Morale

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Moïse recevant les Dix Commandements

La morale (du latin moralis « relatif aux mœurs ») est une notion qui désigne l'ensemble des règles ou préceptes, obligations ou interdictions d'une société donnée. Le terme d'éthique a un sens proche.

La conception matérialiste de l'histoire s'attache à montrer comment la morale évolue en fonction de la base de la société, les rapports de production. La morale est une composante essentielle de l'idéologie, et en période de « paix sociale », la morale dominante est la morale de la classe dominante.

Ainsi depuis l'apparition des sociétés de classe, la morale condamne fermement le vol, parce que les possédants sont ceux qui ont le plus à perdre en cas de pillage généralisé.

1 Évolution de la morale[modifier | modifier le wikicode]

Dans un ouvrage de vulgarisation du marxisme, Boukharine écrivait :

« Dans le domaine sexuel, à un certain stade de développement, lorsque le clan s'appuyait aussi sur le lien du sang et que les hommes d'un autre clan (c'est-à-dire, en réalité, d'une autre société) étaient des ennemis, on n'estimait pas coupable le mariage entre les parents les plus proches et on considérait comme tout particulièrement sacrée l'union avec sa mère ou sa fille (comme, par exemple, dans l'ancien­ne famille iranienne).

Lorsque les forces productives étaient encore très faiblement développées et que l'écono­mie, sociale était insuffisante pour entretenir des bouches inutiles, les mœurs et la morale jugeaient nécessaire de tuer les vieillards (suivant Hérodote, Strabon et autres historiens anciens). C'est par des causes analogues que s'explique l'usage dont parle Strabon, suivant lequel les vieillards s'empoisonnaient volontairement. Par contre, lorsque ces vieillards jouaient un certain rôle, dans la production ou la direction de celle-ci, l'usage prescrivait le respect de la vieillesse (Voir E. Meyer : Elemente der Anthropologie. Éléments d'Anthropologie, pp. 31-32 et suiv.). (...)

E. Meyer écrit avec justesse : « Le contenu même de la morale, des usages et du droit, dépend du régime social qui existe à un moment donné et des conceptions de la société... Aussi peuvent-ils avoir, dans des sociétés différentes et à différentes époques, un caractère diamétralement opposé. » Dans la Chine ancienne, le pouvoir d'État féodal, disposant d'un grand nombre de fonctionnaires de divers rangs, avait une importance énorme. La domination de cette couche bureaucratique et foncière se basait idéologiquement sur la doctrine de Confucius, composée de tout un système de règles de conduite. Un des articles les plus importants de cette science morale était la doctrine du respect envers les supérieurs (Hiao) : « Il faut supporter la calomnie, et même subir la mort, si c'est utile pour l'honneur du souverain ; on peut (et il faut) en général corriger par son service fidèle les erreurs du souverain et c'est en cela que consiste le respect (Hiao). (Max Weber : Gesammelte Aulsätze zur Religionssoziologie (Études sur la sociologie de la religion, Tübingen, édition Mohr, 1920, 1 vol., p. 419). L'atteinte portée à ce « Hiao » constitue l'unique péché. Est barbare celui qui ne le comprend pas, celui qui ne comprend pas la « bienséance » (Conception essentielle de la doctrine de Confucius). « La piété (Hiao) à l'égard du seigneur féodal est mise sur le même pied que le respect (Hiao) à l'égard des parents, des maîtres, des chefs de la hiérarchie bureaucratique et de ses dignitaires » (ib. 446). La discipline, de même que le respect est une des plus grandes vertus. « La désobéissance est pire qu'une pensée lâche » (ib. 447). L'idée qui domine tout est celle de l'ordre.

« Mieux vaut vivre comme un chien, mais en paix, que d'être un homme en état d'anarchie, dit Tchen-Ki-Tong » (457). Comme toute morale bureaucratique, la morale de Confucius interdisait évidemment la participation des fonctionnaires au travail destiné à acquérir les richesses... comme à une œuvre douteuse au point de vue moral et indigne de cette « caste » (ib. 447). On ne peut choisir ses amis que parmi des égaux, au point de vue social ; les riches sont meilleurs que les pauvres, parce qu'ils peuvent accomplir toutes les cérémonies ; le peuple, le « stupide peuple » (Youn Min) est opposé au « gentleman » (littéralement : à l'homme-prince). Il est carac­téristique que tout cet énorme système de règles de conduite qui soutenait le régime féodal nobiliaire, portait le nom de « Hung-Fan ». C’est-à-dire le « grand plan » (ib. 457). Le lien qui unit cette doctrine à l'ordre social est évident. Et toutes les nombreuses « cérémonies chinoi­ses » s'unissaient en réalité au courant idéologique dominant et servaient de filet à mailles de soie destiné à entortiller toute la société et à soutenir le régime correspondant.

