État ouvrier

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Un État ouvrier, un État des travailleur·ses, ou État prolétarien, est un État issu d'une révolution prolétarienne (révolution socialiste). C'est un État aux mains des travailleur·se qui s'érigent en nouvelle classe dirigeante.

Dans l'optique marxiste, c'est un État dans lequel règne une démocratie réelle (démocratie ouvrière), mais surtout un État qui créé les conditions d'une disparition des classes sociales, et donc de la nécessité même d'un État.

1 Caractéristiques[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Domination du prolétariat[modifier | modifier le wikicode]

Tout comme l'État bourgeois sert à maintenir la dictature capitaliste (derrière les formes démocratiques qu'il peut éventuellement prendre), un État ouvrier a pour but d'assurer que le pouvoir soit réellement entre les mains travailleur·ses (la majorité jusqu'ici opprimée) et le reste. La nécessité de l'État et de son pouvoir de répression provient de l'opposition avec les forces de la réaction, incarnées par les restes de la bourgeoisie vaincue et les autres pays où elle est encore au pouvoir. Marx employait le terme de «dictature du prolétariat ».

1.2 Demi-État[modifier | modifier le wikicode]

Mais une différence fondamentale de l'État ouvrier par rapport à tous les États qui l'ont précédé, c'est qu'il est le représentant, réellement, de la majorité. Or, du point de vue du matérialisme historique, l'État a pour rôle de maintenir la structure des sociétés qui sont divisées en classes, et où la classe dominante est une minorité exploiteuse. Le prolétariat majoritaire, lui, n'exploite aucune aucune classe en prenant collectivement possession des forces productives. Au contraire, la fin de l'exploitation capitaliste est le début de la fin de toute classe sociale. En conséquence, l'État ouvrier a précisément pour fonction de détruire les fondements de la nécessité de l'État en général. C'est pour cela que les marxistes évoquent la perspective d'une extinction progressive de l'État sous le communisme.

C'est pour cette raison également que Lénine parlait de « demi-État ». Il se basait notamment sur Engels, qui disait :

« Le prolétariat s'empare du pouvoir d'État et transforme les moyens de production d'abord en propriété d'État. Mais par là, il se supprime lui-même en tant que prolétariat, il supprime toutes les différences de classes et oppositions de classes et également l'État en tant qu'État »

Certains marxistes considèrent cependant que Lénine a introduit ici « une innovation théorique majeure par rapport à Marx et Engels pour lesquels l’État n’existe plus durant la première phase du communisme »[1].

1.3 Étatisation de l'économie ?[modifier | modifier le wikicode]

Des débats existent parmi les marxistes au sujet du critère de l'étatisation de l'économie. En effet, la planification par les travailleur-se-s par opposition à la concurrence du marché est une opposition classique entre communisme et capitalisme. A ce titre, il peut sembler que l'étatisation de l'économie rapproche du socialisme, et ne peut que correspondre à un changement de la nature de l'État.

Marx, dans ses Manuscrits de 1844, évoque le cas théorique où tout le monde serait salarié bénéficiant d'un salaire égal. Il dit qu'il s'agirait d'une société capitaliste, puisqu'il y a encore échange généralisé via la monnaie, y compris pour la vente de la marchandise principale, la force de travail. Par ailleurs, Marx a combattu Lassalle qui caractérisait les nationalisations comme socialistes, en passant à côté du pouvoir politique nécessaire. Marx a toujours rappelé que pour établir le socialisme, la condition politique était nécessaire, la dictature du prolétariat, et le remplacement des mécanismes marchands par les bons de travail[2].

