Qualification professionnelle

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La grande industrie a massivement déqualifié le travail par rapport à l'artisanat. Cependant, elle a en parallèle créé de nouveaux besoins de qualification.

La qualification des travailleur-se-s est l'ensemble de leurs savoir-faire mobilisables pour le travail. C'est un élément essentiel de l'augmentation de la productivité du travail.

1 La qualification dans l'histoire[modifier | modifier le wikicode]

Les anciennes corporations du Moyen-Âge assuraient à des artisans formés, selon des quotas stricts, un accès aux différents métiers.

La révolution industrielle a complètement bouleversé ce schéma.

1.1 L'effet de la révolution industrielle[modifier | modifier le wikicode]

La bourgeoisie a séparé le travailleur des moyens de production. Par conséquent, la qualification des travailleurs ne leur appartient plus en propre. Le savoir faire est totalement perdu si le travailleur n’est plus en face de sa machine que seul le capitaliste peut lui fournir. Vendeur de sa seule force de travail, il peut être utilisé par le capitaliste comme bon lui semble. Ce dernier peut ’injecter’ dans le travailleur une qualification en le mettant dans une situation où il devra réaliser des opérations complexes. Il peut au contraire faire d’un ancien artisan ou paysan le simple exécutant d’un ou deux gestes simples appris en quelques heures. Dans tous les cas, ce savoir faire, simple ou complexe, n’est pas la propriété du travailleur. Il est utilisé par le capitaliste mais n’est pas payé en tant que tel dans la mesure où il n’a pas d’équivalence dans le monde des valeurs d’échange. Seule la force de travail a une valeur d’échange, et en l’achetant, le capitaliste en obtient l’usage, dont la qualification est un élément gratuit.

Face à ce constat, Marx considère que l'industrie capitaliste nivelle les qualifications des travailleurs, et ne pousse donc pas l'analyse du travail qualifié. Dans son analyse du Capital, il écrit :

« [L]a valeur des marchandises représente purement et simplement le travail de l'homme, une dépense de force humaine en général. (...) C'est une dépense de la force simple que tout homme ordinaire, sans développement spécial, possède dans l'organisme de son corps. Le travail simple moyen change, il est vrai, de caractère dans différents pays et suivant les époques ; mais il est toujours déterminé dans une société donnée. Le travail complexe (skilled labour, travail qualifié) n'est qu'une puissance du travail simple, ou plutôt n'est que le travail simple multiplié, de sorte qu'une quantité donnée de travail complexe correspond à une quantité plus grande de travail simple. L'expérience montre que cette réduction se fait constamment. Lors même qu'une marchandise est le produit du travail le plus complexe, sa valeur la ramène, dans une proportion quelconque, au produit d'un travail simple, dont elle ne représente par conséquent qu'une quantité déterminée. . Les proportions diverses, suivant lesquelles différentes espèces de travail sont réduites au travail simple comme à leur unité de mesure, s'établissent dans la société à l'insu des producteurs et leur paraissent des conventions traditionnelles. Il s'ensuit que, dans l'analyse de la valeur, on doit traiter chaque variété de force de travail comme une force de travail simple. »[1]


« En examinant la production de la plus-value, nous avons supposé que le travail, approprié par le capital, est du travail simple moyen. La supposition contraire n'y changerait rien. Admettons, par exemple, que, comparé au travail du fileur, celui du bijoutier est du travail à une puissance supérieure, que l'un est du travail simple et l'autre du travail complexe où se manifeste une force plus difficile à former et qui rend dans le même temps plus de valeur. Mais quel que soit le degré de différence entre ces deux travaux, la portion de travail où le bijoutier produit de la plus-value pour son maître ne diffère en rien qualitativement de la portion de travail où il ne fait que remplacer la valeur de son propre salaire. Après comme avant, la plus-value ne provient que de la durée prolongée du travail, qu'il soit celui du fileur ou celui du bijoutier.


