Conseil de la Commune
Le conseil de la Commune est le gouvernement élu de Paris du 28 mars au 28 mai 1871, pendant la Commune de Paris.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
Après l'insurrection du 18 mars, c'est le Comité central de la Garde nationale qui avait temporairement le pouvoir, et qui chercha au plus vite à organiser des élections pour confirmer sa légitimité.
Le Comité Central avait d'abord fixé les élections à la Commune au 22 mars; mais il les repoussa pour entamer des pourparlers avec l'assemblée des maires et des députés de Paris, prêt à partager le pouvoir avec elle.
2 Les élections[modifier | modifier le wikicode]
Les élections municipales ont finalement lieu le 26 mars. Il y eut 229167 votants sur 484569 électeurs inscrits (les abstentions semblent nombreuses, mais il faut tenir compte du départ de nombreux fonctionnaires qui suivent le gouvernement d'Adolphe Thiers à Versailles (dès le 19 mars) et d'habitants hostiles à la Commune).
Les listes favorables à la Commune obtiennent une écrasante majorité dans le XXe (100 % des voix), le XVIIe, XVIIIe et XIXe arrondissements. Plus des trois quarts des électeurs votent en faveur des communards dans les IIIe, IVe, Ve, VIe, VIIe, Xe, XIe, XIIe, XIIIe, XIVe et XVe arrondissements. Par contre les IIe, IXe et XVIe arrondissements votent très majoritairement pour des listes présentées par les maires d'arrondissement opposés à la Commune.
Le Conseil général de la Commune est alors mis en place sur la base de ces résultats.
Prévues d'abord le 5 avril, les élections complémentaires, destinées à pourvoir les sièges vacants ou désertés, sont organisées le .
3 Les élus[modifier | modifier le wikicode]
Le Conseil devait être formé de 92 membres. Mais 15 élus issus des quartiers bourgeois (Ie, IIe, VIe, IXe, XIIe et XVIe arrondissements) refusent de siéger. Certains élus démissionnèrent rapidement pour protester contre le décret sur les otages pris par le Conseil de la Commune (Ulysse Parent, Ernest Lefèvre, Arthur Ranc, Edmond-Alfred Goupy). Émile-Victor Duval et Gustave Flourens furent tués dans les premiers combats contre les soldats versaillais. Quant à Auguste Blanqui (élu dans le XVIIIe et le XXe arrondissements) le gouvernement d'Adolphe Thiers le retenait prisonnier en Bretagne. Il fallut procéder à des élections complémentaires le 16 avril 1871 (il y eut près de 70 % d'abstentionnistes). En fait 85 élus siégèrent effectivement.
Les élus appartiennent à deux groupes sociaux, celui des ouvriers-artisans (12 artisans, 6 petits commerçants, 6 cordonniers, 6 ouvriers métallurgistes, 2 relieurs, 2 typographes, 2 chapeliers, 1 teinturier, 1 menuisier, 1 bronzier) et celui de la petite bourgeoisie intellectuelle (12 journalistes, 3 avocats, 3 médecins, 2 peintres, 1 pharmacien, 1 architecte, 1 ingénieur, 1 vétérinaire).
Les élus n'appartiennent pas à de vrais partis organisés (même si Frankel et Varlin tentent de remettre sur pied la fédération parisienne de l'AIT par exemple). Ce sont majoritairement des révolutionnaires, mais ils sont d'une grande diversité politique :
- les membres de l'AIT (Léo Frankel, Benoît Malon, Eugène Varlin...) : celle-ci est assez diverse politiquement, peu centralisée, et encore marquée par le proudhonisme, même si le collectivisme y était devenu majoritaire ;
- les blanquistes, très influents dans la classe ouvrière (Eugène Protot, Édouard Moreau de Beauvière, Jean-Baptiste Chardon, Émile Eudes, Théophile Ferré, Raoul Rigault ou Gabriel Ranvier) ; certains blanquistes étaient adhérents à l'AIT (comme Duval ou le maçon François David[1]) ;
- de nombreux « jacobins » (une vingtaine) : républicains petits-bourgeois rêvant confusément de refaire 1793 (Delescluze...), certains étant adhérents à l'AIT (Gambon, Pyat...)
- des « indépendants » (entre 25 à 30) : Jules Vallès et Gustave Courbet.
Selon les sources, il y avait 14 ou 38 membres de l'AIT parmi eux.
Ceux qui se disent "socialistes révolutionnaires" veulent la collectivisation des moyens de production, d'autres sont plus attachés aux réformes politiques. Certains pensent que la Commune assurera l'égalité sociale. Tous veulent une Commune autonome qui sera le début d'une Fédération de toutes les Communes de France. Pour la plupart ils veulent remplacer l'armée permanente par des milices citoyennes. Tous veulent que les fonctionnaires soient élus et responsables devant les citoyens.
