Armement du peuple

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Ouvriers armés à l'usine Vulkan à Petrograd, en octobre 1917

L'armement du peuple est une vieille revendication démocratique. Les démocrates révolutionnaires, considérant que les armées permanentes et leur police sont un des principaux appuis des États despotiques, ont revendiqué leur remplacement par le peuple en armes. Dans la pratique, les expériences révolutionnaires ont plutôt consisté en des milices populaires ayant la confiance de la population qu'en un armement généralisé, et quasi systématiquement, les États bourgeois ayant émergé des révolutions démocratiques-bourgeoises ont vu la reconstitution d'armées permanentes.

Au fur et à mesure du renforcement du capitalisme et de l'apparition du mouvement ouvrier, la revendication de l'armement du peuple a été abandonnée par les démocrates bourgeois, et reprise par les social-démocrates. Cependant, les différents courants socialistes ont rapidement divergé sur cette question :

  • les plus ouvertement réformistes et social-chauvins ont abandonné ce mot d'ordre, en même temps qu'ils abandonnait toute idée de renverser l’État bourgeois ; cela s'est notamment traduit par l'Union sacrée en 1914, les dirigeants réformistes appelant les prolétaires à s'enrôler dans leurs armées nationales respectives, endossant leur propre impérialisme ;
  • les socialistes révolutionnaires / communistes et beaucoup d'anarchistes ont maintenu l'idée d'armement du peuple, souvent renommée en armement du prolétariat ; dans la révolution russe de 1917 par exemple, les anciennes police et armée se sont désintégrées, remplacée dans un premier temps par des milices (gardes rouges...) ;
  • certains ont plutôt mis en avant le désarmement et le pacifisme ; ils sont généralement caractérisés comme centristes par les communistes léninistes.[1]

1 Exemples historiques[modifier | modifier le wikicode]

1.1 La confédération helvétique[modifier | modifier le wikicode]

Depuis le Moyen-Âge, la Suisse s'est constituée d'abord comme une alliance d'autodéfense en cas d'agression extérieure, cette autodéfense ne devant pas être assurée par une armée permanente, mais par la mobilisation générale des hommes. Aujourd'hui encore, cela marque le pays : le service militaire est obligatoire, le pays est le 3e au monde où le nombre d'armes par habitants est le plus élevé[2]... Une boutade y est d'ailleurs courante : « La Suisse n’a pas d’armée, elle est une armée ! ».[3]

1.2 Révolution américaine (1763-1783)[modifier | modifier le wikicode]

Les États-Unis se sont libérés de la tutelle du Royaume-Uni par une guerre d'indépendance, dans une période d'intenses luttes de classe. En effet, les états-uniens ne représentaient pas un bloc homogène, et les classes possédantes étaient dans leur grande majorité en faveur du statu quo. C'est pourquoi le processus de création d'une armée nationale n'a pu se faire qu'en mobilisant largement les classes populaires, ce qui a ouvert toute une période de démocratisme radical et d'armement du peuple.

Comme en Suisse, ce passif historique a de fortes conséquences aujourd'hui : le pays est celui où le nombre d'armes par habitant est le plus élevé au monde. [2]

1.3 Révolution française (1789)[modifier | modifier le wikicode]

Les remarquables grands capitaines de la Révolution et de l'Empire français débutaient, presque constamment, en enfreignant la discipline, en désorganisateurs. Le futur maréchal Davout, quand il était le lieutenant d'Avout, pendant de longs mois, en 1789-1790, dissolvait la discipline "normale" dans la garnison d'Aisdenne, en chassant les commandants. Par toute la France eut lieu, jusqu'au milieu de 1790, un processus de totale décomposition de la vieille armée. Les soldats du régiment de Vincennes contraignaient leurs officiers à faire table commune avec eux. La flotte expulsait ses officiers. Une vingtaine de régiments soumirent leur commandement à des violences de divers genres. À Nancy, trois régiments jetèrent en prison les officiers. À partir de 1790, les tribuns de la Révolution ne cessent de répéter, à propos des excès de l'armée : « C'est le pouvoir exécutif qui est coupable de n'avoir pas destitué les officiers hostiles à la Révolution. » Il est remarquable que, pour la dissolution de l'ancien corps des officiers, se soient prononcés aussi bien Mirabeau que Robespierre. Le premier songeait à rétablir le plus tôt possible une forte discipline. Le second voulait désarmer la contre-révolution. Mais tous deux comprenaient que l'ancienne armée ne pouvait plus durer.

