Groupe trotskiste vietnamien en France

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« Travailleurs indochinois » du camp de Sorgues vers 1942

Un groupe trotskiste vietnamien assez conséquent fut constitué pendant la Seconde guerre mondiale parmi la main d’œuvre importée de force d’Indochine par la France.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Le trotskisme au Vietnam[modifier | modifier le wikicode]

Le Parti communiste indochinois est fondé en 1930 à Hong Kong par les réseaux du Komintern et en particulier du Parti communiste chinois. Il sera dirigé par Nguyên Ai Quôc (Hô Chi Minh).

Tạ Thu Thâu lors de son arrestation en 1930

L’Opposition de gauche s’y était constituée dès 1929-1930 parmi les étudiants vietnamiens qui avaient fait « le voyage de France » comme disaient alors ceux qui pouvaient venir terminer leurs études dans les universités françaises. Au contact des oppositionnels en France, ces étudiants avaient été marqués par les critiques de Trotski, en particulier sur la ligne politique catastrophique du Komintern en Chine (l’alliance jusqu’auboutiste avec le Kuomintang). Parmi eux, Ta Thu Thâu, qui sera expulsé en 1930 à la suite d’une manifestation qu’il avait organisé le 24 mai devant l’Élysée pour protester contre les condamnations à mort des révoltés de Yen Bay. À Saigon, il deviendra la figure emblématique du trotskisme vietnamien et sa popularité dépassa largement les frontières de son mouvement. Aux élections municipales de 1939, il obtint 80 % des voix. Un autre groupe trotskiste, le Groupe octobre, était quant à lui très bien implanté dans le syndicat des transports de Saigon.

1.2 Le trotskisme en France[modifier | modifier le wikicode]

La situation des trotskistes pendant la guerre est d’autant plus difficile qu’ils sont peu nombreux, qu’ils sont divisés en deux organisations (le Parti ouvrier internationaliste et le groupe Barta), qu’ils sont poursuivis aussi bien par Vichy que par les nazis, beaucoup ont été arrêtés et déportés. En outre, ils doivent être extrêmement prudents vis-à-vis des staliniens qui les calomnient à outrance, les qualifiant notamment « d’hitléro-trotskistes » depuis les procès de Moscou de 1936 à 1938, et qui n’hésitent plus à les assassiner dans le contexte d’exacerbation de violence de la guerre.

1.3 La Seconde guerre mondiale[modifier | modifier le wikicode]

Pendant la Seconde guerre mondiale, la France s’est appuyé sur son empire colonial pour soutenir son effort de guerre. L’Indochine en faisait partie[1]. Près de 25.000 công binh, ouvriers, et chiên binh, tirailleurs indochinois, qui furent réquisitionnés dès 1939[2]. Les autorités français les rangeaient dans la catégorie ONS (Ouvriers non spécialisés), et surtout les rangeaient dans des camps, qui existeront jusqu'en 1952.[3] On les appelait aussi les Linh Tho (travailleurs soldats)[4].

Quelques tentatives de créer des associations parmi ces ONS avaient déjà existé à Marseille. En 1940 dans le camp des Baumettes (en fait, la prison qui servait de cantonnement aux ONS) des interprètes avaient créé l’Association mutuelle des ONS Indochinois Tuong binh Tuong tê dans un but d’entraide. Une seconde tentative eut lieu en 1942-1943 au camp de Mazargues avec la création d’un autre mouvement Hop Quân (S’unir).

Cette masse déracinée, encline à la révolte vu sa situation, intéressait beaucoup de camps politiques.

Par ailleurs en septembre 1940, le Japon envahit l'Indochine française. En mai 1941, les staliniens créent le Việt Minh, un front indépendantiste et anti-japonais qu'ils dirigent.

2 Constitution du groupe[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Premières diffusions[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la guerre éclate en 1939, les trotskistes vietnamiens en France ne sont que trois ; parmi eux un élève ingénieur Hoàng Dôn Tri, dit Pierre. C’est le seul qui a un peu d’expérience et de formation politique : au Viêt Nam il avait été l’élève de Ta Thu Thâu avec lequel il avait milité au sein du groupe La Lutte. Mis au courant de la présence de plusieurs milliers de leurs compatriotes ONS, ils rentrèrent en contact avec eux à partir de fin 1941-début 1942 par l’intermédiaire d’interprètes qui avaient déserté les camps de la « zone libre » où une misère extrême sévissait.

Un article du 20 janvier 1942 du journal clandestin La Vérité « Organe central des Comités Français pour la IVe Internationale » dénonçait la situation révoltante des « Indochinois victimes de l’Impérialisme français ». Certains de ces déserteurs avaient rencontré des militants trotskistes dont Claude Bernard dit Raoul membre du Comité Communiste Internationaliste, une des deux organisations se réclamant de la IVe Internationale. Hoang Khoa Khoi[5] racontait :

« Nous étions quelques interprètes à avoir déserté, cela nous était plus facile qu’à d’autres car nous parlions français. Nous vivions dans la banlieue parisienne où les contrôles étaient moins stricts que dans la capitale. Un jour, un de nos camarades nous dit avoir rencontré un “ communiste ” ; par la suite il nous fut présenté. Nous étions très impressionnés en particulier parce qu’il avait un livre de Karl Marx dans la poche, ce qui, à l’époque, nous semblait très téméraire ! Nous étions aussi étonnés de l’entendre critiquer Staline et il nous expliqua la politique de la IVe Internationale. Par la suite nous rencontrâmes un camarade vietnamien à qui nous avons expliqué la situation lamentable et révoltante qui existait dans les camps des ONS indochinois. Il fut alors décidé d’intervenir dans les camps au moyen de tracts »[6]

D’autres désertions furent organisées par le Groupe.

Malgré toutes les difficultés de la situation, les trotskistes se fixent comme objectif d’organiser les « masses indochinoises des camps ». En 1943, un premier tract du Groupe Bolchevick Léniniste Indochinois (G.B.L.I.) « en immigration en France » est distribué dans les camps de travailleurs. Il expliquait la nécessité de l’union des vietnamiens et du « prolétariat français » pour aboutir à l’indépendance du Viêt Nam. Par ailleurs, il mettait en garde contre De Gaulle résistant certes mais représentant de la bourgeoisie, militaire et réactionnaire. Une première cellule bolchevique-léniniste se mit en place avec deux ingénieurs et quatre interprètes déserteurs. Comme le disait alors un des protagonistes « à partir de cette date le mouvement trotskiste “racinait” dans les camps ONS ».

2.2 Contre tout impérialisme[modifier | modifier le wikicode]

Les staliniens ne menaient plus vraiment de travail anticolonial en France, depuis 1935 et leur tournant vers le réformisme et le nationalisme pour s'adapter au Front populaire. C'était encore plus vrai pendant la guerre après la rupture Hitler-Staline : il ne fallait rien faire contre le camp des Alliés, et donc surtout pas risquer d'affaiblir les Français et les Anglais en sapant leurs colonies.

De son côté, le camp nazi s'affaiblissait militairement et cherchait à recruter des troupes parmi les sujets coloniaux des Alliés, leur faisant miroiter les avantages qu’ils auraient à collaborer avec le Reich « ennemi de l’impérialisme français et britannique ». Ils tentent de recruter sur le mode de la légion indienne de Shandra Bose, une légion indochinoise et nord-africaine au sein de l’émigration en France. De fait, plusieurs centaines d’Indiens nationalistes avaient été recrutés dans les camps de prisonniers allemands en Afrique du Nord pour se battre contre leurs colonisateurs britanniques sous l’uniforme allemand. Le voyage volontaire de certains étudiants nationalistes de Paris en Allemagne dont Nguyễn Khắc Viện[7] était déjà un indice du danger que représentait ce genre de proposition.

En mars 1944, la diffusion d’un second tract eut un impact considérable. Il cible l’impérialisme allemand comme principal ennemi et dénonce « les petits bourgeois nationalistes qui cèdent aux sirènes allemandes ». Un important effort de propagande fut fait par quelques personnes pour convaincre les Indochinois qu’ils n’avaient rien à gagner à combattre aux côtés de l’Allemagne nazie ; qu’il était illusoire de croire aux promesses allemandes et que le nazisme avec sa doctrine raciste ne pouvait, en aucun cas, être une promesse de liberté pour les colonisés. Une quarantaine de volontaires répondirent à l’appel d’un certain Dô Duc Hô, qui à la Libération fut condamné à 20 ans de prison. Cette action fut non seulement une victoire, elle créa aussi un sentiment de reconnaissance et de respect vis-à-vis de ceux qui l’avait menée.

Cela encouragea aussi un certain esprit de résistance à l’intérieur des camps et, de fait, des petits groupes liés par l’amitié se soutenaient mutuellement. Ce fut par la suite quasiment l’ensemble des ONS et des Tirailleurs qui osèrent tenir tête à l’administration comme en témoignèrent en 1944 diverses grèves, de Vénissieux à Marseille. Les désertions se multiplièrent et un certain nombre de Vietnamiens rejoignirent les maquis[8].

2.3 Front unique et auto-organisation[modifier | modifier le wikicode]

En juillet 1944, le Groupe Bolchevik Léniniste indochinois lançait dans tous les camps l’appel à former des comités de base représentatifs pour la formation d’un congrès national. À Paris, des contacts avaient été pris avec des intellectuels nationalistes afin d’unir tous les Vietnamiens de France dans un organisme réellement représentatif qui pourrait représenter une réelle force dans les rapports avec le futur gouvernement français.

En août 1944, alors que l’effondrement du régime de Vichy entraînait un bouleversement total et une effervescence politique générale, des élections furent organisées dans tous les camps regroupant des Indochinois afin qu’émergent ces comités. À tous les échelons, du détachement à la compagnie, de la compagnie à la Légion, des représentants sont élus. En septembre une délégation provisoire des Vietnamiens de France est créée à Paris. Comme le notèrent des militants, « ces mots d’ordre eurent un retentissement et un résultat dépassant nos espérances. Il faut cependant remarquer que toute cette orientation était imprégnée de “perspectives révolutionnaires immédiates” qui régnaient à cette époque dans la section française ». Il s’agissait aussi d’éviter que les 25 000 Indochinois ouvriers et soldats ne soient représentés par l’Amicale des Indochinois de Paris qui regroupait alors des « intellectuels », éloquents et instruits mais très loin des préoccupations de la majorité de leurs compatriotes auxquels ils s’étaient peu intéressés. Diverses commissions concernant l’organisation de la jeunesse, de la santé, de l’alphabétisation, du sport… se mirent en place. Ce vaste mouvement de démocratie directe permit qu’au mois de décembre 1944 se tint en Avignon le congrès de création de la Délégation Générale des Indochinois en France. Durant trois jours, 90 délégués de tous les camps de France et une centaine d’observateurs débattirent autour de trois points essentiels : la nécessité de l’union des Vietnamiens sans distinction d’opinions politiques ou religieuses ; la lutte pour leurs droits et leurs intérêts en France, en particulier ceux des ONS et des Tirailleurs ; enfin l’exigence pour le Viêt Nam d’un régime politique démocratique pourvu d’une Assemblée parlementaire élue au suffrage universel par la population (sans distinction de sexe). Le mot indépendance n’est pas prononcé mais tout le monde comprenait que le processus d’élections libres et démocratiques amènerait vers l’indépendance et l’unification des trois Ky (Tonkin, Annam et Cochinchine).

