Différences entre les versions de « Mouvement ouvrier et socialisme en France »

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Cette rupture aura par ailleurs des conséquences en retour sur l'ensemble du mouvement progressiste, car la perte d'une part importante de la base populaire de la République va précipiter sa chute, lors du coup d'État de Napoléon III en 1851.  
 
Cette rupture aura par ailleurs des conséquences en retour sur l'ensemble du mouvement progressiste, car la perte d'une part importante de la base populaire de la République va précipiter sa chute, lors du coup d'État de Napoléon III en 1851.  
  
Sous le [[Second Empire]] (1852-1870), les contestations sont beaucoup plus difficiles. Néanmoins, Napoléon III tente de jouer la carte de la « compassion sociale », en espérant ainsi dépolitiser les revendications ouvrières et les couper de toute revendication anti-gouvernementale. Il [[w:Loi Ollivier|autorise ainsi les grèves en 1864]]. Mais cela ne fonctionne pas, le socialisme se renforce lentement mais sûrement. La même année est fondée l'[[Association Internationale des Travailleurs|Association internationale des travailleurs]], notamment coordonnée par [[Karl Marx|Marx]] depuis Londres, même si la section française est surtout influencée par les idées de [[Pierre-Joseph Proudhon|Proudhon]].
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Sous le [[Second Empire]] (1852-1870), les contestations sont beaucoup plus difficiles, puis le régime s'assoupli à partir de 1860. Il permet à une délégation ouvrière de se rendre en 1862 à l'Exposition universelle de Londres, ce qui leur permet de constater les plus grands acquis obtenus par les ouvriers anglais. [[Henri Tolain]], qui a été à Londres, participe aux [[w:Élections législatives françaises de 1863|élections de 1863-1864]] et y fait apparaître pour la première fois une opposition ouvrière indépendante de la gauche républicaine (''[[Manifeste des 60]]'').
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Les [[w:Loi Ollivier|grèves sont autorisées en 1864]]. Napoléon III tente de jouer la carte de la « compassion sociale », en espérant ainsi dépolitiser les revendications ouvrières. Mais cela ne fonctionne pas, le socialisme se renforce lentement mais sûrement. La même année est fondée l'[[Association Internationale des Travailleurs|Association internationale des travailleurs]], notamment coordonnée par [[Karl Marx|Marx]] depuis Londres, même si la section française est surtout influencée par les idées de [[Pierre-Joseph Proudhon|Proudhon]].
 
[[Fichier:Commune de Paris barricade Place Blanche.jpg|vignette|Une barricade pendant la [[Commune de Paris (1871)|Commune]]]]
 
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Dans la situation chaotique créée par la [[w:Guerre franco-prussienne|guerre franco-prussienne]] et l'instauration de la [[IIIe République|III<sup>e</sup> République]] (1870), surgit la première grande [[révolution ouvrière]] manquée, celle de la [[Commune de Paris (1871)|Commune de Paris]] (1871). Si la sociologie du petit peuple parisien est encore très marquée par l'artisanat, et l'idéologie très hétéroclite (jacobinisme, proudhonisme, blanquisme...), la dynamique du mouvement lui-même fournit un modèle encourageant pour tous les socialistes ultérieurs. Pendant deux mois, la population parisienne sous hégémonie ouvrière auto-administre la capitale, et commence à prendre des mesures sociales. Alors même que l'influence du [[marxisme]] était négligeable sur les communard­·es (y compris sur les [[Association Internationale des Travailleurs|internationalistes]]), Marx considéra que la Commune était la « forme enfin trouvée » de la [[dictature du prolétariat]], comme il [[La guerre civile en France|l'écrivit]] au nom du Conseil général de l'[[Association Internationale des Travailleurs|Internationale]]. Pour lui cela révélait tout le potentiel du mouvement ouvrier, quand bien même ses leaders n'auraient pas une claire conception idéologique d'où ils allaient.
 
