, elle se forme dans la lutte des classes. Le parti du prolétariat est le plus important facteur politique quant à la formation d'une situation révolutionnaire. »[2]

Mais évidemment, il y a eu beaucoup plus de situations révolutionnaires que de révolutions : une situation révolutionnaire n'engendre pas automatiquement une révolution (ce qui serait une idée d'un matérialisme mécaniste caricatural). Plus généralement, c'est une erreur de penser que la crise objective suffira à faire gagner la révolution (objectivisme), erreur qui conduit souvent à de l'attentisme.

« Pour un marxiste, il est hors de doute que la révolution est impossible sans une situation révolutionnaire, mais toute situation révolutionnaire n’aboutit pas à la révolution. [...]  La révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs ci-dessus énumérés, vient s'ajouter un changement subjectif, à savoir : la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement (ou partiellement) l'ancien gouvernement, qui ne "tombera" jamais, même à l'époque des crises, si on ne le "fait choir". »[1]

3 Situation pré-révolutionnaire, situation transitoire[modifier | modifier le wikicode]

Gardes rouges italiens pendant le Biennio rosso

Il est important de s'intéresser toujours aux scénarios d'évolution de la situation plutôt qu'opposer de façon binaire situation non révolutionnaire et situation révolutionnaire.

« Dans le processus de l'histoire, on rencontre des situations stables tout à fait non-révolutionnaires. On rencontre aussi des situations notoirement révolutionnaires. Il existe aussi des situations contre-révolutionnaires (il ne faut pas l'oublier !). Mais ce qui existe surtout à notre époque de capitalisme pourrissant ce sont des situations intermédiaires, transitoires : entre une situation non-révolutionnaire et une situation pré-révolutionnaire, entre une situation pré-révolutionnaire et une situation révolutionnaire ou... contre-révolutionnaire. C'est précisément ces états transitoires qui ont une importance décisive du point de vue de la stratégie politique. »

Une période « pré-révolutionnaire » est une période où, sans que la paix sociale entre les classes soit obtenue, la bourgeoisie et son État parviennent à contenir la lutte de classes ; plus concrètement, ce peut être ou bien une période de montée effective de la lutte de classe, susceptible de déboucher sur une explosion révolutionnaire, ou bien, en un sens plus large, une période qui, d’un strict point de vue chronologique, précède une explosion révolutionnaire sans que, pour autant, la lutte de classe soit immédiatement ascendante. Manifestement, c’est dans ce second sens que, dans le Programme de transition de 1938, Trotski entend le terme, puisqu’il caractérise la période de « pré-révolutionnaire » tout en ayant parfaitement conscience du reflux de la lutte de classes dans l’immédiat, en cette période de défaite de la révolution en France et de liquidation sanglante de la révolution espagnole — mais aussi en cette veille de la Seconde Guerre mondiale, dont il pense qu’elle va déboucher rapidement (en quelques années, à l’image de la Première Guerre mondiale) sur la révolution mondiale.

Ernest Mandel évoque notamment comme situations pré-révolutionnaires l'Allemagne en 1918-1923, l'Italie en 1917-1920, la France en 1934-1936, l'Espagne en 1931-1936, la France en 1969-1970, l'Italie en 1975-1976, l'Espagne en 1975-1976, le Portugal en 1975.[3]

4 Les révolutionnaires les changements de périodes[modifier | modifier le wikicode]

Évaluer dans quel type de période on se trouve est essentiel pour définir la tactique et l'orientation. Maintenir une activité centrée sur l'appel à la révolution et des préparatifs armés dans une période non révolutionnaire, revient à une erreur gauchiste. A l'inverse, maintenir des appels au calme ou à participer à des élections dans des institutions discréditées par un double pouvoir révolutionnaire revient à une dérive droitière. Par exemple :

Évaluer une période est une chose complexe. Il est sans doute plus facile de remarquer le début d'une période révolutionnaire, où la colère populaire éclate souvent dans des formes inattendues, que sa fin, qui se fait souvent sous la forme d'un essoufflement progressif.

Il est inévitable que des débats surgissent entre militants sur l'analyse de la situation. Même entre révolutionnaires, des erreurs d'analyse peuvent arriver, d'autant plus personne n'a le tableau d'ensemble sous les yeux, mais toujours une partie seulement des éléments. C'est d'ailleurs un des intérêts principaux des organisations, de permettre de faire remonter différentes visions, afin de faire émerger en tant que résultante la ligne la plus juste possible.

Par ailleurs, il est certain que les franges réformistes du mouvement ouvrier ont une tendance à sous-estimer les possibilités révolutionnaires, et les franges révolutionnaires à les sur-estimer. Mais Lénine en faisait une fierté :

Un marxiste est le premier à prévoir l’imminence d’une période révolutionnaire, et il s’occupe de réveiller le peuple, il sonne les cloches à un moment où les philistins dorment encore du sommeil des fidèles sujets serviteurs de Sa Majesté. C’est pourquoi un marxiste est le premier à s’engager dans la voie de la lutte révolutionnaire directe… Un marxiste est le dernier à quitter la voie de la lutte révolutionnaire directe, il ne le fait qu’après avoir épuisé toutes les possibilités, lorsqu’il n’y a plus ombre d’espoir d’arriver au but par un chemin plus court, lorsqu’il devient véritablement inutile d’appeler les masses à préparer la grève, l’insurrection, etc. [5]

5 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. 1,0 1,1 et 1,2 Lénine, La faillite de la II° Internationale, 1915
  2. Trotski, Encore une fois, où va la France?, 1935
  3. Ernest Mandel, Actualité du Trotskisme, 1978
  4. Friedrich Engels, Quelques mots sur l'histoire de la Ligue des communistes, 18 octobre 1885
  5. Lenin, The Crisis of Menshevism, Proletary, No. 9, December 7, 1906