Les trotskistes diffusèrent un journal nommé Vo San (Prolétariat), en novembre 1944. Ils diffusèrent par la suite également des bulletins et deux brochures théoriques, l’une signée Anh Van et une autre, anonyme, à propos de Ta Thu Thâu.

Mais ils concentrèrent leurs forces de propagande dans une logique de front unique avec d’autres composantes politiques nationalistes, et même s'ils avaient l'ascendant dessus, ils respectaient les divergences d'opinions. Comme le disait l’historien du mouvement, Dang Van Long : « L’expérience a montré que l’union sans la démocratie, sans liberté de jugement et de critique conduit inévitablement au régime dictatorial d’un seul parti ». Dans le cadre de ce front fut créé un journal plus large (décrit comme centriste de gauche par les trotskistes), Tranh Ðấu (La lutte).

Ce journal s'adressait largement à la grande masse des ouvriers d’origine rurale, analphabètes en grande majorité et sans connaissances des organisations politiques. Le premier numéro ronéoté, qui parut le 5 avril 1945, abordait les aspects les plus divers de la politique vietnamienne et la défense des intérêts des ONS. Ce journal devint extrêmement populaire, et hégémonique dans les camps (à 90% selon certains).

Les Vietnamiens proches ou membres du PCF – absents des luttes dans les camps durant l’occupation et dont l’influence était, à ce moment là, minoritaire – proposaient aux tirailleurs et aux ONS de s’engager dans le Corps expéditionnaire français pour aller combattre le Japon en Indochine dans le cadre de la France nouvelle. Une position qui passait difficilement.

Le 19 octobre 1945, le gouvernement français décréta la dissolution de la Délégation Générale et arrêta un certain nombre de ses représentants. Il avait utilisé pour cela la loi qui avait permis d’interdire les ligues d’extrême droite après le 6 février 1934. Quelques semaines plus tard, le 2 décembre, une assemblée extraordinaire organisée au camp de Mazargues, à Marseille, créait le Rassemblement des Ressortissants vietnamiens en France. Aux forces déjà présentes dans l’ancienne organisation se joignaient deux représentants du PCF, preuve du caractère pluraliste du mouvement.

3 L'essor du Viêt Minh[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Révolution d'Août au Viêt Nam[modifier | modifier le wikicode]

Étendard du groupe La Lutte.

Dans les années 1930 au Viêt Nam, les trotskistes pouvaient rivaliser avec les staliniens, d'autant plus que ces derniers étaient embarrassés par les directives de Moscou pour la modération, le respect de l'alliance avec le Front populaire dirigeant en métropole, etc. Mais la guerre va porter un coup dur. Ta Thu Thâu est arrêté en 1939, et le basculement dans la résistance militarisée va favoriser le Việt Minh, qui dispose de bien plus de moyens. Par ailleurs en 1940 le Japon envahit l'Indochine, et les staliniens peuvent alors déclarer une lutte ouverte contre les « fascistes japonais ».

Après la capitulation japonaise en août 1945, la Révolution d’Août enflamme le pays et un conflit d'orientation apparaît à nouveau, mais les staliniens sont en position de force. Le Việt Minh s’empare rapidement du pouvoir laissé vacant. À Saigon, les trotskistes du groupe La Lutte et ceux de la Ligue Communiste Internationaliste participent aux grands rassemblements et créent des milices armées pour s’opposer aussi bien au retour des colonialistes qu’à l’armée de Leclerc qui, à partir d’octobre, commence la reconquête du Nam Bo [Cochinchine].

Ho Chi Minh cherche à utiliser son rapport de force, mais cherche aussi à se présenter comme respectable. S'il déclare l'indépendance à Hanoi le 2 septembre 1945, il négocie les modalités de l'indépendance avec la France, et refuse d'aller vers une révolution socialiste. En gage de bonne volonté, il dissout le PCI en novembre 1945 (son appareil existant toujours dans le Viêt Minh en réalité). Pour les trotskistes, fidèle au principe de révolution permanente, « la libération nationale sans la prise en main des entreprises par les ouvriers, sans la maîtrise des paysans sur les terres ne serait pour les exploités, immense majorité de la population, qu’un changement de maîtres ; le pouvoir de s’assujettir le travail d’autrui subsisterait »[9].

Meeting trotskiste à Saïgon, 21 aout 1945.

En octobre 1945, l’organe du Comité Central du PCI, Co Giai Phong, appelait à «  abattre immédiatement les bandes de trotskistes », ce qu’il justifiait ainsi : « Au Nam Bô, ils [les trotskistes] réclament l’armement du peuple, ce qui épouvante la mission anglaise, et l’accomplissement intégral des tâches de la révolution bourgeoise démocratique dans le but de diviser le Front National et de provoquer l’opposition des propriétaires fonciers à la révolution »[10]. Alors que certains trotskistes tombent lors des combats contre les troupes françaises de Leclerc, d’autres, dont Ta Thu Thâu, au même moment sont assassinés par les staliniens. La tragédie du POUM espagnol se répète à l'autre bout du globe.

En France, ces faits ne furent connus que beaucoup plus tard. La difficulté d’établir des liens avec le Viêt Nam a même parfois amené la revue Quatrième Internationale à affirmer que les trotskistes faisaient partie du Việt Minh. Qu’un certain nombre d’entre eux aient rejoint la résistance ne faisait aucun doute, mais avec leur « drapeau dans la poche » afin d’éviter une balle dans la nuque.

3.2 Les représentants du Viêt Minh en France[modifier | modifier le wikicode]

En mars 1946, se tient à Paris une conférence entre les délégués de la France et du Viêt Nam qui aboutit à la reconnaissance par la France de la République démocratique du Viêt Nam dans le cadre de l’Union française. Le 31 mai, Hô Chi Minh quitte Hanoi pour Paris avec une délégation vietnamienne à la conférence de Fontainebleau.

À son arrivée à l’aéroport, la délégation est accueillie par une foule de compatriotes dont les banderoles réclament l’indépendance totale et dénonce le cadre de l’Union Française. Si la communauté vietnamienne est unie et combative, elle n’est pas sur la ligne officielle du Viêt Minh (qui par ailleurs était aussi critiquée au Viêt Nam même par des nationalistes).

Une des tâches de la délégation durant cette conférence (qui s’éternise d’autant plus que les différents gouvernements de la IVe République se succèdent les uns après les autres) est de mettre sur pied une sorte d’ambassade : la « Délégation permanente de la République Démocratique du Viêt Nam » avec à sa tête Hoang Minh Giam et Tran Ngoc Danh. Une autre tâche est de réussir à trouver les moyens de convaincre les milliers de Linh Tho et de réduire l’influence des trotskistes. Hoàng Dôn Tri fut délégué par le groupe pour demander des explications à Hô Chi Minh sur la mort de Ta Thu Thau. Lors d’une entrevue avec Daniel Guérin, celui-ci avait répondu : « Ce fut un patriote et nous le pleurons  », avant d’ajouter : « mais tous ceux qui ne suivront pas la ligne tracée par moi seront brisés. » Interrogé à deux autres reprises sur ce sujet, il ne fournit jamais de réponse précise ou éluda tout simplement la question.

La Conférence de Fontainebleau ne donne rien (d’autant plus qu’elle est torpillée au Viêt Nam même par les agissements de l’amiral d’Argenlieu) et in extremis Hô Chi Minh signe un modus vivendi avec Marius Moutet, ministre de la France d’Outre-mer dans le gouvernement de Georges Bidault. Hô Chi Minh retourne au Viêt Nam mais avant d’embarquer à Toulon, il rencontre à Montélimar et au camp de Mazargues à Marseille les travailleurs vietnamiens qui lui font un accueil « fort tiède » et où les mots « Viêt Gian (traître) ne sont pas complètement couverts par les acclamations »[11]. Par ailleurs il conseille aux ONS de « travailler auprès de leurs frères français sans se préoccuper de politique. Il aura besoin au pays de travailleurs expérimentés et spécialistes. La politique est son affaire ; qu’ils se bornent eux, à mettre à profit leur séjour en France pour apprendre un métier. »

Un des premiers succès de Tran Ngoc Danh est d’arriver à « débaucher » la plupart des intellectuels qui avaient collaboré avec les trotskistes en particulier Trân Duc Thao et Nguyên Khac Viên. Le premier, avant d’être « un marxiste dérangeant »[12] fut un thuriféraire de Staline, et le second, un admirateur béat de Mao Zedung. La reprise en main des camps par Tran Ngoc Danh et les membres vietnamiens du PCF ne fut pas chose facile d’abord parce que leur politique avait été jugée néfaste et surtout parce qu’ils avaient été absents lors de la lutte des ONS pendant l’occupation et à la Libération. Dans les journaux proches des tenants de l’orthodoxie – Thuy Thu Lao Dong (Marins et Travailleurs), Cuu Quôc (Salut national) –, les attaques contre les organismes élus des ONS se font plus violentes et plus régulières. Dans les camps de travailleurs, le drapeau vietnamien rouge à l’étoile d’or était hissé au mât. Sur les ordres des autorités françaises, des soldats ou des policiers venaient chaque jour le descendre, occasionnant par là-même échauffourées et bagarres, voire passage à tabac des ONS. Les comités ONS et le comité central étaient déterminés à ne pas céder sur ce point quand ils prirent connaissance d’un communiqué de Danh qui recommandait d’arborer le drapeau français « symbole de la démocratie et de la liberté de pensée ». Le divorce ne pouvait être plus net.

3.3 Débats dans le Groupe Bolchevik Léniniste Indochinois[modifier | modifier le wikicode]

En 1946 un premier bilan interne à l’organisation[13] fait état du « désarroi dans le Groupe Bolchevik Léniniste Indochinois ». Ce texte, ainsi intitulé, est à destination du Comité Exécutif Européen de la IVe Internationale. Il fait état d’un conflit latent depuis une année, qui ne doit plus être considéré comme relevant de « conflits purement personnels » ou de « divergences tactiques » comme il en existe dans toute organisation en croissance mais d’un réel problème de fond qui touche au « problème de la construction du parti ». La préoccupation est essentiellement le passage de ce groupe encore peu formé à un militantisme à forts enjeux au Viêt Nam. Pour les auteurs, ce problème doit être cerné et résolu car « si les erreurs éventuelles du Groupe B. L. Indochinois n’ont pour l’instant de désastreuses conséquences immédiates, ils doivent bien se pénétrer de l’idée que selon les méthodes par lesquelles le Groupe aura été construit, selon les leçons que les camarades indochinois en auront tiré, dépend essentiellement l’avenir du Groupe en Indochine. Des erreurs comme celles qui ont eu lieu […] reproduites à l’échelle de la révolution indochinoise et des organisations qui y participent, auraient coûté les plus lamentables désastres. »

