Privatisation

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Un manifestant contre la privatisation aux États-Unis

La privatisation consiste pour un gouvernement à vendre une entreprise publique à des investisseurs, ou à céder une partie importante de son capital.

Les privatisations sont souvent justifiées idéologiquement par l'idée que la gestion patronale et la concurrence serait plus efficace que la gestion par l'État, car la concurrence obligerait les patrons à rechercher la rentabilité et la performance. Dans les faits, elles sont avant tout des cadeaux faits à la bourgeoisie par un État à son service. Elles dégradent les conditions de travail des salarié·es concerné·es, et souvent elles dégradent aussi la qualité des biens ou des services offerts par ces entreprises.

1 Intérêts de la bourgeoisie[modifier | modifier le wikicode]

La naissance même du capitalisme a reposé sur une immense vague de privatisation des « communs », des espaces auparavant utilisés de façon communautaire, des espaces agricoles (enclosures), des forêts... Cela a constitué une part importante de l'accumulation primitive du capital. Il est à noter que ces communs n'étaient des propriétés d'État, donc cette vague de privatisation ne doit pas être vue comme une « réduction du rôle de l'État » : au contraire, elle a nécessité un renforcement de la répression de l'État, notamment contre tous les troubles sociaux que cela a engendré.

Plus le développement du capitalisme s'est approfondi, plus la production moderne, à grande échelle, a eu tendance à nécessiter des interventions de l'État : gestion de la monnaie, règlementation des marchés, des poids et mesures, des postes, de l'éducation... Certains services qui ont d'abord été laissés à l'initiative privée, comme les premiers chemins de fer ou réseaux de gaz, mais ont été nationalisés par la suite. Ces nationalisations ont souvent été poussées par le rapport de force des travailleur·ses de ces secteurs, mais la bourgeoisie (ou en tout cas ces des secteurs entiers de la bourgeoisie) s'est aussi souvent convaincue que ces entreprises nationalisées seraient un atout pour l'ensemble de l'économie capitaliste du pays, et donc aussi pour les capitalistes du secteur privé.

Ainsi il est arrivé régulièrement que des gouvernements qui n'avaient rien de socialistes nationalisent des entreprises. Par exemple en France lors de la création en 1878 des chemins de fer de l’État (pour nationaliser des lignes en faillite).

Lorsqu'une entreprise publique existe depuis longtemps, elle a bénéficié d'investissements assumés par la collectivité sur une longue période. La privatisation permet aux capitalistes qui se retrouvent à sa tête de bénéficier de ces investissements, et de réaliser d'importants profits.

On peut constater qu'en dernière analyse, la bourgeoisie socialise les pertes, et privatise les profits.

2 Lutte idéologique[modifier | modifier le wikicode]

2.1 « Lutte contre les monopoles »[modifier | modifier le wikicode]

Les idéologues bourgeois aiment présenter la privatisation comme une « lutte contre les monopoles », s'appuyant sur le fait que les monopoles capitalistes sont impopulaires, en raison de leurs ententes anti-concurrentielles pour obtenir des surprofits au détriment des consommateurs. Ils font ainsi comme si un monopole public se comportait de la même façon, et passent sous le tapis l'avantage de ne pas avoir d'actionnaires à payer.

La privatisation devient ainsi « l'ouverture du capital ». Qui peut être contre une politique « d'ouverture » ?

2.2 « Libéralisation »[modifier | modifier le wikicode]

Les idéologues bourgeois parlent de « libéralisation » pour désigner la mise en concurrence.

La privatisation va le plus souvent de pair avec la libéralisation, mais pas forcément :

Généralement, dans le cas d'un service public, les politiciens doivent d'abord faire passer un changement de statut de l'opérateur, pour en faire une société anonyme, avant de pouvoir vendre tout ou partie des actions. Par exemple, EDF et GDF étaient à l'origine des Établissements public à caractère industriel et commercial (EPIC), et ont été transformés en SA en 2004. GDF a dans la foulée été privatisé et fusionné avec Suez. La SNCF est passée d'EPIC à SA en 2020.

2.3 Micropolitique[modifier | modifier le wikicode]

Dismantling-the-State-Madsen-Pirie.jpg

Certains néolibéraux ont cherché à mener des combats frontaux contre les tenants d'idéologies socialistes ou keynésiennes, avec l'idée selon laquelle une fois la lutte idéologique gagnée, de nouvelles politiques pourraient être mises en place.

Mais comme les privatisations peuvent être impopulaires, d'autres ont préconisé des approches plus sournoises et graduelles. Il s'agit de commencer par des réformes partielles et plus acceptables, dont chacune permet un "effet de cliquet" : une fois mises en place, elles transforment la société et rendent très difficile un retour en arrière.

