Réforme agraire

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Manifestants demandant une réforme agraire en Indonésie (2004)

Une réforme agraire est un partage des terres cultivables (ou redécoupage, redistribution des terres), en les confisquant aux anciens propriétaires, la plupart du temps de grands propriétaires terriens, souvent nobles. C'est une des principales revendications de la paysannerie pauvre.

Étant donné qu'elles sont le plus souvent en contradiction avec le droit de propriété, les réformes agraires sont souvent allées de pair avec de grands changements sociaux (pendant la révolution française de 1789, la révolution russe de 1917...).

1 Premières réformes agraires[modifier | modifier le wikicode]

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1.1 Jubilé[modifier | modifier le wikicode]

Au cours du 1er millénaire av. JC, les hébreux connaissent un développement économique, qui tend à faire naître des inégalités et en leur sein. L'établissement de règles morales pour limiter ces inégalités transparaît dans la Bible hébraïque.[1] Dans le Deutéronome (environ 7e s. av. JC), il est écrit que les dettes doivent être annulées tous les 7 ans et les terres rendues à leurs anciens propriétaires.[2]

Comme cette règle est trop peu appliquée, le Lévitique la réaffirme en l'assouplissant, en instituant le « jubilé » tous les 50 ans. Le jubilé s'inspire des grandes fêtes qu'organisaient les pharaons pour les 30 ans de leur règne. Jésus Christ, avant de devenir la figure fondatrice du christianisme, est également un prophète juif réaffirmant l'importance du jubilé (Cf. Lc. 4, 16-21).

La référence au jubilé se retrouvera à de nombreuses reprises jusqu'à aujourd'hui dans les cultures juives et chrétiennes, les conservateurs tendant à la réduire à la tradition pharaonique dépolitisée (par exemple le roi George III souhait organiser un jubilé pour les 50 ans de son règne), et les millénaristes en faisant une revendication égalitariste.

1.2 Antiquité greco-romaine[modifier | modifier le wikicode]

Dans la Grèce antique, un partage des terres nommé anadasmos avait parfois lieu. L'un des premiers à l'avoir pratiquée était Clisthène de Sicyone. Il visait à abolir la domination des grands propriétaires.

Dans la Rome Antique, la question agraire mise à plat par la Lex Sempronia agraria proposée par les Gracques (Tibérius et Caius Sempronius Gracchus) entraîna des guerres sociales et politiques.

2 Réformes agraires modernes[modifier | modifier le wikicode]

Les révolutions démocratiques-bourgeoises qui ont été réellement des révolutions populaires ont mobilisé les paysans contre les seigneurs, et donc ont conduit à des partages de leurs domaines. En revanche certaines révolutions bourgeoises « par en haut », réalisées par compromis entre bourgeoisie et noblesse, n'ont pas réalisé de réforme agraire.

La réforme agraire était une revendication du mouvement communiste de la IIIe internationale, sur le modèle de la révolution russe de 1917. A partir du 19e et du 20e siècle, c'est le plus souvent dans le cadre de mouvements de décolonisation que des réformes agraires sont réalisées. De nombreux régimes post-coloniaux (dont un certans nombre dirigés par des Partis communistes staliniens) ont réalisé des réformes agraires.

2.1 Afrique[modifier | modifier le wikicode]

  • Afrique du Sud : la réforme agraire était l'une des promesses faites par l'ANC lorsqu'il vint au pouvoir en 1994. Initialement le système était basé sur un système de prix équitable, la terre était achetée par le gouvernement et redistribuée. Néanmoins, tout récemment, le gouvernement a annoncé qu'il commencera à utiliser le processus d'expropriation avec compensation.
  • Namibie : une réforme agraire limitée lors du régime de Sam Nujoma. législation passée en 1994.
  • Zimbabwe : efforts très controversés de réformes agraires, passant d'un système de compensation à l'expropriation totale; souvent semble-t-il aux bénéfices des proches du gouvernement.

