XIII. La persécution contre Racovski

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche

Une bassesse contre Rakovski[modifier le wikicode]

L’arme principale dont on use dans la lutte psychologique est, sans conteste, la calomnie. Il semble que nombre de gens mentent et calomnient déjà en temps de paix. Mais d’après ce que nous observons depuis le début de la guerre, il semblerait que les sphères dirigeantes, s’étant pliées jusqu’ici aux lois de la morale, se dépêchent, une fois que Mars a brisé leurs liens, de déverser ce qu’ils avaient dût taire jusque-là. Si un historien écrit sur la guerre, avec quelle répugnance — et quelle honte pour ses pères — ne relatera-t-il pas le travail de ceux qu’on nomme les responsables : députés, diplomates et journalistes de service !

Douter que la presse russe occupe une place de choix dans ce monument de honte, serait un mensonge de la modestie nationale. Dans cette grande presse russe, Amphitéatrov s’évertue de toutes ses forces à donner une note plus sérieuse en usant de sa réputation d’ancien « rouge ». Récemment encore, Amphitéatrov écrivait l’histoire des célèbres propriétaires Obmanov (Romanov), mariés à des Allemandes, et maintenant il cherche à savoir si les politiques italiens qui ne veulent pas fraterniser avec les Obmanov n’ont pas épousé des Allemandes. Hier encore, on l’accusait d’être vendu aux juifs, lui qui est devenu un mangeur de juifs. Il recherche les motifs qui ont poussé les Internationalistes italiens à se vendre aux Allemands.

Racovsky s’est rendu en Italie — socialiste en visite chez des socialistes — pour lutter contre l’intervention armée de la Roumanie. Mais quelle mission a donc Amphitéatrov si ce n’est de calomnier Racovsky ! La pire Censure sévit actuellement au nom de la guerre « libératrice ». Elle fourre son nez dans les bureaux télégraphiques, regarde les lettres privées et applique son oreille aux fils télégraphiques. Amphitéatrov a pu écrire sur les Obmanov dans l’émigration, mais calomnier Racovsky ! … Je vous en prie, Censure, écarte-toi !

Racovsky est arrivé à Rome avec « une mission officielle ». De qui ? Du gouvernement ? Mais Amphitéatrov sait bien que c’est idiot, et il ajoute « qu’il faut en douter ». Pourquoi ? « Ce n’est pas un type à qui l’on confierait une mission officielle. » Mais si l’on ne parle plus de mission officielle, il n’y a donc plus de base à la calomnie. Amphitéatrov n’en est nullement gêné. Il termine sa communication avec les racontars d’autres calomniateurs : « Racovsky n’est qu’un prête-nom (?), envoyé en Italie (par qui ?) pour faire de la propagande allemande. »

Mais, voyons, Racovsky n’est pas un type à être envoyé en mission officielle. C’est un prête-nom. Il faut en douter, mais il a quand même été envoyé. Si on l’envoie, ce n’est donc pas un « type » suspect ! On calomnie et on ment, on agite la queue en attendant les résultats.

Racovsky est connu de l’Internationale. C’est un homme qui depuis vingt ans combat sous le drapeau du Socialisme, qui est étroitement lié aux socialistes russes, français, bulgares et roumains, qui donne toutes ses forces, — et nous nous permettons de le souligner ! — toutes ses ressources à la libération du prolétariat. La bave d’Amphitéatrov ne l’atteint pas ! quant à ce dernier, l’affaire est claire ! C’est le « type » auquel on peut confier toutes les basses besognes.

(Naché Slovo, 17 avril 1915)

Aux calomniateurs ![modifier le wikicode]

C’est avec un sentiment de dégoût, et au risque d’offenser les sentiments de nos lecteurs, que nous publions une « déclaration » d’Alexinsky au sujet de Racovsky. La rédaction d’un journal politique, devant le sort à faire des « documents humains », doit se laisser diriger non par ses propres convictions, mais par le souci de l’opinion générale. Ce critère nous a astreints, il y a deux semaines, à faire effort sur nous-mêmes et à nous occuper des misérables insinuations du triste sieur Beg-Allaiév. À tout seigneur, tout honneur !