Dans la période qui suit la Libération, la participation du PCF à un gouvernement d’union nationale, malgré les acquis du CNR, sert d'éteignoir de la situation révolutionnaire en France et surtout dans les colonies (Indochine et Algérie). Cela laisse une place vacante pour un parti révolutionnaire, et en effet la section française de la IVe Internationale connaît alors une croissance sans précédent. On comprend donc l’importance, pour un petit parti, de cette expérience nouvelle et originale : être à l’origine d’un vaste « mouvement de masse » au sein d’un prolétariat colonial exilé. « Nous avons eu la chance unique de pouvoir former un groupe B. L. colonial dans un milieu d’émigration combattif, de pouvoir le conseiller pas à pas, de lui faire faire son apprentissage en quelque sorte sans que les dégâts causés par l’infantilisme soient d’une grande importance jusqu’à aujourd’hui. Ne pas utiliser cette chance avec la claire conscience que cette expérience est tout à fait capitale, non seulement pour le Groupe Indochinois lui-même, mais pour toute l’Internationale, serait une faillite politique grave. Dans le programme, le travail et l’expérience B. L., le problème colonial est à peine esquissé dans les grandes lignes et nous ne suppléerions pas à ce talon d’Achille théorique de la IVe Internationale par une attitude de “ laisser faire, laisser passer ” fort confiante dans l’avenir, certes, mais totalement irresponsable. » Le rapport examinait ainsi, la physionomie du Groupe : « Nous devons considérer que les camarades indochinois qui ont rejoint nos rangs sont en grande majorité des communistes militants de fraîche date. La plupart étaient nationalistes en général, peu ayant milité dans leur pays, quoiqu’ayant eu pour la plupart en France une attitude révolutionnaire dans les camps de travailleurs ou de tirailleurs, avant même que des regroupements se soient effectués. Ils ont une formation partielle. Très peu connaissent sérieusement la genèse, le développement et l’expérience du trotskisme dans ces 20 dernières années. Même lorsqu’ils sont bien formés, il faut toujours avoir à l’esprit que centrisme, opportunisme, ultra-gauchisme, aventurisme sont pour eux des termes qu’ils ont lu, qu’ils peuvent employer avec une certaine justesse dans les discussions mais qu’ils n’ont pas expérimenté […] Il leur est encore difficile de les reconnaître lorsqu’ils les rencontrent dans leur propre activité. La seule expérience concrète qu’ils aient est celle de la construction de leur propre groupe. Cette expérience est en fait très riche mais les leçons n’ont jamais été tirées à chaque étape. De telle sorte que pour eux le développement du groupe apparaît comme une succession de zigzags chaotiques sur beaucoup de questions. Et le problème étant aujourd’hui posé (bien en retard d’ailleurs) d’un tournant vers la construction réelle d’une section de la IVe dans l’émigration indochinoise en France, ils sentent le problème, mais ou bien ils restent désarmés devant lui ou bien ils y proposent des solutions centristes ou sectaires. J’ai déjà expliqué que les intellectuels coloniaux avaient tendance à considérer consciemment ou non le bolchévisme comme une mécanique efficace. Ils en retiennent le côté organisationnel, la souplesse tactique, les méthodes d’organisation des masses, l’efficacité des mots d’ordre, mais sans relier tout cela à une idéologie d’ensemble, ce qui mène à des conceptions éclectiques aventuristes, mitigées de Dragon Noir, de bolchevisme, de terrorisme, voire de mysticisme révolutionnaire […] Ce fait imprègne dans une certaine mesure la vie politique du groupe. »

Ces zigzags se retrouvent dans le bilan de l’action menée depuis la Libération. Encore faut-il préciser que, outre le manque de formation politique de la plupart des protagonistes (mais qu’ils acquièrent au fur et à mesure), ils avaient à faire face à des problèmes quotidiens très terre-à-terre vis-à-vis des ONS. Certains se souvenaient qu’une grande partie de l’énergie avait été consacrée à proscrire les jeux d’argent et à imposer des règles d’hygiène dans les camps, puis à se consacrer à l’alphabétisation (sur 18 000 analphabètes en septembre 1944, il n’en restait que 1 000 deux ans plus tard). Il n’est pas étonnant donc que, dans ces conditions, des questions stratégiques, comme la construction d’une organisation trotskiste indochinoise (en France), la place de ses militants dans une organisation de masse comme la Délégation générale des Indochinois ainsi que dans la revue Tranh Ðau posent toutes sortes de problèmes politiques que des militants de fraîche date ont du mal à cerner et à résoudre.

« Nous verrons plus en détail la confusion qui règne entre le Groupe B. L. proprement dit et le regroupement effectué autour du journal Tranh Ðau. Mais un exemple peut donner une idées des zigzags effectués dans la minute sur des problèmes stratégiques et tactiques importants. Ainsi l’attitude des camarades au sein de la Délégation générale Indochinoise s’est déroulée dans une continuelle incohérence. Quelques-uns ont d’abord pensé que la construction du parti passait par la Délégation et faisait de celle-ci une fin et non un moyen stratégique de regroupement des masses. Puis d’autres ont considéré la Délégation uniquement comme un paravent légal du travail du Tranh Ðau. Alors que certains parlaient au même moment de boycotter la Délégation, d’autres proposaient d’y prendre le pouvoir […] On pourrait croire que des divergences de ce calibre reposent sur des stratégies différentes, mais il n’en n’est rien, car il n’y a pas de stratégie en fait et de telles propositions sont simplement marquées d’impressionnisme à la petite semaine. Ainsi la grève des tirailleurs a été lancée, conduite et arrêtée dans la pire confusion [à ce jour nous n’avons trouvé aucun élément qui permette de savoir ce que fut cette grève, quand et où elle eut lieu]. Reproduite à l’échelle de la révolution indochinoise, de telles erreurs laisseraient le parti pantelant pour de longs mois. » Le bilan est sévère : « Aventurisme dans la grève des tirailleurs, opportunisme et ultra-gauchisme dans la question de la Délégation générale des Indochinois, sectarisme et centrisme sur la question du Tranh Ðau, voici les composantes actuelles du groupe B. L. Indochinois ».

Dès lors, on comprend que certains militants très actifs et dévoués aient eu quelques réticences à adhérer à la IVe Internationale, que certains intellectuels cèdent aux sirènes de la Délégation mise en place par Hô Chi Minh à la fin 1946.

Ce long réquisitoire est aussi un appel pressant à la section française de la IVe Internationale. « La responsabilité de ce désarroi porte en définitive sur la direction de la section française et le Secrétariat européen qui n’ont pas compris à temps à quel point de sérieux efforts devaient être dépensés en direction du Groupe Indochinois. Ils ont fait confiance sur parole à des rapports épisodiques sans chercher à vivre la vie collective et la croissance du groupe BL Indochinois. Dans la prochaine période la présence et l’aide continuelle de l’Internationale à chaque étape est une question vitale. »

Mais, malgré les termes rudes employés, il ne faudrait pas avoir une vision apocalyptique de la situation. En effet, le Groupe B.L. possède à son actif la mise en branle du mouvement dans les camps d’ONS et de tirailleurs et, au-delà de ses faiblesses, ses militants sont reconnus pour leur courage, leur dévouement et le travail accompli. En ce début 1946, ils sont toujours la seule force politique organisée présente dans les camps, les staliniens s’étant largement déconsidérés par leurs prises de position favorables à l’Union française.

4 Basculement[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Guerre d'Indochine et guerre froide[modifier | modifier le wikicode]

Fin 1946, la situation au Viêt Nam va brusquement s’accélérer. Le modus vivendi signé par Hô Chi Minh et Marius Moutet le 12 septembre après l’échec des discussions de Fontainebleau, n’empêche pas la situation de se dégrader sur place. Le 23 novembre, à la suite d’un conflit à propos des douanes qui s’est envenimé, trois navires français bombardent la ville portuaire de Haïphong faisant 6 000 morts essentiellement civils. La guerre d’Indochine vient de commencer. Le 19 décembre Hanoi est en insurrection, Hô Chi Minh lance un appel solennel « La Patrie est en danger ! L’heure de la lutte a sonné !... » avant de prendre le maquis avec son gouvernement.

En France, trotskistes vietnamiens et français apportent un soutien critique au Viêt Minh, c’est-à-dire qu’ils se veulent résolus et unis contre l’adversaire mais sans cacher les divergences politiques qui existent. Confortés dans leurs critiques contre les compromis passés, qui n’ont abouti à rien, ils réaffirment que la lutte pour l’indépendance complète du Viêt Nam doit se conjuguer avec des réformes sociales d’envergure. Ils engagent leurs forces dans la lutte contre « l’expédition coloniale en Indochine ».

Le 5 mars 1946, Winston Churchill dans un discours prononcé à l’Université de Fulton (USA) déclarait qu’un rideau de fer partageait désormais l’Europe en deux. Les menaces de la guerre froide qui allait couper le monde en deux blocs antagonistes s’amoncelaient.

En novembre et décembre 1946 lors des événements de Haïphong et Hanoi, le PCF ne participait pas au gouvernement, mais le 22 janvier 1947 cinq ministres communistes entrent au gouvernement du socialiste Paul Ramadier[14]. Encore une fois, les staliniens sont en porte-à-faux, participant à un gouvernement qui mène une guerre coloniale contre un mouvement dirigé par un parti frère...

Il oscille alors entre la solidarité gouvernementale et des appels à éviter « une guerre dispendieuse contraire à l’intérêt national au moment où il faut reconstruire le pays ». Le 18 mars, les députés communistes se sont abstenus dans un vote de confiance. Le 4 mai 1947 en refusant de voter la confiance au gouvernement les cinq ministres communistes se voient retirer leur délégation par le président du Conseil, Paul Ramadier, et sont renvoyés dans l’opposition. Une opposition qui sera très vigoureuse durant les mois suivants.

Ce changement de période est important à saisir dans la mesure où il conditionne ce qui se passe en Indochine. Car, dès 1949, la guerre fera partie de la Croisade du Monde Libre contre le Communisme d’où l’investissement croissant des USA dans le financement du conflit.

Le Groupe trotskiste vietnamien, au-delà des problèmes qu’il rencontre, continue son travail d’animation de différentes associations et ses publications de journaux et brochures. II est toujours en butte à l’hostilité du représentant de la délégation vietnamienne laissé par Hô Chi Minh, Trân Ngoc Danh. Ce dernier essaie de contourner les structures élues qui existent dans les camps en en créant d’autres. Dang Van Long se souvenait : « Devant les ONS il était toujours d’accord mais il cachait son jeu. C’était ça nuire aux autres en cachant son jeu. Le comité central des ONS avait organisé une collecte, Danh en parrainait une autre organisée par le groupe « le Salut National » qui nous était violemment hostile. à Marseille, il n’avait trouvé pour le soutenir qu’une bande de voyous que nous avions mis à la porte du camp à cause des trafics et des méfaits de toutes sortes qu’ils commettaient. Et bien, du jour au lendemain, ces énergumènes ont déclaré être fidèles à Hô Chi Minh et sont devenus membre du Salut National . » Ce recrutement aura des conséquences catastrophiques.

Avec le début des combats en Indochine se pose aussi au gouvernement le problème du retour des Indochinois dans leur pays d’origine. En France, la grande majorité des ONS manifeste régulièrement pour dénoncer la guerre coloniale, réclamer la paix pour certains, l’indépendance pour la plupart. Pour les autorités, ces Indochinois sont source d’agitation et de troubles, mais si on les renvoient ne risquent-ils pas de rejoindre les maquis d’Hô Chi Minh ?

4.2 Vers une organisation trotskiste vietnamienne autonome[modifier | modifier le wikicode]

La situation déclencha un débat au sein des trotskistes sur le front unique et son organe, le journal Tranh Ðấu. Ils estimaient alors qu'ils fallait favoriser désormais la construction d'un parti révolutionnaire pour faire face à l'accélération de la situation. Lors d’une conférence interne à Colombes (région parisienne), la majorité vota pour la dissolution du Tranh Ðấu. La minorité qui entendait poursuivre le journal et le Groupe étant composée de ceux qui justement en avaient la direction. Une autre réunion eut lieu à Sorgues en juin 1946. Toutes les tendances y furent conviées : les deux tendances trotskistes (majorité et minorité) et les nationalistes « de gauche ». Tout le monde se mit d’accord pour « liquider la politique centriste » et construire à terme une organisation strictement révolutionnaire. Plusieurs membres inorganisés du Tranh Ðấu rejoignirent alors le groupe Bolchévique-Léniniste.

