Avant-garde

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L'avant-garde désigne la fraction qui dans un mouvement, tire les autres en avant. Des avant-garde existent de fait dans tout mouvement, même non organisé.

On parle aussi d'avant-gardisme pour désigner le fait de ne s'adresser qu'à l'avant-garde.

1 Avant-garde et mouvement[modifier | modifier le wikicode]

Pour parler d'avant-garde, il faut une direction par rapport à laquelle se répérer. Les communistes révolutionnaires basent cette direction sur le socialisme scientifique : le capitalisme est traversé de contradictions qui tendent à générer une lutte de classe, alors qu'il serait possible d'abolir les rapports de production capitalistes (employeurs en concurrence pour le profit) et répondre aux besoins sociaux. Par conséquent il importe que les travailleurs acquièrent une conscience de classe et une conscience révolutionnaire. Or, l'idéologie dominante étant celle de la classe dominante, les travailleurs en temps "normal" ("paix sociale") subissent l'aliénation.

Par une combinaison d'expériences de lutte et en général d'organisation syndicale, les travailleurs peuvent progresser dans leur conscience de classe. Par une combinaison de luttes plus profondes, plus politiques, et de propagande révolutionnaire, ils peuvent aussi être gagnés à un parti ouvrier révolutionnaire.

L'avant-garde, terme relatif, désigne ceux qui sont "les plus avancés", "radicalisés".

2 Organisations de l'avant-garde[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Horizontalité ?[modifier | modifier le wikicode]

Certains courants politiques (en particulier le mouvement autonome) rejettent toute organisation sous prétexte de garder l'horizontalité la plus totale. Or l'analyse qui précède montre que dans tout mouvement d'émancipation des travailleur-se-s, il ne peut y avoir d'homogénéité. Même avant que quiconque ait théorisé quoi que ce soit sur les organisations, des travailleurs radicalisés ont créé des structures pour défendre plus efficacement leurs buts, et jamais 100% des travailleurs n'ont été convaincus de s'engager dans ces structures.

L'organisation (au sens large) est une nécessité, ne serait-ce que pour avoir une chance de parvenir à rivaliser avec les capitalistes qui sont eux-mêmes fortement organisés. Ce qui pousse souvent au rejet des organisations (et en particulier des syndicats ou de la "forme parti") c'est le phénomène de bureaucratisation.

2.2 Parti d'avant-garde[modifier | modifier le wikicode]

La conscience de classe n'implique pas une conscience révolutionnaire. Non seulement certaines illusions réformistes peuvent paraître intuitives, mais elles sont surtout véhiculées par les bureaucraties à la tête des organisations ouvrières réformistes.

Par ailleurs, les expériences du passé ont largement montré que l'élaboration d'une stratégie révolutionnaire ne doit pas être négligée.

D'où la nécessité de construire des partis révolutionnaires. Par définition, ceux-ci ne peuvent regrouper qu'une minorité en dehors des périodes révolutionnaires. Mais, si la stratégie révolutionnaire adoptée s'avère valide, c'est la condition pour construire peu à peu (et par bonds des les phases de lutte intense).

2.3 Intellectuels et ouvriers[modifier | modifier le wikicode]

Un problème traditionnel posé aux communistes est celui du rapport entre les théoriciens, qui sont très majoritairement des intellectuels, et la classe ouvrière. Et plus généralement entre la "base" et les dirigeants des partis, qui en raison des inégalités d'accès à la formation ou plus prosaïquement au temps libre, tendent à faire partie de la petite-bourgeoisie et des couches favorisées du prolétariat.