4 Réunions secrètes et transparence[modifier | modifier le wikicode]
Les réunions du Conseil de la Commune se tenaient en secret, car, selon Paschal Grousset, il s'agissait d'un « conseil de guerre ». Mais certains communards critiquaient cet état de fait et réclamaient un passage à des réunions en public.
Ce n'est qu'à partir du 18 avril que des compte-rendus des séances seront publiés dans le Journal officiel (JO). Ces précautions sont critiquées par certains y compris des marxistes[2], mais beaucoup soulignent dans la Commune une forte volonté de transparence des décisions (la commission des finances publiait régulièrement les tableaux détaillés des mouvements de fonds...).[3]
5 Le Conseil au travail[modifier | modifier le wikicode]
La plupart des conseillers sont jeunes et mis à part pour certains l'expérience du combat syndicaliste, ils n'ont aucune expérience politique et administrative. Ils doivent mener de front plusieurs tâches. D'abord ce sont des "élus locaux" de leur arrondissement qu'ils doivent administrer. De plus il siègent collégialement aux réunions du Conseil où sont débattus et votés les décrets de la Commune. Par ailleurs ils doivent recevoir les différents acteurs de la Commune: délégations diverses de quartiers, de métiers, de Gardes nationaux... et faire des visites sur le terrain. Enfin ils sont membres des différentes commissions mises en place pour préparer les mesures souhaitées par les électeurs populaires.
Il y a dix commissions:
- la Commission Exécutive fait appliquer les décrets de la Commune
- la commission de l'Enseignement refait fonctionner les écoles et lycées désertés par une partie de leurs enseignants défavorables à la Commune et imagine les bases d'un enseignement futur, laïc, gratuit et obligatoire
- la commission des Finances gère le budget de la Ville et négocie les fonds nécessaires auprès de la Banque de France
- la commission de la Justice réorganise les tribunaux eux aussi désertés par les fonctionnaires nommés sous le Second empire et doit penser une réforme judiciaire basée sur des principes démocratiques
- la commission militaire s'occupe de la Garde nationale et de son état-major
- la commission des Relations extérieures tente de nouer des liens avec les Communes de province qui voient le jour afin de réaliser la Fédération des Communes.
- la commission des Services publics fait fonctionner le chemin de fer, la poste...
- la commission des Subsistances assure l'approvisionnement de Paris encerclé à l'ouest et au sud par les soldats versaillais, au nord et à l'est par les troupes allemandes
- la commission de la Sûreté générale veille au maintien de l'ordre et à la sécurité
- la commission du Travail et de l'Échange veut réformer les rapports employeurs-employés.
Le 21 avril, un Délégué est nommé à la tête de chaque commission.
5.1 Commission exécutive[modifier | modifier le wikicode]
Le , elle comprend : Jules Bergeret, Émile Duval, Émile Eudes, Gustave Lefrançais, Félix Pyat, Gustave Tridon et Édouard Vaillant.
Le , sur proposition de Charles Delescluze une nouvelle commission est désignée. Ses membres se réunissent chaque jour et prennent les décisions à la majorité des voix. Chaque jour, la commission rend compte de son activité au Conseil de la Commune. En font alors partie : Jules Andrieu pour la commission des Services publics, Gustave Paul Cluseret pour celle de la Guerre, Léo Frankel pour celle du Travail et de l'Échange, Paschal Grousset pour celle des Relations extérieures, François Jourde pour celle des Finances, Eugène Protot pour celle de la Justice, Raoul Rigault pour celle de la Sûreté générale, Édouard Vaillant pour celle de l'Enseignement et Auguste Viard pour celle des Subsistances.
Selon un des premiers décrets pris, les membres de la Commune avaient la direction de l’administration dans leur arrondissement et Jules Andrieu, s’employait activement à coordonner leur action.
La Commission exécutive disparait le avec la création du Comité de salut public.
6 Comité de salut public[modifier | modifier le wikicode]
L'unanimité du début va rapidement laisser place à la division entre Majorité (blanquistes, jacobins, indépendants et quelques Internationaux) et minorité (surtout des Internationaux et quelques indépendants). Cela sera évident à propos de la création du Comité de Salut public.
La commission exécutive mise en place le 20 avril 1871, n'arrive pas à améliorer la situation interne et surtout militaire face aux Versaillais. Le 28 avril Jules Miot propose au Conseil de la Commune de créer un Comité de salut public, s'inspirant de l'organe du même nom apparu sous la Révolution française le 6 avril 1793 pour faire face aux dangers. On met en avant la « nécessité temporaire du despotisme ».