Alexinsky appelle sa prose une « déclaration ». Cependant, il ne « déclare » absolument rien. Il ne présente aucun fait, ne démontre rien quant à la question que nous traitons dans notre article a : les basses insinuations d’Amphitéatrov sur Racovsky. Evitant le nœud de l’affaire, Alexinsky se livre à des considérations qui ne peuvent laisser indifférent. D’abord il contredit notre affirmation, suivant laquelle Racovsky est « lié étroitement avec les socialistes russes ». Il nie toute participation de Racovsky, « toute participation matérielle au Socialisme russe », bien que nous n’en ayons jamais parlé dans notre article. Enfin, il tient pour impossible de laisser « planer sur les Partis socialistes russes même l’ombre d’une responsabilité pour la mission italienne de Racovsky ». (S’étant mis en-dehors de l’un, Alexinsky parle maintenant au nom des deux.) Il tourne autour de la question sur le ton de quelqu’un qui sait beaucoup plus qu’il n’en dit.

Alexinsky s’efforce de détruire l’image « d’une quelconque relation étroite entre Racovsky et le Socialisme russe ». Vains efforts ! Racovsky est et restera l’un des premiers socialistes russes. Il adhérait au groupe « Libération du Travail » et s’en fit le propagandiste au sein des jeunesses russes et des jeunesses bulgares. Il résida à Petersburg en qualité d’écrivain marxiste, en rapports étroits avec les sociaux-démocrates actifs. Il fut expulsé. Il prit une part active à la « Ligue Étrangère » de notre Parti, collabora à Iskra, aida celle-ci matériellement et mena la lutte contre les tendances populistes et terroristes au sein du Socialisme russe. Pendant la Révolution russe, il se dévoua à celle-ci corps et âme, secourut les émigrés, mena une campagne en faveur des mutinés du « Potemkine » réfugiés en Roumanie, resta le collaborateur des publications socialistes russes, soutint Goloss, Social-démocrate, Pravda, et les feuilles ouvrières légales. Lié au fameux théoricien marxiste, Dobrojdanu-Ghéréa (le vieil émigré russe), Racovsky vit en plein accord avec de nombreux artisans du mouvement social-démocrate. Tous deux, Ghéréa et Racovsky sont devenus les meilleurs amis de Goloss et Naché Slovo, ils nous prouvent leur sympathie par des secours matériels. La lettre de Racovsky que nous avons reproduite dans Goloss est l’expression de la solidarité des Internationalistes, que la démence sanglante actuelle n’a pas désarmée.

Alexinsky appartient à ces éléments nombreux que la Révolution de 1905 jeta dans le camp social-démocratique, mais que la vague patriotique a repris et renvoyés sur la berge à laquelle ils appartiennent de droit. Moins que quiconque, le « passager » Alexinsky a le droit de juger les rapports entre Racovsky et le Socialisme russe. Mais la question reste posée avec toute sa vigueur : pourquoi Alexinsky nie-t-il des faits dont il a une totale incompréhension ? Qu’avait-il besoin de cette « déclaration » ? Pour donner une aide personnelle aux basses calomnies « patriotiques ».

En quoi consiste la « mission italienne » de Racovsky ? Pourquoi Alexinsky parle-t-il avec tant de circonlocutions de cette mission qui a provoqué tant de mensonges de la part des sycophantes de la presse réactionnaire russe et française ? Pourquoi tient-il pour indispensable que le Socialisme russe se tienne à l’écart de cette mission et même de son « ombre » ? Racovsky voyage-t-il en qualité de chargé de mission par le Socialisme roumain combattant, en accord avec les décisions des Congrès socialistes internationaux, l’intervention armée de nouveaux pays, ou bien est-il un agent austro-allemand dans l’accomplissement d’une mission de diplomatie allemande ? Pourquoi Alexinsky ne signe-t-il pas cette deuxième version diffusée par tous les agents alliés ? Pourquoi ne parle-t-il pas clairement, appelant un chat un chat ? Mais parce qu’il ne peut pas répondre. Parce que, pour sa « déclaration », il n’a à sa disposition que des calomnies et des mensonges. Il spécule sur le fait que des calomnies des Drumont, Daudet, Laskine et Amphitéatrov, il restera quelque chose dans la conscience des lecteurs. Il n’affirme rien par lui-même, simplement il enlève toute responsabilité — Oh ! Alexinsky ! — au Socialisme russe. Et puis, il parle de l’aide matérielle que Racovsky accorderait maintenant à Naché Slovo, maintenant, c’est-à-dire à l’occasion de cette fameuse mission italienne. Alexinsky comprend très bien que le lecteur conclura que les deux cent cinquante francs que nous avons reçus de nos amis roumains ont été fournis par la trésorerie des Hohenzollern. C’est pourquoi Alexinsky a besoin d’un rapprochement « subit » entre Racovsky et le Socialisme russe. Relisez la prose du Monsieur ! Deux sentiments ont guidé sa plume : l’imprudence et la lâcheté ! La même méthode vaut pour notre néo-classique Amphitéatrov. Nous devons clouer cet épigone des transfuges du socialisme : « il calomnie, il ment, il agite la queue en attendant les résultats. »

