VIII. Étapes

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Est-il vrai…?[modifier le wikicode]

Est-il vrai que le soi-disant « Comité de libération » de l’Ukraine, dont sont membres d’ex-révolutionnaires russes, soit entretenu par l’état-major autrichien ?

Est-il vrai que le journal Viestnik, organe de ce Comité, diffuse des proclamations ainsi rédigées : « Que vive la révolution sociale ! », et s’acquitte de cette façon envers sont créancier Habsbourgeois ?

Est-il vrai, que l’ex-révolutionnaire, Mikol Trotsky, dont l’adresse est donnée par le Comité dans ses bulletins rédigés en allemand soit employé par la police viennoise ?

Est-il vrai que des émissaires de ce Comité, munis de la confiance des Habsbourg et de leurs billets de banque, parcourent l’Europe pour rechercher certains russes, en particulier des révolutionnaires cosaques, qui auraient consenti à troquer leur haine du Tsarisme contre l’amour de la couronne et des couronnes autrichiennes ?

(Goloss, 24 novembre 1914.)

Vers le centième numéro de « Goloss »[modifier le wikicode]

La publication de Goloss, si modeste que fût le projet initial, est devenue un facteur primordial pour le développement de notre Parti. Étant donné les circonstances où naquit cette publication — dans la catastrophe de l’Internationale, du désordre au sein de l’émigration russe et des difficultés suscitées par la situation à Paris —, l’initiative marxiste et révolutionnaire de publier un tel journal est un exploit civique, qu’on n’oubliera pas.

Je vous demande la permission de le dire, aujourd’hui, dans les colonnes de Goloss.

Les premiers cent numéros embrassent une période de capitulation intellectuelle, de conquête nationaliste et de falsification patriotique du Socialisme. C’est pourquoi, le premier problème de Goloss fut d’exercer une critique efficace, au moyen de la méthode marxiste, pendant les trois mois et demi de sa parution.

Actuellement, une cassure incontestable a eu lieu au sein du Socialisme mondial. Dans tous les pays, la voix de l’internationalisme social-révolutionnaire s’est élevée contre le social-nationalisme et le social-impérialisme. Cette voix résonnera, sans cesse, plus fortement et d’une façon plus convaincante aux oreilles des masses qui sont passées par l’école effroyable de la guerre.

Nous n’abandonnerons pas le problème de fond de la première période, la critique — il nous est indispensable de combattre implacablement « nos russes », les trembleurs patriotiques, les falsificateurs du Marxisme. Ils se cachent d’autant plus derrière leurs théories controuvées, que le terrain est fragile. Mais, à côté de ce travail de critique, il en est un autre, positif, créateur, surgissant au premier plan : l’explication des grands problèmes historiques qu’apporte cette ère de bouleversements au prolétariat socialiste et le rassemblement, au nom de ces questions, des forces de la IIIe Internationale. Ce nouveau travail est plus compliqué et plus malaisé que le premier, mais, seulement dans la mesure de son accomplissement, nous trouverons la justification de notre lutte implacable contre les dirigeants de la IIe Internationale.

Le travail collectif, indispensable, de la pensée, de la pensée virile marxiste, se libérant des cadres de la politique de clocher, ne craignant pas de rompre avec des organisations moribondes, mais en même temps, étrangère au nihilisme, se campe fermement sur le terrain des conquêtes intellectuelles et politiques et sur celui des traditions théoriques, que le passé du mouvement socialiste nous a légué.

Je souhaite cordialement à Goloss de travailler dans ce sens.

Avec le salut d’un camarade.

TROTSKY (Goloss, 8 janvier 1915.)

Jusqu’à la fin ![modifier le wikicode]

Le naufrage de l’Internationale, préparé par les conditions de l’époque précédente, se solda comme une catastrophe. La renaissance de l’Internationale débute par un processus compliqué et malaisé.

Les organisations ouvrières ont, grâce à une lutte quotidienne incessante, conquis une grande autorité aux yeux des classes qu’elles ont amenées à prendre conscience de la vie collective ; quand ces mêmes organisations ont buté contre les contradictions et les problèmes nouveaux, que ne connaissait pas l’époque précédente — et c’est là l’essence même de la crise de l’Internationale —, l’influence et l’autorité des organisations ouvrières devinrent des facteurs conservateurs, écrasant la force vive de la classe laborieuse, à un moment critique de l’Histoire européenne.

Toutes les caractéristiques du système capitaliste, celles que le Socialisme a infatigablement critiquées et évaluées, ont trouvé dans la guerre leur expression la plus monstrueuse : la guerre a contraint les vieux Partis socialistes à défendre les bases nationales et gouvernementales sur lesquelles ils se sont développés tout en les critiquant. Ayant perdu leur équilibre, les masses ouvrières se sont trouvées désorientées, pratiquement paralysées. Le cruel enseignement de la guerre ne fit qu’approfondir les sentiments de désarroi, de scepticisme des travailleurs par rapport à leurs propres forces, d’impuissance devant le Moloch du pouvoir capitaliste. Se libérant de la pression « normale » de l’opinion prolétarienne, les « guides », se pliant à la pression de l’opinion bourgeoise, effectuèrent un revirement total et devinrent de vrais renégats.

En Allemagne, où l’industrie était la plus puissante, le militarisme était le plus pesant et la Social-démocratie la plus influente sur la masse, la crise du Socialisme prit le caractère le plus catastrophique. Ceci fournit le prétexte aux Colomb du marasme socialiste d’expliquer la faillite de l’Internationale par l’influence néfaste du Marxisme « allemand ». Entre-temps, au sein du parti ouvrier allemand, au nom des leçons révolutionnaires du Marxisme, se déroulait un processus de critique intérieure et de renaissance révolutionnaire qui, tout dernièrement, aboutit au manifeste de l’opposition minoritaire. On peut affirmer, sans le moindre doute, que la Conférence internationale féminine, l’acte le plus important de cette époque de la guerre, ne fut rendue possible, que grâce à l’initiative et l’énergie des militantes du mouvement ouvrier féminin.

À la base même de ces deux phénomènes, on trouve le mot : Paix. Mais ce mot comprend tout un programme révolutionnaire : anéantir la « paix civile » par une attaque dirigées contre les classes dirigeantes et leur slogan « jusqu’au bout », sous le drapeau de la lutte de classe. En ces termes nobles et précis, d’une précision insupportable pour les oreilles de la censure républicaine, le manifeste de la Conférence féminine appelle les femmes du peuple laborieux à prendre des positions avancées dans la lutte pour la paix, le socialisme dans la lutte — jusqu’au bout !

Les femmes prolétariennes, les plus déshéritées de tous les sans-droits, abandonnés brutalement au seuil de la « paix civile » élaborée par la machine parlementaire « masculine », viennent d’asséner à cette « paix civile » trompeuse un coup dont elle ne se relèvera pas.

C’est dans ce sens que fut rédigé le manifeste de l’opposition minoritaire, bien qu’employant des voies quelque peu différentes. Il s’efforce à l’union, même la plus modeste, des Partis socialistes pour réclamer la cessation des combats, basant son espoir sur la logique révolutionnaire des événements. Mais, en épargnant le patriotisme de la Social-démocratie allemande et le nationalisme obstiné du Socialisme français, le manifeste, en s’adressant aux deux plus particulièrement, se revêt du sceau de l’extrême prudence.

Cependant, indépendamment de la question : l’appel sera-t-il entendu des « responsables », pieds et poings liés ? Indépendamment de ce que les principes formulés de la paix future sont soumis aux forces de la classe révolutionnaire — et il reste encore à la mobiliser —, l’appel lancé par Zetkine, Mehring, Luxembourg, Liebknecht, Ledebour et Rhüle, s’affirme, aux côtés du manifeste féminin, un facteur inestimable de signification révolutionnaire. Politiquement indispensables, ces documents peuvent, à travers tous les obstacles, ouvrir la route vers les esprits et les cœurs ? Nous croyons, avec nos camarades allemands, à la logique révolutionnaire de la situation.

L’Internationale s’est retrouvée. Ses différentes fractions s’unissent les unes aux autres. Elles formulent le programme de leur activité future. Ce programme, elles le réaliseront — jusqu’au bout !

(Naché Slovo, 11 avril 1915.)

Premier mai (1890-1915)[modifier le wikicode]

La fête du Premier Mai, dont le vingt-cinquième anniversaire tombe aujourd’hui, fut adoptée par l’assemblée constituante de la IIe Internationale. Se fortifiant sur une base nationale créée par les révolutions et les guerres, les Partis socialistes ne pouvaient pas ne pas sentir la nécessité d’une aide internationale commune et d’une élaboration commune de ligne de conduite. Le Premier Mai était l’expression extérieure des tendances internationales du mouvement ouvrier contemporain. Mais, il convient de le dire, l’idée de donner au prolétariat international le caractère symbolique d’une fête ouvrière mondiale, marquait, en un certain sens, une insuffisance de la manifestation internationaliste dans le cadre de la politique nationale du mouvement ouvrier. Qu’il en soit ainsi ou autrement, la destinée de la fête ouvrière s’est liée étroitement à celle de la IIe Internationale, couvrant toute la période et soulignant ses caractères les plus frappants.

Le Premier Mai n’a pas occupé dans la vie du prolétariat la place que lui assignaient les participants du Congrès de Paris.

Dans ce vieux pays capitaliste qu’est l’Angleterre, le Premier Mai exprimait, de façon semblable, le caractère national-possibiliste de la lutte de classe entreprise par le prolétariat anglais et le caractère sectaire et propagandiste du Socialisme anglais. Le Trade-unionisme assimilait le Premier Mai à une cérémonie traditionnelle et l’utilisait dans sa propagande, qui ne s’élevait pas à une conception social-révolutionnaire. En tant que fête de l’Internationalisme combattant, le Premier Mai n’était pas, pour l’Angleterre, la manifestation de la classe ouvrière révolutionnaire, mais celle de quelques groupes révolutionnaires peu nombreux.