2.2 Amérique latine[modifier | modifier le wikicode]

  • Bolivie : la révolution de 1952 fut suivie par une loi de réforme agraire, mais finalement dans les années 1970, seulement 45 % des familles de paysans avaient reçu un titre pour la terre. Sous la présidence d'Evo Morales, une loi agraire, objet d'un vif rejet de la droite du pays, a été votée et promulguée le 29 novembre 2006. Elle prévoit l'« expropriation des terres » qui « ne servent pas une fonction socioéconomique juste »[3].
  • Brésil : dans les années 1930, le président Getúlio Vargas renie une promesse de réforme agraire. Actuellement forte campagne du mouvement des sans-terre depuis les années 1990. Actuellement (mars 2013), plus de 150 000 familles vivent dans des campements, dans l’attente de terres. Parmi celles-ci, 90.000 sont membres du Mouvement des Sans Terre. Sous le gouvernement de Dilma Rousseff seules 31 nouvelles zones ont été expropriées, soit seulement 72 000 hectares. Pendant ce temps, plus de 309 millions d’hectares de terres sont tombés sous le contrôle de l’agro-industrie[4]. D'importants secteurs de l'agriculture brésilienne sont organisés en grandes exploitations (fazendas), mécanisés, utilisent des engrais chimiques, exportent largement. Le Brésil n’est pas seulement le deuxième pays pour la concentration de la terre dans le monde, devancé seulement par le Paraguay, mais aussi le plus grand consommateur de pesticides, pour la 5e année consécutive en 2013. Le Brésil consomme 19% de l’ensemble des produits agrochimiques produits dans le monde. Cette utilisation excessive des pesticides empoisonne la production de la nourriture et l’eau. Selon l’Agence Nationale de Surveillance Sanitaire (ANVISA), 30% des aliments consommés par les brésiliens sont impropres à la consommation par excès de pesticides[4].
  • Chili : les tentatives de réforme agraire commencèrent sous le gouvernement de Jorge Alessandri en 1960, et furent soutenues sous Eduardo Frei Montalva(1964-1970) pour atteindre leur apogée entre 1970-1973 sous la présidence de Salvador Allende. Les fermes de plus de 80 hectares étaient expropriées. La plupart de ces terres n`étaient pas exploitées. Ce processus fut arrêté net par le coup d'État de 1973.
  • Colombie : Alfonso López Pumarejo (1934-1938) promulgua la loi 200 de 1936, qui autorise les expropriations de propriétés privées pour promouvoir l'intérêt social. Les tentatives ultérieures diminuèrent jusqu'aux présidences de Alberto Lleras Camargo (1958-1962) et Carlos Lleras Restrepo (1966-1970) qui créèrent l’Institut colombien pour la réforme agraire (INCORA) et des droits élargis des terres. Rien qu'en 1968 et 1969, INCORA délivra plus de 60 000 titres de propriété aux fermiers et travailleurs. Ce processus fut arrêté et la situation commença à s'inverser suite aux réactions violentes des narco trafiquants, des paramilitaires et de la guérilla, sans oublier les grands propriétaires terriens opportunistes. Cela inversa le processus, contribua à une nouvelle concentration des terres et aux déplacements des petits propriétaires terriens. Dans les années 2000, les plans et tentatives du gouvernement d'utiliser les terres légalement expropriées des cartels des trafiquants n'a pas entraîné beaucoup d'améliorations.
  • Costa Rica : années 1990
  • Cuba : la réforme agraire était dans les plans prioritaires de la plateforme révolutionnaire de 1959. Presque toutes les grandes propriétés furent saisies par l'INRA (Institut national pour la réforme agraire), qui établit toutes les réglementations ; Un plafond de 67 hectares fut établi et aux locataires furent donnés les pleins droits de propriété. Après la chute de l'URSS, Cuba s'est retrouvé dans une situation catastrophique en matière alimentaire et a été contraint de transformer à l’échelle du pays une agriculture intensive et productiviste en agriculture extensive et biologique, ainsi que de relocaliser l’économie.
