Management

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Le management, ou l'encadrement, est l'ensemble des techniques que développent et utilisent les patrons et les cadres pour s'assurer que les entreprises atteignent leurs objectifs de production, et dégagent du profit.

Le terme peut aussi désigner l'ensemble formé par les managers.

La présence d'un management s'oppose à l'autogestion / auto-organisation ouvrière.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

Le management est un terme moderne, mais il existait de fait lorsqu'existaient des formes de coopération dans le travail. On pourrait donc parler de management des ouvriers ou des esclaves faisant de grands travaux dans le bâtiment ou dans les champs.

Avec la prédominance des sociétés agricoles, ces formes restaient cependant d'une faible ampleur, et diminuent dans la féodalité. Elles connaissent un nouvel essor avec l'essor du capitalisme, d'abord avec la manufacture et l'esclavage moderne (coton aux États-Unis) qui lui est lié, puis un saut qualitatif avec la généralisation des fabriques (usines).

Avec le développement du capitalisme, les techniques utilisées dans la production deviennent plus sophistiquées, ce qui donne une importance croissante à des techniciens et des ingénieurs. Dans beaucoup de cas, au 19e siècle, les ingénieurs étaient directement au service du patron pour organiser le travail, incarnant un type de cadre à la fois technique et managérial.

Dans les années 1830-1848, au sein des jeunes issus de l'école Polytechnique, il y eut un certain élan « socialiste » (principalement saint-simonien), exprimant une volonté de mettre le progrès technique au service du progrès social. Cependant une grande partie de cette génération et des suivantes se mettra finalement au service direct du patronat.

« L’élite scientifique des classes moyennes se fait une place dans le monde nouveau, elle monte, mais à quel prix ? En se mettant du côté de la force, je veux dire du capital oppressif. »[1]

Cela permet de comprendre le contexte d'une violente grève comme celle des mineurs de Decazeville en 1886. La mine était dirigée par un ingénieur, Jules Watrin, qui est tué par la foule en colère.

2 Management et rendement[modifier | modifier le wikicode]

Historiquement la raison d'être du management est globalement d'augmenter la productivité, en surveillant les travailleur·ses, en les formant dans certains cas, ou en les mettant en compétition pour développer une certaine émulation.

Globalement, il est probable que la réduction du temps de travail, nécessaire pour le bien-être des travailleur·ses et pour disposer de temps de délibération collective implique une réduction de la rentabilité des entreprises. Le socialisme moderne repose de toute façon sur des moyens de production industriels largement assez développés pour pouvoir se le permettre.

Il y a cependant des contre-tendances, des exemples où l'absence d'autogestion produit actuellement des absurdités, de la gestion sous-optimale. Le management tend par exemple à former une couche bureaucratique. L’ouvrier militant Bill Watson rapportait l'anecdote suivante dans son usine : la direction avait prévu un inventaire pendant une période de chômage technique, cet inventaire devant durer 6 semaines. Les ouvriers mirent au point de façon auto-organisée une méthode plus efficace qui aurait pu écourter l’inventaire. Le management y mit aussitôt fin, arguant que « les canaux légitimes de l’autorité, de la compétence et de la communication avaient été violés. » « Le management était prêt à tout pour empêcher les travailleurs d’organiser eux-mêmes leur travail, alors même que cela aurait permis d’achever leur inventaire plus vite, qu’ils rentrent chez eux plus tôt, avec moins de salaires à leur verser. »[2]

3 Le management et l'actionnariat[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Des petites aux grandes entreprises[modifier | modifier le wikicode]

Aux débuts du capitalisme, le patron était à la fois le propriétaire de l'usine (ou manufacture), et son directeur / manager.

Parallèlement au développement de la grande industrie s'est développée la société par actions. Or, celle-ci sépare la propriété (détention d'actions) du management (directeurs et cadres sont de plus en plus des « salariés »).

Cette évolution a amené des phénomènes de bureaucratisation et d'institutionnalisation qui ont généré de nombreux commentaires. Ainsi dès le début du 20e siècle, Walter Rathenau écrivait :

« La désindividualisation de la propriété, l’objectivation de l’entreprise, le détachement de la propriété d’avec le possesseur fait que l’entreprise s’est transformée (...) en une institution qui ressemble à l’État. »

(Indépendant des différentes écoles de pensée, il est admis aujourd'hui qu'une entreprise moderne, en tant que personne morale, n'appartient à personne au sens strict.)

