Organisation scientifique du travail
L'organisation scientifique du travail est l'idée d'organisation le plus rationnellement le travail pour améliorer son efficacité, en terme de quantité ou de qualité.
Dans le cadre du capitalisme, cette « organisation scientifique » est avant tout un outil pour augmenter les profits, et elle se traduit presque toujours par une hausse de l'intensité du travail et une perte de sens (aliénation) pour les travailleur·ses. Elle est par ailleurs pleine de biais qui font douter de son caractère scientifique.
Le travail à la chaîne est une de ces formes d'organisation.
Le taylorisme est un système de discipline du travail mise au point par F. W. Taylor (1856-1915) dans lequel chaque geste est minuté, à la seconde près.
Le fordisme est également une forme d'organisation du travail, mais qui comporte également des notions économiques comme l'indexation des salaires sur la productivité.
1 Historique[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Mécanisation[modifier | modifier le wikicode]
L'introduction du machinisme peut être vue comme une des étapes de ce processus « d'organisation scientifique » du travail. Marx notait déjà qu'en introduisant des machines, les capitalistes forçaient les travailleur·ses à s'adapter à leur fonctionnement et à leur rythme (« subsomption du travail »).
1.2 Travail à la chaîne[modifier | modifier le wikicode]
1.3 Introduction du taylorisme[modifier | modifier le wikicode]
En 1911, Frederick Winslow Taylor, ingénieur américain, publia un ouvrage « Les principes d'une gestion scientifique », dans lequel il exposait un nouveau système d'organisation du travail, dont le but était d'améliorer la rapidité d'exécution des ouvriers. Après des années de travail au sein de l'aciérie où il avait gravi les échelons, il avait eu l'idée de décomposer les phases successives d'un procédé de production, pour rechercher les gestes les plus efficaces. Après avoir séparé les tâches à effectuer, il fallait les chronométrer, car le geste le plus efficace, c'était d'abord celui qui prenait le moins de temps. Les ouvriers devaient se limiter à l'exécution sans fin de ces gestes rationalisés, tandis qu'au-dessus d'eux et mieux payés, les bureaux des méthodes s'appliquaient à améliorer toujours plus la performance et la rapidité du travail productif lui-même.
L'objectif du taylorisme est d'obtenir la meilleure productivité possible des agents au travail et une moindre fatigue. Son organisation est confiée à un Bureau des Méthodes qui décompose le travail en opérations élémentaires qui sont étudiées, mesurées et chronométrées.
Le taylorisme est l'une des composantes du travail à la chaîne qui a été mis en place dans l'industrie automobile par Henry Ford (Fordisme).
L'application de ses méthodes provoqua des conflits sociaux. Le syndicat des ouvriers américains organisait la résistance, dénonçant la brutale intensification du travail. Taylor dut défendre ses méthodes devant une commission d'enquête gouvernementale. Mais tout scrupule fut balayé devant les gains de productivité qu'elles apportaient. Ainsi, les manutentionnaires des fonderies pouvaient manipuler quatre fois plus de tonnes qu'auparavant. Avec les gains de productivité importants, il y eut des augmentations de salaires, mais dans des proportions bien différentes : quand la hausse du travail accompli était de 360 %, les salaires, eux, n'augmentaient que de 60 %, soit six fois moins vite.
1.4 Socialisme et taylorisme[modifier | modifier le wikicode]
En 1913, Lénine s'opposait à ce « système scientifique pour pressurer l’ouvrier »[1]. Ou encore en 1914, il y voyait « l’asservissement de l’homme par la machine »[2], même s'il considère que « le système Taylor prépare le temps où le prolétariat prendra en main toute la production sociale.[3][4] Mais en 1916, en exil en Suisse, il lit des ouvrages sur le taylorisme et y voit, en partie, des exemples de « progrès technique sous le capitalisme menant au socialisme »[5].