A la place de l'ancienne armée eut lieu un profond renouvellement suite à la levée en masse, et à l'émergence de nouveaux leaders acquis aux idées révolutionnaires.

1.4 Garde nationale[modifier | modifier le wikicode]

Au moment de la Révolution de 1789, l'ancienne armée est remplacée notamment par la Garde nationale, corps militaires issus de la population. Les corps de garde nationale existaient d'abord à Paris, et dans les grandes villes. Ils représentaient d'une certaine façon le peuple en armes, même si étant donné leur direction politique, ils étaient des milices bourgeoises.

La garde nationale est en grande partie intégrée à l'État sous Napoléon Bonaparte, qui se méfiait de cette force autonome. La bourgeoisie n'oppose pas réellement de résistance, parce que cela la décharge d'une tâche relativement lourde et que la contre-révolution féodale n'est plus une menace.

La garde nationale continue cependant d'exister au 19e siècle, avec des avancées (notamment lors des épisodes révolutionnaires) et des reculs. Elle joue un rôle majeur dans la Commune de Paris de 1871, suite à quoi elle sera dissoute.

1.5 Landwehr[modifier | modifier le wikicode]

La Landwehr est l'équivalent de la Garde nationale dans des régions germanophones (Prusse, Autriche-Hongrie, Empire allemand, Suisse...). L'impulsion de sa création vint d'abord de la nécessité de lutter contre l'invasion de Napoléon, on recrutait alors massivement dans la population pour la « défense nationale ». Néanmoins le fait que la population soit armée menaçait en retour les régimes féodaux germaniques. Ce fut une des raisons qui fit que la Landwehr fut dissoute.

Le célèbre théoricien militaire Clausewitz écrivait en 1832 : « La Landwehr augmente le danger de révolution ; la dissolution de la Landwher augmente le danger d'invasion. »

1.6 Révolution allemande de 1848[modifier | modifier le wikicode]

Dans la révolution de mars, la Ligue des communistes dirigée par Marx et Engels défendait l'armement du peuple.[4]

Le programme de Gotha de la social-démocratie (1875) prévoyait encore le remplacement des armées permanentes par les milices populaires. Wilhelm Liebknecht précisait même que cela signifiait le « droit de porter des armes ».[5]

1.7 Commune de Paris (1871)[modifier | modifier le wikicode]

Afin de défendre la ville contre les réactionnaires versaillais, le Comité de salut public de la Commune mis sur pied une armée défensive, composée pour l'essentiel d'ouvriers et de petits-bourgeois.  Mais, mal armés, mal encadrés et peu aguerris aux techniques de la guerre (ils n'ont pour exemple aucune stratégie), les révolutionnaires fûrent promptement écrasés durant la Semaine sanglante.

1.8 Essor du militarisme japonais[modifier | modifier le wikicode]

Suite à la révolution Meiji (1868), le Japon se constitue rapidement en État-nation moderne. En même temps que l'État bourgeois se renforce, il voit apparaître des mouvements démocrates (et social-démocrates) qui contestent le chemin pris. Ainsi dans les années 1890, des députés au parlement (par exemple Nakae Chômin et Ueki Emori) pensaient qu'une armée entièrement contrôlée par l'État était dangereuse pour le peuple, et défendaient des armées locales, voire des milices populaires.

1.9 L'Armée nouvelle de Jaurès (1910)[modifier | modifier le wikicode]

Dans L’Armée nouvelle (1910), version publiée d'une proposition de loi qu'il avait défendue à l'Assemblée, Jean Jaurès fait l’éloge du système militaire suisse. Après avoir relevé que « le vice essentiel de notre organisation militaire [française], c’est qu’elle a l’apparence d’être la nation armée et qu’en effet elle ne l’est point ou qu’elle l’est à peine », il s’exclame : « De tous les systèmes militaires pratiqués dans le monde, c’est à coup sûr le modèle suisse qui se rapproche le plus de l’idéal d’une armée démocratique et populaire : c’est celui qui, par la réduction au minimum du séjour à la caserne, par le recrutement non seulement régional mais local, par l’organisation de toute la masse des citoyens valides en unités territoriales, confond le plus essentiellement la vie militaire et la vie civile. »

1.10 Sous la révolution russe (1917-1922)[modifier | modifier le wikicode]

Trotski décrit dans son Histoire de la révolution russe comment la lutte de classe (généraux et officiers contre soldats/paysans) et la lutte contre l'impérialisme (revendication de la paix contre intérêts de l’État russe) a travaillé les rangs de l'armée. Il raille les illusions des libéraux et surtout des réformistes qui oublient que toute révolution sociale conduit à une dislocation de l'armée.