3.2 Nouvelles théories de l'entreprise[modifier | modifier le wikicode]

Certains théoriciens bourgeois ont annoncé que les principes de base du libéralisme économique (l'allocation efficace des ressources globales par la recherche individuelle du profit) s'effritaient. En effet les théories de l'école classique en économie reposaient sur le modèle d'une foule d'acteurs passant librement des contrats entre eux, la norme de l'échange étant la transaction dans le but de maximiser l'utilité. Or, avec des entités comme les grandes entreprises, apparaissent de grandes bureaucraties qui certes font des transactions entre elles, mais au sein desquelles tout un ensemble de décisions sont prises hors du marché (jeux d'influence entre cadres et actionnaires, entre actionnaires, entre cadres, planification des échanges intra-firme...).

Apparaît alors tout un champ d'études en économie appelé « théories de la firme » (qui visent à décrire le fonctionnement des entreprises). Dans les années 1930 et 1940, on annonce ainsi que le management devient le véritable pouvoir, autonomisé de l'actionnariat, et qu'il n'est plus soumis seulement à la recherche du profit qui caractérise les patrons en concurrence sur le marché. Un ouvrage qui marqua les économistes fut celui de Berle et Means, L’entreprise moderne et la propriété privée (1932). Les auteurs y soutenaient qu'avec l'autonomisation du management par rapport aux actionnaires, l'incitation à la recherche du profit s'évanouissait. Les managers n'avaient plus d'intérêt à faire fructifier au maximum une entreprise dont ils n'étaient pas propriétaires.

Certains s'en inquiètent et craignent un nouveau type de féodalisme, d'autres prônent une évolution harmonieuse vers une responsabilité sociale et environnementale des entreprises, voire une démocratisation de leur gestion. James Burnham (ancien trotskiste) écrivit La révolution managériale en 1941, livre dans lequel il dépeint une vision pessimiste de l'évolution du capitalisme vers une bureaucratie managériale.

Pour d’autres, cette évolution permettait une gestion désintéressée des entreprises. Tout un courant de pensée se mit à décrire les entreprises comme des mini-gouvernements. Mais cela fait ressortir que contrairement au gouvernement, il n’y a pas de démocratie (même libérale-bourgeoise) dans l’entreprise. Les penseurs réformistes revendiquent la démocratisation des entreprises, et certains patrons vont reprendre dans leur communication un discours sur la « responsabilité sociale » des entreprises, pour tenter de désamorcer les critiques.

3.3 Contre-offensive néolibérale[modifier | modifier le wikicode]

Les conservateurs et les néolibéraux puristes s'alarmaient au contraire de ces concessions verbales, avançant que le droit de propriété (et donc le droit des actionnaires d'utiliser les entreprises comme bon leur semble) devait être défendu coûte que coûte. Ils y voyaient avant tout une pente glissante.

Les néolibéraux vont en quelque sorte « reprivatiser » conceptuellement la firme, en la définissant seulement comme un pur “nexus de contrats”. C'est-à-dire un ensemble de contrats volontaires concentrés en un même point, un outil permettant à chacun de réaliser ses objectifs, rien de plus.[3] Pour eux, le management reste soumis à l'actionnariat, et n'en est que l'agent. Ils vont chercher à re-légitimer l’actionnariat comme “prise de risque”, en particulier Alchian et Demsetz avec leur théorie des coûts de production[4] (ce qui est connu comme la « Doctrine Friedman »).

Les néolibéraux ne se contentent pas de théoriser le contrôle des actionnaires, ils proposent des mesures performatives pour le renforcer, comme l'intéressement des cadres dirigeants (via les stock options par exemple).

Les actionnaires ont effectivement vu leur rapport de force augmenter sur le management à la fin des années 1970. La concentration progressive des actions qui a eu lieu au cours des années d'après-guerre a été un facteur qui a facilité cela. En effet, au début des années 1950, les actions étaient détenues à plus de 90% par des ménages (pour la plupart riches, bien sûr). Dans les années 1970 c'était désormais moins de 40%. Symétriquement la part des grands détenteurs institutionnels comme les fonds de pension et les fonds communs de placement était passée de 2% à 30%. Or, des grands actionnaires institutionnels peuvent bien plus facilement s'organiser pour influencer les sociétés qu'ils possèdent que des ménages dispersés[5].

Ils ont donc commencé à augmenter la pression pour obtenir des dividendes stables et généreux, ce qui a répercuté la pression à la rentabilité sur les entreprises, et donc les vagues de restructurations, de licenciements et d'augmentation de l'intensité du travail qui caractérisent le tournant néolibéral.

4 « Organisation scientifique du travail »[modifier | modifier le wikicode]

Des scientifiques et surtout des ingénieurs (lesquels faisaient à l'époque directement partie du management) se sont penchés de plus en plus sur l'organisation du travail, pour le rendre plus productif. Cela inclut des innovations techniques, mais aussi des innovations managériales (par ailleurs les innovations techniques impliquent aussi un certain travail de management pour les faire intégrer par les travailleur·ses) : travail à la chaîne, taylorisme, fordisme, toyotisme...