Les 28, 29 et 30 juin 1947 se tenait à Paris le premier congrès des trotskistes vietnamiens. Les groupes de Paris et de Marseille avaient organisé la réunion avec des délégués venus de Lyon, Fontenay, Bergerac, Bordeaux… Au terme des travaux, une résolution sur les perspectives de la révolution vietnamienne fut votée tandis qu’un comité central de 9 membres titulaires et 2 suppléants était élu. Pour des questions de sécurité, tous les documents du congrès furent datés du mois d’août 1947. Dès lors le journal Vô San nouvelle série parut à nouveau et fut largement diffusé dans les camps. Un second congrès eut lieu en août 1948, un troisième en janvier 1950 et un quatrième en juin 1952, mais à cette date la plupart des travailleurs vietnamiens avaient été rapatriés.

Selon les documents de l’époque le nouveau parti compte plus de 500 membres, tous sont ouvriers ou « paysans pauvres ». C’est à cette époque l’une des plus grosses sections de la IVe Internationale avec une composition sociologique prolétarienne unique dans l’histoire du mouvement trotskiste international. Certains se souviennent : « Ce sont les cotisations des travailleurs vietnamiens en France qui ont fait fonctionner la IVe Internationale à cette époque ! »

Parallèlement, une brochure éditée par le PCI, la section française de la IVe internationale, intitulée Mouvements nationaux et lutte de classes au Viêt Nam connut un certain succès. Dû à la plume de Anh Van et de Jacqueline Roussel (pseudonyme de Marguerite Bonnet, agrégée de Lettres ayant rejoint le mouvement durant l’occupation, membre de la commission coloniale) ce texte de plus de 80 pages témoignait d’une connaissance approfondie, assez unique à l’époque, de la société vietnamienne et de ses problèmes.

Le rapatriement pour l’Indochine qui est une des premières revendications des ONS ne commence réellement qu’en février 1948[15]. La manière dont il s’opère est indigne et le mot est faible. Les autorités sont inquiètes de l’agitation qui règne contre la guerre en Indochine en France et en particulier dans les camps qu’elles soupçonnent d’être un vivier « d’agitateurs vietminh ». Le rapatriement s’apparente alors à des rafles avec force compagnies de CRS casqués et armés. L’ambiance est tendue dans toute la France à la suite des grèves parfois violentes. Le gouvernement mobilise toutes les forces de l’ordre, rappelle les réservistes et le contingent de la classe 1943. Dans le Nord l’armée est envoyée contre les mineurs. La répression est diversifiée : à Paris, Trân Ngoc Danh président de la délégation du Viêt Nam en France est arrêté et écroué à la prison de la Santé.

Dans un premier temps ce sont les délégués ONS qui sont visés par ces mesures de rapatriement expéditif. Ainsi que les plus combatifs : à Roanne, au 6e jour d’une grève, les gendarmes envahissent le camp et les travailleurs sont embarqués dans un train pour Marseille (lors du trajet un incendie réduira en cendres les wagons dans lesquels se trouvaient leurs maigres bagages). En février, les arrestations se multiplient dans les camps. 126 délégués arrêtés dans toute la France sont envoyés au camp de Bias, puis embarqués pour le Viêt Nam à Port-de-Bouc le 26 février. Arrivés au Cap Saint Jacques, ils seront remis aux forces militaires françaises. Certains sont emprisonnés, qui pour posséder un drapeau rouge à étoile d’or, qui pour un portrait d’Hô Chi Minh ou une carte de la CGT.

4.3 Massacre à Mazargues (mai 1948)[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Massacre de Mazargues.

Le camp de Mazargues situé dans la banlieue Est de Marseille est le plus grand de France. C’est une des places forte du mouvement des ONS où, dès 1944, il fut mis fin aux jeux et aux trafics divers. Environ 2 000 Vietnamiens y vivent. Par manque de place, les autorités ont créé un second camp à environ deux kilomètres, appelé Colgate. Il est surtout utilisé pour regrouper les ONS en partance pour l’Indochine. Là, la discipline est quasiment inexistante et c’est là que vous se regrouper les éléments dénoncés par les trotskistes comme « malandrins, voyous et criminels ».

Manifestation devant le camp de Mazargues

À la suite de l’expulsion des délégués ONS vers le Viêt Nam dont les plus connus étaient Hoàng Nghinh, Bui Dinh Thiêp, Nguyên Dinh Lâm… un certain relâchement dans la bonne tenue du camp se fit ressentir, ce qui fut, pour les soi-disant militants du groupe Salut National l’occasion d’investir la place. Quoique très minoritaire ce groupe se livra à des provocations diverses, et multiplie les violences physiques à partir de février 1948. Au début du mois de mai le Lao Dong menance : « Aux traîtres trotskistes vietnamiens nous disons : le jour de l’extermination de votre clique est arrivé. Plus vous crierez fort plus vite vous serez détruits. Aux camarades encore hésitants nous disons revenez à la patrie. La patrie généreuse acceptera tous ses enfants vietnamiens. Chaque jour où vous resterez liés aux traîtres trotskistes vietnamiens est un crime de plus à votre actif. Ne tardez plus vous en supporteriez les conséquences avec eux. »[16]

Le 15 mai, la situation dégénère en massacre. Dang Van Long : « Le soir du 15 mai le Comité d’autodéfense chargé de la sécurité du camp apprit que le groupe Salut National organisait une réunion dans un réfectoire. Comme par le passé ils avaient dressé des listes de personnes à éliminer, et comme les violences des jours précédents ne laissaient rien présager de bon, la nouvelle se répandit qu’ils préparaient l’élimination de leurs opposants les plus farouches. En un clin d’œil des dizaines d’ONS sortirent des baraques pour se joindre au groupe d’autodéfense se munissant de manière préventive de toutes sortes d’armes et d’objets divers. Jamais, nous Trotskistes, n’avons donné l’ordre d’aller attaquer cette réunion. L’extrême tension des jours précédents avait rendu Mazargues comme un baril de poudre, cette réunion a été l’étincelle fatale. Nous avons essayé de calmer la situation, mais c’était impossible. Des gens qui n’avaient rien à voir avec tout ça ont même été menacés ; c’était une nuit d’horreur. »

Une violente dispute éclate entre les deux groupes. Soudain, la lumière est éteinte dans tout le camp[17], l’affrontement éclate, violent, meurtrier, des détonations, des clameurs et des cris sont entendus jusqu’aux abords du camp. La police est prévenue mais reste à la lisière n’entrant qu’au matin pour découvrir cinq morts[18] et une soixantaine de blessés dont certains, très gravement atteints, resteront handicapés à vie. Lê Van Dich le responsable du Salut National est parmi les victimes. Beaucoup d’ONS ont quitté le campement après les violences, certains sont partis en ville, d’autres au camp Colgate.

Le message adressé « aux Vietnamiens de France » par Trân Ngoc Danh le 18 mai, dans lequel « il regrettait l’incident sanglant de Marseille et réprouvait totalement tous actes de violence entre compatriotes contraires à la politique de large union nationale préconisé et poursuivie par le gouvernement du président Hô Chi Minh », fut ressenti par certains comme le comble du cynisme.

La presse locale fit ses gros titres sur « La Saint Barthélemy indochinoise » et déversa des flots de commentaires racistes sur « la sauvagerie » des vietnamiens. Ce n’est que le 22 mai que Le Provençal commence à publier les déclarations de la Délégation Générale des Travailleurs Vietnamiens qui « attribue la responsabilité des évènements à des éléments qui, depuis trois mois, se sont livrés à des provocations incessantes allant jusqu’à menacer et frapper violemment certains représentants démocratiquement élus par les travailleurs ».

4.4 Rapatriements des ONS[modifier | modifier le wikicode]

Les événements de Mazargues avaient considérablement troublé l’ensemble des ONS et le Groupe trotskiste lui-même. Ces événements allaient se précipiter et modifier profondément la présence des Indochinois en France. En effet, quelques semaines plus tard les autorités de la IVe République organisaient le rapatriement expéditif de plusieurs centaines d’ONS. Le comité de défense des travailleurs vietnamiens dénonçait ainsi ce qu’il faut bien appeler des rafles, organisées le 14 juillet 1946.

« Selon un plan minutieusement établi, des arrestations ont été effectuées simultanément dans les camps situés à Marseille, Sorgues, Montauban, Roanne, Lyon, Belfort, Épinal, Cambrai, Sainte-Livrade, Bias, Romans, Villefranche, Décines, etc … S’inspirant des méthodes de la Gestapo, les forces de police et de gendarmerie opèrent en pleine nuit, à l’insu des populations françaises. Ils s’acharnèrent sur les travailleurs avec une brutalité révoltante, les frappant et pillant leurs biens, argent, montres, machines à écrire, vivres, cigarettes. »[19]

L’historien Philippe Videlier dans son histoire de Décines, (une ville de la banlieue lyonnaise) écrit : « En juillet 1948, un détachement de la 142e CRS intervint en force pour appréhender quelques supposés “ agitateurs vietminh » transférés ensuite à Privas. » « Une descente de police a été opérée dans les deux camps. Elle a permis de trouver deux jeunes femmes qui ont été conduites au Commissariat pour examen de situation », relevait une note de police. Les Indochinois interpellés étaient ouvriers à la S. L. T. « Dans les journées de jeudi et de vendredi, de nombreux travailleurs ont circulé aux abords de la Mairie et du commissariat de Décines présentant une apparence d’inquiétude. Quelques-uns de ces coloniaux se sont présentés pour demander des enseignements au sujet de leurs camarades. […] Avec la voix de l’indignation, un ancien résistant employait des mots durs pour caractériser les opérations d’évacuation : “ ils ont été embarqués dans des camions, même pas avec une valise, par des policiers casqués, comme les Boches faisaient, exactement. Ils ont été embarqués et conduits à Marseille et mis sur un bateau. Vous voyez comme c’est l’Histoire. Des fois, on n’apprend rien des autres”. »[20]

Le comité de défense poursuit : « Les travailleurs vietnamiens arrêtés dans la nuit du 14 juillet et dont le nombre s’élève à près de 400 sont pour la plupart des délégués élus par leurs camarades. Aucun délit ne peut leur être reproché. Ils ne sont l’objet d’aucune poursuite, les mesures dont ils sont les victimes relèvent de l’arbitraire le plus total. […] Le crime que l’on ne leur pardonne pas c’est qu’ils n’ont pas cessé de témoigner une solidarité active envers la lutte menée par le peuple vietnamien tout entier pour son indépendance. C’est qu’ils ne sont pas tombés dans le piège grossier de Bao Dai et du gouvernement fantoche de Xuân. C’est aussi qu’ils se sont donné une organisation exemplaire qui tient en échec toutes les manœuvres de l’administration colonialiste. C’est enfin qu’ils ont également manifesté leur soutien aux luttes des travailleurs français. Les travailleurs et les démocrates de ce pays ne sauraient laisser s’accomplir des actes aussi criminels. Leur passivité apparaîtrait inévitablement aux yeux du peuple vietnamien et de tous les coloniaux comme une complicité tacite avec le colonialisme. »

Comme en février de la même année, ce sont les plus militants qui sont recherchés pour être « rapatriés » au plus vite. On sait déjà dans les camps que beaucoup se sont retrouvés dans des sortes de camps d’internement à leur arrivée au Viêt Nam. Comme en témoignent les lettres des premiers rapatriés : « Nous sommes arrivés ici le 24 décembre 1946 au Cap Saint-Jacques. Nous y restons un mois environ. Puis c’est le départ vers Tourane. Là, faute de pouvoir nous diriger vers notre province d’origine (Le Nord du Viêt Nam) nous sommes contraints à un travail excessivement pénible […] Le régime, c’est celui de 1943 du temps où nous étions encore en France (sous-entendu sous Vichy). » Beaucoup de témoignages font état de vols lors des rafles et de la « perte » des effets rapportés de France. « Ces bagages et objets personnels nous ne les retrouverons plus. Je n’ai plus de vêtements. Je m’arrête, les larmes voilent les yeux, la colère et l’indignation m’étouffent. Pensez-y après 8, 9 ans de séjour en France me voilà réduit à une telle situation. »[21] Un certain nombre échappe aux rafles car, pour des raisons diverses, ils ont loué des chambres en dehors des camps.

