Révolution mondiale
L'idée d'une révolution à l'échelle mondiale est seulement devenue concevable à l'époque moderne avec les premiers jalons de la mondialisation, bien qu'encore largement utopique.
Depuis le 19e siècle, pour la plupart des socialistes, l'objectif est de faire advenir une société socialiste à l'échelle mondiale.
En particulier ceux qui s'inspirent des idées de Karl Marx soulignent que le capitalisme a rendu l'économie mondiale profondément interdépendante, et à travers elle les sociétés, et que la seule perspective d'avenir est celle d'une interdépendance plus complète et plus collaborative (socialisme), au lieu de l'interdépendance concurrentielle et destructive du capitalisme.
Pour les socialistes révolutionnaires, cette sortie du capitalisme ne peut donc que prendre la forme d'une révolution mondiale.
1 Historique[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Précurseurs[modifier | modifier le wikicode]
On peut trouver très tôt dans l'histoire des idées de transformation de la société à l'échelle mondiale, notamment des idées utopiques de paix mondiale, de cosmopolitisme... Cela ne prenait bien sûr pas la forme d'une révolution, et cela restait relativement rare, en partie parce que la connaissance du « monde » était encore très limitée.
Le développement du capitalisme marchand a amorcé le processus d'accroissement rapide de l'interdépendance de l'humanité à l'échelle mondiale (ce que l'on peut appeler la mondialisation), et plus encore à partir de la révolution industrielle.
Au 19e siècle en Europe, le développement du capitalisme bouleverse fortement les anciens États hérités du féodalisme. Dans ce contexte, les courants libéraux et démocratiques sont souvent idéalistes et généreux, espérant faire advenir un monde libre. On voit à la fois la tendance à la formation d'États-nations et des visées internationalistes.
Différentes organisations fortement marquées par les idéaux démocratiques et pacifistes de la bourgeoisie progressiste voient le jour : la Jeune Europe de Mazzini (1834) qui se veut la préfiguration d'une fédération républicaine à l'échelle européenne, ou l'Association Internationale (1855).
En 1848 le Printemps des Peuples est un ensemble de révolutions à visée démocratique, qui se déroulent à des échelons « nationaux », souvent opposés à des régimes monarchiques supra-nationaux et donc « hors-sols », par rapport à ces ancrages nationaux, mais les révolutionnaires d'alors se sentent solidaires des révolutionnaires des autres pays.
1.2 Internationalisme ouvrier[modifier | modifier le wikicode]
Mais progressivement au cours du 19e siècle, c'est le mouvement ouvrier, en plein essor, qui reprend le flambeau de l'internationalisme. De son côté, la bourgeoisie devient toujours plus conservatrice et nationaliste, et le nationalisme devient un des principaux moyens de diviser la classe ouvrière.
Ce sont Karl Marx et Friedrich Engels qui vont les premiers donner une voix à l'internationalisme ouvrier, en écrivant fin 1847 le Manifeste du Parti communiste, qui se conclut par Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Ils appelaient les travailleur·ses à s'allier par delà les frontières pour mener la lutte des classes contre le patronat, mais ils estimaient aussi que les conditions matérielles faisaient déjà qu'ils « n'ont pas de patrie ».[1] La formation de l'Association internationale des travailleurs (« Première internationale ») a été la première organisation internationale du mouvement ouvrier. Elle était composée de diverses idéologies socialistes, par conséquent on ne peut pas dire qu'elle luttait consciemment pour une révolution. Mais elle se fixait pour but « l'abolition du salariat » à l'échelle internationale.
Les héritiers immédiats de cette Première internationale sont aussi bien l'Internationale socialiste (« Deuxième internationale ») que les organisations anarchistes, et on peut dire que les deux se fixaient un objectif de révolution mondiale, mais assez peu défini. Du côté social-démocrate, au fil des succès électoraux, la révolution était de moins en moins évoquée, ou identifiée comme équivalente au processus de conquête de la majorité électorale dans tous les pays. Du côté anarchiste, on espérait un assez fort spontanéisme des masses pour faire tâche d'huile et neutraliser immédiatement tout problème posés par les États.
