Front populaire (France)

De Wikirouge
(Redirigé depuis Affaire Stavisky)
Aller à la navigation Aller à la recherche
FrontPopulaireProgramme.jpg

Le Front populaire est le nom donné à l'alliance formée, à partir de 1934, par le Parti communiste français, la SFIO et le Parti radical, et qui a accédé au gouvernement en 1936. C'est ce gouvernement unitaire que les réformistes vantent comme le pourvoyeur de grands acquis sociaux comme les congés payés, mais c'est en réalité le gouvernement qui a tout fait pour calmer la grève générale de juin 1936, ces acquis n'étant alors que des concessions du patronat pour éviter une révolution.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Mouvement ouvrier affaibli et divisé[modifier | modifier le wikicode]

En France au début des années 30, le mouvement ouvrier est affaibli et divisé :

  • le PC (SFIC) compte de 30 000 membres (deux fois moins qu'en 1926) et suit une ligne ultra-sectaire, et met dans le même sac les socialistes et les fascistes (« social-fascisme ») ;
  • la SFIO compte 100 000 membres, mais est peu implantée parmi les ouvriers d'usine. Une aile gauche dirigée par Marceau Pivert se développe cependant.

Le mouvement syndical est affaibli et divisé également. En 1934 il n’y avait que 755 000 syndiqués pour 10 millions de travailleurs, soit environ 7%. Les syndicats sont divisés selon les partis politiques :

  • la CGT, dominée par la SFIO, compte 700 000 membres dont 200 000 ouvriers d'usine ;
  • la CGTU, dominée par le PCF, compte 200 000 membres.

Après la vague de grèves de 1920, les actions syndicales s’étaient soldées par des échecs. Dans les entreprises, la répression des délégués et des syndiqués était féroce. Ces derniers étaient confrontés aux fouilles dans les vestiaires, aux mouchards, aux listes noires. Fait parlant : les conventions collectives régissaient seulement 4% du personnel.

Depuis l'Union sacrée de 1914-1918, les socialistes n'ont plus été au pouvoir, même s'ils ont soutenu les radicaux en 1924 (Cartel des gauches). Le dirigeant de la SFIO, Léon Blum, avait commencé dans les années 1920 à théoriser la distinction entre « conquête du pouvoir » (la révolution, plus tard), et « exercice du pouvoir », dans le prolongement des alliances parlementaires, dans un cadre légaliste et non révolutionnaire.

1.2 La crise de 1929 et la menace fasciste[modifier | modifier le wikicode]

La France, comme le reste du monde, est touchée par la Grande Dépression. Mais elle est touchée de façon moins brutale et plus tardive (en 1931), en raison principalement de l'économie encore très rurale du pays. La crise dégrade la situation sociale du prolétariat (en 1936, on compte 1,5 millions de chômeurs complets ou partiels pour 10 millions de travailleurs, soit 15%) fait redoubler les attaques de la bourgeoisie, accélère la centralisation du capital...

La bourgeoisie française est divisée entre une aile droite et une aile gauche, celle du parti radical. Ce dernier est alors le principal parti politique du pays, notamment parce qu'il a une forte base dans la petite-bourgeoisie (commerçants, artisans, agriculteurs…). Son idéologie est principalement un républicanisme se voulant populaire (cela créée quelques liens avec la SFIO, dans laquelle le républicanisme est également fort). Mais leur politique est en réalité pro-capitaliste.

Les radicaux ont remporté les élections de 1932, mais ce deuxième « cartel des gauches » n'est pas soutenu par la SFIO. Les radicaux mènent une politique de « déflation » et d’« orthodoxie financière » (on dirait aujourd'hui « d'austérité »), c'est-à-dire une politique bourgeoise et anti-sociale (coupes dans les pensions et les salaires des fonctionnaires...). En 1933, grèves et manifestations se multiplient, dans le textile et les mines du Nord, chez les métallurgistes de Citroën. On assiste à des marches de la faim des mineurs, puis des chômeurs...

La droite, elle, est nationaliste et réactionnaire, en grande partie monarchiste, voire fascisante. De grands patrons comme Ernest Mercier ou François Coty financent directement certains groupes fascistes.

1.3 Crise du 6 février 1934[modifier | modifier le wikicode]

En janvier 1934, l'affaire Stavisky (un scandale financier impliquant un escroc juif et des politiciens radicaux le couvrant) déchaîne la haine et l'antisémitisme. Les radicaux sont détestés par la droite conservatrice et le nouveau milieu fascisant qui émerge. Ils dénoncent un régime parlementaire inefficace, corrompu, rempli de franc-maçons...