Tant que règne la société capitaliste et ses inégalités, la reproductions d'inégalités au sein même des organisations ouvrières est inévitable. Les ouvriers qui accèdent à une formation intellectuelle dans les partis socialistes tendent eux-même à se différencier de leurs collègues. Cela s'est vu de façon frappante dans les premiers cercles d'études marxistes (kroujki) créés par les social-démocrates russes. La minorité d'ouvriers qui participaient régulièrement aux cercles finit par ressembler à l'intelligentsia, sur le plan du bagage intellectuel mais aussi au niveau culturel (ils fumaient et buvaient moins, parlaient de façon plus posée et avec moins d'insultes, s'habillaient de façon plus recherchée...)[1]. L'effet pervers était qu'ils se coupaient souvent de la masse des ouvriers, qui se moquaient d'eux, et qu'ils finissaient par mépriser comme ignorants. Martov témoigne que ces ouvriers :

« se considéraient comme des individus s’étant extirpés de la multitude arriérée et ayant créé un environnement culturel nouveau. Mais ce n’était là que la moitié du problème. Le pire était que, du fait de cette vision du monde, ils envisageaient l’ensemble du processus de l’ascension future de leur classe d’une façon rationnelle très simplifiée : ils pensaient qu’elle serait le résultat de la diffusion du savoir et des conceptions morales qu’ils avaient eux-mêmes acquises dans les cercles et par la lecture. Des discussions avec eux nous amenèrent à la découverte stupéfiante que leur pensée sociale était dans l’ensemble idéaliste, que leur socialisme était totalement abstrait et utopique, et que l’idée d’utiliser la lutte des classes pour transformer cet environnement d’ignorance dont la critique avait provoqué leur propre éveil social leur était encore totalement étrangère.  »[2]

Akimov, un chroniqueur du mouvement à ses débuts, citait un ouvrier, membre d’un cercle marxiste, qui disait : « Les tracts sont une perte de temps. Qu’est-ce qu’on peut expliquer sur une simple feuille ? C’est un livre qu’il faut donner à l’ouvrier, pas un tract. Il doit être éduqué. Il doit être inscrit dans un cercle! »[3] Un ouvrier, Abram Gordon, dans une brochure appelée Lettre aux intellectuels, rappelait aux intellectuels sociaux-démocrates leur devoir de servir les travailleurs plutôt que de les utiliser comme « la chair à canon de la révolution ». Il dénonçait l’agitation comme une tentative de plus de maintenir les ouvriers dans une demi-ignorance et de perpétuer leur dépendance envers des dirigeants intellectuels d’origine bourgeoise.

2.4 Courants syndicaux[modifier | modifier le wikicode]

Selon les situations, les syndicats sont plus ou moins massifs. Pendant longtemps, les marxistes considéraient même que les syndicats en eux-mêmes ne regrouperaient jamais qu'une avant-garde la classe ouvrière, ou une couche suffisamment stable pour pouvoir s'organiser (contrairement aux plus précaires). Ainsi Kautsky écrivait en 1905 que « l'organisation syndicale n'englobera pas plus qu'une élite ou une aristocratie ouvrière ».[4]

Néanmoins avec le temps, il est apparu que ceux-ci pouvaient également se massifier suite à un essor des luttes. Et avec la puissance de l'appareil grandit aussi la puissance de la bureaucratie réformiste, liée à l'appareil de l'État capitaliste. Il est donc apparu nécessaire pour les révolutionnaires de tenter de regrouper, au sein des syndicats, les partisans d'une lutte de classe sans collaboration avec le patronat et l'État bourgeois, et, ce qui est lié, à s'opposer à la bureaucratie dirigeante.

3 Deux écueils : substitutisme et spontanéisme[modifier | modifier le wikicode]

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4 Retours historiques[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Dans le Manifeste communiste (1847), Marx et Engels écrivaient :

« Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien ».[5]

4.2 Social-démocratie[modifier | modifier le wikicode]

Programme de Hainfelder. Social-démocratie autrichienne, 1889 :

« La conscience socialiste doit être introduite de l’extérieur dans la lutte de classe prolétarienne, et ne se développe pas d’elle-même, de manière organique, au sein de cette lutte »

Les premiers social-démocrates russes étaient alors surtout des intellectuels, se voyant comme avant-garde du prolétariat. Un ouvrier de Saint-Pétersbourg disait ironiquement en 1898 : « Seule différence avec nous, durant l’été les membres du parti vont en vacances… La révolution est en congé. »[6]

En 1901, le grand théoricien de la Deuxième internationale, Karl Kautsky, disait tout net :