En 1878, Engels écrivait :

Dans les trusts, la libre concurrence se convertit en monopole, la production sans plan de la société capitaliste capitule devant la production planifiée de la société socialiste qui s'approche. Tout d'abord, certes, pour le plus grand bien des capitalistes. Mais, ici, l'exploitation devient si palpable qu'il faut qu'elle s'effondre. Pas un peuple ne supporterait une production dirigée par des trusts, une exploitation à ce point cynique de l'ensemble par une petite bande d'encaisseurs de coupons.
Quoi qu'il en soit, avec trusts ou sans trusts, il faut finalement que le représentant officiel de la société capitaliste, l'État, en prenne la direction . […]
Mais ni la transformation en sociétés par actions, ni la transformation en propriété d'État ne supprime la qualité de capital des forces productives. Pour les sociétés par actions, cela est évident. Et l'État moderne n'est à son tour que l'organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre des empiètements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés. L'État moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'État des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble. Mais, arrivé à ce comble, il se renverse. La propriété d'État sur les forces productives n'est pas la solution du conflit, mais elle renferme en elle le moyen formel, la façon d'accrocher la solution. [3]

Lénine écrivait en 1917 dans L'État et la révolution :

Le capitalisme se transforme en capitalisme monopoliste. Ceci est à souligner, car l'erreur la plus répandue est l'affirmation réformiste bourgeoise prétendant que le capitalisme monopoliste ou le capitalisme monopoliste d'État n'est déjà plus du capitalisme, qu'il peut dès lors être qualifié de "socialisme d'Etat", etc. Naturellement, les trusts n'ont jamais donné, ne donnent pas jusqu'à présent, ni ne peuvent donner une planification intégrale.Ils introduisent pourtant une planification; les magnats du Capital escomptent par avance le volume de la production à l'échelle nationale ou même internationale et règlent cette production d'après un plan, mais nous restons cependant en régime capitaliste, dans une nouvelle phase, certes, mais indéniablement en régime capitaliste.

2 Les deux phases du communisme[modifier | modifier le wikicode]

Lénine a établi à partir de Marx[4] une distinction qui est devenue classique pour les communistes, entre :

  • la socialisme, ou phase inférieure du communisme
  • le communisme

Dans la première phase, après la révolution, il reste encore une idéologie qui n'est pas débarrassée de toutes les normes bourgeoises. En particulier en ce qui concerne la répartition des produits, elle se fait "à chacun selon son travail". C'est une forme d'égalité de droit, même si pour Marx cela reste inégalitaire vu que ceux en meilleure condition physique, par exemple, peuvent travailler plus facilement que d'autres.

Marx et Lénine considéraient que c'est un "inconvénient", mais qu'au lendemain de la révolution, il serait utopique de croire que les travailleur-se-s seraient prêt-e-s à se passer de cette norme héritée du passé. En revanche ils considèrent que l'abondance qui se développerait sous le socialisme, ainsi que la nouvelle mentalité qui y serait associée, permettrait d'aller vers la répartition communiste "de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins".

C'est pourquoi Marx parlait de "droit bourgeois" persistant après la révolution. Lénine, parlant de cet aspect, disait que dans un sens : « Il s'ensuit qu'en régime communiste subsistent pendant un certain temps non seulement le droit bourgeois, mais aussi l'État bourgeois - sans bourgeoisie !  »

Nikolaï Boukharine évalue à « deux ou trois générations » le délai nécessaire pour que disparaissent « toutes les survivances de l'ancien régime capitaliste »[5].

3 État ouvrier et dictature du prolétariat[modifier | modifier le wikicode]

Pour certains, État ouvrier et dictature du prolétariat sont la même chose, et étaient la même chose pour Marx. D'autres séparent la dictature du prolétariat et l'État ouvrier, auquel ils donnent un contenu plus "objectif" et "économique".

Dans Les Luttes de classes en France, Marx voit dans les clubs politiques français de 1848 l'amorce de « la coalition de toute la classe ouvrière contre toute la classe bourgeoise, la formation d'un État ouvrier contre l'État bourgeois ». C'est le seul texte dans lequel Marx utilise l'expression « État ouvrier ».

Ce serait Trotski qui aurait introduit une distinction entre État ouvrier et dictature du prolétariat.