Dans la situation chaotique créée par la [[w:Guerre franco-prussienne|guerre franco-prussienne]] et l'instauration de la [[IIIe République|III<sup>e</sup> République]] (1870), surgit la première grande [[révolution ouvrière]] manquée, celle de la [[Commune de Paris (1871)|Commune de Paris]] (1871). Si la sociologie du petit peuple parisien est encore très marquée par l'artisanat, et l'idéologie très hétéroclite (jacobinisme, proudhonisme, blanquisme...), la dynamique du mouvement lui-même fournit un modèle encourageant pour tous les socialistes ultérieurs. Pendant deux mois, la population parisienne sous hégémonie ouvrière auto-administre la capitale, et commence à prendre des mesures sociales. Alors même que l'influence du [[marxisme]] était négligeable sur les communard­·es (y compris sur les [[Association Internationale des Travailleurs|internationalistes]]), Marx considéra que la Commune était la « forme enfin trouvée » de la [[dictature du prolétariat]], comme il [[La guerre civile en France|l'écrivit]] au nom du Conseil général de l'[[Association Internationale des Travailleurs|Internationale]]. Pour lui cela révélait tout le potentiel du mouvement ouvrier, quand bien même ses leaders n'auraient pas une claire conception idéologique d'où ils allaient.

Version du 12 octobre 2021 à 22:30

Fanion de soie de la devise des canuts.

Cette page vise à recenser les temps forts du mouvement ouvrier en France.

1 Mouvements précurseurs

1.1 Révolution française

La Manufacture royale de papiers peints employait 300 ouvriers, ce qui était alors une des plus grandes concentrations ouvrières de l'époque. Lorsque la rumeur court que le patron, Jean-Baptiste Réveillon, veut baisser les salaires, un immense mouvement de grève et de manifestations démarre, qui restera connu comme l'affaire Réveillon. Cet événément peut être considéré comme un des signes avant-coureurs de la Révolution, et à plus long terme comme un des premiers temps forts du mouvement ouvrier français.

On peut aussi évoquer la révolte des deux sous (1786), précurseur de la révolte des canuts.

La Révolution française va abolir les corporations de l'Ancien régime, qui étaient alors impopulaires de par le conservatisme qu'elles entretenaient (défense des intérêts des maîtres de jurande...). L'idéologie majoritaire parmi les révolutionnaires était qu'il ne devait y avoir aucun corps intermédiaire entre la Nation dans son ensemble et l'État républicain, et cela convenait assez bien à la bourgeoisie montante, qui pouvait ainsi espérer s'enrichir au delà des limites protectionnistes corporatives.

Or, cette reglementation (loi d'Allarde puis loi le Chapelier) va ensuite être appliquée pour nier le droit de grève et interdire la formation de syndicats.

2 De la Révolution jusqu'à la Commune

En France au 19e siècle, le monde ouvrier est en train de se former et de se détacher de l'artisanat à mesure que la révolution industrielle chamboule l'économie. Si aucune action n'est légale, cela n'empêche pas la lutte de classe d'exister. Cela lui donne plutôt un caractère explosif.

Les plus célèbres révoltes ouvrières de la première moitié du 19e siècle sont celles des Canuts, ouvriers de la soie à Lyon. Une première révolte a lieu en 1831, et une deuxième en 1834. Dans les années 1830, Lyon est percue comme l'épicentre des luttes de classe en France. Elle continuera à faire parler d'elle plus tard, par exemple avec la grève des ovalistes (d'autres ouvrières de la soie) en 1869.

Des mouvements de grève commencent à apparaître dans les mines. L'émeute des quatre sous aux mines d'Anzin est considérée comme la première grève de l'époque pré-syndicale en France. Le procès des mineurs, poursuivis pour délit de coalition, eut un grand retentissement.

Lamartine rejetant le drapeau rouge, un symbole de la révolution de 1848

En février 1848, les ouvriers parisiens et lyonnais sont une des forces motrices de la révolution qui débouche sur la IIe République. Mais en juin, ils sont à nouveau dans la rue pour réclamer une République sociale, après une profonde déception vis-à-vis de la bourgeoisie qui a pris la tête de l'État. Ils sont alors réprimés dans le sang, ce qui sera un événement marquant le début de la séparation entre gauche républicaine et gauche socialiste, entre bourgeoisie « progressiste » et mouvement ouvrier.

Cette rupture aura par ailleurs des conséquences en retour sur l'ensemble du mouvement progressiste, car la perte d'une part importante de la base populaire de la République va précipiter sa chute, lors du coup d'État de Napoléon III en 1851.