En France, au développement économique médiocre, à l’activité extérieurement dramatique, à la vie parlementaire réduite en réalité, le Premier Mai exprimait tous les côtés faibles du prolétariat français : sa faiblesse numérique, sa dépendance intellectuelle et, par-dessus tout, son impuissance organisatrice. Les côtés forts : la mobilité politique et les traditions révolutionnaires ne trouvaient pas leur expression dans cette époque d’adaptation « organique » aux conditions économiques et politiques de la Troisième République et n’imprimèrent pas leur sceau sur la Fête des prolétaires.

En Allemagne, le Premier Mai adopté, par principe, par la Social-démocratie, s’introduisit comme corps étranger dans l’automatisme professionnel du parti ouvrier et des syndicats. Ayant devant elles les classes capitalistes et le puissant appareil gouvernemental, les organisations ouvrières, qui avaient l’occasion de faire du Premier Mai l’instrument de violents conflits économiques et politiques — et par réaction, le prétexte aux répressions policières — évitaient systématiquement le choc. Au lieu de devenir le soulèvement du Travail contre le Capitalisme, comme le concevaient les travailleurs pour leur faire acclamer des motions de solidarité internationale, etc., etc., etc…

Avec quelle anxiété, le monde bourgeois n’a-t-il pas attendu le Premier Mai 1890 ! Celui-ci ne donnerait-il pas le signal de la révolution prolétarienne ? Et depuis… les classes dirigeantes regardent cette fête avec un sourire moqueur, ou déchaînent des répressions policières. Si le Congrès socialiste de 1889 voulait faire du Premier Mai le symbole de la solidarité prolétarienne, le caractère, soumis au plus haut point et ouvertement possibiliste, de la commémoration devint le symbole de la faiblesse des tendances internationalistes du mouvement ouvrier de la précédente époque. C’est pourquoi une rétrospective de la fête prolétarienne, pendant ces vingt-cinq dernières années, projette une vive lumière sur les causes du naufrage de la IIe Internationale. L’insistance, avec laquelle des éléments intransigeants du Socialisme entretiennent la flamme du Premier Mai, est un symptôme alarmant ! Même si les manifestations « patriotiques » des fractions parlementaires, la réconciliation avec le Bloc national, les essais du ministérialisme socialiste, auraient pu nous sembler inattendus et catastrophiques, il serait indigne d’un marxiste de rechercher les causes de ces faits dans la mauvaise volonté, l’immoralité, dans la « trahison » — ou dans la carence d’auto-éducation, comme s’expriment nos subjectivistes — des dirigeants du Parti. Nous ne libérons pas ces derniers du poids de leurs fautes et nous ne cessons pas de lutter contre eux, mais nous répétons qu’il est indispensable de comprendre ceci : tous les éléments de la catastrophe étaient déjà préparés par la lente organisation du Socialisme sur une base nationale dans les conditions d’un accroissement incessant de l’Impérialisme ; l’idée d’une union internationale du mouvement ouvrier, déboucha, en pratique, sur des tentatives périodiques d’élaborer les normes internationales sur une base nationale et gouvernementale ; l’Internationalisme social-révolutionnaire se transforma en la commémoration faible et bureaucratisée du Premier Mai, qui se réduisit à une date dans le calendrier.

Pis encore ! L’affaire du Premier Mai devint encore plus regrettable dans les pays avancés où les progrès du capitalisme étaient marquants, où la lutte de classe se développait « normalement », en s’adaptant au rôle que jouait le pays sur le marché mondial, en se pliant aux règles parlementaires, dans ces pays où le Parlement devenait l’arène du combat pour la démocratie et les réformes sociales. Pour ces pays avancés, la lutte des mouvements révolutionnaires contre le vieil ordre de choses féodal était dépassée. L’époque de nouveaux conflits sociaux — luttes du prolétariat pour la conquête du pouvoir — n’était pas encore arrivée. L’idée de la révolution n’était plus qu’un souvenir ou semblait une vue théorique —, dans les deux cas, elle était trop faible pour insuffler une vie nouvelle à la commémoration du Premier Mai et en faire la Fête de millions de travailleurs prêts à prendre d’assaut la forteresse capitaliste.

Dans les pays d’Europe Orientale, le Premier Mai jouait un plus grand rôle dans la vie du prolétariat, lui fournissant un contenu révolutionnaire et en recevant brusquement un large développement. En Russie, le Premier Mai fut, d’emblée, dès les premiers pas des prolétariats russe et polonais, un emblème de combat. L’accroissement du mouvement révolutionnaire grandit la signification de la fête dans la vie du prolétariat. Pour la classe ouvrière russe, qui engagea sa lutte historique contre les forces les plus réactionnaires du passé, le Premier Mai devint le signal de la mobilisation révolutionnaire qui ouvrait, en même temps qu’« une fenêtre sur l’Europe », les perspectives d’un mouvement socialiste mondial.

En Autriche, pays de contradictions nationalistes, de vielle monarchie et de clique féodale, le Premier Mai fut l’étendard, sous les plis duquel le prolétariat mena son combat pour la démocratisation du pays, pour une coexistence normale des minorités ethniques, ce qui signifie, création d’une base normale pour la lutte de classe. Les besoins élémentaires d’un gouvernement de nationalités, ouvrant au développement du capitalisme les mêmes possibilités que peut offrir à ce dernier un gouvernement national, se heurtèrent au prolétariat autrichien si bigarré, — et le Premier Mai devint le drapeau de l’union de ce prolétariat pour la solution des problèmes « préliminaires » que lui oppose l’Histoire. Après la conquête du suffrage universel, favorisée par la Révolution russe, le Premier Mai, en Autriche, est de plus en plus, petit à petit, enserré en d’étroites limites, comme l’écho d’une époque tumultueuse imminente.

Enfin, dans la péninsule balkanique, du fait d’enclavements nationaux et gouvernementaux, le prolétariat fut confronté, dès ses premiers pas, au problème suivant : réaliser une forme de coexistence des petites nations telle qu’elle pût donner à cette péninsule si peu chanceuse la possibilité de sortir de sinon anarchie nationale et culturelle, de garantir son indépendance contre les menées des grandes puissances et de rejeter la civilisation capitaliste « normale ». Le Premier Mai est devenu, ici, la fête du jeune prolétariat et l’étendard de la lutte pour une fédération démocratique balkanique.

En d’autres termes : dans les pays de l’Europe Orientale et dans ceux du Sud-Européen, où le développement du capitalisme n’est pas encore total, où le prolétariat doit résoudre les problèmes dont une bourgeoisie arriérée n’est pas arrivée à bout, ces derniers donnèrent au mouvement ouvrier une impulsion tumultueuse, chassèrent devant lui les obstacles et conférèrent une couleur révolutionnaire au Premier Mai, fête de classe. Mais ce caractère révolutionnaire ne se nourrit pas, en réalité, aux sources de la lutte des classes ; au contraire, il provient des particularités nationales et gouvernementales qui ont séparé le prolétariat de l’Orient de ses frères plus avancés.

Le vingt-cinquième anniversaire du Premier Mai coïncide avec la faillite totale de la IIe Internationale, le complet abandon par ses chefs de leurs obligations internationales. Il est, par conséquent, naturel de donner du Premier Mai de cette année un tableau de désarroi, de faiblesse et d’abaissement. En France et en Allemagne, la question su Premier Mai est de faire en sorte que cette ombre pâle de qui était déjà une ombre, et comme la répétition d’un rituel desséché, ne provoque pas de dangereuses associations d’idées dans les cervelles de travailleurs… Si les déclarations « socialistes » des députés, votant les crédits de guerre, apparaissent déjà comme une parodie répugnante, que dire de l’ignoble tromperie que constituent les discours et les articles des ministres socialistes « responsables », des parlementaires et des journalistes, ces vulgaires croque-morts de la IIe Internationale et du Premier Mai ?

Mais justement, ces mots d’abaissement du Socialisme international indiquent de nouvelles perspectives de lutte et de mouvement, car les contradictions fondamentales entre les buts social-révolutionnaires et les méthodes du possibilisme ont été dévoilées impitoyablement. Amenés par le « glaive » de la lutte à son logique aboutissement, ces contradictions montreront, tôt ou tard, leur force libératrice non seulement décisive, mais également créatrice. Les vieux partis officiels cherchent un recours à leurs contradictions dans le travestissement cynique de la réalité internationale de la lutte de classe. Mais ils ne peuvent résoudre une contradiction plus profonde encore, qui est à la base de la guerre actuelle, qui conduit les machinations des diplomates, les opérations militaires et les lamentables combinaisons des sociaux-impérialistes : la contradiction entre les exigences du développement économique international et les limites que lui impose le gouvernement national. Non seulement l’analyse théorique, mais les cruels neuf premiers mois de la guerre, nous apportent le témoignage que la sanglante mêlée des peuples n’écartera pas un seul des motifs, ne résoudra pas une seule des questions qui conditionnent l’essence révolutionnaire du mouvement ouvrier. Incapable de les résoudre, la guerre ne fera qu’envenimer les contradictions capitalistes. Elles surgiront, à nouveau, du sang et de la boue, pour se dévoiler entièrement demain ; elles se dévoilent, déjà aujourd’hui, à la conscience des masses laborieuses. Pour sortir de l’impasse historique, le prolétariat devra prendre le chemin diamétralement opposé : celui de la liquidation totale du possibilisme, celui du refus définitif de ce qu’on appelle les obligations nationales, celui de la lutte implacable pour la prise du pouvoir, sous cette forme, préparée par toute l’époque précédente et constituant une expérience unique pour l’humanité : la forme de la dictature politique du prolétariat dans tous les pays civilisés du monde capitaliste.

Plus profondes seront les cicatrices creusées par la guerre dans la conscience du prolétariat, plus rapide et plus impétueux sera la processus de son émancipation hors des méthodes, des manœuvres non-révolutionnaires de la précédente époque, et plus étroits, plus directs, plus fraternels, plus conscients seront les liens de la solidarité internationale — non comme des principes, non comme des anticipations, non comme des symboles, mais comme des facteurs directs de la collaboration révolutionnaire dans l’arène internationale, au nom de la lutte générale contre la société capitaliste. On peut penser que, dans cette question secondaire — celle du rituel révolutionnaire — la IIIe Internationale ne refusera pas l’héritage spirituel de la Deuxième. Au contraire, elle sera l’exécutrice directe du testament révolutionnaire. En révolutionnant et en internationalisant le mouvement ouvrier, nous redonnerons au Premier Mai la signification que lui avaient donnée les créateurs de la IIe Internationale. Il sera le tocsin international de la révolution sociale.