4 Les deux expériences principales[modifier | modifier le wikicode]

4.1 La commune de Paris[modifier | modifier le wikicode]

La commune de Paris en 1871 a été le premier exemple d'État ouvrier, même si son extension géographique s'est limitée à Paris, et s'il n'a pu durer que trois mois, avant d'être réprimé dans le sang. Marx parlait à son sujet de « forme enfin trouvée »[6] du pouvoir des travailleur·ses.

4.2 La Russie soviétique[modifier | modifier le wikicode]

La révolution russe de 1917 a vu l'émergence d'une auto-organisation des travailleurs qui s'appuyait sur les soviets (conseils) d'entreprises, de villes... et ce à travers l'ensemble du pays. Sous l'impulsion des bolchéviks, c'est un appareil d'État nouveau, fondé sur ces soviets, qui a pris le pouvoir en renversant l'État tsariste. Lénine en soulignait l'importance historique :

« Durant des centaines d'années on a bâti les Etats selon le type bourgeois, et c'est la première fois qu'une forme d'État non bourgeois a été trouvée. Peut-être notre appareil est-il mauvais, mais on dit que la première machine à vapeur était aussi mauvaise, et l'on ignore même si elle fonctionnait. Ce n'est pas là l'essentiel. L'essentiel, c'est que la machine ait été inventée. »[7]

La bureaucratisation de cet État ouvrier a soulevé d'innombrables débats et points de vue différents entre communistes révolutionnaires.

5 Formes de l'État ouvrier[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Marx, la social-démocratie et la révolution[modifier | modifier le wikicode]

Marx n'a pas théorisé de forme précise pour la dictature du prolétariat. En revanche il est clair qu'il l'a toujours conçue comme une forme permettant à la fois une démocratie supérieure aux démocraties bourgeoises, tout en n'hésitant pas à prendre des mesures radicales contre la bourgeoisie.

Marx et Engels pensaient globalement que l'État dans la période de transition du capitalisme au socialisme aurait la forme d'une république démocratique. Dans leurs premiers écrits comme le Manifeste communiste (1847), ils s'attendent globalement à ce que cette république démocratique soit reprise à la bourgeoisie au cours d'un processus révolutionnaire, et soit réutilisée comme un outil neutre.

Marx remarque ensuite qu'au travers de la révolution de 1848 puis du coup d'État de Napoléon III, la machine bureaucratique d'État s'est perfectionnée toujours plus, et qu'il faudra la briser.[8]

Marx critiquait la conception de certains pré-anarchistes (du « stinerianisme proudhonisé ») qui voulaient strictement repartir de petits « groupes » ou « communes », qui ensuite se re-fédèreraient en une « association », mais « pas un Etat ».[9]

En 1871, il écrivait de la Commune de Paris qu'elle était « la forme enfin trouvée » du pouvoir des travailleur·ses. Il vantait notamment la destruction de la bureaucratie, de la police et de l’armée permanente, la centralisation de tout le pouvoir entre les mains de la représentation populaire (suppression de la cloison étanche entre le législatif et l’exécutif, remplacement du parlement « parlant » par une institution « travaillant »), l’électivité et la révocabilité de tous les fonctionnaires, la réalisation d'un gouvernement à bon marché, ainsi que la plus large autonomie de l’administration locale. Pour Marx, « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonctionner pour son propre compte ». Il définit ainsi la rupture opérée par la Commune avec l'ancien État :

« Tandis qu'il importait d'amputer les organes purement répressifs de l'ancien pouvoir gouvernemental, ses fonctions légitimes devaient être arrachées à une autorité qui revendiquait une prééminence au-dessus de la société elle-même, et rendues aux serviteurs responsables de la société. »[10]

Dans leur préface de 1872 à la réédition du Manifeste communiste[11], Marx et Engels reconnaissaient avoir évolué sur certains points, notamment le question de la machinerie de l'État, renvoyant à leur analyse de la Commune.