Sous le Second Empire (1852-1870), les contestations sont beaucoup plus difficiles, puis le régime s'assoupli à partir de 1860. Il permet à une délégation ouvrière de se rendre en 1862 à l'Exposition universelle de Londres, ce qui leur permet de constater les plus grands acquis obtenus par les ouvriers anglais. Henri Tolain, qui a été à Londres, participe aux élections de 1863-1864 et y fait apparaître pour la première fois une opposition ouvrière indépendante de la gauche républicaine (Manifeste des 60).

Les grèves sont autorisées en 1864. Napoléon III tente de jouer la carte de la « compassion sociale », en espérant ainsi dépolitiser les revendications ouvrières. Mais cela ne fonctionne pas, le socialisme se renforce lentement mais sûrement. La même année est fondée l'Association internationale des travailleurs, notamment coordonnée par Marx depuis Londres, même si la section française est surtout influencée par les idées de Proudhon.

Une barricade pendant la Commune

Dans la situation chaotique créée par la guerre franco-prussienne et l'instauration de la IIIe République (1870), surgit la première grande révolution ouvrière manquée, celle de la Commune de Paris (1871). Si la sociologie du petit peuple parisien est encore très marquée par l'artisanat, et l'idéologie très hétéroclite (jacobinisme, proudhonisme, blanquisme...), la dynamique du mouvement lui-même fournit un modèle encourageant pour tous les socialistes ultérieurs. Pendant deux mois, la population parisienne sous hégémonie ouvrière auto-administre la capitale, et commence à prendre des mesures sociales. Alors même que l'influence du marxisme était négligeable sur les communard­·es (y compris sur les internationalistes), Marx considéra que la Commune était la « forme enfin trouvée » de la dictature du prolétariat, comme il l'écrivit au nom du Conseil général de l'Internationale. Pour lui cela révélait tout le potentiel du mouvement ouvrier, quand bien même ses leaders n'auraient pas une claire conception idéologique d'où ils allaient.

Mais après le sommet d'espérance de la Commune, le mouvement ouvrier découvre l'abîme de la contre-révolution. La répression de la Commune est alors la plus sanglante qu'ait connu le monde ouvrier. Les années 1870 sont marquées par un profond reflux des luttes, une démoralisation et un profond impact sur les organisations (l'Internationale scissionne entre bakouninistes et marxistes et est réduite à l'insignifiance).

3 L'essor ouvrier de la fin du 19e siècle

Mines d'Anzin, lieu de la grande grève de 1884

La décennie 1880 est celle d'un retour de la combativité ouvrière. L'industrialisation a beaucoup progressé en France et de grandes concentrations ouvrières a ont commencé à apparaître. Le Parti ouvrier de Guesde et Lafargue (fondé en 1882) est parmi les premiers organisateurs de ce renouveau. Il forme notamment un syndicat dans les mines d'Anzin, dirigé par Basly, qui mènera la grande grève de 1884, celle qui débouchera sur la légalisation des syndicats et inspirera Germinal à Zola.

Cet épisode illustre déjà la problématique du réformisme et de la dialectique des conquêtes partielles qui accompagne toute l'histoire du mouvement ouvrier. Car Basly, après avoir été chassé des mines, sera élu un an plus tard député de Paris sur une liste de concentration républicaine, avant de devenir un opportuniste patenté, un des premiers « lieutenants ouvriers de la bourgeoisie » en France.

Une autre grève explosive est celle de Decazeville (1886). Revendiquant au départ des salaires décents, la grève dure 6 mois et débouche sur un violent affrontement pendant lequel le directeur de l'usine est tué. Les ouvriers jugés coupables seront condamnés à des peines de prison et de travaux forcés.