Dobrodjanu Ghéréa[modifier le wikicode]

Notre Parti roumain a fêté, le 18 Mai, la quarantième année d’activité révolutionnaire de son fondateur et inspirateur spirituel, K. Ghéréa. A la veille de la guerre russo-turque, « chemin faisant », il s’arrêta en Roumanie ; quelques années plus tard, notre collaborateur, sous le nom de Ghéréa, s’était acquis une influence énorme, d’abord sur l’Intelligentsia roumaine, ensuite sur les travailleurs avancés. La critique littéraire de base socialiste était le domaine principal où Ghéréa, écrivain « par la grâce de Dieu », formait la conscience des groupes avancés de l’intelligence roumaine. À partir de questions d’esthétique et de morale personnelle, Ghéréa menait au socialisme conscient. Il est vrai que l’époque de l’Intelligentsia socialiste se termina en Roumanie par un krach plus sanglant que partout ailleurs. Parmi les ministres, les diplomates, les préfets, on en trouvait beaucoup qui avaient appris de Ghéréa l’a b c de la pensée politique. Heureusement, ils n’étaient pas les seuls. À partir de 1890, l’école marxiste de Ghéréa formait toute une génération de socialistes composée de travailleurs. Ils créèrent, avec Ghéréa et Racovsky le nouveau parti socialiste à l’époque de la Révolution russe.

En 1908, après une violente jacquerie des paysans roumains, Ghéréa publie Le nouveau servage, un livre qui est l’œuvre capitale de sa vie.

Toutes les contradictions de la vie sociale et politique roumaine (la paysannerie soumise à un joug, juridiquement révocable, mais rétabli en pratique par la logique des conditions économiques ; le régime parlementaire fondé sur une base agraire de type asiatique ; les libertés « à l’anglaise » pour les villes ; le vieil ordre turc pour les campagnes) sont soumises, dans le grand ouvrage de Ghéréa, à une analyse magistrale. La traduction de ce livre en russe aurait été une précieuse acquisition pour notre littérature socialiste.

À l’époque de la guerre balkanique, comme maintenant, Ghéréa soutien une lutte implacable contre l’impérialisme roumain, pour une Fédération démocratique balkanique. Il a forgé et aiguisé les armes avec lesquelles se battent les travailleurs roumains contre les boutefeux patriotiques. Ghéréa reste, par la clarté et la perspicacité de son esprit, le conseiller et le théoricien irremplaçable du prolétariat roumain. En serrant la main de notre vieil ami, nous lui souhaitons la santé et la force pour les luttes futures. Nous ne parlons pas de son dynamisme et de sa foi dans l’avenir, car il ne manque pas de ces qualités.

(Naché Slovo, 29 mars 1915.)

Problèmes et méthodes de notre lutte[modifier le wikicode]

Déclin et renaissance des anciens groupements du socialisme[modifier le wikicode]

Les racines de la crise actuelle dans le Socialisme international plongent profondément dans l’époque précédente.

Les courants et les groupements, constitués et fortifiés au cours des dix dernières années, furent déterminés par la base de leurs rapports envers le parlementarisme, considéré comme l’arme de réformes sociales. En principe, l’Anarchisme niait la possibilité et l’utilité des institutions de la société bourgeoise de servir les intérêts de l’émancipation sociale prolétarienne. Vaincu en théorie et en pratique par le Marxisme, l’Anarchisme se manifesta à maintes reprises comme la réaction élémentaire des tendances révolutionnaires contre le réformisme parlementaire. Dans sa conception marxiste, la Social-démocratie estimait que le « jeu normal » des forces de la société bourgeoise conduisait, de façon irréversible, à l’approfondissement des contradictions sociales ; résoudre celles-ci ne pouvait se faire que par la conquête prolétarienne d’une position maîtresse d’ordre politique au sein de la société bourgeoise ; enfin, le mécanisme démocratie créait une arène irremplaçable pour la mobilisation des prolétaires et pour leur union. L’Anarchisme opposait la révolution sociale au parlementarisme, comme réalité unique — utopie, comme les buts des prolétaires — aux tromperies bourgeoises. L’opportunisme de principe fragmentait le problème socialiste en le ramenant au niveau parlementaire et à la réforme. La Social-démocratie subordonnait le parlementarisme à la révolution comme un moyen d’atteindre son but.

Tels furent les trois courants fondamentaux de l’époque précédente. Le caractère de celle-ci ne leur donna pas, et de loin, les mêmes conditions de manifestation et de développement. L’Anarchisme, ou bien disparut totalement dans les partis ouvriers, ou bien subit de profonds changements internes sous les traits du syndicalisme français. Ce dernier dans une époque non-révolutionnaire, s’engagea dans l’impasse de la philosophie initiative de la minorité ou celle du « mythe » révolutionnaire de la grève générale. Le syndicalisme s’adapta, avec plus ou moins de bonheur, aux exigences de la lutte professionnelle. La Social-démocratie avec les syndicats professionnels rassemblent ses forces pour obtenir les réformes sociales qu’elle subordonnait au but de la révolution sociale, se subordonna elle-même, en l’espace d’une génération, au puissant appareil du pouvoir bourgeois. Suivant la conception marxiste, c’est-à-dire le sens même du développement historique, ce qui était le moyen devint le but. Quand le « Centre » s’accommoda des méthodes limitées du mouvement, groupant — à un degré beaucoup plus élevé que prévu, étant donné son expérience politique — des éléments de routine et de stagnation, l’aile gauche extrémiste issue, comme le Centre, des conclusions générales théoriques marxistes, s’efforça de faire adopter par le Parti des méthodes plus révolutionnaires ; mais les résultats de ces efforts, s’appuyant sur l’immobilisme des conjonctures politiques, n’aboutirent qu’à des prodromes d’une critique intérieure au sein du Parti. Si, dans toutes ces conditions, le réformisme ne fut pas le maître absolu sur tout le champ de bataille de la lutte prolétarienne, ce ne fut pas sa faute : le « jeu normal », sur lequel comptaient les réformistes, dans les conditions d’un accroissement rapide des contradictions mondiales et de ses conséquences (le gaspillage des biens du peuple par le militarisme) coupa l’herbe sous le pied aux réformes sociales en Allemagne. Pour autant que celles-ci furent réalisées en Angleterre et en France, elles ne constituaient pas un progrès de principe par rapport au développement de la législation sociale dans un pays régi par le capitalisme, l’Allemagne. Par surcroît, la hausse des prix paralysa les résultats tant professionnels que parlementaires de la lutte de classe. Cette situation donna une confirmation objective à la conception social-révolutionnaire marxiste, suivant laquelle la pratique de toutes les organisations prolétariennes crée une base psychologique du réformisme. Même si les officiers et les sous-officiers du parti ouvrier ne succombaient pas à l’utopie du réformisme de principe, leurs vues politiques bornées ne leur permettaient pas de découvrir les vastes perspectives révolutionnaires, et ils se renfermèrent, inévitablement, dans le culte de l’organisation en tant qu’organisation. Ce fait trouva son plein développement dans le pays modèle de l’organisation social-démocrate : l’Allemagne. Mais, à son tour, le fétichisme de l’organisation ouvrit les portes aux illusions du réformisme — simplement parce que la conscience politique de classe « ne supporte pas le vide ».

Le caractère parlementaire et réformiste du mouvement ouvrier, en subordonnant ses méthodes aux conceptions étroitement nationales de groupements et de combinaisons politiques, pesa lourdement sur la conscience politique des partis socialistes, donnant à l’Internationalisme la place d’un principe abstrait. La guerre des intérêts impérialistes dévoilant les ressorts fondamentaux de la politique capitaliste de tous les pays et posant carrément les problèmes économiques, politiques et nationaux du monde entier, ne pouvait que mettre à nu, d’un seul coup, le caractère borné et arriéré des partis socialistes de la IIe Internationale.

Mais si les organisations ouvrières montrèrent qu’elles n’étaient pas « préparées », il est clair que les groupements intérieurs, qui se constituèrent dans les partis socialistes sur la base de leurs méthodes « organiques » de travail, durent dévoiler leur inadaptation aux conditions nouvelles et aux problèmes posés par l’ère des catastrophes. C’est le premier fait qui vous saute aux yeux. Les marxistes Guesde, Hyndmann et Plékhanov prirent la même position de principe par rapport à la guerre que les réformistes Heine et Sudekum et les anarchistes Kropotkine et Hill. D’un autre côté, nous observons, en France, que les syndicalistes, en leur majorité dirigeante, se rapprochent des sociaux-patriotes et, en même temps, liquident leur hostilité envers le parti et envers le pouvoir capitaliste. Le Parti travailliste indépendant (anglais), plus proche du Réformisme de principe que du Marxisme, se montre étroitement lié à l’aile gauche de la Social-démocratie allemande et aux syndicalistes français de gauche. Ces derniers, incarnés par Monatte, Rosmer et Merrheim, en sont arrivés à la contradiction absolue avec les syndicalistes nouvellement promus — les « gouverne­mentaux » — et ne trouvent pas de meilleur allié que le « parlementaire » allemand Liebknecht. Ces exemples — et on pourrait les multiplier — témoignent que les groupements, poussé par le tempo accéléré des événements, ne s’accordent en rien avec ceux qui se formèrent précédemment au sein des partis socialistes et se défont avec ces derniers.