  • Guatemala : réforme agraire durant les « 10 ans de printemps » (1944-1954). En 1952, le Congrès guatémaltèque adopte le Décret 900, ou l'Acte de réforme agraire (sous les gouvernements de Juan José Arévalo et Jacobo Arbenz) qui oblige les riches propriétaires fonciers à payer des impôts et qui force la United Fruit Company à céder une partie importante de ses terres en friche (ou inutilisées) aux paysans.
  • Mexique : Une loi de réforme agraire, le Plan d'Ayala, a été promulguée le 25 novembre 1911 en pleine Révolution mexicaine, sous l'impulsion principale d'Emiliano Zapata. En 1917, la réforme agraire est inscrite dans la Constitution mexicaine. Elle met en avant le principe de restitution des terres aux communautés villageoises, spoliées après les lois de la Réforme (1857) de Benito Juárez et plus encore pendant le Porfiriat. Toutefois, la petite paysannerie sans terre métisse, majoritaire, bénéficie très peu de cette première loi et la redistribution des terres reste modérée. L'arrivée au pouvoir de Lázaro Cárdenas del Río en 1934 va donner un coup d'accélérateur au processus, avec le nouveau Code agraire qui fixe le principe de dotation foncière en plus de la restitution : on donne alors des terres à tous ceux qui n'en ont pas. Ce don prend le nom d'ejido, la terre restant propriété de la nation et les paysans n'ayant qu'un droit d'usufruit sur elle. La fin de la réforme agraire a été proclamée en 1992 dans le cadre d'une nouvelle loi qui a mis en place les bases d'une privatisation des ejidos dans le but de les rendre plus productifs. Plus de la moitié du territoire national a été donné sous forme d'ejidos durant la réforme agraire, mais de façon très inégale selon les différents états du pays. En 2008 le manque de terre arables rendrait difficiles de nouvelle distributions et la faible surface qui pourrait être attribuée à chaque nouveau propriétaire ne lui permettrait plus de vivre décemment de son travail.
  • Nicaragua : sous Somoza, l'IAN, (« Instituto Agropecuario Nicaragüence ») distribua des lots de terre vierge de la région atlantique, sans toucher à la structure des grandes propriétés, c'est surtout une mesure d'apaisement des conflits sociaux. En 1981 l'État sandiniste proclame la première loi de réforme agraire : on confisque les latifundia insuffisamment exploitées, qui sont ensuite gérées par des entreprises étatiques ou des coopératives de production[5]
  • Pérou : la réforme agraire dans les années 1950 élimina largement un système d'un siècle de peonage[6]. En 1968, une autre réforme est menée après le coup d'État de l'aile gauche du colonel Juan Velasco Alvarado. Durant les premières années du gouvernement de Alberto Fujimori (1988-1995), une autre réforme agraire menée par Hernando de Soto et l'Institut pour la liberté et la démocratie, dans les efforts pour contrer la guérilla du Sentier lumineux.
  • Venezuela : Hugo Chávez décrète le Plan Zamora pour redistribuer les terres du gouvernement et les terres privées inutilisées aux paysans qui en ont besoin. De 1999 à mars 2013, le gouvernement vénézuélien a remis plus d’un million d’hectares de terres aux peuples indigènes du pays et la réforme agraire a permis à des dizaines de milliers de paysans de posséder leurs terres. Au total, plus de 3 millions d’hectares de terres leur ont été remis. Alors qu’en 1999, le Venezuela ne produisait que 51% des aliments qu’il consommait, en 2012 la production est de 71%. En janvier 2013 la FAO (Organisation de l’ONU pour l’Agriculture et l’Alimentation) a félicité le Venezuela pour le succès de sa politique de souveraineté alimentaire[4].
  • Belize : entre 1783 et 1790, dans une colonie britannique dans l'actuel Belize, Edward Despard est nommé surintendant, et décide de répartir les terres par loterie, en ne faisant "aucune distinction d'âge, de sexe, de caractère, de respectabilité, de propriété ou de couleur".