La Fédération nationale des syndicats et groupes corporatifs est créée en 1886. En parallèle se développent des Bourses du travail, lieux où les ouvriers s'entraident et s'auto-organisent. Le tournant vers les grèves de masse est pris au moment du Congrès corporatif de la Toussaint 1888, à Bordeaux-le-Bouscat, qui - cherchant les voies et les moyens de la grève générale et s’inspirant de l’exemple donné en 1886 par les travailleurs américains - appellent à un premier mouvement d’ensemble les 10 et 24 février 1889. A l’appui de cette perspective, la résolution adoptée rappelle :

« Nous avons d’ailleurs pour exemple les grands mouvements ouvriers d’Angleterre et d’Amérique, où des centaines de mille de travailleurs, au même jour, à la même heure, accomplissent simultanément et exactement tel acte précédemment convenu et décidé dans les congrès »

Le but est clair, net et précis : obtention de la journée de 8 heures et du salaire minimum. A ce moment-là, les guesdistes sont partie prenante de la mobilisation qui conduit au succès de ces deux journées revendicatives à caractère national et interprofessionnel.

Dans la foulée, 20 000 canuts lyonnais manifestent à la Préfecture, le 9 mars 1889.

Un an plus tard, sur proposition du congrès socialiste international de Paris qui s’est tenu le 20 juillet 1889, aura lieu la première manifestation internationale du 1er mai, le 1er mai ayant été retenu à l’honneur des martyrs de Chicago, condamnés à mort et exécutés après les manifestations du 1er mai 1886 en Amérique.

Le 16 avril 1890, dans une lettre à Laura Lafargue, Engels écrit : «  La résolution sur le 1er mai est la meilleure qu’ait formulée notre congrès. Elle prouve notre puissance dans le monde entier, elle ressuscite bien mieux l’Internationale que toutes les tentatives formelles de reconstitution ».[1] Cependant, Engels se défie des références à la grève générale. Critiquant un discours de Paul Lafargue, Engels raille « les rêveries de la grève générale » en expliquant : « Quand nous serons en mesure de tenter la grève générale, c’est qu’alors nous pourrons obtenir ce que nous voulons rien qu’en le demandant, sans le biais de la grève générale »[2] 

Le 1er mai 1890 est un succès. Parmi les événements qui rythment cette journée de combat ouvrier, une grève éclate dans le textile à Vienne en faveur de la journée de 8 heures : les provocations policières entraînent des affrontements et la prise de la fabrique par les ouvriers. La répression sera implacable : condamnations, peine de prisons… Soulignons également la célébration éclatante de ce 1er mai à Roubaix, en terre guesdiste, où les ouvriers refusent de reprendre le travail tant qu’ils n’auront pas obtenu gain de cause sur leurs revendications corporatives. Le mouvement prend un tour violent, l’état de siège est décrété et des militants guesdistes sont arrêtés.

La fusillade de Fourmies, un des drames qui ont marqué l'histoire du mouvement ouvrier

Le 1er mai 1891, la violence contre les grévistes atteint son paroxysme : à Clichy se livre une bataille au cours de laquelle les ouvriers sont brutalisés et condamnés. Et, c’est le massacre de Fourmies, où les soldats convoqués par le patronat tirent sur la population, tuant des mineurs (et leur famille) rassemblés pour une journée de grève festive.

En revanche, à Lyon, ce même jour, 60 000 ouvriers et ouvrières forcent un barrage de cuirassiers.

Cette même année, une grève de 44 000 mineurs du Pas-de-Calais est déclenchée en dépit des manœuvres du député socialiste réformiste Basly.

En avril 1893, Amiens est touchée par une vague de grèves édifiantes. Paul Lafargue se rend sur les lieux et livre son témoignage à Engels dans une longue lettre, en situant l’origine du mouvement dans le mouvement gréviste engagé par les ouvrières tisseuses, soutenues par les teinturiers :

«  Là est l’origine de cette grève qui est devenue générale : toutes les corporations ont été entraînées par l’exemple ; et, si l’on avait eu des hommes sous la main, on aurait pu soulever toutes les petites villes industrielles des alentours d’Amiens. Une seule conférence faite par moi à Corbie située à 18 km d’Amiens a déterminé les ouvriers des manufactures de chaussures à sortir des ateliers […] Tout marche à merveille ; les ouvrières ont obtenu ce qu’elles demandaient ; les teinturiers profitant de l’occasion ont imposé à leurs patrons un nouveau tarif ; d’autres corps de métiers, comme les déchargeurs du port ont également réussi ; mais les maçons, les menuisiers, les cordonniers au nombre de 4000, sont encore en grève. L’attitude des ouvriers a été tellement calme et leurs revendications si justes qu’ils ont  fini par gagner l’opinion publique. Les dons en argent et en nature arrivent au comité de la grève. Depuis le commencement, on s’était placé en dehors de la légalité stricte en faisant des manifestations et des processions dans les rues de la ville ; et en tenant des meetings en plein air sur les glacis des fortifications : j’ai cru le moment propice de violer la loi en envoyant une trentaine de femmes grévistes quêter dans la ville »[3]