Ayant rejeté toute apparence idéologique, démoralisé par son bond de Marx à Mars, de la révolution au patriotisme militariste, bassement hostile à tous ceux qui sont restés fidèles au Socialisme, Alexinsky, à travers ses insinuations, ses calomnies, cherche à soutenir en lui les restants de sa self-dignité. Comme il n’est pas le seul, comme la contre-révolution s’est répandue dans de larges cercles de l’Intelligentsia, la dénonciation faite par Alexinsky trouve sa résonnance dans ce milieu et, devenant presque un symbole, jette la dernière ombre sur cette époque maudite. C’est le motif — l’unique motif — de notre publication de la lettre d’Alexinsky. Dans les conséquences de la discrimination féconde qui s’opère entre le socialisme révolutionnaire et la collusion du social-patriotisme avec la bourgeoisie, dans ce processus, il n’y a pas que la logique politique, mais aussi la morale politique. En capitulant devant la nation bourgeoise en armes, les transfuges du Socialisme se sont désarmés moralement et, pour se confirmer eux-mêmes, sont forcés de se saisir de l’arme déshonorante de nos ennemis de classe. La « déclaration » d’Alexinsky ne sera pas la dernière ; et ce ne sont pas les dernières paroles d’Alexinsky. Sur le chemin où il s’est engagé, il n’y a pas de retour. De calomnie en abaissement, d’abaissement en calomnie, il continuera à tourner sur une orbite bien précise : il est le témoignage repoussant de ce que la cause qu’il sert maintenant, n’est pas seulement mauvaise, mais désespérée.

(Naché Slovo, 25 avril 1915)

Commentaires sur le télégramme du premier mai de Rakovski[modifier le wikicode]

Le 3 mai, je reçus une convocation urgentissime du Commissariat de la rue Delambre. Après les questions rituelles (identité, papiers, etc.), le dialogue suivant s’engagea :

— Vous connaissez Rakovski ?

— Certes.

— Il a envoyé un télégramme à votre adresse. C’est bien pour vous ?

— Apparemment, c’est pour moi.

Le Commissaire lit à haute voix le texte du télégramme, appuyant sur le dernier mot « révolutionnaire ». Puis il poursuit :

— À mon avis, ce télégramme n’a aucune signification.

— Permettez-moi de conserver sur ce point mon opinion personnelle.

— Je voulais dire que ce télégramme ne fait ni chaud, ni froid à personne.

— En ce cas, pourquoi m’avez-vous convoqué ?

— Pardonnez-moi, mais c’était pour m’assurer…

— De quoi donc ?

— Que le télégramme vous était bien adressé.

On me demanda de signer un reçu. L’affaire en resta là. Mais cela prouve que l’activité patriotique des Amphitéatrov, des Laskine, des Alexinsky et Drumont autour du nom de Racovsky trouve ses échos dans les milieux policiers parisiens.