Examinons encore la chevalerie française du Nord au XIIe et au XIIIe siècle. Les chevaliers célébraient « les belles dames » et luttaient « pour elles » dans les tournois. Mais leur « concep­tion idéale de l'amour et du bonheur » avait la forme de « l'honneur de caste ». (Voir: Weltgeschichte, Histoire mondiale, de H. Helmolt, vol. V, p. 496, Leipzig und Wien, 1919). Le rôle principal de la chevalerie dans la société était la guerre et les actions militaires. Rien d'étonnant alors que « les normes » contribuassent à créer un type militaire d'hommes formant une classe particulière : « Le chevalier qui... se révélait lâche, était chassé, publiquement déshonoré par le hérault, maudit par l’Église ; le bourreau brisait ses armoiries et ses armes, son bouclier était atta­ché à la queue d'un cheval... » Etc... « Les tournois servaient d'exercice dans l'art militaire... » (ib.).

En même temps qu'apparaît l'ordre capitaliste, les mœurs, la morale, etc., changent. La prodi­galité cède la place à la passion de l'économie et aux vertus correspondantes. « Ce n'est pas la conduite d'un seigneur féodal qui fait honneur à un honnête homme mais le fait d'avoir ses affaires en ordre. » (W. Sombart : le Bourgeois.) Il faut vivre d'une façon « correcte »... il faut s'abstenir de tout excès, ne se montrer que dans une bonne société. Il ne faut pas être ivrogne, joueur, coureur de femmes, il faut aller à la messe et au sermon du dimanche, en un mot, il faut être un bon « citoyen » par rapport au monde extérieur et dans l'intérêt de ses affaires; car cette vie morale augmente le crédit » (ib.). Certes, cette morale de tartufe protestant, a cédé la place à une autre, quand la situation de la bourgeoisie a changé et quand les affaires de la firme ont cessé de dépendre de la conduite de son propriétaire. (...)

En dehors de la morale de classe il existe encore d'autres formes de morale, comme par exemple, la morale professionnelle des médecins, des avocats, etc... C'est de même que se déter­mine également la morale des voleurs qui est rigoureusement observée par eux (on ne dénonce pas les siens). Ainsi, toutes les normes que nous avons examinées ci-dessus, constituent les liens qui maintiennent l'unité de la société, d'une classe, d'un groupement professionnel déterminés. »[1]

2 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Obéissance aux supérieurs[modifier | modifier le wikicode]

La morale a souvent été invoquée pour le maintien de l'ordre établi. On parle de « la morale » (au singulier, sans adjectif), pour mieux appuyer son autorité, comme s'il y avait une morale éternelle et évidente. Ainsi après la Révolution française qui ébranle l'ordre établi et la morale chrétienne (en fait, la morale bien particulière du clergé de cette époque), Napoléon réaffirme celle-ci :

« Nulle société ne peut exister sans morale, et il n’y a pas de bonne morale sans religion. Il n’y a donc que la religion qui donne à l’État un appui ferme et durable ».[2]

Clairement, ce qui intéressait les classes dominantes à ce moment-là, ce n'était pas n'importe quel aspect de la moralité, mais surtout la « qualité » de l'obéissance, opposée à l'esprit de remise en question. Napoléon préconisait ainsi à 1807 à une maison d'éducation de jeunes filles : « Élevez-nous des croyantes et non des raisonneuses ! » [3]

Encore en 1849, le conservateur Adolphe Thiers se déchaîne contre les instituteurs, ces « anti-curés ».

« Qu’on ferme les écoles normales, que le curé de la paroisse se charge de l’instruction primaire. Aussi bien il apprendra toujours au peuple qu’il a plus besoin de moralité que de savoir. (...) J’aime mieux l’instituteur sonneur de cloches que l’instituteur mathématicien ».[2]

2.2 Condamnation de l'usure[modifier | modifier le wikicode]

Dans les sociétés précapitalistes, la morale traditionnelle condamnait le prêt avec intérêt. Celui-ci n'était alors quasiment pas nécessaire à l'économie agricole, et les classes dominantes de propriétaires terriens (nobles et clergé) pouvaient donc aussi subir l'usure. Avec le développement du capitalisme marchand, la situation a changé. C'est dans les pays protestants que l'on a le plus levé le tabou du prêt avec intérêt. Celui-ci était désormais vu comme un bienfait permettant de faire circuler l'argent dans l'intérêt général. Dans ces pays, c'était plutôt le riche accumulant de l'argent dormant qui était mal vu.

2.3 Charité[modifier | modifier le wikicode]

Depuis qu'il existe des sociétés de classe, la morale incite les riches à faire l'aumône aux pauvres, ce qui vise à adoucir un peu la misère, mais contribuait aussi à légitimer la société (idéologie dominante).

3 Analyses de la morale[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]

Si chaque époque donné a sa morale, cela ne signifie pas qu'il est strictement impossible d'avoir le moindre recul sur la morale et son évolution. Cela est simplement difficile, car fortement biaisé.

La branche de la philosophie dédiée à la morale est appelée « philosophie morale », ou « éthique ». Parmi les philosophes, et surtout parmi les premiers philosophes, on retrouve presque toujours un mélange de prescriptions normatives (donc de la création de morale) et d'éléments se voulant descriptifs.