2.3 Amérique du Nord[modifier | modifier le wikicode]

  • Île-du-Prince-Édouard (Canada) : une réforme agraire est incluse dans l'accord de l'Île-du-Prince-Édouard pour joindre la confédération canadienne dans les années 1870. La plupart des terres appartenaient à l'aristocratie anglaise, qui est absente du pays. Le Canada s'engagea à racheter la terre et à la donner aux fermiers.

2.4 Asie[modifier | modifier le wikicode]

  • En Chine c'est le le Parti communiste qui lancé une série de réformes agraires :
    • Dès 1946, pendant la guerre civile, le PCC réalise le partage des terres dans les régions qu'il contrôle. Ce sera une des principales raisons du fort soutien populaire qu'il recevra, en comparaison aux nationalistes. Les grands propriétaires furent expropriés de leurs terres, alors redistribuées afin que chaque foyer dans chaque village rural ait une possession comparable. Cette révolution agraire fut rendue célèbre à l'Ouest par le livre de William Hinton Fanshen. Cependant de nombreux petits paysans héritent de sols incultivables ou de petits lopins de terre, quand des dignitaires du Parti s'en octroient de plus grandes.
    • au milieu des années 1950, une seconde réforme agraire obligea les exploitants isolés à se joindre en collectifs, qui à leur tour étaient regroupés en communes populaires, sous contrôle centralisé des droits de propriétés et principe égalitaire de redistribution. Cette réglementation fut globalement un échec en termes de production. À l'évidence, la RPC commença à inverser le processus dans les années 1960.
    • fin des années 1970 : une troisième réforme agraire est ré-introduite avec un contrat sur base familiale, appelé le système de responsabilité de propriété. Cette réforme eut un énorme succès initialement suivi par une période de relative stagnation.


  • Inde : avec les taxes et régulation de la période de domination britannique (Raj britannique), à l'indépendance, l'Inde hérita d'un système agraire semi-féodal avec une propriété des terres concentrée dans les mains de peu de propriétaires (système des Zamindars). Avec l'indépendance, il y eut des réformes volontaires, initiées et régies par le gouvernement dans plusieurs États de l'Inde. La plus notable et la plus réussie est l'exemple de l'État du Bengale occidental. Tenant sa promesse de réforme après son accession au pouvoir, le parti communiste indien commença des réformes graduelles. Le résultat fut une distribution équitable de la terre parmi les paysans sans terre. Au Kerala la réforme eut peu de succès. Par ailleurs, il convient de mentionner l'important mouvement de distribution et collectivisation volontaire et non-violente de terres agricoles, initié par Vinoba Bhave, un disciple de Gandhi. Ce mouvement parvint, entre 1951 et le milieu des années 1970 à redistribuer, de manière non-autoritaire, l'équivalent de la superficie de la France.
  • Japon : après la Seconde Guerre mondiale l'occupation par les États-Unis amena une réforme agraire.
  • Philippines : Programme global de réforme agraire voté en 1988
  • Taïwan : après la Seconde Guerre mondiale Tchang Kaï-chek dirigea une réforma agraire sous l'insistance des EU. Cette réforme fut facilitée par le fait que beaucoup des propriétaires terriens étaient des japonais qui avaient fui, et par le fait que le Kuomintang était largement originaire du continent et avait peu d'attaches avec les propriétaires dans l'île.

2.5 Moyen-Orient[modifier | modifier le wikicode]

  • Égypte : une réforme agraire en deux étapes : promulguée en septembre 1952 (limitation de la propriété foncière à 84 ha par individus et 126 ha par famille), puis une seconde vague en 1961 qui réduit la propriété foncière maximale à 42 ha par famille. Cette réforme a depuis été largement déconstruite.
  • Iran : une réforme agraire significative faisait partie de la dénommée Révolution blanche du shah en 1963. Presque 90 % des Iraniens travaillant comme métayers sont devenus propriétaires de leurs terrains.
  • Irak : 1970
  • Syrie : 1963, largement déconstruite depuis