Il ne s’ensuit pas que les problèmes, qui ont donné naissance aux anciens groupements, soient simplement mis de côté. Les questions de Réforme et de Révolution, bases des litiges des partis socialistes, ne sont pas écartées de l’ordre du jour, — au contraire, elles sont posées dans toute leur ampleur au prolétariat. Le réformisme pur s’est converti en social-impérialisme, attendant la réalisation des réformes sociales de la victoire du pouvoir capitaliste. Seul peut y faire obstacle le Socialisme révolutionnaire qui voit la résolution du problème suprême posé au prolétariat non dans la lutte pour des réformes, mais dans celle qui assurera la dictature de classe du prolétariat. Par sa succession compliquée, le passage de tant de hérauts de la révolution sociale dans le champ du national-réformisme ne peut cependant nous échapper. Pour bien saisir le lien de ces faits entre eux, il faut s’imprégner de l’idée suivante : la contradiction de fait entre l’Anarchisme, le réformisme et le Marxisme, n’était pas aussi profonde, à l’époque précédente, que la contradiction de principe ; en effet, non seulement, le Réformisme et l’Anarchisme devaient passer par l’école marxiste, mais le marxisme de ce temps devait développer son côté possibiliste pour mieux profiter des occasions révolutionnaires. De ceci découle la rapidité frappante avec laquelle se dissolvent les anciens groupements. Les changements décisifs qui suivent la ligne fondamentale d’un tracé intellectuel sont progressifs, car ils amènent le Socialisme à prendre contact avec des problèmes d’ordre mondial. Au contraire, les tentatives de conserver les groupements basés sur une ancienne idéologie, en évitant les questions concernant le fait central de notre époque — la guerre à l’Impérialisme — sont profondément réactionnaires et, d’avance, condamnés à la faillite.

Les nouveaux groupements dans le Socialisme[modifier le wikicode]

Maintenant les groupements au sein de l’Internationale se définissent par leur attitude envers la guerre. Ici on peut, sans grand effort, remarquer trois courants fondamentaux.

Le premier courant « accepte » la guerre, c’est-à-dire, qu’il lie son sort à celui d’une des puissances belligérantes et fait des organisations ouvrières un appareil travaillant à l’assujettissement des travailleurs aux buts de guerre et aux méthodes du Parti. Ceci se fait, soit, sous le drapeau de la défense de la démocratie, comme en France ; soit encore sous l’étendard de : « il faut assurer au pays une place sur le marché mondial », comme en Allemagne. Il s’ensuit qu’on fonde des espoirs, plus ou moins sincères ou trompeurs, sur les conséquences d’une défaite de la nation ennemie : ainsi Scheidemann espère une révolution en Russie ; Vaillant et Plékhanov la souhaitent en Allemagne.

Ces buts subjectifs, au nom desquels les partis et les fractions socialistes, ainsi que les personnalités individuelles, subordonnent leurs activités sous l’œil des états-majors, ne peuvent être considérés avec indifférence. Ils peuvent dans le futur, en dépendance avec le cours des événements, entraîner les militants socialistes dans des directions diverses. Mais la guerre est le fait fondamental de la vis mondiale actuelle. Le comportement à adopter envers elle est, de par lui-même, un programme décisif. Non seulement, il définit la direction de l’action politique (soutien à la guerre ou lutte contre elle), mais il détermine les groupements qui se différencieront après la guerre. Un lien actif avec le militarisme, c’est-à-dire la responsabilité politique et morale des conséquences de ce lien devant les masses laborieuses, peut déraciner de la conscience des sociaux-militaristes les buts objectifs primitifs. Le fait que la Belgique soit une nation faible et neutre, que l’Allemagne soit « une grande puissance militaire », que la France soit une « République », que l’Allemagne soit une « monarchie semi-féodale », ne changent en rien la signification du fait que les dirigeants socialistes de ces pays ont pris parti pour la défense nationale. La conséquence objective en fut la soumission politique de la classe ouvrière aux intérêts et à l’idéologie de ses ennemis de classe. Du point de vue des intérêts du Socialisme international, les sociaux-militaristes de tous poils ne forment, pour nous, qu’un seul groupe dominant actuellement dans l’Internationale, — la prédominance de ce groupe et la faillite de la IIe Internationale ne sont que des appellations différentes.

Le courant central contient les éléments qui, tout en ne liant pas les questions de classe du prolétariat à la victoire de tel ou tel pays, voient dans la situation actuelle du Socialisme le résultat provisoire d’une catastrophe extérieure qui nécessite la paralysie des sentiments internationaux et des liens des prolétaires. Ils se bouchent les yeux devant les contradictions profondes entre les tendances nationales et les problèmes internationaux, contradictions contenues dans la IIe Internationale socialiste serait un instrument précieux en temps de paix, mais ne conviendrait pas à un travail constructif pendant la guerre. Ils proposent donc, de « passer » patiemment la guerre, acceptant les tendances nationales comme une circonstance provisoire, pour, ensuite, sanctionner tout le passé dans un Congrès international, amnistier les excès patriotiques et rétablir l’Internationale sur les bases des anciennes contradictions. C’est à quoi tend fondamentalement la position de Kautsky. Cet optimisme non-critique, vulgairement rebutant, est l’expression la plus parfaite de la banqueroute des groupes marxistes influents devant les problèmes révolutionnaires de la nouvelle époque. Qui ne peut répondre à ces questions sur un mode qui vous porte à l’action, s’exclut par là même et laisse le terrain aux sociaux-militaristes ou aux internationalistes révolutionnaires. Si les résolutions de Vienne, dictées par le « Centre » allemand, démontrent la stérilité de cette position politique qui consiste, à la fois « à lutter » contre la guerre et à la sanctionner, des faits tels que les déclarations qu’il communiquera au Reichstag de façon soumise, le passage de théoriciens allemands bien connus, comme Kühn, de la position théorique de Kautsky à celle de Bernstein à la recherche d’une nouvelle orientation, donnent une frappante illustration du processus qui fait éclater le Centre à tous les diables. Ce processus eut lieu, en France, de manière plus rapide et moins remarquée.

La position soumise et vacillante du « centre » refléta de façon significative le désarroi des masses laborieuses qui s’efforcèrent de conserver l’ancienne position idéologiquement contradictoire en unissant l’attitude socialiste envers l’impérialisme avec l’idée de défense de la patrie. La guerre, en démontrant que celle-ci ne servait que les intérêts impérialistes de la classe bourgeoise, amené me Centre à une faillite inévitable et rapide. Celle-ci est la répercussion indubitable du travail profond et progressif de critique et d’autocritique s’accomplissant dans les larges couches du prolétariat socialiste.

Enfin, le troisième courant dans l’Internationale se compose d’éléments qui s’efforcent de rendre le prolétariat hostile à la guerre et à ceux qui l’approuvent. De même que le courant social-nationaliste a adopté le slogan « lutte jusqu’au bout » (pour la République, l’indépendance nationale ou la conquête des marchés), de même, le courant internationaliste a pris, aussitôt, le slogan de lutte pour la paix, de cessation immédiate des hostilités. Toutes les démonstrations parlementaires des internationalistes serbes, russes, anglais, allemands et italiens, la déclaration des socialistes anglais, les propos de Monatte et des syndicalistes lyonnais, la Conférence internationale féminine, la Conférence de la jeunesse, la manifestation des socialistes au Reichstag, le manifeste de la minorité allemande, la résolution de la fédération française des Métaux et son numéro du premier Mai, — tous ces faits, sans compter les « sorties » des socialistes neutres, donnent un témoignage frappant du rôle immense que joue le slogan de paix dans la mobilisation de la Gauche (aile gauche) dans tous les pays. Quelle grosse faute politique a commise et commet encore le groupe « Social-démocrate » en essayant de présenter ce slogan comme l’apanage des prêtres et des pacifistes sentimentaux !

De même que sous le slogan de la lutte « jusqu’au bout », se groupent des tendances diverses, de même sous celui de « guerre à la guerre », se rassemblent ceux qui s’efforcent, le plus vite possible, d’assurer au prolétariat la base « normale » nécessaire à son mouvement de classe. Il en est de même pour ceux qui luttent pour les réformes et ceux qui considèrent cette guerre comme le prologue sanglant à de profondes convulsions sociales. Le cours futur de la guerre, et telle ou telle de ses conséquences, peuvent emporter dans des directions différentes les éléments socialistes divers par leur éducation idéologique et par leur passé, ces éléments qui sont actuellement unis dans la lutte pour faire cesser la guerre. Mais d’un autre côté, la mobilisation du prolétariat contre la guerre et l’appareil militaire — ce dernier n’étant autre que l’État bourgeois — est capable, au cas d’un déroulement accéléré des événements, de donner à la lutte pour la paix une signification plus révolutionnaire. La mobilisation des masses contre l’Impérialisme peut, dans le cas de la prolongation de la guerre, qui ne fait que croître en barbarie, amener à un heurt direct entre le travailleur en blouse de travail ou en uniforme multicolore et les autorités. Débutant par la lutte pour la paix, la mobilisation des masses peut conduire à la prise du pouvoir. Si les événements prennent ce caractère aigu et décisif, ils entraîneront les internationalistes timides, qui ont entamé la lutte pour la paix sans perspectives révolutionnaires, et les anarchistes-syndicalistes qui n’ont pas résolu la question de conquête du pouvoir. Il va de soi qu’il nous incombe, à nous marxistes, le devoir d’expliquer aux masses laborieuses toute la gravité de la contradiction à laquelle la guerre impérialiste accule la société bourgeoise et de leur montrer l’ampleur des possibilités qui s’offrent au prolétariat.

Le travail d’organisation politique de l’Internationale doit se consacrer à l’union de toutes les organisations ouvrières et de tous les éléments socialistes qui se refusent à conclure la « paix civile » avec la bourgeoisie. Pas un homme et pas un sou pour le pouvoir impérialiste ! Il serait arbitraire et dangereux de promouvoir des critères supplémentaires tels que ceux-ci : celui qui ne croit théoriquement à la position du marxisme ou celui qui n’est pas convaincu que l’Europe entre dans une ère de développement social-révolutionnaire. Notre propagande doit aller beaucoup plus loin. Elle ne doit pas se limiter à la simple critique du ministérialisme, au vote des crédits, etc. Elle doit, en découvrant la faiblesse et la contradiction de la IIe Internationale, expliquer les bases et les conditions historiques de la nouvelle époque sociale-révolutionnaire et préparer ainsi la conscience des couches laborieuses avancées à la solution du problème que pose une catastrophe jamais vue dans l’histoire de l’humanité.