Ces rafles continuent l’année suivante. Pour preuve cette résolution votée le 3 décembre 1949 par les travailleurs vietnamiens de Lyon qui protestent énergiquement à nouveau contre les rafles opérées les 2 et 3 décembre dans diverses villes du Rhône, de l’Allier de la Drôme et de l’Isère. Ou encore cette « Lettre des travailleurs Vietnamiens à leurs amis Montluçonnais » publiée dans un journal local : « Nous sommes heureux d’être rapatriés, mais notre rapatriement n’est qu’une manœuvre du gouvernement français. La présence des CRS interdisant toute fraternisation lors de notre départ de Montluçon en est la preuve. »[22]

Ces bouleversements qui secouent le milieu dans lequel évolue et recrute le Groupe trotskiste vietnamien ont bien entendu des répercussions importantes. Nous avons vu que les expulsions de février 1948 avaient amené à la tragédie de Mazargues, d’autres militants sont expulsés après les rafles de juillet. Parmi eux Chu Van Binh expulsé en 1948 et transféré dans un camp d’internement à Haiphong. Il fut abattu par une patrouille française en 1949 alors qu’il venait de s’évader de ce camp[23]. Il est difficile de savoir ce que devinrent certains militants une fois de retour en particulier dans le Nord.

À partir de fin 1946, quelques courriers d’anciens militants étaient parvenus en France, un fragile contact avait été rétabli. Chose qui avait été difficile parce que, au Viêt Nam, les trotskistes avaient à faire face à la fois à la répression coloniale et à celle des staliniens. En France les militants qui avaient survécu à la guerre ne vivaient plus nécessairement à la même adresse. Les lettres envoyées par les Vietnamiens à leur camarades français (via l’ancienne adresse de l’Étoile nord-africaine de l’algérien Messali Hadj) ne furent jamais en possession de leurs destinataires. Cette anecdote prouve l’étroite collaboration entre les divers mouvements de travailleurs coloniaux héritée de la période du journal Le Paria au début des années 1920 et qui se perpétua en 1946 par la publication de la revue La lutte anticolonialiste. En 1949 le Congrès des Peuples coloniaux appelait « au boycott de la guerre d’Indochine ».

5 Tentatives de poursuite des activités[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Regroupement des forces[modifier | modifier le wikicode]

Une fois les relations maritimes rétablies entre la France et l’Indochine, quelques militants rejoignent Paris. C’est le cas de Lu Sanh Hanh, dit Lucien, qui arrive avec une lettre d’accréditation signée René et adressée à Raymond (Molinier ?) et Craipeau. René est le pseudonyme de Nguyên Van Linh, ancien étudiant à Paris en 1926 et compagnon de Ta Thu Thau. Avec d’autres étudiants annamites, ils avaient créé le Groupe Indochinois de la Ligue Communiste, la première organisation de l’opposition de gauche à l’époque[24]. Nguyên Van Linh de retour au Viêt Nam en 1939 participa à la formation de la milice ouvrière des Tramways de Go Vap dans la banlieue de Saigon en août 1945. Il fut assassiné par le Vietminh en 1951. Lucien avait été un des fondateurs de l’organisation à Saigon et un dirigeant du Comité central des comités révolutionnaires de la région Saigon-Cholon en 1945. Il publia en 1947 un texte dans la revue IVe Internationale, « Quelques étapes de la révolution au Nam Bo »[25] qui servit de point de repère important à l’époque sur les événements de 1945. Il repartit en 1954 au Viêt Nam.

Ngô Văn Xuyết avait lui aussi rejoint la France après avoir miraculeusement échappé à la mort à l’automne 1945[26]. Même si ultérieurement il se détacha politiquement du trotskisme, son apport fut précieux pour le groupe.

En 1948, parmi les étudiants qui furent envoyés en France, un jeune homme de 17 ans le camarade Hugues (N. K. H.) que sa famille souhaitait éloigner de la répression coloniale et qui par la suite se révéla être une recrue de choix. Il connaissait bien la Lutte pour habiter près du siège du journal à Saigon. Il rejoignit le Groupe en France. Son excellente pratique du français le désignait souvent comme interprète. Dang Van Long, amusé, se souvenait : « Lors d’un congrès de la section française ou même de l’Internationale, je ne sais plus, j’avais prononcé un discours en vietnamien, j’apportais le salut fraternelle du Groupe vietnamien aux congressistes. Hugues traduisait. J’ai parlé 5 minutes, mais sa “ traduction ” a duré plus de 20 minutes ! »

Du 2 au 21 avril 1948 se tint à Paris le second congrès de la IVe internationale. Deux ans auparavant, une Conférence Internationale avait réussi à regrouper les militants épars, survivants du cataclysme de la seconde guerre mondiale et nouveaux venus à travers les luttes de la Résistance et de la Libération. Ce congrès réunissait vingt-deux organisations issues de dix-neuf pays d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud, d’Afrique et d’Asie. Le discours d’ouverture prononcé par le Secrétaire de l’Internationale, Michel Raptis, alias Pablo, rappela le sacrifice des militants tombés au cours des dernières années « assassinés par la Gestapo ou la police impérialiste japonaise, le Guépéou ou la terreur stalinienne ». La délégation indochinoise était représentée par deux délégués du Groupe Communiste Internationaliste Vietnamien en France. Le groupe vietnamien, constitué lors du congrès du 28 au 30 juin 1947 était représenté au Comité Exécutif Européen de la IVe Internationale depuis juin 1945. Un autre délégué siégeait avec le statut d’observateur pour le Groupe Octobre de Saigon. Ce statut d’observateur provenait du fait que le camarade Antony, récemment arrivé en France, ne pu prouver qu’il venait bien au nom du Groupe de Saigon (on mesure bien à cet exemple la difficulté des moyens de communications avec les militants du Viêt Nam). «  Le camarade Antony affirme qu’il a un mandat du groupe Octobre, mais n’a pu fournir aucun élément à ce sujet, par ailleurs son point de vue n’est pas approuvé par le camarade Lucien (Lu Sanh Hanh) qui appartient au même groupe ; le groupe reconnu en Indochine était le groupe La Lutte de Ta Thu Thau ; en l’absence de renseignements sur l’état des organisations, la commission [des mandats ndlr] propose que le camarade Antony soit présent à titre d’observateur. »[27]

Ce congrès, placé sous le signe du centenaire du Manifeste communiste de Karl Marx et Friedrich Engels, eut pour fonction de réaffirmer les positions fondamentales du marxisme révolutionnaire. Si la nature de l’URSS et du stalinisme fut, bien entendu, débattu, un long rapport de Pierre Franck, l’ancien secrétaire de Léon Trotski, sur « la lutte des peuples coloniaux et la révolution mondiale » attira particulièrement l’attention des Vietnamiens. « Partant des nouveaux rapports de force entre États capitalistes, ce document soulignait que les États-Unis tendaient à prendre la relève des anciens impérialismes affaiblis devenus incapables de maintenir leur domination sous la forme qu’elle avait eue dans le passé. Il relevait aussi que ces impérialismes, du moins certains d’entre eux, procéderaient à une retraite stratégique dans un assez grand nombre de pays coloniaux où ils substituaient aux formes de domination directe des formes nouvelles de domination indirecte avec l’aide des couches possédantes indigènes auxquelles ils remettaient formellement le pouvoir tout en conservant presque totalement leur suprématie économique. Le congrès saisissait là, dès le début du processus, une orientation des impérialismes dans le domaine colonial qui a reçu plus tard le nom de néo-colonialisme. »[27] C’est bien dans cette optique que le groupe entreprend une campagne contre le fantoche Bao Dai qui, de toute façon, ne bénéficie que de très peu de soutien chez les Vietnamiens de France. Le congrès était à peine terminé que plusieurs dirigeants du PCI se voyaient condamner à des amendes pour « atteinte au moral de l’armée » dans le cadre de la lutte contre l’intervention de l’armée française en Indochine.

Il était dans les intentions des Vietnamiens en France de créer une « puissante section vietnamienne de la IVe Internationale » comme le déclarait un article du journal La Vérité de mai 1947. Tout concordait pour que cette espérance se voie concrétisée. Le poids qu’avait eu La Lutte de Ta Thu Thau avant-guerre et l’influence de la L.C.I. dans le prolétariat de Saigon, l’importance numérique de la section vietnamienne en France donnaient à penser que, au regard de la situation en Indochine, c’était une chose réalisable. La manière dont s’effectua le retour des militants au Viêt Nam, suite aux rafles et à l’internement plus ou moins long qui suivit compliqua la tâche des militants.

5.2 La Brigade Octobre chez Tito[modifier | modifier le wikicode]

L’année 1948 est riche en bouleversement divers. En février, à Prague, le parti communiste se retrouve seul au pouvoir. Le 28 juin 1948, le Kominform publie une résolution condamnant le président yougoslave. Staline ne peut supporter l’indépendance de cet État qui a réussi à se libérer sans l’Armée rouge.

Une violente campagne « anti-titiste », qui n’est pas sans rappeler celle des procès de Moscou, va se déclencher. Pourtant comme le rappelait l’historien du PCF Philippe Robrieux « Aux yeux des communistes français en 1945, Tito, c’était Castro au temps de Che Guevara », et en quelques jours Tito devient un « fasciste » un « valet du capitalisme ». Pour la IVe Internationale il est clair que cette brèche dans le bloc des pays de l’Est pourrait être « le début de la destruction du stalinisme. » D’autant plus que les dirigeants yougoslaves ne cessent de vanter les vertus de l’autogestion ; c’est donc une rupture « de gauche » qu’il s’agit de défendre contre les calomnies et les attaques violentes. Une campagne est lancée afin d’envoyer des « brigades de travail » en Yougoslavie pour voir sur place de quoi il retourne. À l’image de la Brigade Commune de Paris, constituée de jeunes de métallurgistes de chez Chausson à Gennevilliers partie l’été 1950 ou celle de Renault Billancourt. Ce mouvement permis d’envoyer environ 2 000 personnes, toute tendances politiques confondues, en Yougoslavie.

Le Groupe vietnamien sera à même d’envoyer la Brigade Octobre composée de 30 intellectuels et anciens ONS encore en France. Au départ 68 personnes étaient inscrites, mais seule une trentaine pu obtenir un passeport[28]. Hoang Khoa Khoi se souvenait avec émotion de ce voyage et des réunions publiques qu’il avait animées : «  Le matin nous avons aidé à construire l’université de Zagreb et l’après-midi nous avions des entretiens avec les gens dans les usines, les coopératives ou sur des chantiers. » Hugues se souvient aussi des meetings pour la Vérité en Yougoslavie attaqués à Paris par les énergumènes de l’UJRF[29] : « Une partie du service d’ordre était composée de Vietnamiens, des anciens ONS dont certains connaissaient les arts martiaux… Certains stals ont dû en garder un cuisant souvenir. » Les trotskistes furent alors accusés par leurs adversaires d’avoir « organisé un guet-apens avec la complicité de la police ». Il n’empêche que la verrière de la Salle des Sociétés savantes fut détruite et les dégâts furent si importants que les travaux de réparation durèrent plusieurs années.