Engels revient en 1891 sur ces changements radicaux qui permettent d'éviter que les « organes de l'Etat, à l'origine serviteurs de la société, [se transforment] en maîtres de celle-ci ». Mais il s'agit bien d'un Etat :

« L’État est un mal, qui se transmet par voie d’héritage au prolétariat lorsque celui-ci remporte la victoire dans la lutte pour le pouvoir de classe ; comme l’a fait la Commune, le prolétariat vainqueur sera obligé de sectionner immédiatement les plus néfastes manifestations de ce mal en attendant que la génération grandie dans la nouvelle ambiance de liberté puisse jeter dehors toutes ces vieilleries de l’étatisme. »[12]

Cette même année 1891, Engels écrit :

« S’il existe quelque chose qui ne se prête à aucun doute, c’est bien ceci : que notre parti et la classe ouvrière peuvent arriver au pouvoir uniquement sous un régime politique tel que la république démocratique. Cette dernière est la forme spécifique de la dictature du prolétariat, comme l’a démontré déjà la révolution française. »[13]

De fait, étant donné que la Deuxième internationale a été dominée par le révisionnisme opportuniste, très peu de réflexions concrètes ont eu lieu jusqu'en 1917 sur la forme du pouvoir des travailleurs. C'est dans la précipitation que Lénine a remis en question ses schémas social-démocrates et écrit L'État et la révolution en 1917. Dans ce fameux livre, il rappelle la nécessité de détruire l'État bourgeois par la révolution et de construire un État ouvrier. Mais il décrit seulement de façon générale les formes de ce nouvel Etat.

Les bolchéviks et la Troisième internationale ont ensuite considéré que les soviets, apparus spontanément en Russie dès 1905, représentaient la forme concrète pouvant constituer les institutions de base de l'État ouvrier, qui est un « Etat-Commune », c'est-à-dire un type d'État « dont la Commune de Paris a été la préfiguration ».

5.2 L'exemple russe[modifier | modifier le wikicode]

L'expérience concrète du parti bolchévik au pouvoir a soulevé des questions complexes.

Majorité paysanne, minorité ouvrière. Rosa Luxemburg, dans un article de 1906 (après la révolution manquée de 1905 en Russie), exprime son soutien aux bolchéviks, disant qu'ils ont toujours défendu la prise du pouvoir par la classe ouvrière elle-même (réfutant les accusation de "blanquisme" que la droite social-démocrate dégainait à la moindre volonté d'insurrection). Cependant, elle soulignait la situation objective dans laquelle était la Russie, avec une très petite minorité d'ouvriers. Dans ces circonstances, même si la révolution pouvait être menée par cette avant-garde gagnée au socialisme, elle devrait remettre le pouvoir à des représentants de la majorité, élus par Assemblée constituante, qui ne pourraient être que « les démocrates paysans et petits bourgeois ».

La dissolution de l'assemblée constituante. Au cours de l'année 1917, l'influence des bolchéviks s'est accrue significativement jusqu'à devenir majoritaire. La conscience des ouvriers et des paysans évoluait très rapidement. Avant qu'ils deviennent majoritaires, une assemblée constituante a été préparée (c'était une revendication démocratique notamment des bolchéviks). Lorsque l'assemblée s'est réunie, avec les délégués venant de toute la Russie, elle ne représentait déjà plus l'opinion majoritaire (entre temps l'insurection et la prise du Palais d'Hiver avait eu lieu à Petrograd, les paysans avaient été majoritairement gagnés au bolchévisme...). Par ailleurs, entre temps, une fédération des soviets de toute la Russie s'est mise en place. C'est pourquoi les bolchéviks ont décidé de  dissoudre l'Assemblée constituante comme institution dépassée.

Pour Rosa Luxemburg, les arguments des bolchéviks étaient valables, mais il aurait fallu aussitôt convoquer une nouvelle Assemblée constituante. De leur côté Lénine et Trotski[14] excluent par principe toute forme de « démocratie mixte » prônée par les austro-marxistes. Zinoviev et Kamenev, deux membres de la direction bolchévique qui s'étaient opposés à l’insurrection d’Octobre, l'ont fait notamment au nom d’une « combinaison d’institutions étatiques », conciliant Assemblée constituante et soviets.