Le 6 février 1934, suite à la révocation du préfet de Police de Paris proche de l'extrême droite, Jean Chiappe, les groupes fascistes ou fascisants organisent une manifestation de 30 000 personnes qui dégénère en émeutes contre le Parlement. Le PC appelle à manifester à la fois contre le gouvernement et les bandes fascistes. Des affrontements violents ont lieu (15 morts, plus de 2000 blessés). Sous la pression de la rue, le gouvernement démissionne le lendemain. Un gouvernement d'union nationale se forme alors, caractérisé comme bonapartiste par Trotski.[1]

En France, des millions de travailleurs ont observé l'ascension de Hitler outre-Rhin et s'inquiètent.

1.4 Front national[modifier | modifier le wikicode]

Les ligues nationalistes françaises s'allient dans une confédération appelée Front national en mai 1934.

🔍 Voir sur Wikipédia : Front national (années 1930).

2 Historique[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Tournant vers l'unité[modifier | modifier le wikicode]

La chute du gouvernement provoque un choc dans la classe ouvrière française, qui va dès lors imposer l'unité à ses organisations pour lutter contre le péril fasciste. Le 9 février, le PCF manifeste seul. Mais 3 jours plus tard, la CGTU se rallie à la manifestation organisée par la CGT ! La grève du 12 est un succès inespéré, et les cortèges communiste et socialiste fusionnent aux cris d'« Unité ! Unité ! ».

Mais si la IIIe Internationale abandonne son cours sectaire, ce n'est pas pour réaliser l'unité des organisations ouvrières. La ligne de Staline n'est pas d’œuvrer à l'unité du mouvement ouvrier international, mais de chercher l'alliance des ouvriers français avec leur bourgeoisie contre la bourgeoisie allemande. C'est pourquoi le PCF, qui a conclu un accord anti-fasciste avec la SFIO en juillet 1934, veut aussi s'allier avec le Parti radical, qui est le principal parti de la bourgeoisie française. En octobre, Maurice Thorez, dirigeant du PCF, plaide pour une alliance entre ces trois partis. La gauche de la SFIO, partisane d'une alliance des organisations ouvrières, s'y oppose ; mais elle est battue au Congrès de Mulhouse (juin 1935).

Le radical Jean Zay déclare alors que, quoique plus modéré par certains aspects, le programme du rassemblement populaire est en réalité le vieux programme radical.

2.2 Élaboration d'un programme réformiste[modifier | modifier le wikicode]

Le PCF, la SFIO et le Parti radical se mettent d'accord sur un programme de relance, « une entente sur la lutte anticrise par la reflation, par l’accroissement de la consommation générale »[2]. Le programme ne comportait aucune nationalisation à part celle des industries de guerre (accusées d'avoir profité de la guerre) et des chemins de fer.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, par rapport à la SFIO (qui comportait un courant « planiste ») c'était le PCF qui était le plus hostile aux nationalisations, et à d'autres proposition portées par la SFIO (diminution des heures de travail sans diminution des salaires, mise sous séquestre des entreprises en faillite) au nom de l'objectif immédiat de « réunir le plus grand nombre d’organisations et de citoyens ». A l'inverse le PCF mettait l'accent sur une taxation du capital, en la présentant comme une mesure « exceptionnelle » qui serait bénéfique à l'économie capitaliste :

« À un moment où les capitaux hésitent à s’investir, le prélèvement sur les grosses fortunes pour réaliser de grands travaux, loin d’être une faute est une nécessité économique : il permet d’investir dans l’économie nationale des capitaux nouveaux. Loin d’augmenter le chômage, il crée du travail et tout un nouveau courant d’affaires. »

Les socialistes et les radicaux s'opposaient au contraire aux taxations au nom de la compétitivité des entreprises.

2.3 Dynamique inattendue et polarisation[modifier | modifier le wikicode]

Un "Rassemblement populaire", ou Front populaire, est donc formé entre socialistes, communistes et radicaux, sur la base d'un accord qui ne donne en rien satisfaction aux revendications des travailleurs (les radicaux s'y opposeraient). Le PCF centra sa campagne sur le mot d’ordre de « pour l’ordre, votez communiste »...

Mais cette alliance au sommet stimule, à la base, l'unité des travailleurs. Leur assurance croît de façon colossale. La 14 juillet 1935, 500 000 travailleurs défilent dans les rues de Paris. Le 1er mai 1936, il y a 250 000 grévistes à Paris. Les deux confédérations syndicales ont fusionné en mars.