Cela a été théorisé sous le nom de "micropolitique" par Madsen Pirie et le groupe de Saint Andrews. Par exemple il s'agit en cas de privatisation ou d'abaissement des conditions de travail, de n'appliquer les nouvelles règles qu'aux nouveaux entrants (clause du grand-père), afin que les salariés anciens soient incités à se désolidariser et à ne pas se mobiliser (à grand renfort de primes de départ si besoin). Ou encore à ne pas faire disparaître immédiatement une entreprise publique, mais à la mettre en concurrence avec des entreprises privées : celles-ci pouvant exploiter davantage les salariés, pourront pratiquer des prix plus bas, et ainsi l'éviction du public peut se faire via les consommateurs. Ou encore à mettre en avant la liberté, la diversité, etc. contre le "monopole".

2.4 Efficacité vs bureaucratie[modifier | modifier le wikicode]

Un des angles d'attaque principaux de l'idéologie bourgeoise est de présenter les entreprises publiques comme des bureaucraties incompétentes, car elles ne bénéficieraient pas des incitations du marché. La privatisation est donc mise en avant comme un moyen de remettre de l'efficacité dans certains services rendus, au bénéfice des consommateurs.

En réalité, la privatisation engendre dans de nombreux cas un accroissement du nombre d'acteurs intervenant sur un marché (les différents concurrents, mais aussi les régulateurs et les différentes entités qui gèrent les infrastructures non soumises au marché car non rentables...), et donc des phénomènes de bureaucratisation. Ceci est particulièrement frappant dans les domaines dans lesquels existe un « monopole naturel » (énergie, transports, télécommunications...).

Si l'on ajoute à cela que les entreprises privatisées sont poussées à verser un part importante de leur marge en dividendes pour les actionnaires et en intérêts sur les emprunts (alors qu'une entreprise publique peut emprunter au taux très bas d'un État, voire à taux zéro si la politique monétaire le rend possible).

Dans beaucoup de cas, on a constaté non pas une baisse, mais une hausse des tarifs pour les consommateurs (en particulier pour l'électricité, le train, l'eau...).

Pour les salariés de ces entreprises la transition est souvent très marquée avec un accroissement brusque de l'exploitation. Pour les usagers, l'augmentation des prix et la dégradation du service rendu est le plus souvent constatée.

Bureaucratisation secteur électricité.jpg

2.5 Attitude des révolutionnaires[modifier | modifier le wikicode]

Les révolutionnaires s'opposent aux privatisations, mais pas avec la même perspective que les réformistes. Ceux-ci essaient de présenter les quelques entreprises publiques comme la panacée, secteurs publics essentiels à un "capitalisme juste". Effectivement certains secteurs ont besoin d'un point de vue capitaliste d'être gérés par l'Etat, car non rentables. L'extension de cette sphère dans la période de l'Après-guerre est le fruit d'un compromis, pas d'une transformation vers le socialisme.

Les marxistes rappellent donc la différence fondamentale entre nationalisation bourgeoise et nationalisation sous contrôle ouvrier, ou socialisation.

Cela ne veut pas dire que les révolutionnaires doivent être indifférents à une nationalisation dans le cadre de l'État actuel. D'une part, cela atténue généralement la pression du marché sur les travailleur·ses de ces entreprises (qui deviennent parfois des fonctionnaires), et cela peut y faciliter la lutte syndicale et politique, ce qui peut aider l'ensemble du mouvement ouvrier. D'autre part, cela peut servir d'exemple pour affaiblir le discours bourgeois sur l'horizon indépassable de la concurrence capitaliste.

3 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

  • 1994 |
    • AGCS, accord visant à la libéralisation des services, même ceux qui sont encore "publics"...
    • Libéralisation du fret ferroviaire en Allemagne.
  • 1995 | Privatisation de la SEITA
  • 1997 | Réseaux ferrés de France (RFF) est séparé de la SNCF. Cette opération a pour but de pouvoir ouvrir la concurrence sur les chemins de fer français (même opération en Allemagne et en Angleterre)
  • 2001 | Libéralisation de l'électricité en Autriche
  • 2003 | Privatisations et dérèglementations (possibilité de licencier dans le public) en Inde.
  • 2005 | Traité Constitutionnel Européen qui fixe "la concurrence libre et non faussé" comme principe de base des politiques européennes. Matraquage médiatique pour le OUI donc, avec camouflage en faux débat "pour ou contre l'Europe"...
  • 2006 | Libéralisation du fret en France.
  • 2008 |
    • Privatisation d'"Aéroports de Paris".
    • Grève générale en Afrique du Sud contre l'augmentation brusque des prix de l'électricité suite à la privatisation.
  • 2010 | Privatisation d'Eurostar
Frise chronologique des nationalisations et des privatisations en France (Monde Diplomatique)


4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Francois Ruf, Boom du cacao au Ghana, fruit de la libéralisation?, CIRAD, 2007
  2. Le Monde Diplomatique, Le chaos des chemins de fer britanniques, Avril 2002