Mais c'est surtout après la prise du pouvoir par les bolchéviks qu'il y a un revirement. Face à un appareil productif complètement désorganisé par la guerre et la guerre civile, le nouveau régime cherche à relancer la production. Lénine pense alors que l'aspect scientifique du taylorisme peut être séparé de l'aspect capitaliste :
« Le système Taylor allie, de même que tous les progrès du capitalisme, la cruauté raffinée de l’exploitation bourgeoise aux conquêtes scientifiques les plus précieuses, concernant l’étude des mouvements musculaires dans le travail, la suppression des mouvements superflus et malhabiles, l’élaboration des méthodes de travail les plus rationnelles, l’introduction des meilleurs systèmes de recensement et de contrôle », etc. « La République des Soviets doit faire siennes, coûte que coûte, les conquêtes les plus précieuses de la science et de la technique dans ce domaine. Nous pourrons réaliser le socialisme justement dans la mesure où nous aurons réussi à combiner le pouvoir des Soviets et le système soviétique de gestion avec les plus récents progrès du capitalisme. Il faut organiser en Russie l’étude et l’enseignement du système Taylor, son expérimentation et son adaptation systématique »[6]
Pour Trotski, du moment que la production est socialisée, n'importe quel système d'organisation du travail et de rémunération peut être utilisé, y compris le taylorisme :
« Sous le régime capitaliste, le travail aux pièces et à forfait, la mise en vigueur du système Taylor, etc., avaient pour but d'augmenter l'exploitation des ouvriers et de leur extorquer la plus-value. Sous le régime de la production socialisée, le travail aux pièces, les primes, etc., ont pour objet d'accroître la masse du produit social et par conséquent d'élever le bien-être commun. Les travailleurs qui concourent plus que les autres à l'intérêt commun acquièrent le droit de recevoir une part plus grande du produit social que les fainéants, les négligents et les désorganisateurs. »[7]
1.5 Toyotisme[modifier | modifier le wikicode]
Le toyotisme désigne une organisation du travail élaborée dans les années 1960 par l'ingénieur japonais Taiichi Ono et mise en place au sein de l'entreprise Toyota.[8]
Le toyotisme se veut d'abord une amélioration du taylorisme et du fordisme considérés comme insuffisants pour assurer une adaptation rapide des entreprises aux marchés. Il consiste à réduire les coûts de production par tous les moyens possibles. D'une part, il développe le juste-à-temps, c'est-à-dire la production à flux tendu, sans stock ; d'autre part, il s'appuie sur de nouvelles règles de management du personnel, censées apporter plus d'autonomie aux salariés, par opposition au taylorisme, qui affecte à chaque poste une personne et une tâche précise. En 1972, Satoshi Kamata, un journaliste japonais, a partagé pendant cinq mois le quotidien des ouvriers sur les chaînes de montage à l'usine Toyota de Nagoya. Dans son livre « Toyota. L'usine du désespoir », il raconte l'envers du décor, avec l'augmentation sans fin des cadences, la polyvalence bouche-trou, la mise en concurrence des salariés et la pression énorme au nom de l'esprit d'entreprise.
Cette méthode s'est généralisée à la fin des années 1980, en Europe et aux États-Unis, dans les usines de production, comme dans les services. On la retrouve aujourd'hui sous l'appellation de « lean management », traduire par le « management maigre ». En s'attaquant aux sources de gaspillage dans le processus productif, que seraient les stocks intermédiaires, les périodes d'attente, ou les mouvements inutiles, le lean agit au sens propre à la manière d'une cure d'amaigrissement, dans le seul but de procurer une rentabilité accrue aux entreprises. Pour les salariés, c'est l'intensification du travail, avec la chasse aux moindres temps morts et la réduction de leurs marges de manœuvre, sans pouvoir souffler.
À Airbus, des panneaux ont fleuri, recouverts de graphiques, informant en permanence sur la sécurité, la qualité, le coût, les délais et le personnel. L'activité de chaque machine et de chaque opérateur y est affichée, et tout est chronométré, quels que soient les éventuels problèmes techniques ou d'approvisionnement. La suppression des déplacements et une immobilisation plus longue sur le poste de travail obligent à solliciter toujours les mêmes muscles. Quant au contenu du travail lui-même, les promoteurs du lean vante la participation des ouvriers, rebaptisés opérateurs, à l'amélioration continue de l'organisation du travail, et de leur poste. Derrière une soi-disant responsabilisation et une plus grande autonomie, où l'opérateur se fixerait lui-même ses objectifs, il est surtout poussé à se mettre la pression lui-même, à culpabiliser s'il n'est pas assez productif, et à ne plus compter son temps de travail.
1.6 Automatisation[modifier | modifier le wikicode]
L'automatisation, processus déjà amorcée dès les débuts de la mécanisation, se poursuite sous des formes plus contemporaines avec les machines programmables informatiquement, les algorithmes...
2 Productivité du travail[modifier | modifier le wikicode]
Sur le volet quantitatif, le principal pour les capitalistes, l'organisation scientifique du travail vise principalement à augmenter la productivité du travail (produire plus à partir d'une même quantité de forces productives).
Un des leviers est les économies d'échelle : l'augmentation de la production permet souvent de baisser les coûts de production unitaires.
3 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Lénine, Un système "scientifique" pour pressurer l'ouvrier, 13 mars 1913
- ↑ Lénine, Le système Taylor, c'est l'asservissement de l'homme par la machine, 13 mars 1914
- ↑ Robert Linhart, Lénine, les paysans, Taylor : essai d'analyse matérialiste historique de la naissance du système productif soviétique, Paris, Le Seuil, 1976
- ↑ Marcel Turbiaux, Sous le drapeau rouge : la conférence internationale de psychotechnique de Moscou de 1931. 1re partie : Psychotechnique et taylorisme à la russe, Bulletin de psychologie, Numéro 527(5), 417-435, 2013
- ↑ Lénine (1915), Annotations au livre de Frank B. Gilbreth, Motion Study as an Increase of National Wealth
- ↑ Lénine, Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets, mars 1918
- ↑ Léon Trotski, Terrorisme et communisme, 1920
- ↑ Cercle Léon Trotski n°141 : Temps de travail, salaires et lutte des classes, 2015