La question des syndicats et des rapports de production. Quel devait être le rôle des syndicats dans la nouvelle société ? Trotski s'est prononcé en 1921 contre le droit de grève au sein des entreprises collectivisées russes, estimant que les travailleurs, contrôlant leur Etat, n'avaient pas vocation à faire grève contre lui. Lénine s'opposa à cette extrémité. A l'inverse, l'Opposition ouvrière du parti bolchévik réclamait plus d'autogestion dans les entreprises.

Pour certains, il y aurait un écueil "gestionnaire" chez beaucoup de marxistes, consistant à sous-estimer voire nier l'importance de la politique sous le socialisme. Ce serait perceptible dans les formules d'Engels selon laquelle l'administration des hommes serait remplacée par l'administration des choses (conception influencée par le saint-simonisme). Une idée reprise par la social-démocratie, qui voyait dans des entreprises publiques comme la Poste ou les grands cartels des « modèles d’entreprises socialistes ». Lénine acquiesçait : « rien n’est plus juste, car le mécanisme de gestion sociale y est tout prêt ». Pour lui les tâches de gestion ont été « simplifiés à l'extrême par le capitalisme, qui les a réduits aux opérations les plus simples [...] à la portée de quiconque sait lire et écrire et connaît les quatre règles d'arithmétique ». Ainsi « la société tout entière ne sera plus qu'un seul bureau et un seul atelier, avec égalité de travail et égalité de salaire.  » « Tous les citoyens deviennent les employés et les ouvriers d'un seul "cartel" du peuple entier, de l'Etat. » Les conséquences seraient une minimisation de l'importance de transformer la façon de travailler, par exemple de réduire la division du travail.

Dans quoi réside le pouvoir ouvrier, les rapports de production ouvriers, la domination de la classe ouvrière ? Si Lénine avait insisté dans L'État et la Révolution sur l'importance de la forme soviétique pour réaliser un « Etat-commune » d'un type nouveau, par la suite il déclara à de nombreuses reprises que les rapports hiérarchiques dans l'administration des usines ou de l'État étaient une question technique, d'efficacité, sans rapport avec le pouvoir ouvrier.

« [En ce qui concerne l'administration], je m'en réfère à la bourgeoisie : à quelle école irions-nous, si ce n'est à la sienne ? Elle administrait en tant que classe, du temps où elle avait le pouvoir ; mais ne nommait-elle pas de chefs ? Nous n'avons pas encore atteint leur niveau (...). Les ouvriers n'en sont pas encore là et nous devons, pour vaincre, nous débarrasser des vieux préjugés. La domination de la classe ouvrière est dans la Constitution, dans le régime de propriété et dans le fait que c'est nous qui mettons les choses en train ; mais l'administration, c'est autre chose, c'est une question de savoir-faire, d'habileté. La bourgeoisie le comprenait admirablement, mais nous, nous ne l'avons pas encore compris »[15]

A l'inverse, au sein du parti bolchévik, une opposition de gauche se regroupe (autour de la revue Kommunist) et défend le principe collégial. Pour Kritzman, un de ses théoriciens, la gestion collective est « le signe distinctif du prolétariat (...), qui le distingue de toutes les autres classes sociales (...), le principe d'organisation le plus démocratique ».[16]

Mesures répressives temporaires. Un des problèmes majeurs de la révolution russe est que des mesures initialement prévues pour être temporaires (parti unique, censure de la presse...), et justifiée par des menaces réactionnaires bien réelles, se sont éternisées. Rosa Luxemburg s'inquiétait dès 1918 de la transformation d'une exception en règle, à des fins d'autojustification :

« Le danger commence là où, faisant de nécessité vertu, ils [les dirigeants bolcheviks] cherchent à fixer dans tous les points de la théorie, une tactique qui leur a été imposée par des conditions fatales et à la proposer au prolétariat international comme modèle de la tactique socialiste ».