La visite d’une délégation des Vietnamiens de France mais aussi d’une délégation de Chinois d’Outre-Mer eut un certain écho. Tant et si bien que l’hebdomadaire du PCF France Nouvelle les dénonça dans son numéro du 17 juin 1950 sous le titre « Les ignobles procédés de propagande de la clique fasciste de Tito ». Après avoir dénoncé Tito et sa clique comme agence d’espionnage, la preuve en étant corroborée, selon eux, par les aveux de Rajk au procès de Budapest et ceux de Kostov à Sofia (et en attendant ceux de Slansky à Prague l’année suivante) l’hebdo précisait : « Les déclarations provocatrices faites dernièrement par Tanyoug [l’agence de presse yougoslave] sur le voyage en Yougoslavie des “ étudiants démocrates ” de Chine et du Viêt Nam, témoignent également des méthodes fascistes de la propagande titiste. On fait passer à Belgrade pour représentants de la nouvelle Chine et du nouveau Viêt Nam un groupe « d’étudiants » qui ont perdu toute liaison avec leur patrie. Celui qui se rend en Yougoslavie […] se fait, volontairement ou non, le complice des bourreaux des peuples yougoslaves. »

Après la dissolution volontaire du Comité Central des ONS en juin 1950, consécutive au dernier rapatriement des ONS, l’affrontement entre les organisation d’ONS et le Groupe Salut national de Trân Ngoc Danh prit fin ; mais il continua entre trotskistes et staliniens vietnamiens. Le débat s’il n’avait rien perdu de sa vigueur ne donnait plus lieu, après l’affaire de Mazargues, à des violences physiques. L’Union vietnamienne (Liên Viêt) prit la relève du Salut National. Dans le bulletin de l’Union, Nguyên Kach Viên, qui avait collaboré un temps au mouvement des ONS et donc de fait avec les trotskistes avant de rompre avec eux en avril 1949 pour rejoindre le PCF, polémiquait rudement avec ses anciens amis. Sous le titre « Petits bourgeois et révolutionnaires » il écrivait : « Ceux-là [les ONS du Groupe trotskiste] restent à Paris et osent enseigner la révolution à Hô Chi Minh […] ils veulent enseigner la révolution à Thorez ; ils viennent de lire quelques livres et veulent enseigner la révolution à Staline ou à Mao Tsé Toung. » Ce à quoi les intéressés répondaient : « Le socialisme selon Marx devait promouvoir une société où toutes les capacités et aptitudes du peuple peuvent être intégralement développées dans une démocratie totale. Le socialisme à la Staline n’a engendré qu’un régime contraignant, répressif et cruel. Staline considère le pouvoir du prolétariat comme le monopole d’un groupe d’hommes et non pas la démocratie démocratique des masses. »

5.3 Soutien critique au Vietminh[modifier | modifier le wikicode]

Dans la guerre de reconquête qui avait lieu au Viêt Nam il était impératif de soutenir la lutte pour l’indépendance quels qu’en soient les dirigeants. Cependant pour le Groupe il était hors de question de soutenir sans réserve Hô Chi Minh. Le point principal de divergences était déjà apparu en 1946 lorsque le Comité central des travailleurs vietnamiens avait apporté son « soutien critique » au gouvernement vietnamien. Pour Nguyên Khach Viên le soutien au gouvernement Hô Chi Minh devait être total et même « aveugle ». Au mot d’ordre des travailleurs des camps, « Soutien au gouvernement de la Résistance », il aurait voulu substituer celui-ci : « Soutien au gouvernement dirigé par Hô Chi Minh ».

Les militants trotskistes vietnamiens et français participèrent à la lutte conte la « sale guerre » soit au nom de leur organisation respective, soit dans le cadre de structures unitaires comme les Comités pour la libération d’Henri Martin[30]. À la signature des accords de Genève des journaux comme l’Union vietnamienne (Liên Viêt) et Le Secours Populaire (Cuu Tê Binh Dân) saluèrent « avec enthousiasme ces accords et déclarèrent qu’ils ont apporté un succès total au Viêt Nam et ce, grâce au soutien inconditionnel de la Chine et de l’Union Soviétique, quoique le problème de l’unification ne soit pas encore résolu, il le sera certainement par l’organisation d’un référendum ». Ce en quoi ils étaient au diapason de la presse communiste orthodoxe. Le Groupe troskyste et l’Association des travailleurs vietnamiens en France avaient un tout autre jugement : « Grâce à la victoire de Diên Biên Phu, les accords de Genève ont apporté un certain nombre de succès importants pour le Viêt Nam. Au lieu d’obtenir des succès encore plus grands proportionnés à Diên Biên Phu, le Viêt Nam a subi les pressions des représentants de l’Union Soviétique et de la Chine qui, en défendant leurs intérêts nationaux ont poussé les représentants du Viêt Nam à faire des concessions notamment sur le problème de la réunification et sur le délai du référendum. Sur ce point, on ne peut pas croire que les autorités du Sud Viêt Nam respecteront le délai fixé. Le peuple doit être vigilant et une seconde guerre ne sera sans doute pas évitable. ». Une analyse, partagée à l’époque avec plus d’un commentateur politique (et avérée fondée depuis), mais qui valait à l’époque l’épithète de « provocateur belliciste » !

5.4 Soutien à l'indépendance algérienne[modifier | modifier le wikicode]

Le 24 avril 1954, le camarade Hugues devenait gérant de la société Typo-Lino Service (rue du Vide Gousset à Paris 2e), société au capital de 2 millions de francs. Bien entendu, le jeune saigonnais n’avait pas fait fortune depuis son arrivée en France. Cette société s’était constituée avec l’argent de la IVe Internationale et du Groupe vietnamien auprès duquel cotisaient des centaines de travailleurs, 512 exactement avant le rapatriement des ONS. À ses cotés Tran Van Sam, un ancien ONS linotypiste, chargé depuis longtemps de l’impression des tracts et revues[31]. Cette imprimerie allait jouer un rôle important durant la guerre d’Algérie. Le Secrétariat Unifié de la IVe Internationale apportait un soutien politique et concret aux nationalistes algériens. «  Le jour nous éditions des journaux et des brochures pour “ la propagation de la Foi ”, le soir en heures supplémentaires nous faisions des faux papiers pour les Algériens, nous imprimions des tracts ou des journaux, tout ce qu’il fallait pour leur lutte clandestine. Nous n’étions pas les seuls bien sûr, mais la police ne nous a jamais trouvés ! C’est pour ça que nous ne sommes même pas répertoriés dans le livre Les porteurs de valises d’Hervé Hamon et Patrick Rotman. Mais contrairement à Pablo nous n’avons jamais fait de fausse monnaie », ajoute-t-il en riant !

6 Le reflux des années 1950[modifier | modifier le wikicode]

6.1 La scission de la IVe internationale[modifier | modifier le wikicode]

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Au début des années 1950, sous l’égide de Michel Pablo, la direction de l'Internationale estime qu'une troisième guerre mondiale est imminente, et qu'il faudra être pleinement capables de militer dans le camp de l'URSS. En prévision, il fallait donc rejoindre les principaux partis existants, communistes ou social-démocrates selon les pays, afin d’y développer, en leur sein, une orientation révolutionnaire. Cette tactique fut appelée « entrisme sui generis », ou entrisme à long terme.

Très contesté, ce tournant causa la scission de 1952. Majoritaire au sein de l’Internationale, mais minoritaire en France, cette tactique d’entrisme fut aussi partagée par le groupe trotskiste vietnamien, bien qu’une minorité de celui-ci le refusât.

Au Viêt Nam donc, et en particulier dans le Nord, des militants trotskistes de retour de France adhérèrent au Lao Dong, le Parti des Travailleurs. Dans le contexte de l'époque ils n'auraient pas pu créer publiquement une organisation indépendante. À ce jour il n'y a pas d'information disponible sur ce que devinrent ces militants. Dans le Sud, la plupart des militants avaient refusé cet entrisme et se lancèrent dans un travail syndical à Saigon qui semble avoir connu quelques succès, en particulier dans les transports.

6.2 Derniers grands départs pour le Viêt Nam[modifier | modifier le wikicode]

Le Groupe trotskiste vietnamien s’était développé au sein de l’immigration forcée des ONS et des tirailleurs indochinois. Le retour massif de ceux-ci asséchait donc leur base sociale. Dès la constitution du Groupe, il était clair qu’outre la défense des ONS en France, à travers la constitution d’organismes adéquats et pluralistes[32], la tâche spécifique du Groupe était la constitution, au Viêt Nam même, d’une puissante section vietnamienne de la IVe Internationale, prolongeant le combat de Ta Thu Thau.

Dans une lettre du 17 janvier 1955, le Secrétariat International adressait « aux camarades vietnamiens résidant encore en France  » un courrier dans lequel il les invitait à rejoindre au plus tôt le pays « à la demande des membres de la section résidant au Vietnam et qui demandaient le rapatriement immédiat de la totalité des membres séjournant encore en France. Le S.I. trouve cette demande justifiée et en accord complet avec ses propres vues sur la question. Le séjour prolongé de certains camarades membres de la section en France ne peut se justifier que dans le cadre où il s’agit de camarades ayant une fonction à remplir auprès de l’Internationale ou à assurer une meilleure liaison entre elle et la section.

Le S.I. a déjà fixé ces cas à trois à savoir les camarades Robert, François et Hugues auxquels des missions précises, dans le cas précisé, sont actuellement confiées. À une étape ultérieure, même ces trois camarades doivent êtres rapatriés. Pour tous les autres camarades le S.I. demande que des dispositions soient prises dès maintenant (souligné dans le texte) afin qu’ils puissent être rapatriés au plus tôt, un premier groupe au moins sinon la totalité des camarades devant partir en mars prochain au plus tard.

Les camarades qui croient avoir des raisons valables de prolonger leur séjour en France doivent fournir ces raisons devant une délégation du S.I. qui se tient dès maintenant à leur disposition.

Le S.I. demande à la direction du groupe en France de communiquer cette lettre à tous les membres du groupe et de prendre des mesures pour son application immédiate. La place de tous les militants trotskistes vietnamiens est là où s’accomplit maintenant la révolution vietnamienne et où un champ immense et exaltant existe pour leur activité révolutionnaire et l’avenir de l’Internationale.

Le S.I. a demandé d’autre part à la direction du groupe d’organiser une ultime préparation idéologique et politique des camarades en instance de départ, à laquelle il participera lui-même […] ».