Les images de propagande de l'époque expriment bien la bipolarisation de la campagne :

2.4 Avril-mai : victoire électorale[modifier | modifier le wikicode]

Front populaire-chambre des députés.svg

Cette confiance de la classe ouvrière s'exprime au moment des élections d'avril-mai 1936. Le 3 mai 1936, le Front populaire remporte les élections, et Léon Blum, chef de la SFIO, devient président du conseil (chef du gouvernement).

Il ne s’agissait nullement d’un raz de marée pour la gauche. Si le PCF doubla son score (1 500 000 voix), la SFIO perdit 300 000 voix et les Radicaux 400 000. Ainsi les partis du Front Populaire ne progressèrent que de 290 000 voix tandis que la droite ne recula que de 37,4 à 35,9%. Toutefois, les résultats électoraux marquèrent profondément la classe ouvrière. Se sentant le vent en poupe, elle entra en action.

2.5 Grève et accords de Matignon[modifier | modifier le wikicode]

Cette victoire électorale a un immense écho dans les entreprises. Un mouvement de grève se développe en moins d'un mois, avec recours systématique aux occupations d'usines. Les grèves sont totales, et elles reçoivent le soutien de la classe moyenne et des cadres. La force colossale de la classe ouvrière attire les autres couches opprimées de la société.

Le pays est plongé dans un climat pré-révolutionnaire.

Mais la SFIO et le PCF refusent de soutenir clairement les grèves, pour ne pas se détacher des Radicaux. Jacques Duclos déclare à la presse que les communistes respectent la propriété privée. Waldeck Rochet explique que les électeurs ne se sont pas prononcés pour la révolution.

Le patronat panique, et les dirigeants socialistes et communistes cherchent à les rassurer. Pour eux il n'est pas question de toucher à l'État bourgeois et au capitalisme.

Les accords de Matignon accordent des avancées substantielles aux travailleurs : hausse de salaire, congés payés, semaine de 40 heures, conventions collectives, etc. Ces revendications ne figuraient pas au programme du Front populaire : elles ont été obtenues par la grève, et non par la simple victoire électorale. Et ces concessions sont considérées comme insuffisantes par beaucoup de grévistes. Les accords sont sont signés le 8 juin, mais il y a encore 2 millions de grévistes le 11 juin. Le PCF entre alors en première ligne pour arrêter les grèves.

Face à ceux qui attendaient davantage de ce rapport de force sans précédant, Maurice Thorez déclare alors « Il faut savoir terminer une grève » (11 juin 1936).

2.6 La bourgeoisie se venge[modifier | modifier le wikicode]

La SFIO et le PCF se mettent ensemble pour briser les grèves. Le patronat fait des concessions considérables pour conserver son pouvoir. Les syndicats comptent 5 millions de membres en 1937, le PCF et la SFIO comptent chacun, après 1936, plus de 200 000 membres. Le PCF atteint même rapidement les 380 000 membres. Mais la bourgeoisie garde les rênes du pouvoir, et récupère ce qu'elle a dû concéder : l'inflation rattrape les hausses de salaire, le gouvernement Blum est saboté économiquement, et la droite reviendra au pouvoir.

Le 16 mars 1937, le Parti social français (ex-Croix-de-Feu) décide d'organiser une réunion à Clichy. Le gouvernement de Front populaire se refuse à l'interdire. A l'appel du maire SFIO de Clichy, Charles Auffray, du conseiller général Naile, PCF, et du député Honel (PCF), une contre-manifestation est organisée. La police du ministre socialiste Marx Dormoy ouvre le feu. Bilan : 5 morts et des centaines de blessés. Léon Blum prend la défense du ministre de l'Intérieur et condamne l'initiative des élus du Front populaire de Clichy. Aucune sanction ne sera prise contre les responsables de la fusillade.

Plusieurs gouvernements de front populaire se succèdent en 1937 et 1938, le soutien populaire se faisant de plus en plus maigre, et avec un Parti Radical toujours aux commandes. Il ne se rompt qu'au moment de la signature des accords de Munich, en septembre 1938, car le PC a refusé de voter la confiance au gouvernement Daladier. Le Parti Radical va alors expulser le PC du rassemblement populaire, et lancer immédiatement la fin des 40 heures et la suspension de la plupart des conquêtes des grèves de 1936. Cela provoquera une grève défensive, en novembre 1938, durement réprimée.

3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]