(Naché Slovo, 5 mai 1915)

Racovski juge les sociaux-patriotes russes[modifier le wikicode]

Dans la préface à la nouvelle édition française de sa brochure Les socialistes et la guerre (nous possédons le manuscrit) le camarade Racovsky par les sociaux-démocrates qui essaient sans succès, mais de façon éhontée, d’entraîner les socialiste « neutres » à pousser leurs gouvernements dans la guerre. À l’heure où la Bulgarie a pris une attitude de neutralité armée, afin de ne pas intervenir du jour au lendemain — dans la direction, il est vrai, que recommandaient Sudekun et Parvus, et non Plékhanov —, les conceptions de Racovky revêtent un caractère d’actualité. Nous reproduisons ce morceau en son intégralité :

« Plékhanov nous reproche, à nous socialistes des nations neutres — et il vise principalement les socialistes des pays balkaniques dont l’intervention est l’objet de tant de discussions —, il nous reproche notre égoïsme provoqué par notre volonté de ne pas mêler à toute l’agitation faite en faveur de la guerre, à « la défense de la Belgique », en faveur de l’Entente, que mènent chez vous, dans les Balkans, les Partis russophiles. Cet égoïsme, poursuit Plékhanov, est incompatible avec la conception de la solidarité ouvrière internationale. Si je reste neutre, ainsi raisonne Plékhanov, quand un homme tue un autre, je risque d’être accusé de complicité avec le criminel, en tout cas de manque de solidarité envers la victime.

« Le groupe des sociaux-démocrates russes, partageant les vues de Plékhanov, vient de publier une résolution de caractère plus accentué[1]. Les socialistes des pays neutres, en défendant la neutralité, s’affirment les collaborateurs de leurs gouvernements qui s’efforcent d’« exploiter la neutralité pour les intérêts égoïstes des classes dirigeantes ». « La faiblesse du contrôle prolétarien — la résolution parle de pays au prolétariat encore faible — a pour résultat que la politique de neutralité ne se traduit qu’en phrases, et qu’en réalité, elle n’est que marchandages ; sous le couvert de paroles généreuses qui bercent les prolétaires, se cache la rapacité la plus impitoyable. »

« Avant tout, que les auteurs de la résolution consentent à ne pas douter de ce que le prolétariat des pays balkanique — Roumanie, Bulgarie et Grèce — font fort bien la différence entre la neutralité pratiquée par les gouvernements et celle prônée par le Socialisme. Les prolétaires différencient même ces neutralités par les appellations qu’ils leur donnent : la gouvernementale est nommée “attentiste”, alors que la socialiste est de principe et définitive. La première est liée au marchandage et inclut la perspective d’intervention, alors que l’autre les exclut. »

« Si nos gouvernements prolongent leur attitude de neutralité, donc de marchandages et de rapacité impitoyable, n’est-il pas préférable de prendre part à la guerre ? La guerre aurait-elle le talent bien caché — qu’on nous le dise ? De changer les gouvernements bourgeois, mercantiles et rapaces en parangons d’altruisme et de désintéressement ?

« Soit, mais nous continuons à croire que le but de chaque gouvernement bourgeois étant d’accroître le champ de l’exploitation capitaliste, nous ne pouvons-nous rallier à l’optimisme guerrier et moral du social-patriotisme.

« En ce qui concerne la remarque de Plékhanov sur l’égoïsme des socialistes des nations neutres qui assistent indifférents à l’écrasement de la Belgique, nous dirons que cette remarque serait justifiée si les armées étaient commandées par des socialistes. Malheureusement, ce ne sont pas nous, Socialistes, qui sommes appelés à libérer la Belgique, mais les classes dirigeantes. Nous sommes invités à nous mettre à leur disposition et à devenir leur instrument.

« Nous sommes prêts à secourir la Belgique contre l’agression allemande, mais par nos moyens socialistes. Il est hors de doute que ces moyens ne peuvent obtenir de résultats immédiats. Mais est-ce l’unique cas où nous devons constater l’insuffisance de nos forces ? En aucun cas, ce n’est pas la conclusion à tirer : qu’il faille s’affaiblir en mettant une partie de ses forces au service des dirigeants.

« D’autre part, je me permets de demander à Plékhanov : est-il convaincu de la volonté salvatrice de la bourgeoisie ? Est-il convaincu que les sauveurs de la Belgique n’apportent pas leur participation à d’autres peuples. Dans le même temps que Plékhanov nous invite à sauver la Belgique, d’autres nous crient que nous n’avons pas le droit de rester passifs devant l’oppression de la Galicie ou de permettre à la Russie de mettre la main sur tous les peuples de l’Empire turc. Que faire ? Plékhanov croit à la guerre “ de libération”. Nous ne croyons pas à cette légende et nous n’avons pas oublié ce que Plékhanov nous a enseigné. »

***

« On nous fait encore une objection, poursuit Racovsky. Elle s’adresse aux camarades serbes, dont la conduite courageuse au parlement et en dehors du Parlement a trompé l’espoir des sociaux-patriotes de l’Entente qui veulent être plus serbes que les serbes. Les sociaux-patriotes tentent de découvrir une contradiction entre la conduite des socialistes serbes qui, chez eux, refusent toute aide au gouvernement et, en même temps, à Bucarest et à Sofia, réclament une République fédérative des Balkans comme moyen de défense contre la politique conquérante des grandes puissances.