Scission et unité[modifier le wikicode]

Dans les anciens Partis socialistes, les internationalistes se trouvent en minorité. En Russie, ils forment une majorité visible et indiscutable. Ici et là, se libérant des vieux groupements ou s’efforçant de les coiffer, les internationalistes en arrivent à mener une lutte très énergique contre les éléments d’orientation social-patriotique. Si en temps normal, c’est-à-dire dans les périodes de changements lents, moléculaires de la vie collective, les différends politiques liés à une diversité de l’évaluation et du diagnostic de l’époque s’adoucissant du fait que les deux partis, protégeant l’unité de l’organisation prolétarienne, placent leurs désaccords sous le contrôle des événements futurs, dans les conditions de la guerre actuelle, qui étouffe des milliers d’hommes et dépense des millions de roubles chaque jour et pousse l’humanité vers un abîme de sauvagerie et d’abaissement, la contradiction sur la question pour la guerre, contre la guerre, prend un caractère essentiel de gravité, ne permet aucun compromis et conduit fatalement les adversaires dans des camps irréconciliables.

Quelles seront les relations des deux groupes de base du Socialisme, les nationaux-réformistes et les internationalistes révolutionnaires, quand ils se sépareront définitivement et se raidiront ? Quelles seront les méthodes des internationalistes dans la lutte d’aujourd’hui pour influencer et prendre la tête du mouvement ouvrier ? Ces deux questions sont intimement liées, mais nullement identiques.

Le but indiscutable de notre combat idéologique et organisateur reste l’épuration du social-patriotisme. La création de conditions telles que la politique socialiste révolutionnaire puisse non seulement s’imposer à la majorité, mais encore paralyser l’opposition, pose cette question : Comment y parvenir.

Des éléments liés au Comité d’organisation nous ont accusé et nous accusent encore de suivre une orientation divergente, tant dans la Social-démocratie russe que dans les buts de l’Internationale. D’un autre côté, des camarades, se groupant autour de Sozial-démokrat, accusent Naché Slovo de « compromis », de ne pas vouloir tirer les conclusions qui s’imposent devant la lutte idéologique et politique menée contre le social-patriotisme, conclusions penchant pour un « schisme » organisé. Les deux chefs d’accusation ne sont pas de mise.

En examinant les expériences précédentes de séparation artificielle, à savoir une séparation ne découlant pas inévitablement pour les masses de sa propre activité politique — ici nous différons de Sozial-demokrat — nous ne jugeons pas admissible — ici réside notre profonde différence avec les critiques de l’autre camp — de subordonner la question de la fermeté et du caractère irréconciliable de nos critiques et de notre propagande internationaliste au danger de provoquer une séparation organisée.

La lutte idéologique et politique entre les nationalistes et les internationalistes touche les anciennes organisations : partis et fractions. L’Histoire met à l’épreuve leur unité. On peut d’ores et déjà calculer que de nombreux cadres seront perdus à jamais pour le mouvement ouvrier : une partie de ces éléments élevés dans le mécanisme légal de la société bourgeoise ira Dieu sait où, l’autre sera rejetée par le cours des événements dans le camp des ennemis classiques du prolétariat. Vraisemblablement, les comités chrétiens, libéraux et renégats rassembleront un certain nombre de travailleurs — dans les rangs d’ouvriers privilégiés ou parmi les travailleurs les plus retardés idéologiquement. Il se trouvera des éléments qui, par leurs liens avec le pouvoir bourgeois ou l’idéologie patriotique, seront arrachés au mouvement ouvrier. Ce serait un miracle — un miracle de la résurrection des Sudekum et des Parvus — si la Social-démocratie allemande entrait dans la nouvelle ère historique sans soubresauts intérieurs. Mais il n’y a pas de miracle. Tous les militants sérieux de la Social-démocratie regardent le schisme comme la perspective la plus vraisemblable — aussi bien ceux de l’aile gauche que de l’aile droite. Mais en ce qui concerne la gauche elle considère le fait comme une perspective, non comme un slogan. Il n’entre pas dans la tête des internationalistes allemands de faire du schisme un principe consécutif à leur travail politique dabs leur combat contre le social-patriotisme. Au contraire, ils s’efforcent, par tous les moyens, de rester dans les cadres des vieilles organisations, à commencer par la fraction parlementaire, où est encore Liebknecht, par la commission de contrôle où reste Clara Zetkine. Pourquoi ? Pour gagner à leurs buts le puissant appareil de la Social-démocratie. Liebknecht, qui vota contre les crédits, n’a pas quitté le Parlement afin de pousser Rühle à voter contre le budget et à entraîner, par sa conduite, une trentaine de députés moins résolus, à s’abstenir. Monatte a quitté le Comité des syndicats français en publiant sa courageuse déclaration, le premier acte sérieux de l’Internationalisme en France. Mais Merrheim, secrétaire des métallurgistes, est resté à sa place, et il a pour lui, maintenant, les voix de huit Fédérations. Encore mieux : la plus forte organisation de province, l’Union des Syndicats du Rhône, approuva la déclaration de Monatte et le chargea de retourner au Comité pour y exposer ses vues. S’engageant sur le chemin de l’Internationalisme, la Fédération de la Haute-Vienne est loin de vouloir quitter le Parti socialiste. Le Parti Ouvrier Indépendant (anglais), bien que s’opposant vivement au « Labour Party », n’a pas jugé bon de quitter ce dernier, en dépit du fait qu’il possède son propre appareil.

Moins que jamais ne doit-on pas regarder comme un dogme absolu de « l’Internationalisme », une limitation de son organisation en dehors de la vie intérieure des masses, ce réservoir où se nourrit l’aile internationaliste ? Au moment où les masses ne se sont pas encore rendues compte des conséquences de leur soumission au pouvoir ; au moment où la conscience révolutionnaire internationaliste fait ses premières conquêtes sur une base nouvelle, le slogan de la limitation de l’organisation fortifierait le noyau de nos partisans, mais ne ferait que l’éloigner des masses prolétariennes. C’est un slogan d’auto-isolement. Si l’unité de l’organisation de classe n’est pas le premier principe absolu venu, elle n’est cependant pas une formule vide de tout contenu. Le principe d’unité exprime la nécessité d’unir les forces d’une classe opprimée, même sur la base élémentaire d’une résistance à ses ennemis de classe. Ce principe a été inoculé au prolétariat par l’expérience passée de sa lutte. Aucun homme politique sérieux ne peut regarder cet état de la conscience prolétarienne comme une bagatelle ou comme un fardeau dangereux. Ce sera la pierre sur laquelle nous bâtirons et nous servira à aller à aller de l’avant. Les Internationalistes ne doivent pas consacrer leurs efforts à provoquer la scission, mais à conquérir politiquement l’organisation. Si la lutte contre le social-patriotisme produit une rupture, celle-ci doit, avant tout, apparaître aux masses comme une conclusion politique inévitable, la seule issue à cette situation ; ensuite, la responsabilité politique doit, aux yeux des masses, être imputée à ceux qui détruiront l’unité et la discipline, donc à nos ennemis de classe.

Actuellement en minorité, nous, les Internationalistes, nous sommes fermement convaincu que la logique de la situation travaille pour nous en apportant aux masses les plus cruelles épreuves et le désespoir. Les illusions patriotiques se dissiperont demain ou après-demain, comme de la fumée. L’éveil de la conscience de classe parmi les prolétaires sera d’autant plus décisif. Actuellement, en minorité — non seulement parmi les dirigeants, mais aussi dans les organisations ouvrières de l’Internationale —, nous ne doutons pas un instant que demain sera nôtre, que malgré le tragique de la crise, notre travail doit être imprégné d’optimisme. Il en est tout autrement des sociaux-patriotes, dont une partie ne conserve plus de liens avec les travailleurs et dont l’autre partie s’épouvante du précipice où elle entraîne le Parti. Des transformations décisives sont inévitables chez les sociaux-patriotes. Dans l’incertitude de sa position, la fraction parlementaire n’a pu se décider à exclure Liebknecht. Ce dernier a eu parfaitement raison de profiter de cette indécision pour rester en place en tant qu’élément de critique et de progrès. Aujourd’hui en majorité, les sociaux-patriotes sentent le terrain se dérober sous leurs pieds et ils peuvent très bien demain se résoudre à déclencher la rupture. Qu’ils la fassent ! Leur courant est en baisse, courant qui n’a pas foi en la victoire.

Devant l’énorme tâche qui incombe aux Internationalistes, nous nous refusons absolument à la soumettre à un quelconque critère d’organisation. Nous soumettons les méthodes de lutte contre le social-patriotisme aux conceptions du rationalisme politique. Nous sommes convaincus que, s’il nous arrivait de définir notre programme dans les cadres des vieilles organisations ouvrières, la scission serait tenue pour irrationnelle dans l’écrasante majorité des cas.

Ces conceptions organisatrices tirent leurs forces d’une unique condition fondamentale : délimitation totale d’avec les différents points de vue du social-patriotisme. Si Liebknecht, craignant l’exclusion, se fût borné à un langage modéré, il eût commis une plus grosse faute que s’il eût démissionné en refusant un débat au sein de la fraction parlementaire. Notre critère suprême est de pouvoir manifester énergiquement notre point de vue devant le visage même de la classe ouvrière. La minorité oppositionnelle ne porte la responsabilité des conséquences de cette politique que dans des mesures très limitées. Nous ignorons, nous ne pouvons prédire, nous ne pouvons deviner à quel moment et dans quelle direction aura lieu la scission. Mais nous n’avons pas le droit de différer et d’atténuer notre lutte contre le social-patriotisme qui égare le prolétariat, soit par peur, soit par un comportement fétichiste par rapport aux questions de discipline. Sortir des rangs socialistes français et allemands serait une stupidité — une vraie désertion vis-à-vis des travailleurs —, mais ce serait un crime que d’accepter la proposition de Kautsky et de se refuser à mener en temps de guerre une lutte implacable et décisive contre le social-patriotisme.