En 1895 est fondée la Confédération générale du travail (CGT), par regroupement de la FNS et des Bourses du travail. Elle est alors dominée par le courant syndicaliste révolutionnaire. Celui-ci est alors très méfiant vis-à-vis des socialistes, d'autant plus que ceux-ci sont divisés et qu'une bonne partie soutient les tentatives d'aller vers de l'arbitrage obligatoire par l'État (bourgeois) des conflits sur les lieux de travail.

Sur l’ensemble de la période 1870/1910, nous avons :

  • Entre 1870 et 1880 : 30 000 grévistes et 500 000 journées chômées
  • Entre 1890 et 1895 : 92 000 grévistes et 1 500 000 journées chômées
  • 1900 : 4 000 000 journées chômées
  • 1906 : 9 500 000 journées chômées
  • 1910 : 4 800 000 journées chômées

Et : «  Selon la statistique établie par l’Office du travail, en 1900, il y a eu en dix ans, de 1890 à 1899, 4 194 grèves tenues par 922 080 ouvriers. D’après le nombre des grèves, il y a eu 24,401% de réussites complètes, 31% de réussites partielles, 38,63% d’échecs. Au total les grèves furent défavorables à un tiers des ouvriers seulement. Evaluant les profits et pertes concernant 508 grèves de salaires, M. Ch. Gide calcule que ces grèves furent du placement à 235%, et il ajoute :

«  A ce gain-là pour la classe ouvrière, il faudrait ajouter tout celui, impossible à calculer, qui se fait par ricochet, car toute hausse de salaire obtenue dans une industrie tend à se généraliser dans toutes les autres par la loi physique des vases communicants »

Parmi les autres résultats des grèves, il faut signaler, outre les augmentations de salaire et la réduction de la journée, la pratique du contrat collectif qui répond aux objectifs fondamentaux de l’action syndicale : empêcher la concurrence entre ouvriers. Les différentes grèves des mineurs du Nord aboutissent aux célèbres  conventions d’Arras (1891-1898-1899-1900) fixant les salaires de base ; dans les cuirs et peaux, en 1892, un accord s’établit entre les ouvriers et les mégissiers d’Annonay sur les questions de salaire et de durée de la journée de travail ; les travailleurs des ports et docks en 1902-1903 ; les travailleurs de la terre du Midi en 1903-1904 signent également des contrats »[4]

Les conditions de la lutte ne sont cependant toujours pas simples. Malgré la légalisation de 1884, les gouvernements n'hésitent pas à s'appuyer sur le délit dit « d’atteinte à la liberté du travail » (articles 414 et 415 du Code pénal) pour faire réprimer des grèves trop menaçantes par l’armée et emprisonner des syndicalistes et des grévistes.

En parallèle, d'autres approches sont tentées pour calmer les ouvrier·ères. Comme par exemple la constitution de syndicats chrétiens plaidant pour la collaboration des classes, dans une idéologie corporatiste, voire directement des syndicats maison. Par exemple en 1899 la compagnie Schneider inflige un revers décisif à la CGT dans les mines du Creusot, réussissant à liquider le syndicat et à licencier 2000 ouvriers syndiqués.[5] Ce danger pouvait venir aussi de faux amis socialistes.

Mais en France, les syndicats jaunes n'ont jamais atteint une position forte. Puisqu'il fallait composer avec les syndicats combatifs et leurs alliés socialistes, la bourgeoisie (en premier lieu son aile républicaine) s'est mise à amadouer voire corrompre leurs leaders. En 1899 le premier socialiste à entrer dans un gouvernement (bourgeois), Millerand, était un carriériste sans conviction (il fut désavoué par la plupart des autres socialistes). Millerand dépose en 1900 un projet de loi d'inspiration corporatiste visant à instaurer un arbitrage obligatoire des conflits du travail.

