Gauche chrétienne

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Le pasteur protestant Martin Luther King, une figure de la gauche aux États-Unis

La gauche chrétienne désigne l'ensemble des mouvements chrétiens agissant dans la sphère politique aux côtés de la gauche, que ce soit parmi des catholiques, des protestants, des orthodoxes...

Comme la notion de gauche, si cela réfère vaguement au progressisme, cela varie beaucoup historiquement et cela inclut tout un éventail de positions : libéralisme politique, démocratisme, féminisme... Sur le plan social, cela peut aller de mouvement conservateurs se limitant à de la charité, à des mouvements investis dans la lutte des classes (« socialisme chrétien »), en passant par des intermédiaires (« christianisme social »).

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Origines[modifier | modifier le wikicode]

Le christianisme des origines comportait un fort message social, qui lui a valu un grand succès parmi les populations pauvres. Les Évangiles contiennent des passages qui ont servi d'appui aux courants égalitaristes, comme le sermon sur la montagne. Beaucoup de sectes chrétiennes aux 3e, 4e et 5e siècle dénonçaient la propriété privée et prônaient le « retour » à la communauté des biens.

En devenant religion dominante à la fin de l'Empire romain, le clergé chrétien est devenu une force conservatrice, qu'elle est restée tout au long du Moyen-Âge. Cependant l’Église était traversée de courants plus « sociaux », comme les ordres mendiants intégrés dans l'Église catholique. Certains courants plus radicaux se sont retrouvés en conflit avec l'Église, qui les réprimait comme hérétiques. Ces courants donnaient des armes idéologiques aux révoltes paysannes et populaires, en particulier avec l'idée d'un retour du Messie rétablissant la justice (millénarisme).

Oliver Cromwell fut le leader de la Révolution anglaise (1641-1651) en s'appuyant sur une certaine idée du puritanisme protestant.

La Réforme protestante au 16e siècle a globalement exprimé une poussée progressiste (rejet du clergé corrompu et des indulgences, rapport plus direct à la bible...), et comprenait aussi une aile « socialisante » (Réforme radicale).

Face à cela, l'Église catholique a eu tendance à manier la répression (Inquisition, dogmatisme jésuite...) mais aussi à tenter de remettre en avant son rôle social. La colonisation de l’Amérique latine par l’Espagne catholique permet à l’ordre des Jésuites de tenter une expérience de socialisme utopique : la mission jésuite du Paraguay aux 17e et 18e siècles.

Le développement du capitalisme industriel a aggravé les inégalités et la misère. Cette situation a favorisé l'essor du socialisme ou des courants chrétiens de gauche en fonction de l'histoire de chaque pays. En France, la Révolution de 1789 a provoqué un éloignement entre clergé catholique et gauche (d'abord républicaine, puis socialiste). Dans d'autres pays le poids des chrétiens de gauche dans la gauche a été plus fort. Les courants religieux proches du peuple ont eu une grande importance dans l'origine des idées socialistes. « L’Evangile, autant que la philosophie des lumières, est à l’origine des projets socialistes. »[1]

Les socialistes utopiques comme Owen, Saint-Simon et Fourier sont assez distants de la religion, mais ils sont cependant imprégnés de vocabulaire religieux. Owen prétendait initier une « nouvelle religion ». Le dernier ouvrage de Saint-Simon est intitulé Le Nouveau Christianisme.

Ainsi au cours du 19e siècle, les clergés tendent à perdre du contrôle sur les masses, soit au profit de courants matérialistes ou laïques, soit au profit de dissidences religieuses (les nombreux « réveils chrétiens »).

Le courant socialiste chrétien est fort en Grande-Bretagne et en Allemagne, avec notamment « l'évêque social » von Ketteler qui, en 1864, condamne la loi d'airain du salaire et défend des associations ouvrières proches de syndicats (dans La question ouvrière et le socialisme). L'Armée du Salut est fondée en 1865 pour intervenir dans les bas-fonds de Londres.

1.2 Christianisme social ou Socialisme chrétien ?[modifier | modifier le wikicode]

Les clergés officiels tentent de réagir, en condamnant ces nouvelles idéologies socialistes. Les papes catholiques en particulier ont la plupart du temps joué un rôle réactionnaire. En 1864, Pie IX dénonce le socialisme et le communisme dans Quanta Cura. En 1931, Pie XI renouvèle cette condamnation dans Quadragesimo anno (« Personne ne peut être à la fois bon catholique et vrai socialiste »), et encore en 1937 contre le « communisme athée » dans Divini Redemptoris.