La minorité s'y oppose au nom de conceptions anti-autoritaires. Albert Theisz répond :
« Depuis bien des années, on nous répète ces paroles : « plus tard ». Quand les événements seront accomplis, alors, vous aurez la Liberté, l’Egalité, etc. Nous protestons contre de pareils mots, ce sont toujours les mêmes moyens. Non ! » [4]
Le vote est dans un premier temps reporté, car on manque de présents à cette réunion et on estime qu'il faut un débat plus représentatif pour une décision aussi importante.[5]
Finalement, le 1er mai 1871, la création du Comité de Salut public est votée par 45 voix contre 23. Frankel a voté pour, mais avec des réserves.
Il compte 5 membres : Armand Antoine Jules Arnaud, Léo Melliet, Gabriel Ranvier, Félix Pyat (qui démissionne le 5 mai), Charles Gérardin.
Le comité de Salut public, dont les attributions ne sont pas précisées, ne règle pas les problèmes et interfère souvent avec les décisions des délégués (en particulier le délégué à la Guerre Louis Rossel). Aussi un nouveau comité est élu le 8 mai. Y entrent Charles Delescluze, Émile Eudes, et Charles Ferdinand Gambon qui remplacent Gérardin, Melliet et Pyat. Le 10 mai pour remplacer Louis Rossel démissionnaire de son poste de délégué à la Guerre, Delescluze prend la fonction et est remplacé au Comité de Salut public par Alfred-Édouard Billioray. Ces nouveaux membres sont des blanquistes ou des jacobins.
Agissant par arrêtés, ses principales mesures sont : la démolition de la chapelle expiatoire de Louis XVI (jamais mis en œuvre sans doute faute de temps), la confiscation des biens de Thiers, l'attribution de la télégraphie et des chemins de fer à la commission à la guerre.
Le 18 mai, le Comité de Salut public restreint la liberté de la presse en interdisant des journaux hostiles à la Commune.
7 Minorité[modifier | modifier le wikicode]
Au sein du Conseil, 23 membres ont voté contre la création du Comité de salut public. Pour l'essentiel ce sont des Internationalistes, mais tous les Internationalistes n'ont pas rejoint la minorité. Il y a des Indépendants et même un blanquiste : Tridon.
Le 15 mai 1871, la minorité publie un Manifeste qui proteste contre la dictature du Comité de Salut public et annonce que ses membres se retirent dans leurs arrondissements respectifs. « La Commune de Paris a abdiqué son pouvoir entre les mains d’une dictature, à laquelle elle a donné le nom de Comité de Salut public. » Frankel le signe avec Vallès, Courbet, Theisz et quelques autres. Ils évitent de peu d’être arrêtés par ledit Comité.
Mais ce manifeste qui réjouit le gouvernement d'Adolphe Thiers, n'est pas compris par les communards parisiens. Les membres de la minorité rejoignent la majorité du Conseil de la Commune à l'Hôtel de Ville de Paris.
Pour eux le Comité de Salut public ne sera que la dictature d'une poignée d'hommes sans aucun contrôle de la part du Conseil de la Commune, seul organe élu par les Parisiens. De plus le nom de ce Comité de Salut public rappelle trop celui de 1793-1794, qui avait envoyé à la guillotine Jacques Roux et ses partisans (considérés comme les plus authentiques représentants des Sans-culottes parisiens).
Membres de la minorité
CSP = opposant au CSP ; M = signataire du Manifeste
- Jules Andrieu (CSP/M)
- Georges Arnold (M)
- Arthur Arnould (CSP/M)
- Augustin Avrial (CSP/M)
- Jules-Nicolas-André Babick (CSP)
- Charles Beslay (CSP/M)
- Adolphe Clémence (CSP/M)
- Victor Clément (CSP/M)
- Gustave Courbet (CSP/M)
- Léo Frankel (M)
- Eugène Gérardin (CSP/M)
- François Jourde (CSP/M)
- Camille Langevin (CSP)
- Gustave Lefrançais (CSP/M)
- Charles Longuet (CSP/M)
- Benoît Malon (CSP/M)
- François-Charles Ostyn (CSP/M)
- Jean-Louis Pindy (CSP/M)
- Paul Philémon Rastoul (CSP)
- Auguste Serraillier (CSP/M)
- Albert Theisz (CSP/M)
- Edme-Louis-Gustave Tridon (CSP/M)
- Jules Vallès (CSP/M)
- Eugène Varlin (CSP/M)
- Auguste Vermorel (CSP/M)
8 Fin de la Commune[modifier | modifier le wikicode]
Le 21 mai les troupes versaillaises entrent dans Paris. La Commune vit ses derniers jours. La bourgeoisie française peut achever son projet de suppression dans le sang des «classes dangereuses ». Un projet qui dégage l’horizon du capitalisme et ouvre la voie aux pratiques « réalistes » du réformisme.