Pour Luxemburg, il y a également une conception trop instrumentale de l'État chez Lénine, sous-estimant l'importance d'une transformation des consciences à tous les niveaux :

« Lénine dit que l’État bourgeois est un instrument d’oppression de la classe ouvrière, l’État socialiste un instrument d’oppression de la bourgeoisie, qu’il n’est en quelque sorte qu’un État capitaliste inversé. Cette conception simpliste omet l’essentiel : pour que la classe bourgeoise puisse exercer sa domination, point n’est besoin d’enseigner et d’éduquer politiquement l’ensemble de la masse populaire, du moins pas au-delà de certaines limites étroitement tracées. Pour la dictature prolétarienne, c’est là l’élément vital, le souffle sans lequel elle ne saurait exister. » « Sans élections générales, sans une liberté de presse et de réunion illimitée, sans une lutte d’opinion libre, la vie s’étiole dans toutes les institutions publiques, végète, et la bureaucratie demeure le seul élément actif. »

5.3 Gramsci[modifier | modifier le wikicode]

En Italie, Antonio Gramsci considère pour sa part, en 1920 dans le contexte du « biennio rosso », le système d'un gouvernement par les conseils ouvriers comme devant être non pas une forme transitoire de la lutte révolutionnaire, mais une forme plus permanente d'organisation de la révolution et une forme de construction de l'État socialiste : pour Gramsci, les conseils d'usine doivent constituer la base non corporatiste, et non purement représentative, d'un État ouvrier. A ses yeux, l'usine devient alors « la forme où la classe ouvrière se coule en un organisme déterminé, la cellule d'un nouvel État : l'État ouvrier, et la base d'un nouveau système représentatif : le système des Conseils »

6 État ouvrier dégénéré[modifier | modifier le wikicode]

Lénine reconnaissait que l'État soviétique était un État ouvrier "présentant une déformation bureaucratique"[17].

Trotski parlera plus tard d'un État ouvrier dégénéré[18]. De nombreuses polémiques vont avoir lieu sur la nature de l'URSS, certains la décivrant comme un capitalisme d'État, d'autre comme un nouveau régime appelé collectivisme bureaucratique.

🔍 Voir : Nature de l'URSS.

7 État ouvrier déformé[modifier | modifier le wikicode]

Pour certains courants issus du trotskisme, comme la Quatrième internationale (Secrétariat Unifié), les États du bloc de l'Est, conquis par l'Armée rouge pendant la Seconde guerre mondiale, sont des États ouvriers bureaucratiquement déformés dès leur naissance.

8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Lénine, L'État et la révolution, 1917

Daniel Bensaïd, L’Etat, la démocratie, et la révolution: retour sur Lénine et 1917, Préface de 2007 à L'État et la révolution

  1. Antoine Artous, Trotski et l’analyse de l’URSS, Contretemps, octobre 2017
  2. Marx, Critique du programme de Gotha, 1875
  3. Engels, Anti-Düring, 1878
  4. Karl Marx, Critique du programme de Gotha, 1875
  5. Nikolaï Boukharine, L'ABC du communisme, 1919
  6. Karl Marx, La guerre civile en France, mai 1871
  7. Lénine, XIe congrès du PCR(b), 27 mars 1922
  8. Karl Marx, Le 18 brumaire de L. Bonaparte, 1851
  9. Lettre de Marx à Engels du 20 juin 1866
  10. Karl Marx, La guerre civile en France, mai 1871
  11. Friedrich Engels, Karl Marx, Manifeste du parti communiste (1847) - Préface de 1872 à l'édition allemande
  12. Friedrich Engels , Introduction à la guerre civile en France, 1891
  13. Friedrich Engels, Critique du projet de programme social-démocrate de 1891
  14. Trotski, Les leçons d’Octobre, 1923
  15. Lénine, Discours prononcé à la séance de la fraction communiste du Conseil central des syndicats de Russie, 15 mars 1920
  16. L. Kritzman, Geroicheski period russkoi revolyutsii [La période héroïque de la révolution russe], Moscou et Leningrad, 1926, p. 83.
  17. Lénine, Discours sur les syndicats, 14 mars 1921
  18. Voir notamment Défense du marxisme