2.6 Europe[modifier | modifier le wikicode]

  • Écosse : l'acte de réforme agraire (Land Reform Act) passé en 2003. Il met un terme à la légitimité historique des lois féodales et crée un cadre pour les droits des communautés rurales à acheter les terres de leur voisinage[7].
  • Estonie et Lettonie : en 1918–1919, lors de l'établissement de leurs états, expropriation des grands domaines de propriétaires allemands baltes.
  • Finlande : en 1918, la guerre civile a abouti à une série de réformes agraires.
  • France : sous le Directoire, durant les dernières phases de la Révolution française eut lieu une large et durable réforme agraire. Depuis 1960, les SAFER exercent une forme de réforme agraire progressive, en intervenant sur le marché foncier agricole.
  • Hongrie : en 1945 toute propriété plus grande que 142 acres était expropriée sans compensation et redistribuée aux paysans. Dans les années 1950, la propriété collective fut introduite selon le modèle soviétique mais après 1990, les coopératives furent dissoutes et la terre redistribuée à des petits cultivateurs.
  • Irlande : après la Grande famine, la réforme agraire devint le sujet crucial en Irlande, où presque toutes les terres étaient propriétés de l'aristocratie anglaise. Le parlement irlandais fit campagne dans l'indifférence à la chambre des communes (Londres). Les réformes commencèrent vers 1870 et durèrent 50 ans.
  • Pologne : plusieurs occasions de réforme agraire. La plus importante inclut les réformes de la 2e république (1919, 1921, 1923, 1925 et 1928) et la réforme agraire de 1944 durant la république populaire de Pologne.
  • Roumanie : après des essais infructueux de réformes par Mihail Kogalniceanu dans les années qui suivirent l'unification roumaine (1863), une réforme agraire significative eut lieu en 1921.
  • Russie impériale : réforme Stolypine
  • Suède : presque non violemment, obtention de régulation d'un minimum de durée de contrats de 25 ans pour les exploitants locataires

3 Politique et perspective communiste[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Premières utopies[modifier | modifier le wikicode]

De nombreuses révoltes paysannes débouchant sur des réformes agraires ont eu lieu dans l'histoire. Mais comme toujours, après la tempête, le processus de concentration des terres se reproduit inexorablement. C'est pourquoi ce type de mesure ne peut apporter qu'un soulagement de court terme aux malheurs de la petite paysannerie.

Certains utopistes ont perçu ce problème et ont envisagé une solution plus radicale : instaurer la collectivisation des terres, avec le travail aussi bien que la jouissance en commun des fruits du travail. Mais ces utopies proto-communistes n'ont été que très peu mises en pratique, tout au plus dans quelques petites communautés idéales, peu durables.

3.2 Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Dans l'analyse marxiste, il y a l'idée que les révoltes paysannes du passé, aussi légitimes soient-elles, ne pouvaient aller au delà des limites du mode de production dans lequel elles prenaient place. La seule aspiration des paysans pauvres et des paysans sans terres étaient la réforme agraire, avec un rêve inatteignable mais entretenu de société harmonieuse de petits producteurs. Avec le bouleversement de la révolution industrielle en revanche, ce rêve est de moins en moins présent. La prolétarisation massive de la paysannerie et l'industrialisation de l’agriculture tend à réduire celle-ci à un secteur économique comme un autre, largement interdépendant du travail de l'ensemble de la société. Cette transformation engendrée par le capitalisme s'est faite au prix d'énormes souffrances sociales, mais elle permet aussi, à présent, d'envisager une sortie par le haut : la collectivisation des grandes exploitations agricoles (des moyens de production comme les autres) au profit de la société, au moyen d'une révolution impliquant la classe ouvrière.