4 Au 20e siècle

4.1 Début du 20e siècle

De 1902 à 1906, après une accalmie observée au cours de la période 1895-1900, la tendance à la grève s’accentue dans le pays.

La grève de Montceau-les-Mines en 1901, grève longue, a inauguré ce nouveau cycle. Les grévistes se battent contre la troupe, condamnations et emprisonnements pleuvent. Les dirigeants réformistes tentent d’étouffer la proposition de grève générale par une consultation-référendum. Or, le référendum se prononce pour la grève générale des Mines. De concert, dirigeants réformistes et gouvernement font miroiter des promesses qui permettent d’ajourner la grève générale. Promesses non tenues. 1800 mineurs sont révoqués. Mais, en 1902, le congrès national des mineurs appelle à la grève générale contre la réduction des primes sur salaire. En réaction, le gouvernement procède à l’occupation  militaire des Mines du nord. Ce faisant, Jaurès et Basly, de concert, pressent le gouvernement de procéder à l’arbitrage. Sur les conseils de leurs dirigeants, les mineurs acceptent l’arbitrage qui, comme on pouvait s’y attendre, est un nœud coulant. La grève est défaite.

C’est à la suite de cette trahison que, un an plus tard, Benoît Broutchoux, anarchiste valeureux, impulse le « jeune syndicat » (dans lequel participeront les guesdistes) face au « vieux syndicat réformiste » des « baslycots » dans les Mines.

En 1904, c’est la grève générale du textile rouannais soutenue par 5000 grévistes. Le Maire et l’adjoint au Maire, ceints de leur écharpe tricolore s’opposent à l’entrée de la troupe dans la ville. Les grévistes obtiendront satisfaction partielle de leurs exigences.


En 1906 a lieu la catastrophe de Courrières : une explosion dans une mine fait plus de 1000 morts. Dans les jours qui suivent, un mouvement de grève et de révoltes spontanées submerge les cadres syndicaux réformistes. Le Jeune syndicat propose au syndicat réformiste l’unité par un comité de grève. Les réformistes jetant l’exclusive sur Broutchoux, se défaussent. Après avoir louvoyé, Clémenceau, ministre de l’Intérieur, fait donner la troupe qui envahit le bassin minier tandis que Broutchoux et Monatte sont arrêtés puis accusés d’avoir été financés par d’obscurs bonapartistes pour fomenter un complot antirépublicain. Une fois encore, la grève est conduite à l’échec par Basly et ses affidés, même si elle aboutit à la réinstauration du repos du dimanche.

Le 30 avril, Victor Griffuelhes est à son tour arrêté. Mais, l’action du 1er mai pour l’obtention des 8 heures (au cours de la grève des mineurs, le mot d’ordre lancé par Broutchoux était « huit heures, huit francs ») n’est pas enrayée pour autant.

«  A Paris et dans certaines villes, des manifestations imposantes ont lieu, relate Dolléans. De nombreux travailleurs y participent. Nombreuses sont aussi les grèves qui éclatent le 2 mai. La grève de la Fédération du Livre avait commencé le 18 avril ; puis, à partir du 25 avril et du 2 mai, une vingtaine de corporations et 150 000 ouvriers suivent le mouvement. En outre, dans la Métallurgie, pour le département de la Seine, 50 000 ouvriers font grève. »[6]            

4.2 Résistance et Libération

Le mouvement ouvrier participe aussi à la résistance contre les nazis. La grève des mineurs de 1941 est connue comme l'un des premiers actes de résistance collective à l'occupation.

A la Libération, le mouvement ouvrier est fortement canalisé par l'accord au sommet entre gaullistes et communistes (alors hégémoniques dans la classe ouvrière) pour reconstruire l'État. « Produire d'abord, revendiquer ensuite », tel est le slogan des dirigeants du PCF. Il y a néanmoins rapidement quelques grands retours de la lutte des classes, notamment avec la grève des mineurs de 1948.

4.3 Après-guerre

Certaines grèves seront déclenchées par les transformations de l'appareil productif, qui menace certains secteurs ouvriers. Ainsi dès 1960, le plan Jeanneney organise une réduction progressive de l'industrie charbonnière. Cela déclenchera notamment la grève des mineurs de 1963.