Historiquement, la plupart des philosophes ont fondé la morale sur des principes transcendant l'humanité : au nom du Bien défini par des considérations religieuses, ou en tout cas idéalistes (une certaine idée du Bien censée être universelle mais sans que les philosophes soient capables de démontrer cette universalité).

La prise de conscience que la morale est variable selon les groupes sociaux et les époques peut conduire à un scepticisme moral, ou un relativisme moral. A l'inverse, ceux qui ont tenté de défendre l'idée d'un réalisme moral (existence d'une morale indépendante des subjectivités, un universalisme moral) ont tenté de le faire de diverses manières, par la raison ou par l'intuition.

3.2 Déontologisme[modifier | modifier le wikicode]

Une des philosophies morales idéalistes les plus cohérentes et élaborées est celle d'Emmanuel Kant. Ce philosophe allemand des Lumières défendait la notion d'impératif catégorique. Il s'agit d'une sorte de rationalisation de la maxime chrétienne « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse ». Si la raison nous conduit à considérer qu'une action est bonne et devrait être généralisée, il est un devoir moral pour l'individu de faire cette action. Inversement, si une action m'apporte un avantage mais que sa généralisation serait nuisible pour la société, c'est un devoir moral de ne pas la faire. Pour juger de la moralité d'une action, le critère est la motivation, pas les conséquences.

Ce type de morale est appelé une éthique déontologique (terme créé par Bentham[4]). Sa caractéristique est que chaque acte moral doit être jugé selon sa conformité ou non à certains devoirs. On peut distinguer :

  • une déontologie moniste, qui fait découler toutes les obligations d'un principe unique (comme l'impératif catégorique) ;
  • une déontologie pluraliste, qui se fonde sur plusieurs devoirs (par exemple : ne pas faire de mal à autrui, respecter ses engagements, remercier ceux qui nous ont aidés, réparer ou compenser les torts commis...).

3.3 Conséquentialisme[modifier | modifier le wikicode]

A l'inverse, le conséquentialisme est une position éthique qui consiste à évaluer les actions (ou les règles morales) en fonction de leurs conséquences (attendues). Historiquement, la première forme de conséquentialisme qui a été développée a été celle de l'utilitarisme.

🔍 Voir : Conséquentialisme.

4 Socialisme et morale[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Morale prolétarienne ?[modifier | modifier le wikicode]

Parmi les marxistes, il y a généralement une réticence à parler de morale. Boukharine écrivait par exemple :

L' « éthique » se transforme peu à peu pour le prolétariat en simples règles techniques de conduite, facilement compréhensibles et nécessaires pour arriver au communisme qui, ainsi, cessent d'être une éthique. Car c'est l'essence même de l'éthique d'être un ensemble de règles dissimulées sous une enveloppe fétichiste. Le fétichisme est l'essence de l'éthique. Là où dispa­raît ce fétichisme, l'éthique disparaît aussi. Il ne viendra par exemple à l'esprit de personne de qualifier le statut d'une coopérative ou d'un parti d' « éthique » ou de « moral ». Ceci parce qu'en ce cas, chacun saisit le sens humain de ce statut. L'éthique, elle, suppose un brouillard fétichiste, où plus d'un perd sa route. Ainsi le prolétariat a besoin de normes de conduite et très précises, mais il n'a nul besoin d' « éthique », c'est-à-dire de sauce fétichiste pour un mets utile.

Cependant de nombreux communistes ont parlé de « morale prolétarienne ». Trotski a abordé la question de la morale dans Leur morale et la nôtre.[5]

4.2 Réformisme et kantisme[modifier | modifier le wikicode]

Dans le sillage du socialisme scientifique de Marx et Engels, la plupart des théoriciens marxistes ont fondé leur idée de la révolution socialiste sur des contradictions objectives du capitalisme (crises, lutte des classes...) plutôt que sur des arguments moraux.

Cependant, il est arrivé à de nombreuses reprises que des courants socialistes cherchent à « combiner » le marxisme avec la morale kantienne, notamment parce que celle-ci a une certaine popularité dans des milieux intellectuels. Ce discours était très présent parmi les tenants d'une révision du marxisme dans la IIe internationale au tournant du 20e siècle.

Dans la deuxième moitié du 20e siècle, la plupart des partis socialistes ont abandonné leurs références au marxisme et à la lutte des classes, et se sont alors mis de plus en plus à fonder leur socialisme sur des principes moraux, et en particulier ceux de Kant. Il ne s'agissait plus de viser la victoire de la classe travailleuse exploitée au nom de ses intérêts de classe (en théorisant que ceux-ci coïncidaient à terme avec l'intérêt de l'humanité débarrassée des classes), mais de faire appel directement au sens moral du citoyen, au sens de l'intérêt général, de l'humanisme. Cela témoigne en partie d'une certaine naïveté envers la bourgeoisie (comme si elle pouvait renoncer à sa domination par compassion ou par un raisonnement), et en partie d'un embourgeoisement des dirigeants socialistes eux-mêmes. Ou plutôt de l'officialisation de cet embourgeoisement souvent présent depuis longtemps.

5 Notes[modifier | modifier le wikicode]

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