La distinction entre le travail complexe et le travail simple (unskilled labour) repose souvent sur de pures illusions, ou du moins sur des différences qui ne possèdent depuis longtemps aucune réalité et ne vivent plus que par une convention traditionnelle. C'est aussi souvent une manière de parler qui prétend colorer le fait brutal que certains groupes de la classe ouvrière, par exemple les laboureurs, sont plus mal placés que d'autres pour arracher la valeur de leur force de travail. Des circonstances accidentelles jouent même ici un si grand rôle que l'on peut voir des travaux du même genre changer tour à tour de place. Là où, par exemple, la constitution physique des travailleurs est affaiblie ou relativement épuisée par le régime industriel, des travaux réellement brutaux, demandant beaucoup de force musculaire, montent sur l'échelle, tandis que des travaux bien plus délicats descendent au rang de travail simple. Le travail d'un maçon (bricklayer) occupe en Angleterre un rang bien plus élevé que celui d'un damassier. D'un autre côté, le travail d'un coupeur (fustian cutter) figure comme travail simple, bien qu'il exige beaucoup d’efforts corporels et de plus qu'il soit très malsain. D'ailleurs il ne faut pas s’imaginer que le travail prétendu supérieur « skilled » occupe une large place dans le travail national. D'après le calcul de Laing, il y avait en 1843, en Angleterre, y compris le pays de Galles, onze millions d'habitants dont l'existence reposait sur le travail simple.


D'un autre côté, quand il s'agit de production de valeur, le travail supérieur doit toujours être réduit à la moyenne du travail social, une journée de travail complexe, par exemple, à deux journées de travail simple. Si des économistes comme il faut se sont récriés contre cette « assertion arbitraire », n'est ce pas le cas de dire, selon le proverbe allemand, que les arbres les empêchent de voir la forêt ! Ce qu'ils accusent d'être un artifice d'analyse, est tout bonnement un procédé qui se pratique tous les jours dans tous les coins du monde. Partout les valeurs des marchandises les plus diverses sont indistinctement exprimées en monnaie, c'est à dire dans une certaine masse d'or ou d'argent. Par cela même, les différents genres de travail, représentés par ces valeurs, ont été réduits, dans des proportions différentes, à des sommes déterminées d'une seule et même espèce de travail ordinaire, le travail qui produit l'or ou l'argent. »[2]

1.2 Une industrialisation de plus en plus complexe[modifier | modifier le wikicode]

Ce schéma est devenu plus complexe, en parallèle de la complexification de la production. Dans de nombreux cas l’industrie a besoin de travail qualifié ou très qualifié. Cette qualification ne peut pas être obtenue seulement en mettant l’ouvrier dans la situation complexe où il devra se former :

  • Les capacités d’acquisition de connaissances nouvelles seront fonction des dispositions physiques et mentales de l’ouvrier. Un temps de travail trop long, des cadences trop élevées, compromettent l’acquisition de nouvelles connaissances. Il en est de même des conditions de vie à l’extérieur de l’usine : Si celles ci sont trop pénibles (mauvais logement, mauvaise alimentation , mauvaises conditions de transports) l’ouvrier pourra être inapte à un travail complexe
  • Un certain niveau de formation initiale est une base indispensable à partir de laquelle des qualifications pourront être acquises. Des capacités d’abstraction permettant de comprendre un procédé technique à partir de symboles, l’aptitude à raisonner à partir de textes écrits, sont aujourd’hui un minimum requis pour des travaux parmi les moins qualifiés.

Ces deux conditions préalables à la qualification sont une cause de l’augmentation du prix de la force de travail : Le niveau de vie de la famille doit permettre aux travailleurs et travailleuses de reconstituer non seulement leurs capacités physiques mais aussi leurs capacités mentales, ce qui implique un temps de travail plus court et une certaine qualité de vie à l’extérieur du lieu de travail. Ils doivent pouvoir envoyer leurs enfants à l’école, cette dernière étant prise en charge par la collectivité. De ce point de vue signalons que le patronat, qui en assume directement ou indirectement les coûts cherche à la faire fonctionner selon ses besoins.

La qualification du travailleur entre donc aujourd’hui, contrairement au XIXe siècle, comme composante importante du coût de la force de travail. Le coût de cette force de travail est plus élevé car il inclut la qualification initiale et une certaine marge d’adaptabilité mentale. Il n’en reste pas moins équivalent au coût de reproduction de ce type là de travailleur. Au même titre que la valeur de n’importe quelle marchandise correspond à la quantité de travail socialement nécessaire pour produire une marchandise équivalente, la valeur de la marchandise ’force de travail’ correspond à la quantité de travail socialement nécessaire pour créer une force de travail équivalente (pour lui fournir nourriture, logement, éducation...). Ce prix , cette valeur marchande n’a pas de rapport direct avec sa valeur d’usage, ce qui a pour conséquence que :