1.3 Mouvement communiste[modifier | modifier le wikicode]
Les bouleversements de la guerre de 1914-1918 vont secouer le monde et les idées de progression pacifique vers le socialisme. L'Europe en particulier est parcourue par une vague révolutionnaire. Son épicentre est en Russie, où le courant révolutionnaire de la social-démocratie (les bolchéviks), parvient au pouvoir, tente d'aller vers le socialisme (malgré le sous-développement du pays) et appelle explicitement à la révolution communiste mondiale.
Ainsi, s'exprimant le 26 octobre 1917 au IIe Congrès panrusse des Soviets, Trotski déclare :
« Nous plaçons notre espoir dans le fait que notre révolution déclenchera la révolution européenne. Si les peuples rebelles d'Europe n'écrasent pas l'impérialisme, nous serons écrasés, cela ne fait aucun doute. Soit la révolution russe suscitera un tourbillon de luttes en Occident, soit les capitalistes de tous les pays étrangleront les nôtres. »
Lénine, dans une lettre à Sverdlov et Trotski datée du 1er octobre 1918, écrit « La révolution internationale s'est approchée... à une distance telle qu'elle doit être considérée comme un événement des jours à venir ».
Ailleurs qu'en Russie les socialistes qui espéraient aussi une révolution mondiale étaient généralement enthousiasmés par l'exemple bolchévik, et déjà plus ou moins en voie de scissionner avec la Deuxième internationale, dont la majorité avait complètement tourné le dos à l'internationalisme durant la guerre, et se montrait maintenant ouvertement hostile à l'idée de révolution.
La scission est donc actée lorsque les bolchéviks appellent à la fondation d'une nouvelle Internationale communiste (« Troisième internationale »). Le 6 mars 1919, dans son discours de clôture du Premier Congrès de l'IC, Lénine déclare :
« La victoire de la révolution prolétarienne dans le monde entier est assurée. La fondation d'une république soviétique internationale approche »[2].
En octobre 1919, le président du comité exécutif de l'IC, Zinoviev, déclarait que d'ici un an la révolution mondiale s'étendrait à toute l'Europe.
Malheureusement, les perspectives d'une révolution mondiale s'éloignent dans les années qui suivent, notamment après l'échec de la révolution allemande (1918-1923).
En parallèle, le jeune État soviétique parvient à survivre à la guerre civile (1918-1922) et aux attaques de plusieurs puissances impérialistes, mais au prix d'une militarisation de la société qui contribue largement à tuer la vitalité de l'auto-organisation populaire dans le pays, et notamment l'auto-organisation ouvrière, c'est-à-dire les nouveaux et fragiles rapports de production socialistes.
Au cours des années 1920, l'URSS se bureaucratise très fortement, et ses dirigeants deviennent de plus en plus conservateurs. En particulier, Staline parvient à se faire le leader reconnu des nouveaux dirigeants du pays, en leur assurant de la stabilité. Cela impliquer d'éliminer tout ce qu'il pouvait rester de dirigeants bolchéviks prônant encore la révolution mondiale, et donc mettant en danger la bureaucratie sur le plan extérieur comme intérieur (ce long processus qui aboutira aux Grandes Purges).
L'idéologie qui correspondait à ces nouveaux besoins de justification a été le « socialisme dans un seul pays », théorisé par Staline à partir de 1924.
En 1936, Staline est interrogé par le journaliste états-unien Roy Howard[3] :
_Votre déclaration signifie‑t‑elle que l'U.R.S.S. renonce dans une mesure quelconque à ses plans et desseins de faire la révolution mondiale ? _Nous n'avons jamais eu de semblables plans et desseins. _Mais (…) _Ceci résulte d'un malentendu. _D'un malentendu tragique ? _Non, comique, ou plutôt tragi‑comique.
En 1938, Staline déclare encore qu'une révolution mondiale est impossible[4].
Aujourd'hui seuls les courants communistes issus de la Gauche communiste ou du trotskisme continuent à viser une révolution communiste mondiale.
2 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848
- ↑ Lénine V. I. PSS. 5e édition. - T. 37. - M.: Politizdat, 1969. - S. 511.
- ↑ Léon Trotski, Les déclarations et les révélations de Staline, 11 mars 1936
- ↑ (en) Erik van Ree, The Political Thought of Joseph Stalin: A Study in Twentieth Century Revolutionary Patriotism, Routledge, , p.133