« Le socialisme et la lutte de classe surgissent parallèlement et ne s’engendrent pas l’un l’autre ; ils surgissent de prémisses différentes. La conscience socialiste aujourd’hui ne peut surgir que sur la base d’une profonde connaissance scientifique [...] Or le porteur de la science n’est pas le prolétariat mais les intellectuels bourgeois. Ainsi donc la conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat et non quelque chose qui en surgit spontanément. »[7]

La social-démocratie allemande se voyait comme un tout englobant les syndicats et le parti, ce dernier ayant un rôle d'avant-garde. Vers 1906, parmi les électeurs social-démocrates, 50% étaient membres des syndicats, et 9% membres du parti.[8] Cependant, ce déséquilibre de forces fit que la bureaucratie syndicale était de plus en plus en mesure de dicter sa politique de collaboration de classe au parti. La direction du parti, elle-même bureaucratisée, a renoncé à lutter contre cette tendance et donc à jouer réellement un rôle d'avant-garde.

Lénine reprit à l'origine la vision de Kautsky en 1902 dans Que Faire ?, qui est alors écrit au nom de toute la rédaction de l'Iskra :

« L'histoire de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu'à la conscience trade-unioniste, c'est-à-dire à la conviction qu'il faut s'unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels. Les fondateurs du socialisme scientifique contemporain, Marx et Engels, étaient eux-mêmes, par leur situation sociale, des intellectuels bourgeois. »[9]

Alors parmi les menchéviks, Trotski polémiquera rétrospectivement contre Que Faire ? et surtout contre Deux pas en avant, trois pas en arrière, dans sa brochure Nos tâches politiques (1904). Une de ses principales critiques est le « substitutionnisme » de Lénine et des Bolchéviks.[10]

Rosa Luxemburg fut, au sein de la gauche de la social-démocratie, une des premières à critiquer les conceptions trop mécanistes de l'avant-garde, insistant sur le fait que les mouvements de masse sont fondamentaux pour faire progresser par bonds la conscience de classe.

« Dans le mouvement social-démocrate, à la différence des anciennes expériences du socialisme utopique, l’organisation n’est pas le produit artificiel de la propagande, mais le produit de la lutte de classes, à laquelle la social-démocratie donne simplement de la conscience politique. »

« Radicalement différentes sont les conditions de l’activité de la social-démocratie. Elle surgit historiquement de la lutte de classes élémentaire. Et elle se meut dans cette contradiction dialectique que ce n’est qu’au cours de la lutte que l’armée du prolétariat se recrute et qu’elle prend conscience des buts de cette lutte (…) Il en résulte déjà que le centralisme social-démocrate ne saurait se fonder ni sur l’obéissance aveugle ni sur une subordination mécanique des militants vis-à-vis du centre du parti. D’autre part, il ne peut y avoir de cloisons étanches entre le noyau prolétarien conscient, solidement encadré dans le parti, et les couches ambiantes du prolétariat, déjà entrainées dans la lutte de classes et chez lesquelles la conscience de classe s’accroît chaque jour davantage. »[11]

Elle approfondira notamment la dialectique entre mouvements, partis et syndicats ouvriers dans un fameux livre de 1906.

4.3 Syndicalisme révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Le terme de « minorités agissantes », ou « minorités actives », était très présent dans les théorisations des syndicalistes révolutionnaires. C'est clairement le pendant de ce que les communistes appellent l'avant-garde.

4.4 Mouvement communiste[modifier | modifier le wikicode]

A partir de 1914, Lénine prendra lui aussi en compte ce problème. Réalisant à ce moment l'ampleur de la bureaucratisation / embourgeoisement de la Deuxième internationale, il intégrera l'idée que des masses mobilisées peuvent se retrouver davantage à l'avant-garde que des organisations bureaucratisées. Cependant ni Lénine ni Luxemburg ne basculeront dans l'idée que les révolutionnaires peuvent se passer d'organisations, et ils convergeront vers la création d'une nouvelle internationale.