L'objectif des communistes modernes n'est donc pas la réforme agraire, qui ne fait que retarder le développement agricole sans apporter de véritable solution sociale. Toutefois, le plus important à court terme étant l'alliance du prolétariat et de la paysannerie, cela devrait être fait non par la contrainte, mais par la persuasion, comme l'indiquait Engels :

« Lorsque nous serons au pouvoir, nous ne pourrons songer à exproprier par la force les petits paysans (que ce soit avec ou sans indemnité), comme nous serons obligés de le faire pour les grands propriétaires fonciers. Notre devoir envers le petit paysan est, en premier lieu, de faire passer sa propriété et son exploitation individuelles à l'exploitation coopérative, non en l'y contraignant, mais en l'y amenant par des exemples et en mettant à sa disposition le concours de la société. »[8]

3.3 Révolution russe (1917)[modifier | modifier le wikicode]

La nuit du 6-7 novembre (a.s : 25 octobre), les bolchéviks devenus majoritaires dans les soviets renversent le gouvernement provisoire de Kerensky, et s'en remettent au 2ème congrès des soviets réuni le 7. Celui-ci approuve l'insurrection, créé un nouveau gouvernement, et prend les premières mesures révolutionnaires tant attendues.

La propriété privée du sol est abolie, et le pouvoir soviétique déclare que la terre appartient à ceux qui la cultivent. Il reconnaît ainsi le partage que les paysans ont réalisé eux-mêmes. Certains bolchéviks regrettent que le partage ait parfois morcelé des terres qui auraient pu être exploitées de façon collective (en 1921, le parcellaire est très morcelé avec près de 24 millions d'exploitations). Mais pour Lénine, non seulement il n'y a pas le choix, mais la priorité est que la lutte de classe de la paysannerie aille jusqu'au bout :

« Nous ne pouvons ignorer la décision de la base populaire, quand bien même nous ne serions pas d’accord avec elle... Nous devons donner aux masses populaires une entière liberté d’action créatrice... En somme, et tout est là, la classe paysanne doit obtenir la ferme assurance que les nobles n’existent plus dans les campagnes, et il faut que les paysans eux-mêmes décident de tout et organisent leur existence. »

Le décret sur la terre prévoit cependant que les grands domaines ne seront pas partagés en petites parcelles mais devront être cultivés de façon collective. Les bolchéviks chercheront à encourager les paysans à se regrouper en coopératives (Kolkhozes) ou entreprises d'Etat (Sovkhozes).

Conscients donc qu’ils ne pourraient gouverner sans l’appui des masses rurales, l’immense majorité du pays, les bolcheviks convoquent du 10 au 16 novembre un congrès paysan. Malgré une majorité SR hostile aux bolcheviks, ce dernier ratifie le décret sur la terre et apporte son soutien au nouveau gouvernement, consacrant l’union provisoire entre le prolétariat urbain et la paysannerie.

L'objectif des bolchéviks restait de réaliser progressivement et pacifiquement la collectivisation, par l'incitation et par la démonstration de la supériorité de la coopération. Ce processus va cependant piétiner sur place, car l'économie russe était en grande difficulté suite à la guerre civile, et la NEP a favorisé le petit capital paysan (koulaks) à la campagne. Finalement, après avoir laissé la situation se dégrader sans réaction, le régime stalinien opère un brusque tournant à la fin des années 1920 en collectivisant de façon bureaucratique.

4 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Isabelle Ponet, La remise des dettes au pays de Canaan au premier millénaire avant notre ère, CADTM, 2017
  2. Bible.com, Deutéronome 15
  3. Roger Burbach, « Bras de fer entre Evo Morales et l'opposition », Courrier international, n°841, 14 décembre 2006, p. 28. Initialement publié dans America Latina en Movimiento.
  4. 4,0 4,1 et 4,2 A Brasilia le campement paysan national A Brasilia le campement paysan national « Hugo Chavez » exige la reprise de la réforme agraire, 23 mars 2013
  5. dans le site de la FAO, aperçu du Nicaragua
  6. péonage : service obligatoire rendu en paiement d'une dette
  7. Land Reform (Scotland) Act 2003 (asp 2)
  8. Friedrich Engels, La question paysanne en France et en Allemagne