« Présenter ainsi unilatéralement le but de la République balkanique, c’est le rétrécir. Nos conceptions sont d’un autre ordre, elles découlent de la nécessité de la lutte de classes. Si l »’on regarde l’affaire du point de vue de la défense de l’indépendance des peuples balkaniques, on n’aperçoit aucune contradiction dans les efforts socialistes pour former une Fédération pan-balkanique. Aux activités des gouvernements dirigés, en réalité, vers d’autres buts, les socialistes opposent les leurs en faveur de l’indépendance et de la liberté des peuples balkaniques. Les socialistes refuseraient-ils de défendre les droits et les libertés indispensables au prolétariat ? Évidemment, non ! Mais ils veulent le faire par les moyens qui leur sont propres, et la République balkanique, dont l’existence serait une victoire sur le nationalisme guerrier de chacune des nations balkaniques, devient le drapeau de la lutte de classe du prolétariat balkanique. »

Dans cette préface, Racovsky, sur la base de l’expérience des peuples balkaniques, nie catégoriquement la possibilité et le bien-fondé de placer la politique prolétarienne par rapport à la guerre sous la dépendance de la distinction entre « guerre d’agression » et « guerre libératrice. »

« Si le Parti socialiste, reprend Racovsky, était un tribunal n’ayant d’autre but que la répression, nous pourrions, d’accord avec les sociaux-patriotes, nous contenter de la recherche des « fauteurs de guerre » ; mais le prolétariat socialiste a d’autres buts que le châtiment, l’assouvissement d’une vengeance plus ou moins légitime, il cherche à prévenir les guerres du futur. La tactique qui consiste à circonscrire la responsabilité de la guerre à l’un ou l’autre des belligérants, ne peut que fortifier l’Impérialisme dans ses plans de conquête et éterniser la guerre…

« Autrement, nous avons usé en Roumanie de cette terminologie “guerre défensive”, “guerre d’agression”, mais les événements nous ont montré que la différence n’a qu’un caractère purement scholastique.

« Ainsi si la Bulgarie déclare la guerre à la Roumanie afin de reprendre la province que cette dernière lui a enlevée en 1913, est-ce de la part de la Bulgarie une guerre d’agression ou de défense ? Et si la Turquie une guerre d’agression ou de défense ? Et si la Turquie entrait en guerre pour reprendre la Macédoine ? Seraient-ce là des guerres défensives ? D’autre part si nous baptisons ces guerres d’“agressives”, nous reconnaissons par-là que les conquêtes, effectuées par violence et injustifiables, sont devenues légitimes, car sanctionnées par les actes diplomatiques. En d’autres termes, nous reconnaissons que les Conférences internationales sont l’arbitre légitime de l’existence des peuples. N’est-ce pas absurde du point de vue socialiste ? »

Quel rôle lamentable, tragi-comique, à la vérité, ajoutons-nous spontanément, aurait joué le Socialisme balkanique si, dans la mêlée inévitable des peuples de cette péninsule, il avait adopté les critères de « guerre défensive » et de « guerre offensive », de « guerre juste » et de « guerre injuste ». Heureusement pour lui et pour l’Internationale, nos camarades des Balkans sont munis de critères autrement porteurs d’espérances !

(Naché Slovo, 30 septembre et 5 oct. 1915)

Rakovski et le gouvernement roumain[modifier le wikicode]

Nous avons déjà annoncé l’arrestation de Rakovski, que nos lecteurs connaissent en tant que chef révolutionnaire du prolétariat roumain, mais aussi en tant que proche collaborateur et ami de Naché Slovo depuis les premiers jours de la fondation du journal. Les dépêches d’aujourd’hui nous informent que Rakovski est libéré « sous condition » et qu’un des dirigeants qui commandèrent de fusiller les grévistes a été muté.