  • Le prix du travail qualifié diminue au fur à mesure qu’augmente l’efficacité de la fabrication du travailleur qualifié (dont l’efficacité de l’éducation de masse est une composante importante). Il s’agit du même processus qui fait diminuer tendanciellement le prix des circuits intégrés dans l’industrie électronique grâce à l’amélioration des procédés de fabrication. Dans une grande industrie chimique comme Rhône Poulenc, le même coefficient de la convention collective correspond à la qualification d’un titulaire de CAP embauché dans les années 50, d’un bac technique embauché en 1970 et d’un technicien supérieur (bac + 2 ans d’études spécialisées) embauché aujourd’hui.
  • Les patrons tendent à se débarrasser de la force de travail produite aux époques antérieures dans des conditions de moindre qualification pour la remplacer, à un coût équivalent, par de la force de travail plus récente donc plus qualifiée. Cet comportement reproduit pour la main d’œuvre le mécanisme par lequel les machines obsolètes, résultat d’un niveau technologique dépassé, sont remplacées avant la fin de leur usage (Pour le matériel, le terme économique consacré est « usure morale »). C’est une des explications de l’incitation publique à la mise à la retraite anticipée et du chômage chronique des plus de 50 ou 55 ans.

La classe capitaliste s’approprie donc pour un prix stable ou augmentant faiblement, une qualification de plus en plus grande. Tel est le mouvement actuel, à mettre en parallèle avec celui initié dès les débuts du capitalisme, par lequel elle s’appropriait pour un prix donné des moyens techniques de plus en plus complexes. C’est un élément des forces productives totales de la société dont la maîtrise revient là aussi exclusivement au capitaliste.

Les pronostics de Marx sur l’avenir du prolétariat en terme de paupérisation et de déqualification sont pour partie infirmés. Mais les catégories qu’il a élaboré pour décrire le renouvellement et le paiement de la force de travail permettent de décrire la situation actuelle.

L’amélioration de la productivité du travail telle que nous venons de la décrire est équivalente à l’appropriation gratuite des forces productives par le capital. C’est une expropriation du travail :

« Dans la mesure où le machinisme se développe en même temps que s’accumulent la science et les forces productives de la société, ce n’est plus dans le travail, mais dans le capital que se manifeste l’ensemble de l’activité sociale. Les forces productives de la société se mesurent au capital fixe, qui est leur matérialisation ; inversement la force productive du capital se développe grâce au progrès général que le capital s’approprie gratuitement. (...) Dans le machinisme, le savoir est pour le travailleur quelque chose d’étranger, d’extérieur, et, tandis que le travail vivant est subordonné au travail matérialisé qui agit en toute indépendance, le travailleur, pour autant que son labeur n’est pas exigé par les besoins du capital, devient superflu. » (Principes d’une critique de l'économie politique, p. 301)

« toutes les forces du travail sont transposées en forces du capital : dans le capital fixe, la force productive du travail (projetée hors de lui et existant indépendamment de lui en tant que matière). Et dans le capital circulant, il y a encore ceci : d’une part l’ouvrier s’est lui même imposé les facteurs de la répétition de son travail, et, d’autre part l’échange de son travail est médiatisé par le travail coexistant d’autrui.'»

Nous pouvons tirer de ce chapitre deux conclusions complémentaires :

Les forces productives sont, dans le mode de production capitaliste, toujours pensées à travers un rapport Capital - Travail, et du mouvement d’expropriation qui les fait passer en permanence du travail au capital.

Les forces productives qui fonctionnent dans le monde des valeurs d’usage sont durables. Une fois acquises (en grande partie gratuitement) par le capital, elles ne subissent pas d’érosion comme les machines ou les matières premières dont la valeur est totalement incorporée au produit final et qui disparaissent physiquement dans le mouvement par lequel leur valeur se transmet. Les forces productives sont héritées des générations passées comme valeur d’usage gratuite et elles seront transmise aux générations futures : Les forces productives acquises dans le monde féodal ont été en grande partie mises en œuvre par le capital qui pourra (sauf effondrement de la civilisation) les transmettre à un système social ultérieur.

1.3 Qualification et syndicalisme[modifier | modifier le wikicode]

Photo d'allumettières en grève, avec des symptômes précoces d'ostéonécrose de la mâchoire

Depuis le début de l'histoire du mouvement ouvrier, il y a une tendance à ce que les secteurs les plus qualifiés soient les plus syndiqués. Il y a même eu régulièrement, et il y a encore, une tendance des syndicats à négliger, voire à mépriser les secteurs les moins qualifiés. Plus les syndicats sont corporatistes, plus ils cèdent à cette tendance. Plus ils se tiennent au principe de la lutte des classes, plus ils la combattent.

La grève des ouvrières des manufactures d’allumettes à Londres en 1888 fut la première menée par des ouvrières sans qualification.

2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

ESSF, Forces productives et progrès dans la pensée de Karl Marx, 1992