Dans le même temps, ils ont essayé de mettre en avant un profil « social » pour enrayer leur perte de vitesse dans le milieu ouvrier. Ainsi en 1891, le Pape Léon XIII publie l'encyclique Rerum novarum qui met en avant la notion de juste salaire et la nécessité de réformes. Cela stimule la création de syndicats chrétiens (CFTC en 1919...), qui opposent le plus souvent une vision corporatiste à la lutte des classes. Le mouvement du scoutisme (à partir de 1907) participe aussi de cette tentative d'instiller une vision « solidariste » et religieuse de la solidarité. La « doctrine sociale de l'Église catholique » se met en place. Il s'agit alors surtout de ce qu'on peut appeler un « christianisme social », qui cherche à s'opposer au socialisme.

Il y eut néanmoins tout un dégradé entre ces positions très modérées, corporatistes et institutionnelles, et des visions plus radicales qu'on peut appeler « socialismes chrétiens ». Ces dernières cherchent à aller plus loin que la charité, pour atteindre les causes de la misère sociale. Elles se basent sur l’idée d’égalité entre hommes (égalité des âmes), la fraternité (tous frères car « fils de Dieu ») et la dignité (les hommes sont faits « à l’image de Dieu »). Il prône en particulier un certain détachement personnel des richesses et plaisirs matériels (accusés de détourner l’homme du Bien) et l’aide aux plus pauvres et persécutés.

Le socialisme chrétien s'exprime principalement à travers deux courants :

En 1920 est créée la Ligue internationale des socialistes religieux[2], organisation sœur de l'Internationale socialiste, qui regroupe des socialistes chrétiens.

Pendant les années 1930 et la Seconde Guerre mondiale, les chrétiens sont globalement engagés contre le fascisme (en France, Italie, Allemagne notamment), même si toute une frange du clergé se compromet dans la collaboration. Cela tend à briser le lien d'évidence entre christianisme et bloc conservateur / d'extrême droite.

Cependant, la papauté se met clairement au service du camp occidental dans la guerre froide, en excommuniant globalement les communistes en juillet 1949.

Dans l'après-guerre, un courant démocrate-chrétien apparaît dans beaucoup de pays, plutôt centriste, avec des formes (minoritaires) d'engagement plus à gauche (prêtres ouvriers, ...).

2 Europe[modifier | modifier le wikicode]

Globalement en Europe, dans la première moitié du 19e siècle, le socialisme embryonnaire est dominé par les utopistes et les religieux, tandis que dans la deuxième moitié du siècle la majorité des leaders du mouvement ouvrier sont des athées. Cependant, là où le marxisme était faible, comme en Angleterre, les formes religieuses ont souvent duré plus longtemps.

2.1 France[modifier | modifier le wikicode]

2.2 Royaume-Uni[modifier | modifier le wikicode]

En Grande-Bretagne, l’ardeur ouvrière commence par prendre la forme idéologique de sectes religieuses en rupture plus ou moins radicale avec le clergé dominant. Les « dissidents » l’emportent vers 1850 dans toutes les villes et régions industrielles, face à une Église anglicane à usage des classes moyennes et supérieures. Chaque période de crise économique et sociale amène de nouveaux convertis aux sectes, au moment où, parallèlement, les immigrés irlandais donnent au catholicisme un visage plus dynamique. Plus la population industrielle est récente, plus la piété individuelle peut avoir des chances de l’emporter. En revanche, dans les vieux milieux d’artisans aguerris, le radicalisme et le laïcisme l’emportent. Baptistes, wesleyens, méthodistes primitifs recrutent dans le monde nouveau et déraciné de l’usine : ce lieu infernal suscite des âmes ardentes, toutes tournées vers leur salut personnel, à l’aise dans une religion communautaire et rude d’où les patrons sont exclus. Souvent, des Primitifs donnent les premiers militants du syndicalisme : le salut passe par la justice collective, à grand renfort d’argumentations bibliques. Du non-conformisme religieux au non-conformisme social et politique, le chemin est difficile, mais beaucoup de travailleurs le suivront.[3]

Dans la seconde moitié du 19e siècle en Angleterre, le socialisme chrétien de Kingsley et Maurice a peu d'impact dans la classe ouvrière. Celle-ci ne se tournera cependant pas non plus massivement vers le marxisme, mais majoritairement vers un réformisme syndical peu politisé (« trade unionisme »).