6.3 Un candidat « trotskiste » désavoué à Saigon[modifier | modifier le wikicode]

Dans la grande ville du Sud, qui avait vu les succès de La Lutte et de Tha Thu Tau, une liste « trotskiste » avait, début 1953, remporté une victoire aussitôt dénoncée par le Secrétariat de la IVe Internationale dans les colonnes du mensuel La Vérité des Travailleurs de février 1953 : « Plusieurs journaux ont fait état à l’occasion des élections municipales au Vietnam de la victoire remportée par la liste du candidat « trotskiste » Nguyên Dan Thang à Saïgon. Le Secrétariat […] déclare que le nommé Nguyên Dan Thang (surnommé Phan Tuan Triet) avait séjourné en France entre 1939 et 1948 n’a aucun rapport avec la section vietnamienne de la IVe Internationale fondée par Tha Thu Tau. La section vietnamienne […] a, à plusieurs reprises, dénoncé dans sa presse les relations douteuses de cet individu. Exploitant habilement le prestige toujours énorme à Saigon du leader trotskiste Tha Thu Tau, qui a toujours lutté jusqu’à son assassinat en 1945 par les staliniens, pour une indépendance réelle du Vietnam et l’avènement d’un véritable gouvernement socialiste dans ce pays, ainsi que la clandestinité complète dans laquelle l’impérialisme et le gouvernement de Bao Daï maintiennent la section vietnamienne de la IVe Internationale, le nommé Nguyen Dan Thang a pu polariser un grand nombre de voix. Ces voix proviennent d’éléments qui voulaient à la fois protester contre l’impérialisme, contre le régime réactionnaire de Bao Dai et contre les agissements bureaucratiques des staliniens vietnamiens. » Là encore, l’état des recherches ne permet pas d’en savoir plus, mais il est important de noter qu’à Saigon, sept ans après l’assassinat de Tha Thu Tau et ses camarades, de multiples suffrages se portent encore sur un candidat se réclamant (à tort ou à raison) de lui et de son combat pour un socialisme démocratique.

Un certain nombre de militants, pour diverses raisons, ne suivirent pas la directive du S.I. et restèrent en France. Dans l’ensemble, soit ils avaient « raté » le dernier bateau qui, dans le cadre du rapatriement, pouvait les ramener gratuitement au Viêt Nam, soit mariés et ayant fondé une famille, ils ne souhaitaient pas l’exposer aux dangers d’un pays en guerre.

6.4 Pour la réhabilitation de Ta Thu Thau et de ses camarades[modifier | modifier le wikicode]

Après la mort de Staline en 1953 et le rapport Khrouchtchev en 1956 qui critiquait les crimes du stalinisme, un vent de relative libéralisation souffla dans les « démocraties populaires ». Khrouchtchev vint lui-même à Belgrade en mai 1955 pour exprimer des excuses publiques aux communistes yougoslaves et y signer une déclaration promettant des rapports fraternels et égalitaires. La réhabilitation des « titistes » exécutés ou emprisonnés au tournant des années 1950 à Budapest, Prague, Sofia ou Varsovie s’ensuivit. En Chine et au Viêt Nam, la Campagne des Cent fleurs promettait une plus grande liberté d’expression[33]. C’est dans ce contexte qu’une « lettre des travailleurs vietnamiens en France » fut envoyée au gouvernement Hô Chi Minh.

«  Le VIe Congrès annuel de l’Association des travailleurs vietnamiens en France s’est tenu à Paris les 6 et 7 octobre 1956. Après avoir pris connaissance des mesures de démocratisation réalisées dans plusieurs pays des Démocraties Populaires et de la réhabilitation des militants et leaders ouvriers injustement calomniés, emprisonnés, voire exécutés, s’adresse au Gouvernement de la République Démocratique du Viêt Nam et à son président Hô Chi Minh, afin de leur demander de fournir tous les éclaircissements sur les conditions dans lesquelles Ta Thu Tau, Phan Van Hùm, Trân Van Trach, leaders révolutionnaires trotskistes, Hoàng Dôn Vân, dirigeant syndicaliste, ancien ministre du Travail du gouvernement Hô Chi Minh et de nombreux autres militants révolutionnaires ont été exécutés sans jugement dans les années 1945-46-47-48 et 49. À l’exemple de ce qui a été décidé en Pologne, en Hongrie, en Bulgarie… la mémoire de ces militants doit être réhabilitée. »

Un mois après cette demande les chars soviétiques entraient à Budapest, la « libéralisation » avait très vite trouvé ses limites. Bien entendu, il n’y eut jamais de réponse à cette lettre.

7 A travers la Guerre du Viêt Nam[modifier | modifier le wikicode]

Natalia Sedova, la veuve de Trotski, s’éteignait le 26 janvier 1962 à Paris. Hoang Khoa Khoi, qui comptait parmi ses amis intimes, se souvenait avec plaisir de ses discussions et de l’émotion que lui procurait la compagnie de cette vieille dame, « comme si à travers elle, on touchait à la révolution d’Octobre 1917 ».

Jean-Michel Krivine raconte qu'il fut le seul membre non Vietnamien du groupe trotskiste vietnamien, qui dans les années 1960 se réunissait toutes les semaines chez Hoang Khoa Khoi, rue Saint-Ambroise dans le 11e arrondissement de Paris.[34]

Malgré une presse aux moyens limités (un seul mensuel de 8 à 12 pages et un trimestriel plus théorique) le Viêt Nam était régulièrement présent dans les colonnes de la section française de la IVe Internationale dès 1963. Certains articles sont écrits par Luu Thanh Kiem. Le Viêt Nam devient une question brûlante d'internationalisme lorsque les États-Unis envoient en 1965 des centaines de milliers de soldats soutenir le régime moribond du Sud Viêt Nam, et bombardent massivement le Nord « socialiste ».

« Il faut créer deux, trois, plusieurs Vietnam pour obliger l'impérialisme à disperser ses forces. »

Pour la IVe internationale le camp du Nord est le camp à soutenir à double titre, il s'agit d'une confrontation entre « l’impérialisme et le camp socialiste ». Face à la tiédeur de l'URSS, qui ne parle que de paix et de coexistence pacifique, tout un mouvement international déclare son soutien aux vietnamiens, ce qui était incarné alors par Che Guevara et son discours en 1967 à la Tricontinentale en particulier.

Les maigres forces de la IVe Internationale sont mises à contribution pour initier ou amplifier le mouvement de solidarité avec le Viêt Nam en lutte. Une coordination permanente constituée lors de la conférence de Bruxelles, le 11 septembre 1967 assura la préparation de la manifestation internationale des 17-18 février 1968 à Berlin. C’est au cours de cette manifestation (très médiatisée ultérieurement comme le point de départ de mai 68 en Europe) qu’apparut le slogan Hô Hô Hô Chi Minh, Che Che Guevara (scandée en sautillant). En réunissant ces deux figures du combat anti-impérialiste, il s’agissait de signifier que la lutte était mondiale et, par là même, recréer un sentiment d’internationalisme. Toutefois pour les Vietnamiens du Groupe trotskiste en France s’il ne faisait aucun doute que la question du Viêt Nam était centrale, la mise en avant de l’Oncle Hô posait problème. Hoang Khoa Khoï se souvenait :

« j’ai écrit au bureau politique de la Ligue Communiste et à Alain Krivine pour dire que si Che Guevara était un révolutionnaire sans tâche il n’en n’était pas de même pour Hô Chi Minh qui a fait assassiner des révolutionnaires lors de la Révolution d’août 1945. Ce slogan en mettant sur le même plan un révolutionnaire authentique et un stalinien non repenti créait une confusion regrettable et entraîna bien des illusions ».

En fait, la question du slogan recouvrait les discussions sur la nature politique du Parti communiste vietnamien et de sa direction. Certains pensaient qu’en faisant front à l’impérialisme américain et par là même en s’opposant à la coexistence pacifique, les dirigeants vietnamiens, tout en restant staliniens, avaient trouvé le chemin pour devenir des dirigeants révolutionnaires a contrario de tous les partis communistes qui s’étaient fourvoyés. Cette analyse découlait d’un certain optimisme politique que la période, aux alentours de l’année 1968 avec ses multiples explosions révolutionnaires dans le monde, rendait plausible. Elle se nourrissait aussi d’un postulat longtemps espéré que de « larges pans de militants des partis communistes, dans le feu de l’action, allaient rompre avec le communisme orthodoxe et rejoindre les révolutionnaires ». L’arrivée à la vie politique de nombreux jeunes se faisaient à la lumière des luttes anti-impérialistes dans le monde et non en référence aux luttes de l’ancienne opposition de gauche. Il est significatif que le premier numéro du journal de la JCR comporte en éditorial un texte de Lê Duan alors premier secrétaire du PC vietnamien.

Entre optimisme politique et nécessité de la solidarité effective avec le Viêt Nam combattant (qui fut une des tâches centrales de la IVe Internationale durant des années), toute critique « orthodoxe » sur la nature du PC vietnamien était pour le moins mal comprise ou suspecte de tiédeur révolutionnaire pour une majorité de militants.[35] Il fallut attendre la fin de la guerre pour que, à la lumière des évènements, il devint évident que la direction vietnamienne, pour victorieuse et héroïque qu’elle fut, restait alignée sur l’Union soviétique et instaurait un régime qui lui était proche.

8 Chroniques vietnamiennes[modifier | modifier le wikicode]

En novembre 1986, le groupe trotskiste vietnamien en France (membre de la LCR) commence la publication de la revue trimestrielle avec un tirage de 2000 exemplaires, Chroniques Vietnamiennes (il était noté sur la couverture : « Edité par le groupe trotskiste vietnamien en France (LCR) »). Cette publication faisait suite à l’arrêt de Nghiên Cuu jusqu’alors édité en vietnamien par le Groupe. Animée par Hoang Khoa Khoi, Dang Van Long, et quelques autres, cette publication en français avait pour principale ambition de s’adresser d’abord à la seconde génération des Vietnamiens de France qui souvent ignorait ou maîtrisait mal la langue de leurs parents. Mais aussi aux « anciens des mouvements de solidarité…/… qui, en criant FNL Vaincra, étaient persuadés que la victoire entraînerait l’éclosion d’une société plus juste…/… Tout en soutenant de toutes nos forces le combat anti-impérialiste du PCV jusqu’en 1975, nous n’avions pas toutes ces illusions partagées par la plupart de nos camarades français. La société qui s’édifie sous nos yeux est une copie conforme des sociétés soviétique, bulgare ou polonaise ». Hoang Khoa Khoi en rédigea presque tous les éditoriaux en signant Ha Cuong Nghi. Jean-Michel Krivine signait parfois de son nom, parfois Bui Thien-Chi.

Cette publication intervint alors qu’en Union Soviétique Mikhaïl Gorbatchev et son équipe avaient initié, depuis l’année précédente, la glasnost (transparence) et la perestroïka (reconstruction). Ces initiatives pour libéraliser le système laissent à penser que ces changements en cours pourraient bien se produire dans les pays frères dont le Viêt Nam. Tout en suivant de près et en commentant l’actualité du Viêt Nam (on note à la lecture des numéros une réelle connaissance de la société via certains correspondants sur place), la revue s’attache à faire connaître l’histoire du trotskisme vietnamien et son implication dans le mouvement des travailleurs indochinois alors quasiment inconnu en France. En 1988 un dossier complet apportait bien des précisions sur le sujet ainsi que sur l’itinéraire particulier du Dr Nguyễn Khắc Viện. Cet intellectuel vietnamien rénovateur au soir de sa vie avait séjourné en France de 1937 à 1963. Passant d’un nationalisme étroit (il avait accepté avec d’autres étudiants l’offre faite par l’Allemagne nazie d’un voyage d’étude dans le Reich en 1943) au stalinisme le plus servile après avoir, un moment, collaboré avec les trotskistes investis dans le mouvement des ONS.