Puis ce fut le tour de la sidérurgie d'entrer en déclin, en particulier en Lorraine. Une grève générale de plus de 3 semaines a lieu dans la sidérurgie lorraine en 1967. Puis un vaste mouvement de révolte ouvrière a lieu en 1978-1979, avec de nombreuses actions. Mais inexorablement les usines ferment et les licenciements pleuvent.

4.4 L'espoir douché de l'union de la gauche sous Mitterrand

Au moment de l'arrivée à la présidence de Mitterrand en 1981, un certain nombre de réformes sociales promises sont octroyées, notamment une hausse du SMIC, des allocations familiales, la retraite à 60 ans. Mitterrand avait promis la réduction du temps de travail à 35 heures par semaine, le gouvernement annonça 39 h, sans garantir le maintien intégral du salaire, à négocier avec le patronat. Et à cette occasion, le gouvernement ouvrait une possibilité que la droite n'avait jamais osé évoquer, celle de mettre en place la flexibilité des horaires et l'annualisation, en remettant en cause le principe du calcul du temps de travail sur la semaine.

Ce sont les travailleurs qui, en s'invitant directement dans le débat, allaient priver le patronat du bénéfice de ce gros cadeau du gouvernement de gauche. En effet, en réaction aux appétits des patrons lors des négociations qui s'ouvraient en février 1982 pour la mise en place de ces mesures, des grèves, parfois très dures, éclatèrent dans le pays. De la métallurgie à l'automobile jusqu'aux employés de supermarché, bien des secteurs connurent des réactions de protestation souvent spontanées, qui mettaient parfois des milliers de travailleurs en mouvement. Cela inquiéta le patronat et le gouvernement. Mitterrand annonça que le passage aux 39 heures serait partout indemnisé à cent pour cent. Quant au patronat, il préféra repousser la mise en place de la flexibilité à plus tard.

En 1982, le gouvernement compléta la nationalisation des banques et du crédit, qu'avait opérée De Gaulle après la Deuxième Guerre mondiale, soit 29 banques et 2 sociétés financières Paribas et Suez. À cela s'ajouta la nationalisation de 5 grands groupes industriels : Saint-Gobain, Péchiney-Ugine-Kuhlmann, Thomson, CGE et Rhône-Poulenc. 700 000 salarié·e·s passèrent du secteur privé au secteur public. Environ un quart de la valeur ajoutée (et près de la moitié du capital productif) des entreprises était sous le contrôle de l’État.[7] Pendant des mois, des années, les militants des syndicats, du PCF et du PS, avaient affirmé que les nationalisations permettraient de garantir les emplois et même de développer les entreprises. Dans les faits, des milliers de travailleurs furent licenciés, pendant que les fermetures d'usines transformaient en désert industriel des régions entières. Et c'était le gouvernement Mauroy, avec ses ministres communistes, qui se chargeait de ce que lui-même appellera « le sale boulot ».

Le gouvernement, après avoir montré de quoi il était capable dans les entreprises sous son contrôle, cautionna explicitement les plans de licenciements dans le privé. En 1983, il soutient le patronat de Renault, puis de Peugeot, lequel imposa 1 900 licenciements à son usine de Talbot-Poissy, fin 1983. Quand les ouvriers se mirent en grève et occupèrent l'usine, le gouvernement envoya les CRS pour les déloger. La grève Talbot resta isolée, mais fut suivie et commentée dans le pays par les travailleurs. Le ministre communiste Jack Ralite, passé de ministre de la Santé au poste annexe de l'Emploi, après avoir déclaré qu'il n'accepterait aucun licenciement, qualifia d'« acquis intéressant » l'accord qui entérinait ces licenciements.

Puis ce fut le plan acier annoncé en mars 1984 : 21 000 emplois supplémentaires supprimés après les dernières saignées de 1978-1979 qui venaient à peine de s'achever. La colère, le désespoir se mêlaient au sentiment de trahison. Mitterrand lui-même avait promis aux sidérurgistes qu'il ne permettrait plus aucune suppression d'emploi dans la sidérurgie.