9 Critiques ultérieures[modifier | modifier le wikicode]
9.1 Position de Marx[modifier | modifier le wikicode]
Marx s'est de fait beaucoup plus préoccupé de défendre en bloc la Commune contre ses calomniateurs, et n'a pas abordé publiquement les dissensions au sein du Conseil de la Commune.
Beaucoup de marxistes (Lénine, Trotski...) estiment que ses positions le placent de fait plutôt du côté de la majorité et du Comité de Salut public, même si cela ne fait pas consensus.[2]
Marx considérait que le Comité Central de la Garde Nationale aurait dû en priorité organiser la marche sur Versailles pour liquider les forces réactionnaires, au lieu de se soucier en priorité d'élire le Conseil général de la Commune.[6]
Ce type de mesures d'urgences, qui font passer la victoire de la révolution avant la démocratie formelle, font partie de ce que les marxistes révolutionnaires appellent la dictature du prolétariat.
Trotski insistera sur ce jugement de Marx lorsqu'il écrira Terrorisme et communisme (1920), en défense de la « terreur rouge » en Russie, contre Kautsky.[7]
« Poussée par la logique de la lutte, celle-ci entra en matière de principe dans la voie de l'intimidation. La création du Comité de Salut public était dictée pour beaucoup de ses partisans par l'idée de la terreur rouge. Ce comité avait pour objet de "faire tomber les têtes des traîtres" et de "réprimer les trahisons" (séances du 30 avril et du 1er mai). Parmi les décrets d'"intimidation", il convient de signaler l'ordonnance (du 3 avril) sur la séquestration des biens de Thiers et de ses ministres, la démolition de sa maison, le renversement de la colonne Vendôme, et en particulier le décret sur les otages. Pour chaque prisonnier ou partisan de la Commune fusillé par les Versaillais, on devait fusiller trois otages. Les mesures prises par la Préfecture de police, dirigée par Raoul Rigault, étaient d'un caractère purement terroriste, quoiqu'elles ne fussent pas toujours adaptées au but poursuivi. L'efficacité de toutes ces mesures d'intimidation fut paralysée par l'inconsistance et l'état d'esprit conciliateur des éléments dirigeants de la Commune, par leurs efforts pour faire accepter le fait accompli à la bourgeoisie au moyen de phrases pitoyables, par leurs oscillations entre la fiction de la démocratie et la réalité de la dictature [...] Si la Commune de Paris n'était pas tombée, si elle avait pu se maintenir dans une lutte ininterrompue, il ne peut y avoir de doute qu'elle aurait été obligée de recourir à des mesures de plus en plus rigoureuses pour écraser la contre-révolution. Il est vrai que Kautsky n'aurait pas eu alors la possibilité d'opposer les communards humanitaires aux bolcheviks inhumains. En revanche, Thiers n'aurait pu commettre sa monstrueuse saignée du prolétariat de Paris. L'histoire y aurait peut-être trouvé son compte. »
Pour autant, un certain nombre de marxistes ont par la suite déclaré que la position juste était celle de la minorité.[2]
9.2 Positions des anarchistes[modifier | modifier le wikicode]
La plupart des anarchistes qui ont commenté par la suite la division au sein du Conseil de la Commune ont assez logiquement pris le parti de la minorité, au nom de positions « anti-autoritaires ».[8]
10 Sources[modifier | modifier le wikicode]
- Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune, Coaraze, L'Amourier éditions, coll. « Bio », (1re éd. 1971), 799 p. (ISBN 978-2-36418-060-4, ISSN 2259-6976, présentation en ligne)
- Jacques Rougerie, Paris libre 1871, Le Seuil, collection Politique, 1971
- Texte de la déclaration de la minorité de la Commune
- Wikipédia, Conseil de la Commune et Commission exécutive
11 Notes[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Blog de Michèle Audin sur la Commune de Paris, Le Prolétaire — un club, un journal, juin 2016
- ↑ 2,0 2,1 et 2,2 Dan La Botz, Marx’s Commune: An Appreciation and a Critique, November 2021
- ↑ Les Amies et Amis de la Commune de Paris, Les services publics sous la Commune, août 2022
- ↑ Julien Chuzeville, Léo Frankel, communard sans frontières, Libertalia, 2021 (ISBN 978-2-3772-9165-6)
- ↑ Patrick Le Moal, 150 ans de la Commune. La Commune au jour le jour, 2021
- ↑ Karl Marx, Lettre à Kugelmann, 12 avril 1871
- ↑ Léon Trotski, Terrorisme et communisme, 1920
- ↑ Charles Reeve, Contre la momification de la Commune : découvrir Leo Frankel, Lundi matin, 26 avril 2021