Dans le cadre du capitalisme, cette « organisation scientifique » est avant tout un outil pour augmenter les profits, et elle se traduit presque toujours par une hausse de l'intensité du travail et une perte de sens (aliénation) pour les travailleur·ses. Elle est par ailleurs pleine de biais qui font douter de son caractère scientifique. Les socialistes ont eu de nombreux débats pour savoir ce qui est positif et peut être conservé dans ces systèmes, et ce qui doit être complètement repensé.

5 Management autoritaire ou participatif[modifier | modifier le wikicode]

A partir des années 1970, s'adaptant aux nombreuses critiques et insubordinations ouvrières, des conceptions moins autoritaires du management ont commencé à être défendues par des réformateurs bourgeois. Certains avancent que l'on peut obtenir plus de rendement de la part des travailleur·ses lorsque l'on introduit de la « participation ». En réalité cette participation est largement fictive, ou elle ne concerne que d'infimes marges de manœuvres. Elle a par ailleurs une logique perverse : en posant le cadre de la concurrence capitaliste comme axiome, elle invite les salarié·es à déduire par eux-mêmes la nécessité de chercher le meilleur rendement pour faire survivre l'entreprise.

A noter que les cas de reprise en autogestion d'entreprises en coopératives, qui restent dans le cadre contraint du marché, représentent le cas limite de la participation (totale) à la gestion de l'entreprise.

Les nouvelles visions du management cherchent ainsi à présenter des visions lénifiantes dans lesquelles toute opposition d'intérêt entre dominants et dominés est gommée.

En 2020, l'historien Johann Chapoutot soutient que le nazisme aurait été la matrice du management du 20e siècle. D'autres contestent ce récit.[6]

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6 Management et planification[modifier | modifier le wikicode]

Dès la révolution industrielle, les patrons repoussèrent violemment toute idée de planification empiétant sur leur liberté individuelle. Marx soulignait qu'il y avait une certaine ironie à ce que ces mêmes bourgeois ne voient aucun problème à empiéter sur la liberté individuelle des ouvriers pour planifier leur rôle au sein d'une manufacture ou d'une usine. Ils veulent bien manager la division du travail des ouvriers, mais ne veulent pas que l'on manage la division du travail entre entreprises, n'admettant que la loi de la concurrence.

« [C]ette conscience bourgeoise qui exalte la division manufacturière du travail, la condamnation à perpétuité du travailleur à une opération de détail et sa subordination passive au capitaliste, elle pousse des hauts cris et se pâme quand on parle de contrôle, de réglementation sociale du procès de production ! Elle dénonce toute tentative de ce genre comme une attaque contre les droits de la Propriété, de la Liberté, du Génie du capitaliste. « Voulez vous donc transformer la société en une fabrique ? » glapissent alors ces enthousiastes apologistes du système de fabrique. Le régime des fabriques n'est bon que pour les prolétaires ! »[7]

7 Management et socialisme[modifier | modifier le wikicode]

Karl Kautsky, considéré comme le principal théoricien marxiste au début du 20e siècle, considérait que des méthodes de management permettant une certaine émulation devraient être conservées dans la phase de transition vers le socialisme.

« Même si le travail de management deviendra de plus en plus superflu à mesure que la socialisation progressera, il faut toujours veiller à ce que la production continue avec succès, si l'on veut que la production socialiste accomplisse plus que la production capitaliste et soit à la hauteur de ses grandes tâches.

Par conséquent, il faut que le management ait la plus grande liberté possible, qu'il n'hésite pas à verser des rémunérations extraordinaires si c'est le seul moyen de s'assurer les services d'organisateurs compétents.

Les travailleurs et la direction de chaque entreprise doivent avoir une part du surproduit qui résulte de leurs efforts particuliers, et non de facteurs naturels ou sociaux. »[8]

8 Cadrisme[modifier | modifier le wikicode]

Le cadrisme est une grille d'analyse avancée par certains marxistes pour comprendre la nature d'États comme l'URSS et la Chine. Dans cette vision, ce sont les cadres (bureaucratie politique, cadres techniques ou militaires...) qui dirigent.

🔍 Voir : Cadrisme.

9 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Jean Jaurès, Le Capitalisme, la Classe moyenne et l’Enseignement, 10 mars 1889
  2. Bill Watson, Counter-planning on the shop floor, 1971
  3. cf. Grégoire Chamayou, La société ingouvernable, 2018
  4. Alchian, A.A., Demsetz, H. (1972), « Production, Information Costs, and Economic Organization », American Economic Review, 62, December
  5. Doug Henwood, Take Me to Your Leader: The Rot of the American Ruling Class, Jacobin Magazine, Avril 2021
  6. Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui | Johann Chapoutot, Recension par Éric Pezet dans Droit et Société, Novembre 2020
  7. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre XIV : Division du travail et manufacture, 1867
  8. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922