Est-il la peine d’ajouter que la Social-démocratie russe ne peut présenter aucune exception sous cet angle. En effet : il est inadmissible d’adoucir la nouvelle contradiction surgie dans le Socialisme, au nom du principe d’unité de l’organisation de la masse ouvrière, car de la solution de cette question dépend le sort historique de cette organisation ; il est lus encore inadmissible d’affaiblir ou de passer sous silence les problèmes qui nous séparent du social-patriotisme, au nom de la conservation d’unité des groupements parlementaires constituant la Social-démocratie russe. De ce point de vue, la déclaration du Secrétariat des Émigrés, sous la signature d’Axelrod, suivant laquelle la position social-patriotique de Nacha Zaria ne serait pas dirigée contre la lutte révolutionnaire anti-tzariste, nous semble être fausse théoriquement et dangereuse politiquement. On peut avoir des opinions différentes sur les méthodes des organisations, comme celles que l’O.K. dut employer envers le groupement qui par-dessus sa tête écrivit à Vandervelde, ce qui constitue un acte de portée internationale. Mais il ne peut subsister le moindre doute quant à la position prise par le groupement cité. Ce dernier, en se solidarisant avec Plékhanov et profitant, grâce à « l’acceptation de la guerre » de ce dernier, du monopole des relations légales avec la classe ouvrière, facilite le travail de démoralisation, apportant le trouble dans les rangs de ceux qui s’efforcent de prendre une position internationaliste.

Quand Ionov veut subordonner la lutte pour la renaissance de l’Internationale au principe : « l’unité (des vieux partis) où qu’elle fût, quoi qu’il arrive », il ne fait que renforcer mécaniquement la position de Sozial-demokrat avec la méthode de celui-ci : « la séparation quoi qu’il arrive. » Tous les deux énoncent un principe absolu au-dessus du travail politique si compliqué et si nuancé. Nous ne pouvons fermer les yeux sur le fait que la majorité, au sein des vieux partis, est contre nous, pour les sociaux-patriotes : il semblerait que les clefs de l’unité et de la discipline soient détenues par cette majorité. Si les Internationalistes se bornent volontairement aux cadres de la discipline et de l’unité, ils remettent leur destin entre les mains des sociaux-patriotes. Ce serait un manque de décision criminel de la part de l’opposition allemande de ne pas participer, suivant la conception d’unité du parti, aux Conférences internationales et de ne pas se lier aux socialistes de l’aile gauche. Mais elle ferait preuve d’une légèreté injustifiable si elle déclarait devoir se retirer de l’organisation officielle du parti social-démocrate[1].

(Naché Slovo, 15 mars – 6 juin 1915)

Un an de guerre[modifier le wikicode]

L’année écoulée — trois cent soixante-cinq jours et nuits d’une destruction mutuelle et incessante des peuples — entrera dans l’Histoire comme le témoignage bouleversant de la profondeur jusqu’à laquelle plonge la barbarie aveugle et éhontée de l’humanité.

Afin de stigmatiser les canons allemands de diamètre supérieur à ceux de l’Entente, les obus allemands de puissance de destruction supérieure à ceux des Alliés, la presse de ces derniers a créé une définition particulière : « la barbarie scientifique ». Quelle magnifique appellation ! Il faut l’appliquer à la guerre entière et à ses conséquences, sans distinction de gouvernements et de frontières. Toutes les forces techniques, créées par l’homme pour son développement, sont employées à détruire les bases de la collectivité culturelle et principalement, à anéantir l’être humain : voilà en quoi consiste cette « mobilisation de l’industrie » dont on parle dans toutes les langues de la civilisation européenne. La barbarie instruite s’est armée de toutes les conquêtes du génie humain — d’Archimède à Edison — pour effacer de la surface terrestre tout ce qu’avait produit l’humanité collective, mettant au premier plans Archimède et Edison. Si les Allemands se distinguent dans cette démence sanguinaire, c’est qu’ils se sont organisés systématiquement, d’une façon plus efficace que ne le firent leurs ennemis mortels.

Pour donner à la chute de l’homme un caractère plus humiliant, la guerre qui a à sa disposition les richesses des techniques les plus récentes — telles que les ailes de l’aviation — a plongé l’homme dans les tranchées, dans la boue, dans un cloaque où règnent les parasites, où le soldat couvert de poux mène une vie troglodyte, cependant que les journaux et les politiciens racontent en diverses langues que tout ceci est au service de la culture.

Sortie à quatre pattes de l’obscur règne animal, l’humanité a fait preuve d’un esprit organisateur dans sa lutte contre la nature. Au moyen de bouleversements révolutionnaires héroïques, elle a appliqué son esprit à l’édification du pouvoir en remplaçant la formule passive de « par la grâce de Dieu », par l’idée de la souveraineté du peuple et par la pratique du régime parlementaire. Mais dans les fondements de sa vie sociale, de son organisation économique, l’homme reste la proie des forces ténébreuses qui menacent toujours d’exploser, accumulent les contradictions et les jettent à la tête de l’humanité à l’occasion des catastrophes mondiales.

***

L’Europe arrachée par le développement capitaliste à son état provincial moyenâgeux et à l’immobilisme économique, a créé, à force de guerres et de révolutions, des États « nationaux » embryonnaires, plus ou moins grands et reliés entre eux par un système d’alliances, d’antagonismes et d’accords. Le développement capitaliste, n’atteignant jamais complètement l’unité nationale, est arrivé à la contradiction avec les gouvernements qu’il a créés et a cherché une issue à sa position en se lançant dans les guerres colonialistes, mettant en pratique hors d’Europe le principe de la « paix armée ». Ce système auquel les classes dirigeantes se sont adaptées politiquement, économiquement et psychologiquement, a provoqué l’accroissement monstrueux du militarisme et a déclenché la guerre pour la maîtrise du monde, la plus colossale et la plus honteuse des guerres que l’Histoire n’ait jamais connues.

La guerre a déjà entraîné sept puissances et menace d’entraîner un huitième. Elle entraîne, l’une après l’autre les nations de second rang (c’est en cela que consiste le travail de la diplomatie). La guerre, en élargissant ses bases, conduit automatiquement à l’affaiblissement, à l’épuisement, à la destruction. Lançant les uns contre les autres les peuples et les races, les systèmes gouvernementaux, les principes religieux et politiques, la guerre rend évident le fait brutal que l’existence des gouvernements et des nations sur la base d’un Impérialisme capitaliste n’est plus possible désormais.

Le système des alliances, après la Guerre franco-allemande, naquit de l’effort entrepris pour garantir un équilibre des forces en présence. Ce système, en se transformant en ce qu’on appelle maintenant « la guerre d’usure », excluait déjà une victoire rapide. La décision ne peut plus être remportée que par l’épuisement progressif de l’un des antagonistes, à peu près égaux en ressources matérielles et morales.

Sur le front occidental, les treizièmes mois retrouvent les tranchées à peu près à la même place où les avait laissées le second mois. Ce sont toujours les mêmes avances de dizaines de mètres — des deux côtés —, au prix de milliers de cadavres. Dans la péninsule de Gallipoli et sur le front austro-italien, les lignes de tranchées se signalent comme les lignes du désespoir militaire. Ce tableau est reproduit à une échelle provinciale sur le front russo-turc. C’est seulement sur le front oriental (russe) que des armées gigantesques, après une série de reculs et d’avances, roulent à nouveau vers l’Est à travers la Pologne déchirée, que chacun des antagonistes promet de « libérer ».

Ce tableau, né de l’automatisme aveugle des forces capitalistes et de la malhonnêteté consciente des classes dirigeantes, ne nous présente aucun indice permettant de faire croire à une victoire décisive de l’un ou l’autre camp. Si les forces dirigeantes d’Europe possédaient autant de bonne volonté historique que de mauvaise, elles seraient encore impuissantes à résoudre, par les armes, les problèmes qui ont provoqué la guerre. La situation stratégique européenne exprime mécaniquement l’impasse historique où s’est fourré le monde capitaliste.

Si les Partis socialistes, impuissants à prévoir la guerre et à interpeller les dirigeants, avaient décliné toute responsabilité et averti les peuples, ils auraient du adopter une position d’attente — dans le sens révolutionnaire — en prévoyant l’inévitable revirement des masses — alors, aurait grandi l’autorité du Socialisme ! Les masses, écrasées par leurs deuils et les privations, auraient tourné vers lui leurs regards comme vers le pasteur des peuples ! Regardez ! Dans l’impasse militaire, les belligérants s’accrochent aux petites nations Roumanie, Bulgarie, Grèce, comme à un « état du destin » dont le poids ferait pencher le fléau de la balance. L’Internationale serait, alors, apparue comme « envoyée par le destin », et quel écho n’aurait pas trouvé sa voix dans la conscience des masses ! Ce programme libérateur que les sections éparses de l’Internationale brisée s’efforcent de réaliser dans la boue ensanglantée, à la traîne des états-majors, aurait pu être une réalité puissante dans l’offensive du prolétariat socialiste contre les forces de la vieille société.

Mais l’Histoire a agi en marâtre envers les classes opprimées. Les partis représentant celles-ci contenaient les premiers succès du prolétariat, ses efforts envers une totale libération, mais ils renfermaient aussi toute l’indécision de ces classes, leur manque de confiance en elles-mêmes, leur esprit de soumission au pouvoir. Ces partis se sont passivement laissé entraîner dans la catastrophe, ils ont pris sur eux de dissimuler la réalité sanglante par le mensonge criminel d’une mythologie libératrice. La catastrophe, née des antagonismes mondiaux, est devenue celle de l’Internationale. L’anniversaire de la guerre est celui de la plus effroyable faillite des plus forts partis du prolétariat international.

***

Pourtant nous assistons à cet anniversaire sanglant sans aucune baisse de moral, sans aucun scepticisme politique. Les Internationalistes révolutionnaires possèdent cette inappréciable supériorité d’examiner la plus grande des catastrophes mondiales, sur des positions permettant l’analyse, la critique et la prévision révolutionnaires. Nous avons refusé les lunettes « nationales », celles que distribuent les États-majors, non seulement gratuitement, mais encore avec primes. Nous avons continué à regarder les choses comme elles sont et à appeler « un chat, un chat ». Nous avons été les témoins de ce que, dans le sanglant kaléidoscope des événements, les anciennes illusions ont cédé la place à d’autres plus offensantes encore pour la vérité. Et la vérité socialiste est toujours révolutionnaire !

Le Marxisme, notre méthode d’orientation dans le processus historique et l’arme de notre intervention dans ce processus, a résisté aux coups des « 75 » et des obusiers de « 42 » cm. » Il a résisté à l’effondrement des partis qui, paraît-il, se rassemblaient sous son drapeau.