Rakovski, déjà avant la guerre, s’était attiré la haine de toute la classe dirigeante roumaine. Si les bandits au vernis civilisé qui gouvernent ce malheureux pays avaient paru s’intéresser superficiellement au sort général de l’Europe, il n’en est plus question baptisée « grande », « libératrice » et « juste » dans cette tuerie. Il n’y a qu’une chose qui puisse paralyser les mains des bourreaux, c’est la peur de complications provoquées par les ouvriers roumains. En dépit du peu de développement de l’industrie, le prolétariat roumain actif et comptant des guides aussi doués que Cristescu, Frimu et Marinescu, joue un grand rôle dans ce pays de masses paysannes arriérées dominées par le parasitisme des boyards.

Si le ministère « libéral » Bratianu ne se décidant pas à qui se vendre et adoptant une position attentiste de neutralité, a toléré jusqu’ici l’agitation socialiste en y voyant un contrepoids à la propagande des agents de l’Entente, il s’aperçoit maintenant que l’activité socialiste, chargée de sens révolutionnaire, constitue un danger pour l’oligarchie roumaine. L’offensive russe et la conquête de la Bukovine, faite dans le dessein d’exercer une pression sur la Roumanie, ont placé le ministère Bratianu dans une situation critique qui le pousse à avoir les mains libres pour parer à toute éventualité. L’idée de lier Racovsky et d’écraser les socialistes est venue tout naturellement, et la grève de Galatz, débouchant sur un conflit sanglant, a été un excellent prétexte. Racovsky a été arrêté. Le gouvernement a complété cette mesure en défendant les manifestations publiques. Puis la clique gouvernementale a reculé. Racovsky a été libéré « sous condition ». Ici il faut faire très attention. Il est hors de doute que l’usage par les mercenaires de Bucarest de ce « sous condition » sera d’autant plus sévère que les dirigeants roumains inclineront vers une intervention dans le sanglant conflit actuel.

Sous les traits du Parti roumain et de son chef Racovsky, nous avons devant nos yeux la grande politique de l’Internationale révolutionnaire. D’un point de vue extérieur, il semblerait que la politique de Racovsky soit celle de Branting en Suède et de Troelstra en Hollande : ceux qui prêchent la neutralité dans leur pays. Mais la ressemblance est toute superficielle : la position de Branting et de Troelstra a un caractère national et gouvernemental, nullement révolutionnaire. Ils défendent la neutralité par des mesures « raisonnables », pacifiques », « loyales », ne créant aucune complication internationale à leurs gouvernements. Quand la hollande et la Suède seront à la veille de la guerre — entraînées par la force des événements ou la volonté des classes bourgeoises — Branting et Troelstra déposeront leurs armes aux pieds de la bourgeoisie et se rangeront sous la bannière de la « Défense nationale ». Tout naturellement, le Pouvoir masquera cette capitulation en offrant aux socialistes une participation au gouvernement. Plus une intervention des pays neutres sera proche, et plus vite Branting sera doté d’un portefeuille, et Racovsky de la prison. Cette différence caractérise à merveille celle des deux tactiques.

(Naché Slovo, 4 juillet 1916)

  1. Cette résolution fut présentée au nom des représentants des sociaux-démocrates à l’étranger, « Ceux du Parti ». L’indication « à l’étranger » est parfaitement à sa place devant l’unanimité des tentatives faites pour attirer le Groupe d’Unification, l’un des groupes internationalistes les plus actifs de Russie, sur la voie de « la défense de la Belgique » du côté des Puissances de l’Entente. Mais qu’en est-il réellement avec « Ceux du Parti » ? Le document imprimé n’indique pas les noms des groupements qui ont pris part à l’élaboration de cette résolution, à vrai-dire scandaleuse. Si le document est anonyme, ce n’est pas le fait du hasard. La déclaration est probablement le fait d’initiatives individuelles de certains « Ceux du Parti », ne représentant que leur propre scission d’avec le Parti Social-démocrate. Une grande partie de ce groupe, et en particulier les Bolcheviks à l’étranger, ont adopté une position internationaliste et se groupent, en majorité, autour de Naché Slovo.