L'examen en détail du processus révolutionnaire de 1917, et de la formation du fort lien entre le parti bolchévik et les masses d'ouvriers, de soldats et de paysans est précieuse pour étudier le rapport entre les différents niveaux d'avant-garde : les cadres du parti, les agitateurs du parti, les sympathisants, les masses influencées... Parfois les masses étaient « bien plus gauche que le parti » (Lénine insistait beaucoup là dessus), parfois les masses hésitaient. Mais le lien était toujours dans les deux sens. Dans la dernière période avant l'insurrection, on pouvait voir une nette différence en fonction de la conviction des cadres bolchéviks :

« Là où la direction locale du parti était irrésolue, restait dans l'expectative, comme, par exemple, à Kiev, à Voronèje et en d'autres endroits, les masses tombaient fréquemment dans la passivité. Pour justifier leur politique, les dirigeants alléguaient des fléchissements de l'opinion qu'ils avaient eux-mêmes provoqués. Par contre : " Plus audacieux et plus hardi était l'appel à l'insurrection – écrit Povoljsky, un des agitateurs de Kazan - plus la masse des soldats se montrait confiante et attachée à l'orateur."  »[12]

La guerre civile qui suit la Révolution d'Octobre, ses nombreux dilemmes, ainsi que la question des liens entre organes représentant la classe ouvrière et les paysans pauvres (partis, syndicats, comités d'usines, soviets) va soulever de nombreux et violents débats sur la notion d'avant-garde, y compris au sein du parti bolchévik. Les bolchéviks majoritaires tendent alors à justifier les mesures les plus dirigistes de la part du parti. Par exemple Trotski affirme le « droit d’aînesse historique révolutionnaire du Parti »[13].

Après avoir été lui-même un oppositionnel du groupe Kommunist, Boukharine procède à une justification organique du parti dans un ouvrage de vulgarisation de 1921 :

« Le parti, ce n'est pas la classe, mais une partie de la classe, parfois une partie très restreinte. Mais le parti c'est la tête de la classe. Voilà pourquoi c'est le comble de l'absurdité que d'opposer le parti à la classe. Le parti de la classe ouvrière est ce qui exprime de la façon la meilleure ses intérêts de classe. » [14]

Et il poursuit avec le même raisonnement sur la notion de chefs au sein du parti :

«Imaginons un cas contraire à la réalité, à savoir une pleine homogénéité du parti à tous points de vue : quant à la conscience de classe, quant à l'expérience, quant à l'art de diriger, etc. Alors, il n'y aurait évidemment nul besoin de chefs. Les fonctions de « chef » pourraient être assumées par chacun à tour de rôle, sans aucun dommage pour la cause.

Mais en fait, cette pleine homogénéité n'existe pas, même dans l'avant-garde. Et c'est là la cause fondamentale de l'absolue nécessité de groupements plus ou moins stables de personnages directeurs, désignés sous les noms de « chefs », « guides », « meneurs », etc.

Les bons chefs sont des chefs parce qu'ils expriment de la façon la meilleure les justes tendances du parti. Et de même que c'est un non-sens d'opposer le parti à la classe, de même c'est un non-sens d'opposer le parti à ses chefs. »

En France, l'Avant-garde a été le nom du journal des Jeunesses communistes.


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5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 2, 1975
  2. Martov, Записки социал-демократа, Berlin-Petersbourg-Moscou 1922
  3. Vladimir Akimov on the Dilemmas of Russian Marxism, 1895–1903, edited by J. Frankel, London 1969
  4. Karl Kautsky, The Lessons of the Miners’ Strike, 1905
  5. Marx et Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848
  6. Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, 1980
  7. Kautsky, article paru dans Die Neue Zeit, 1901
  8. Carl Emil Schorske, German Social Democracy, 1905–1917: the development of the great schism (1955, Harvard University Press)
  9. Lénine, Que faire ?, 1902
  10. Trotski, Nos tâches politiques, 1904
  11. Rosa Luxemburg, Questions d’organisation de la social-démocratie russe, 1904
  12. Léon Trotski, Histoire de la révolution russe - 41. Sortie du préparlement et lutte pour le congrès des soviets, 1930
  13. La bataille socialiste, Le X° Congrès du Parti bolchevik en 1921
  14. Nikolaï Boukharine, La théorie du matérialisme historique, 1921