Trotski raconte comment, à l'automne 1902, il fut très surpris d'assister à un meeting de socialistes religieux :

« Un dimanche, j'allai, avec Lénine et Kroupskaïa, visiter une église de Londres où se tenait un meeting social-démocrate entremêlé de psaumes chantés. L'orateur était un compositeur-typographe, revenu d'Australie. Il parla de la révolution sociale. Ensuite, toute l'assistance se leva et chanta: "Dieu tout-puissant, fais qu'il n'y ait plus ni rois ni richards..." Je n'en croyais ni mes yeux ni mes oreilles. »[4]

2.3 Allemagne[modifier | modifier le wikicode]

Vers 1900, deux pasteurs protestants rejoignent le SPD, Johann Christoph Blumhardt et Paul Göhre.[5]

2.4 Russie[modifier | modifier le wikicode]

En 1901, l’Église orthodoxe excommunie Tolstoï, qui développe une sorte de morale anarchiste chrétienne.

Dans les premières années après la révolution d'Octobre 1917, des débats enflammés ont lieu publiquement dans l’Église sur la complémentarité ou non entre christianisme et socialisme.

3 Amérique du Nord[modifier | modifier le wikicode]

Trotski disait à propos du protestantisme aux États-Unis : « Le baptisme d’un Noir est quelque chose de totalement différent du baptisme d’un Rockfeller. Ce sont deux religions différentes. »[6]

Aux États-Unis dans les années 1930, les Églises (protestantes) dans les communautés noires étaient très impliquées dans la lutte contre la ségrégation raciale, et le Parti communiste était également une des seules forces actives dans ce combat. Pour cette raison, les communistes faisaient non seulement front avec ces églises, mais inspiraient aussi fortement leur agitation de références religieuses (adaptation de chants religieux...).[7][8][9]

En mars 1969, six prêtres catholiques s’introduisent dans les locaux de Dow Chemical, qui fournit du napalm à l’armée US qui l'utilise au Vietnam. Ils jettent des dossiers par les fenêtres, accrochent aux murs des portraits de paysans et d’enfants vietnamiens brûlés vifs et aspergent de sang tout le mobilier, et laissent un communiqué vengeur : « vous exploitez, vous spoliez et vous tuez au nom du profit (...) ce que vous vendez c’est la mort »[10]

4 Amérique du Sud[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Théologie de la libération[modifier | modifier le wikicode]

Enrique Angelelli, un des fondateurs de la théologie de la libération, assassiné par la dictature argentine

La théologie de la libération naît en Amérique latine après la Révolution cubaine (1959), d’une synthèse entre marxisme et christianisme. Le mouvement comptait des catholiques mais aussi des protestants.

4.2 Chili[modifier | modifier le wikicode]

Au Chili, des militants issus de la gauche catholique prirent part en 1965 à la fondation du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) aux côtés de militants marxistes et anarchistes. Le Mouvement d'action populaire unitaire est lui issu d'une scission de gauche de la démocratie chrétienne en 1969 et intégra l'Unité populaire conduite par Salvador Allende[11]. Ces deux mouvements furent investis dans l'expérience socialiste réformiste sous Allende, et réprimés suite au coup d'État du général Pinochet de 1973.

4.3 Venezuela[modifier | modifier le wikicode]

Le président vénézuélien Hugo Chávez se réclamait également du socialisme chrétien : « Je suis chrétien et je pense que le socialisme doit se nourrir des courants les plus authentiques du christianisme. »

5 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  • Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel, À la gauche du Christ : Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Édition du Seuil, 2012
  • Jacques Ellul, L'idéologie marxiste chrétienne : que fait-on de l'Évangile ?, Paris : Centurion. 1979 ; 2e édition Paris : La Table Ronde, 2006 (ISBN 978-2-7103-2860-5)
  1. Jacques Droz, Histoire générale du socialisme. Tome 1 : des origines à 1875, Première publication en 1972
  2. http://www.ilrs.org/
  3. Jean-Pierre Rioux, La révolution industrielle, Points, 1971
  4. Léon Trotski, Ma vie, 11. Première émigration, 1930
  5. Karl Kautsky, Politique et Syndicats, 1900
  6. Trotski, La question noire aux États-Unis, 1933
  7. Claudia Jones, Femmes noires et communisme : mettre fin à une omission, 1949
  8. Thèse de Fabien Curie (2013), La NAACP et le parti communiste face à la question des droits civiques, 1929-1941
  9. France Culture, Série « Qui a peur d'Angela Davis ? », Episode 1 - Injustices, Août 2023
  10. David Farber, The sixties : From Memory to History, 1994
  11. « "La gauche chilienne ne s'est jamais remise du coup d'État de Pinochet" », sur Les Inrockuptibles,