La sidérurgie en Lorraine, qui connaît une crise majeure, est complètement abandonnée par le PS et le PCF malgré les promesses de Mitterrand

En avril 1984, 150 000 travailleurs manifestaient en Lorraine, des affrontements très violents se produisaient avec la police, des portraits de Mitterrand étaient brûlés, la permanence du PS mise à sac à Longwy.

Les syndicats encadrèrent fermement une grande marche de la sidérurgie sur Paris, le 13 avril, mais sous forme d'enterrement. Comme depuis 1981, encore une fois, les dirigeants syndicaux, qui se voulaient les défenseurs de leurs amis au gouvernement, firent tout pour que cette colère ne converge pas dans un mouvement puissant du style de celui de 1979.

Marchais pris part à la manifestation de Paris en critiquant le plan acier, pendant que ses camardes ministres manifestaient leur solidarité gouvernementale. Jean-Claude Gayssot, le numéro deux du parti, rendit visite aux travailleurs en Lorraine, les assurant que tout serait mis en œuvre pour s'opposer au plan acier, le jour même où les députés du PCF votaient la confiance au gouvernement sur sa politique industrielle. L'Humanité titra : « Nous sommes au gouvernement et avec les travailleurs »...

4.5 Grandes grèves de 1995

4.6 La « gauche plurielle » et ses attaques

🔍 Voir : Gauche plurielle.

Le gouvernement Jospin, qui comprend des ministères PS, PC et Verts, est connu pour avoir privatisé plus que les gouvernements de droite précédents réunis. C'est par exemple le ministre PCF Gayssot qui fait éclater la SNCF par la création de RFF, pour préparer l’ouverture à la concurrence et la privatisation.

Dès l’élaboration de leur premier budget, à l’automne 1997, les députés de gauche appliquent le plan Juppé contre la Sécurité sociale (le PCF s’abstenant), alors que tous leurs partis s’y étaient opposés en décembre 1995, sous la pression de la lutte de classe.

Une des mesures que le PS a fait passer pour une mesure phare et « de gauche » est la loi Aubry sur les 35 heures. En apparence elle s'inscrit dans la ligne de la revendication ouvrière de réduction du temps de travail. En réalité, tout en réduisant le temps de travail annuel, cette réforme a introduit de l’autre une série de dispositions à l’avantage des patrons : nouvelles exonérations de cotisations sociales (donc baisse du salaire socialisé), annualisation donc flexibilité des horaires, blocage des salaires possibilités de déroger aux conventions collectives... Sans surprise, des grèves éclatent dans les entreprises au moment où les lois Aubry s’appliquent concrètement.

Le PS ajoute un nouveau type de contrat précaire avec la création des « emplois-jeunes ».

5 21e siècle

En février 2000, les fonctionnaires du ministère des finances se lancent dans une puissante mobilisation qui contraint le ministre PS , Christian Sautter, à abandonner une contre-réforme et à démissionner.

En mars 2000, un puissant mouvement des enseignants pousse le ministre Claude Allègre, qui disait vouloir « dégraisser le mammouth » de l'Education nationale, à démissionner.

En novembre 2000, le travail des enfants est ré-autorisé à partir de 13 ans.

5.1 Mobilisation contre la réforme des retraites de 2003

Au sommet européen de Barcelone, Jospin signe avec Chirac l’engagement d’élever l’âge de la retraite pour les fonctionnaires et pour tous les salariés, ouvrant la voie à ce qui deviendra la contre-réforme contre laquelle des millions de travailleurs se sont mobilisés au printemps 2003…

6 Notes et sources

  1. Marx/Engels et la Troisième république. Lettre d’Engels du 16 avril 1890.Page 245. Editions sociales-1983
  2. Cité dans : La grève générale en France. Robert Brécy. Page 34. EDI 1969
  3. Cité dans : La grève générale en France. Robert Brécy. Page 44. EDI 1969
  4. Histoire du mouvement syndical en France. René Garmy. Pages 182-186. Bibliothèque du mouvement ouvrier 1970.
  5. JP Le Crom, L'introuvable démocratie salariale Le droit de la représentation du personnel dans l'entreprise (1890-2002)
  6. Histoire du mouvement ouvrier ** 1871-1920. Edouard Dolléans. Page 135. Armand Colin. 1967
  7. Tendance Claire du NPA,