En novembre 1988, Dang Van Long directeur de la revue écrivait à Claude Evin ministre de la Santé et de la Sécurité sociale et à Michel Charasse alors ministre du budget afin d’attirer leur attention sur le sort des Vietnamiens anciens ONS. Tous avaient cotisé à la Sécurité sociale durant leur séjour en France, ceux restés en France bénéficiaient normalement de leur retraite mais pas ceux retournés au Viêt Nam. Un comité de soutien aux anciens travailleurs et tirailleurs vietnamiens en France fut créé, mais ne put obtenir satisfaction. Il restait alors quelques milliers d’anciens ONS au Viêt Nam susceptible d’obtenir une retraite mensuelle de 250 francs (38 euros) une somme non négligeable au regard du marasme économique de l’époque.

Dans un numéro hors série une partie des mémoires de Hoàng Văn Hoan Une goutte d’eau dans l’océan fut traduit en français. Hoàng Văn Hoan ami personnel d’Hô Chi Minh, co-fondateur du PCI et ancien ambassadeur à Pékin fut un partisan de la ligne maoïste durant de nombreuses années. Mis sur la touche après la mort de Hô Chi Minh il critiqua la politique contre la minorité chinoise Hoa en 1979, puis se réfugia à Pékin d’où il dénonça la clique révisionniste de Hanoi.

La revue suivit de près le réveil des intellectuels vietnamiens qui semblait vouloir se dessiner à la fin des années 1980. Une campagne pour la libération de Dương Thu Hương fut lancée conjointement par les revues Doan Ket et Chroniques Vietnamiennes lorsque l’écrivain fut emprisonnée huit mois en 1991 après avoir été expulsée du Parti communiste en 1989 et exclue de l’Union des écrivains en 1990. La pétition connut un certain succès dans les milieux intellectuels.

Un nouveau dossier pour la réhabilitation des trotskistes vietnamiens assassinés par le Viêt Minh en 1945 eut moins de succès. En 1990, le colonel Bùi Tín responsable du journal du Parti communiste Nhân Dân, désabusé par la politique suivie depuis la Libération en 1975 profita de sa présence en France (invité à la Fête de l’Humanité) pour demander l’asile politique. Trop « rouge » alors pour les associations de réfugiés vietnamiens, il trouva refuge durant des mois chez Dang Van Long l’ancien ONS devenu l’historien du mouvement à travers ses ouvrages. Non seulement la disparition de l’Union soviétique et du « camp socialiste » n’entraîna pas la disparition du système en vigueur au Viêt Nam (ni celui de la Chine) mais l’introduction de l’économie de marché par la croissance qu’elle généra, légitima le pouvoir en place. La plupart des « dissidents » issus du Parti communiste, une fois à l’étranger, se tournèrent vers un anti-communisme primaire sans doute plus confortable que la recherche d’une critique de gauche du modèle stalinien. Hoang Khoa Khoi n’était pas vraiment étonné de ce revirement

« la plupart des anciens staliniens, surtout au Viêt Nam, n’ont pas une culture marxiste suffisante pour analyser les problèmes d’un point de vue matérialiste. Dans leur critique du système, ils jettent le bébé avec l’eau du bain comme aurait dit Lénine. Trop souvent, et faute d’une réelle boussole marxiste, une juste colère contre les méfaits du stalinisme a été exploitée à des fins étrangères au socialisme ». Beaucoup de Vietnamiens étaient en fait plus nationalistes que communistes. Pour un nationaliste la notion de classe n’existe pas et encore moins la lutte des classes, il n’est guère étonnant alors qu’ils basculent de manière si extrême ».

Parallèlement à la revue, le petit groupe, s’employa à traduire et à diffuser les œuvres fondamentales de Trotski et à les introduire au Viêt Nam même. Une dizaine de titres furent ainsi édités ainsi qu’un ouvrage de Nguyên Van Liên, un ancien ONS, sur Lénine sa vie et son œuvre et 3 tomes sous le titre : « Dossier des Trotskistes Vietnamiens en France ».

Dang Van Long, l’autodidacte, après un roman publié à Hanoi en 1996 (Linh tho ONS) s’était attaché à la publication d’un énorme ouvrage de 611 pages intitulé Nguoi Viêt o Phap 1939-1952 (Les travailleurs indochinois en France 1939-1952)[36].

Un numéro spécial sortit à l’automne 1997 avec un article écrit par Hoang Khoa Khoi en 1992 : « Qui a assassiné Ta Thu Thau et les trotskistes vietnamiens ? » Un dossier spécial sur le sujet avait été imprimé en 1987.

A l’automne 1997 un dernier numéro des Chroniques Vietnamiennes parut avec le récit de l’arrestation des « révisionnistes anti-parti » dont Vũ Thư Hiên fit le récit dans son livre La nuit en plein jour. La revue s’arrêta faute d’avoir trouvé une relève suffisante.

Le 26 septembre 2004, à Paris, se tenait une réunion publique pour commémorer le 60e anniversaire de la création de la Délégation Générale des Indochinois. à la tribune Hoàng Dôn Tri qui évoqua avec émotion son ancien professeur Ta Thu Thau au côté de Hoang Khoa Khoi et Nguyên Van Lièn ainsi que Ngo Van Xuyêt qui fut témoin et acteur de révolution d’Août 1945 à SaIgon. Khoi évoqua le mouvement des ONS et le rôle important que jouérent les trotskistes dans l’organisation des différentes structures qui se mirent en place[37]. Il souligna l’importance qu’avait la démocratie dans la lutte et dans les formes de représentation de la grande masse des travailleurs. Ce faisant il affirmait que des méthodes démocratiques dans la lutte anticipaient sur le degré de démocratie d’une société à venir, tandis que la coercition et le mensonge conduisaient invariablement au totalitarisme.

9 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Voir Liêm-Khê Luguern, « Les Travailleurs Indochinois en France pendant la Seconde Guerre Mondiale », Carnets du Viêt Nam, n° 15, p. 21
    et Joël Luguern, « Retraites avec un R comme Réquisition », ibid., n° 21, p. 15.
  2. http://www.immigresdeforce.com/
  3. Les camps de travailleurs vietnamiens en France (1939-1952)
  4. Le Monde, « Linh Tho », les oubliés de l’Indochine française, 2017
  5. Voir les Carnets du Viêt Nam, n° 21, p. 18.
  6. Entretien de Dominique Foulon avec l’auteur en 2001.
  7. Nguyễn Khắc Viện (1913-1997). Médecin et écrivain prolixe. Il fut le responsable des Viêt Kieu de France puis de retour au Viêt Nam le fondateur des Éditions en Langues étrangères à Hanoi et de la revue Études Vietnamiennes.
  8. Voir les Carnets du Viêt Nam, n°5. Henri Martin, le marin symbole de la lutte contre la guerre d’Indochine se souvenait que, jeune résistant, c’était un Vietnamien qui lui avait appris à se servir d’une mitraillette dans un maquis du Cher.
  9. Pour plus d’explications, lire Ngô Van, Viêt-Nam 1920-1945, Révolution et contre-révolution sous la domination coloniale, L’Insomniaque, 1996 (rééd. Nautilus, 2000) et Au pays de la cloche fêlée, tribulations d’un Cochinchinois à l’époque coloniale, L’Insomniaque, 2000.
  10. Cité par Ngô Van, op. cit., p. 359.
  11. Jean Sainteny, Histoire d’une paix manquée, Paris, Amiot Dumont 1953, p. 210-211.
  12. Titre de l’hommage que lui rendit l’Humanité le 26 avril 1993.
  13. Dans l’état de la connaissance des documents d’archives de l’époque. Il est possible qu’il y en ait eu avant. Ce texte est présumé être de mars 1946.
  14. Alain Ruscio, Les communistes français dans la guerre d’Indochine 1944-1954, Paris, L’Harmattan, 1985
  15. Voir : travailleurs-indochinois.org. La section « Rapatriements » recense par date et par bateau le retour des ONS
  16. Journal La Vérité n° 219, 18 juin 1948.
  17. Les descriptions de cette nuit de violence diffèrent selon les sources, témoins ou journaux en particulier à propos de la coupure d’électricité et de l’heure à laquelle la police est intervenue. Lors du procès de 1952, les mêmes incohérences subsistent à propos de la coupure d’électricité.
  18. Les décédés sont Bui Van Ngo (matricule TJ 901), Lê Van Dich (TJ 1257), Bui Van La (TJ 927), Pham Van Doai (TJ 746) ; une dernière personne ne put être identifiée. En fait, deux d’entre eux décédèrent à l’hôpital.
  19. Bulletin d’information édité par le Comité de Défense des travailleurs vietnamiens, août 1948 ; ainsi que le n° 319 de septembre 1948 de la revue syndicaliste révolutionnaire de Pierre Monatte La Révolution prolétarienne.
  20. Décines - Une Ville, Des Vies par Philippe Videlier, Paroles d’Aube, 1996
  21. Bulletin d’information édité par le Comité de Défense des travailleurs vietnamiens, août 1948.
  22. Ces documents se trouvent sur le site www.travailleurs-indochinois.org
  23. Les congrès de la IVe internationale, tome 2, L’internationale dans la guerre 1940-1946, textes rassemblés, introduits et préfacés par Rodolphe Prager, La Brèche, 1981. On trouve dans la section Viêt Nam de ce volume le nom des trotskistes vietnamiens tués « dans le combat anti-impérialiste » ainsi que ceux « assassinés par les staliniens ».
  24. Un Paris révolutionnaire, Emeutes, subversions, colères, par Claire Auzias, illustré par Golo Esprit frappeur, [Dagorno], Nautilus, 2001, P. 150.
  25. Revue IVe Internationale, sept/oct 1947.
  26. Voir sa biographie Au pays de la cloche fêlée, L’Insomniaque, 2000 ; et Au pays d’Héloïse, L’Insomniaque, 2000.
  27. 27,0 et 27,1 Les congrès de la IVe internationale, tome 2, L’internationale dans la guerre 1940-1946.
  28. In « L’itinéraire particulier du Dr Nguyen Khac Vien », Chronique Vietnamiennes n°4, été 1998.
  29. Union de la jeunesse républicaine de France. Appellation, de 1945 à 1956, des Jeunesses Communistes.
  30. Voir de Jean-Guillaume Lanuque, Le mouvement trotskiste français et la question coloniale : le cas de la guerre d’Indochine, 1945-1954, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Nancy II, 1995.
  31. « Tran Van Sam 1919-1990 » in Chroniques vietnamiennes n°10-11, printemps été 1991.
  32. Comme : Délégation générale des Indochinois en France, Délégation générale des Travailleurs vietnamiens, ou Association des travailleurs vietnamiens en France, les noms changent au fur et à mesure que ces organisations sont dissoutes par le gouvernement français.
  33. À lire Cent fleurs éclosent dans la nuit du Viêt Nam de Georges Boudarel, Paris, Jacques Bertoin, 1991. Belles œuvres rebelles ou la révolte des intellectuels par Hoang Khoi Khoi Carnets du Viêt Nam n°1
  34. HOANG KHOA KHOI (Robert) – 1917/2009, Revue Inprecor, 2009
  35. Cette question de la nature politique du PC vietnamien fut au centre d’un vaste débat au sein de la plupart des sections de la IVe Internationale. Après 1975 ce débat se poursuivit sur la nature de l’état mis en place au Viêt Nam mais aussi au Cambodge. Voir Inprecor n° spécial Indochine, 1980.
  36. Dang Van Long a aussi publié un recueil de poèmes : Tho long” (poèmes) Westminster Californie 1996.
  37. Son discours est disponible sur ESSF : La Délégation générale des Indochinois en France et l’activité du Groupe trotskiste vietnamien.