Le Marxisme n’est pas la photographie de la conscience de la classe ouvrière, il donne les lois du développement historique de la classe ouvrière. Dans sa lutte, la classe ouvrière peut trahir le Marxisme — dans des conditions dont le Marxisme donne l’analyse —, mais en le trahissant, la classe ouvrière se trahit elle-même. Elle revient au marxisme à travers le désarroi et l’égarement, à travers de dramatiques catastrophes. Elle y revient quand elle atteint des formes plus élevées d’auto-connaissance, en approfondissant les plus récentes conclusions révolutionnaires.

C’est ce processus que nous observons depuis l’an dernier. La logique de la position de la classe ouvrière l’écarte de dessous le joug du bloc national et — miracle plus grand encore ! — purifie beaucoup de cervelles socialistes des fumées du possibilisme. Combien lamentables et méprisables nous semblent les efforts des partis officiels, en dépit de leurs succès apparents, pour exalter, dans leurs conférences, le rôle de la mélinite gouvernementale et renforcer l’illusion servile « de défense de la patrie », en ne sortant pas du chemin de l’Impérialisme !

L’impasse où se trouve la situation militaire, la cupidité parasite des dirigeants des cliques capitalistes, l’accroissement de la réaction, l’abaissement des masses populaires et, comme résultat de tous ces résultats, le dégrisement lent mais inflexible de la classe ouvrière, voilà la réalité d’un développement futur qu’aucune force au monde ne pourra retenir.

Au sein de tous les partis de l’Internationale, commence un processus jusqu’ici dirigé contre le militarisme et l’idéologie chauvine, un processus qui sauve l’honneur du Socialisme et montre aux peuples le seul chemin possible de salut, sous le slogan « jusqu’au bout », formule qui jusqu’ici devait conduire à l’impasse de la « barbarie scientifique ».

Servir ce processus est le problème suprême sur notre planète ensanglantée et déshonorée !

(Naché Slovo, 4 août 1915).

La social-démocratie bulgare et la guerre[modifier le wikicode]

L’Agence Havas communique que les dirigeants socialistes bulgares auraient promis au gouvernement, étant donné la gravité de la situation, de ne pas lui créer de difficultés. L’Humanité qui a déjà soigneusement diffusé tant de balivernes de Havas au sujet des socialistes russes, italiens et serbes, en y mettant de son crû, fait cette fois-ci une remarque indirecte en demandant de quels dirigeants et de quel parti il s’agit ? Il serait naïf d’y voir un remords de la conscience socialiste : tout s’explique du fait que l’opposition intransigeante des socialistes bulgares à la guerre est à la merci des puissances de l’Entente Quadripartite.

L’Humanité ajoute que les deux partis (les « larges » et les « étroits ») tenaient pour la neutralité. Formellement, c’est exact. Mais dans le fond, la politique étrangère des deux partis est différente. Les « larges » se sont rapprochés de l’opposition russophile bourgeoise. Ne parlant pas ouvertement d’intervention militaire, ils ont proposé un accord avec la Serbie, afin d’accéder, à la traîne de l’Entente, au chemin des revendications territoriales « nationales ». Les « étroits » ont combattu avec la même force l’opposition russophile belliciste et la « neutralité » attentiste germanophile du gouvernement Radoslavov.

Mais l’heure du sang a sonné pour la Bulgarie ! Quels sont les « chefs socialistes » qui ont juré fidélité à Radoslavov et aux alliés, l’Autriche, l’Allemagne et la Turquie ? Il n’y a pas une seconde de doute ! Il s’agit des « larges », des russophiles : Ianko Sakazov et ses camarades. Comme leur politique extérieure n’était pas révolutionnaire, mais servait les intérêts « nationaux », ils furent obligés, au moment du « péril national », de tomber à genoux, ensemble avec l’opposition bourgeoise, devant l’idole de l’Unité nationale. Ainsi, les russophiles, les serbophiles et les « larges » donneront leur appui au gouvernement qui combat la Russie et la Serbie.

Il en va autrement avec les « étroits ». Comme ils ont une position révolutionnaire de classe, les arguments de Parvus ont aussi peu de prise sur eux que ceux de Plékhanov. Comme leurs convictions oppositionnelles ne leur ont pas inspirées par les ambassades russe et française, ils ne baissent pas la tête devant le fait de la coalition bulgaro-allemande.

Nos lecteurs se représenteront mieux la position prise par les « étroits » s’ils se familiarisent avec les plus récentes déclarations de ces derniers.

À la XXIe session, fin août, on adopta la résolution suivante, concernant la guerre et la situation dans les Balkans.

« La germanophilie des partis libéraux[2], dissimulée par la « neutralité provisoire » du gouvernement actuel —, et la russophilie, dans les eaux de laquelle nagent les restes des partis bourgeois et petit-bourgeois depuis les Populistes et les Tsankovistes jusqu’aux radicaux et cachés de la part des puissances belligérantes qui usent de promesses, de pressions et de corruption — toutes les deux, germanophilie et russophilie, ne sont autres que les introducteurs de la politique conquérante des grandes puissances vis-à-vis des Balkans. S’alimentant à ces sources, les partis préparent, ouvertement ou de façon voilée, de nouvelles aventures, de nouvelles guerres dans les Balkans, qui ne peuvent que réduire les peuples à un esclavage économique et politique. »

À partir de ce texte et d’autres conceptions, le Parti affirme : « Nous rejetons catégoriquement toute participation du peuple bulgare à la guerre générale européenne, de quelque côté qu’elle vienne, à toute aventure susceptible de provoquer une telle participation. » La résolution « exprime sa communion d’idées et sa solidarité avec les prolétaires des autres pays balkaniques, elle affirme que ceux-ci, unis dans une Fédération balkanique, se révéleront être le seul facteur capable, au moyen de la lutte de classe, de réaliser la République démocratique fédérative balkanique. »

Nous lisons dans l’organe du parti Rabotnitchevsky Viestnik du 4 (17) septembre, sous le titre « Devant le moment fatidique » : « La clique capitalo-chauvine au pouvoir ne veut pas que le peuple bulgare vive en paix ; elle ne peut attendre que soient cicatrisées ses blessures ouvertes encore, après la catastrophe d’il y a deux ans… »

« Nous, sociaux-démocrates, avons accompli notre devoir dans la mesure de nos moyens. Si notre voix n’est pas entendue, si le pays, en dépit de tout, est entraîné dans l’incendie mondial, nous ne désespérons pas… Nous conservons un esprit combatif inflexible et l’inébranlable conviction que les événements sanglants anéantiront définitivement les préjugés et les aveuglements ; qu’avec des forces sûres, nous participerons à la révolution générale qui affranchira le monde du sanglant esclavage politique et fera triompher le Socialisme. La situation actuelle ne permet pas d’autre issue : les grandes puissances s’apprêtent, avec une cruauté sans cesse accrue, à prolonger la lutte “jusqu’au bout”, et le simple bon sens ne peut admettre que les peuples attendent patiemment, à travers les horreurs actuelles, de se détruire jusqu’au dernier et de périr sous leurs propres ruines ».

Dans le numéro suivant (5-18 sept.) « Le moment fatidique » de la mobilisation libératrice a laissé de profondes traces sous forme de blancs imposés par la censure.

« Nos réunions, écrit Rabotnitchevsky Viestnik, ne sont pas permises, nos affiches et nos tracts sont confisqués, nos orateurs et nos propagandistes sont pourchassés, battus et arrêtés, les télégrammes à l’adresse de notre journal protestant contre l’aventurisme et réclamant la paix, sont retenus. »

Il est plausible que la presse bulgare soit interdite ; en tout cas, elle a cessé de nous parvenir, de même que Naché Slovo que nos confrères bulgares citaient fréquemment a cessé de leur arriver. Si un heureux hasard leur met ces lignes sous les yeux, nous les prions de croire que nous défendons leur honneur contre les mensonges des agences officieuses, les calomnies de la presse bourgeoise, les accusations et les louanges du social-patriotisme, que nous ne doutons pas, une seule minute, de leur courage révolutionnaire et de leur fidélité socialiste, que nous sommes convaincus que, tout comme eux, à leur instar, une place dans l’élan révolutionnaire sans cesse croissant !

(Naché Slovo, 12 octobre 1915).

Second nouvel an[modifier le wikicode]

Quand à Paris, en septembre 1914, se créa le quotidien socialiste russe sous le nom de Goloss, personne ne s’imaginait alors qu’il fêterait le Nouvel An pour la deuxième fois.

La guerre éclata de façon inattendue (après de longues… attentes), avec elle se déclencha la crise catastrophique du Socialisme ; tout ce qui était stable balançait et, au beau milieu de cette instabilité, se maintint un petit journal russe fondé par un petit groupe d’émigrés russes sans argent et coupés de tout lien avec la patrie, et cela aux heures les plus critiques de la vie de Paris. Le journal tenait le coup. Par quels hasards ? Nous-mêmes nous nous demandons si ce n’est pas une énigme. Le journal se trouvait au bord de la faillite et… survivait.

Le journal attaquait la guerre et, avant tout, la soumission des socialistes au militarisme. Les « esprits sains », c’est-à-dire les philistins, ceux qui ramènent l’Histoire à une question de comptabilité, avaient devant eux le plus bel exemple de « l’irréalité » de notre position. D’un côté, vous aviez un État puissant qui enfournait des milliards et des milliards dans la gueule béante du militarisme, avec la participation de tous les partis et la pathétique approbation des plus hautes autorités socialistes. Vous aviez, d’autre part, une petite bande — avec une caisse de quelque dix francs — publiant pour un public d’émigrés nécessiteux. Les uns disaient : « Le journal ne pourra pas tenir. » Les autres renchérissaient : « Quelle signification peut avoir, à présent, un journal d’émigrés ? » Mais le journal tenait ! Il devint un secteur indispensable de la vie intellectuelle dans l’emprise sans cesse croissante du Socialisme international.[3]

La République nous opposa sa censure. On voulait arriver à nous faire penser et rédiger comme L’Humanité. Alors que le « Kaiser » était la préoccupation de toute la presse, la censure républicaine nous imposa le choix suivant au sujet des « cousins » de l’empereur — comme quand il s’agit de défunts : ou l’on se tait, ou l’on parle bien d’eux. Nous prîmes le premier parti.