En Russie, de nombreux contre-révolutionnaires (les Blancs), appuyés par les États occidentaux et japonais, attaquèrent les Soviets acquis à la suite de la révolution. Face à ce danger, Trotski mis sur pied l'Armée rouge. Il raconte à quel point, au niveau des formes, la nouvelle armée a en grande partie consisté à rebâtir la discipline détruite dans l'ancienne armée :

« Les comités, dans les vieux régiments, s'étaient formés comme des incarnations de la révolution même, du moins dans la première étape. Dans les nouveaux régiments, le principe même des comités ne pouvait être toléré, en tant que principe de décomposition. Les malédictions envoyées à l'adresse de la vieille discipline retentissaient encore que déjà nous commencions à en établir une nouvelle. Après avoir recouru aux volontaires, il fallut, à bref délai, en revenir à la conscription forcée ; après les détachements de partisans, il fallut avoir une organisation militaire exacte.  »[6]

L'Armée rouge ainsi créé a été d'une efficacité suffisante pour gagner la guerre civile. Cependant, elle en est sortie fortement bureaucratisée et vidée de toute démocratie interne...Trotski écrit en 1923 : « La nécessité d’entretenir une armée permanente est également une autre source importante de bureaucratisme. »[7]

1.11 Révolution espagnole (1936-1939)[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Révolution espagnole.

Face au putsch franquiste, de nombreux espagnols vont se soulever au sein du front unique afin de défendre la république et la démocratie. Mais c'est justement les dirigeants bourgeois républicains qui vont précipiter la chute du régime et la mort des révolutionnaires. En particulier, une réforme agraire radicale et l'indépendance du Maroc auraient coupé les fascistes de leurs soutients paysans arriérés et des mercenaires africains.

1.12 Révolution yougoslave (1941-1945)[modifier | modifier le wikicode]

Sur l'ensemble des officiers de l'ancienne armée, seuls 4,1% se retrouveront dans la nouvelle armée. Parmi les officiers de la nouvelle armée, 90% sont membres du Parti communiste yougoslave.

1.13 Programme de transition (1938)[modifier | modifier le wikicode]

Un chapitre du Programme de transition de Trotski aborde la question des milices ouvrières et de l'armement du prolétariat.[8]

1.14 Cache d'armes du syndicat du livre (CGT)[modifier | modifier le wikicode]

En 1991, la direction des NMPP découvre une cache de plus de 5 000 armes dans un de ses entrepôts de Saint-Ouen. Ces armes avaient été détournées puis cachées par des ouvriers membres du syndicat du livre lors de la faillite de Manufrance en 1980 en prévision du « grand soir »[9].[10]

1.15 21e siècle[modifier | modifier le wikicode]

La revendication d'armement du prolétariat n'est quasiment plus mise en avant aujourd'hui, même par les communistes révolutionnaires. Elle est parfois évoquée comme perspective qui pourrait redevenir nécessaire, notamment pour l'autodéfense face à la menace fasciste.[11]

Aujourd'hui, la question des armes dans la population évoque d'abord et avant tout celles des conséquences en termes de meurtres par balles. Ceci principalement en raison de l'exemple des États-Unis, où il est très élevé, avec de très fréquentes fusillades. L'immense majorité de la gauche aujourd'hui défend donc une plus grande limitation des armes. Par une ironie de l'histoire, alors que le camp conservateur était, à l'origine des États-Unis, le camp hostile à l'armement du peuple, c'est aujourd'hui la droite qui défend bec et ongles la liberté totale du port d'armes.

En 1906 aux États-Unis, les socialistes avaient des avis divers sur la question du port d'arme par les citoyens.[12]

2 Notes[modifier | modifier le wikicode]