Il nous était interdit d’irriter les ministres français et les gouverneurs russes. Mieux encore : la censure prit le Parti socialiste sous son aile et nous défendit de parler de la trivialité intellectuelle du Socialisme que proclame Renaudel. Nous ne pouvions reproduire les discours des députés sociaux-démocrates de la Douma, pendant des semaines nous n’osâmes pas imprimer le nom de Zimmerwald, et actuellement nous n’avons pas le droit de publier les résolutions des groupes de notre pari au-delà des frontières. Le journal paraissait souvent avec toute une série de lignes blanches — et que le lecteur me croit ! — les passages qui ressortaient blancs des laboratoires de la censure, n’étaient pas les plus mauvais !

Dans tous les cas où naissait un doute, la censure tranchait en notre défaveur ; à quoi bon faire des cérémonies avec un journal d’émigrés et… en russe par-dessus le marché !

S’ajoutait à cela une persécution ouverte ou larvée de la part des sociaux-patriotes. Fatigués de leur long isolement, de larges cercles de l’Intelligentsia recoururent à la guerre comme un moyen favorable pour passer d’une rive à l’autre. La haine des transfuges vis-à-vis de Naché Slovo était d’autant plus forte (plus venimeuse) que le journal leur rappelait la profondeur de leur abaissement. Il n’y avait pas d’insinuation à laquelle ne recourait leur impuissance intellectuelle. À certains moments, de véritables nuées de calomnies entouraient notre publication et les noms de nos amis.

Nous devons ajouter, enfin, que tous nos collaborateurs du premier jour ne nous suivirent pas jusqu’à la fin. La guerre s’éternisait, « désenchantant » certains sociaux-patriotes, mais provoquant une crise dans le Socialisme, fatiguant et épouvantant certains Internationalistes. La lutte prit le caractère d’un siège de longue durée. Sur les deux fronts ennemis, certains éléments étaient enclins aux pourparlers, au rapprochement. L’intransigeance de Naché Slovo ne pouvait paraître que gênante et dangereuse à ces semi-camarades. S’il y a bien une guerre qu’il faut mener jusqu’au bout, c’est celle avec les falsificateurs nationalistes du Socialisme. Si une « paix pourrie » est dangereuse et mortelle, il en est de même pour nous, par rapport à ce Socialisme qui a capitulé si honteusement devant les gouvernements impérialistes.

Nous nous souhaitons, ainsi qu’à nos amis, l’intransigeance révolutionnaire au seuil de cette année qui sera pour nous l’année de la continuation de la lutte. Ne nous berçons d’aucune illusion devant la gravité des problèmes à résoudre. Mais nous savons qu’à l’expiration d’une année, l’ennemi est plus faible, et nous, plus forts. Cela est assez pour justifier et renforcer notre optimisme révolutionnaire.

Bonne année, amis lecteurs, et en Avant !

(Naché Slovo, 1er janvier 1916).

Premier mai (1916)[modifier le wikicode]

Nous sommes plus forts, cette année ! Voilà ce que peuvent se dire les socialistes internationalistes, le jour du Premier Mai. Après la catastrophe du 4 août 1914, après le silence des premiers mois de la guerre, après le fléchissement du Socialisme — du moins, ce que nous appelions Socialisme jusqu’au 4 août 1914, — commencèrent les premiers mois de dégrisement, d’éveil et de rassemblement des forces. Le Premier mai de l’année dernière a pu coïncider avec une époque de profond abaissement de la conscience révolutionnaire — et les journaux bourgeois pouvaient, sur un ton de mépris protecteur, constater la mort de l’Internationale. Cette satisfaction n’est plus, cette année, qu’une coquille vide qui va s’emplissant de trouble. C’est que la Conférence de Zimmerwald a eu lieu ! Elle n’a été possible que grâce à l’éveil de l’agitation révolutionnaire sur le flanc gauche des partis officiels. Elle a donné à ce processus un drapeau et les premières formes d’organisation.

***

Dans la société, où la base de la vie — la production — n’est pas organisée, les relations sociales croissent en fin de compte en dépit des personnes ; en ce sens la guerre n’est que la plus haute expression de l’anarchie et de la démence du système ; si, au début, la guerre entrait dans les plans bien prémédités et les calculs des possédants en tant que « prolongation de la politique par d’autres moyens », l’année dernière, les suites de la guerre sont passées par-dessus la tête des classes dirigeantes. Celles-ci ne sont représentées dans tous les pays que par des nullités, comme si ce fait voulait souligner l’impuissance spirituelle de la classe bourgeoise devant ces événements qu’elle a provoqués par son activité incontrôlable, mais aveugle. Le prolétariat constitue une fraction de cette société fondée sur l’anarchie, société dont les destinées s’échappent de ses mains. Le Socialisme prévoyait théoriquement la guerre et devinait ses conséquences sociales dans ses grandes lignes. Mais quand la guerre éclata, elle apparut aux masses travailleuses, non comme un événement historique conforme aux lois de l’Histoire, non comme un phénomène politique de la société capitaliste qui leur est hostile, mais comme une catastrophe extérieure menaçant la « nation ». Le désarroi provisoire des masses devant cette explosion sanglante de l’anarchie capitaliste, ne donna aux classes dirigeantes le sentiment de confiance en elles-mêmes que le jour où elles se rendirent compte que les organisations internationales prolétariennes, en ne comprenant pas le sens des événements, se ralliaient au pouvoir comme s’il s’agissait d’un incendie ou d’un tremblement de terre, c’est-à-dire d’une catastrophe mécanique extérieure. Dans cette alliance « défensive » avec le pouvoir capitaliste, était contenue la plus grande négation politique et idéologique que l’Histoire n’ait jamais connue. Mais cette volte-face ne possédait pas des formes idéologiques telles que le prolétariat eût pu se rendre compte de son abaissement. Les publicistes et les théoriciens de l’Internationale firent tous leurs efforts pour que le sens du Socialisme descendit jusqu’au niveau de son rôle politique. Le Premier Mai dernier est un tableau humiliant de ce processus de dégradation, de chute et de trahison. La presse social-patriotique expliqua au prolétariat, dans toutes les langues européennes, que le Premier Mai — journée de protestation contre le militarisme — devenait, cette fois, un jour d’apothéose nationale. Cette explication ne rencontra, pour ainsi dire, aucune résistance…

***

La libération du prolétariat des préjugés, d’abord féodaux et religieux, puis libéraux et bourgeois, s’accomplit lentement. Partout le socialisme est devenu pour la classe ouvrière le drapeau de sa libération spirituelle et le héraut de sa libération matérielle. Il a reporté sur son organisation de classe la faculté de dévouement — mais en pleine conscience ! — dont il faisait preuve envers la religion et la patrie. Mais la société bourgeoise réussit à égarer le prolétariat grâce à l’idée de patrie. Cela se, fit à une échelle et dans des formes que personne ne pouvait prévoir. Après que le pouvoir eût mobilisé les masses matériellement et spirituellement, la contre-mobilisation internationale se déroula plus lentement que nous ne le voulions. Le social-patriotisme est l’agent direct de cet état de choses, car en s’appuyant sur le pouvoir et en disposant des ressources du mensonge et de la tromperie, il mène une lutte acharnée pour sa propre conservation. Mais le motif fondamental provient de la profondeur de la crise qui doit mûrir dans la conscience du prolétariat avant de trouver son expression dans l’action. Le problème posé par les événements au prolétariat ne peut être résolu qu’en tant que problème d’action. Les événements ont fait s’effondrer la IIe Internationale, mais ils peuvent se terminer par la chute des bases de l’ordre bourgeois. Pour le parlementaire et le publiciste socialiste, le changement d’attitude se traduit, le plus souvent, par « la non-acceptation de la guerre » (ils esquivent toute responsabilité), — et cela se borne là, — mais pour une classe tout entière, la contre-mobilisation est un problème d’action révolutionnaire. La compréhension de ce fait est à la base de la lutte que se livrent les Internationalistes et les sociaux-patriotes alliés au militarisme. Le pacifisme est, pour les autorités socialistes épouvantées par le cours des événements, une solution de passivité attentiste. Il est pour les masses une période de réflexion, une étape sur le chemin qui conduit de l’esclavage du patriotisme à l’action internationale.

***

La contre-mobilisation, répondant au problème historique suprême, va plus lentement que nous l’aurions voulu, mais son déroulement méthodique ne peut donner de prise au scepticisme. Le dernier manifeste (février) de la Commission internationale socialiste (Berne) dépeint l’éveil croissant de la prise de conscience des prolétaires et signale les protestations élevées dans tous les pays d’Europe. Nous sommes incomparablement plus forts, cette année ! À l’exception de la Russie, où le social-patriotisme a fait de grands progrès dans les couches prolétariennes, à peine éveillées par la guerre, et, dirait-on, s’est encore renforcé — dans tous les autres pays d’Europe, l’année passée a été le témoin de l’affaiblissement du social-patriotisme, de la baisse d’autorité de ses chefs, du mécontentement croissant et de l’augmentation de l’opposition consciente. Jamais dans l’histoire du mouvement ouvrier, la dépendance du socialisme révolutionnaire dans un pays par rapport à son action et ses succès dans un autre, n’a été si visible et si vivement ressentie qu’à cette période d’éclatement des relations internationales et de déchaînement du chauvinisme. Ainsi s’édifie le fondement inébranlable de la IIIe Internationale en tant qu’organisation de masses, s’apprêtant à une lutte décisive contre la société bourgeoise. Nous sommes devenus plus forts ! L’année prochaine, nous serons encore plus forts ! Personne, rien, ne pourra arrêter la croissance de nos forces ! (Naché Slovo, 1er mars 1916).

Dans la lutte pour la IIIe Internationale[modifier le wikicode]

Quand Morgari se rendit à Paris, le printemps dernier, pour rétablir les relations internationales, il exigea, avant tout, de Vandervelde la convocation du bureau socialiste international. Vandervelde lui répondit par un refus catégorique : « Tant que des soldats allemands occupent la Maison du Peuple en Belgique, il ne peut être question de convoquer le Bureau. » — « Ainsi l’Internationale est un gage déposé entre les mains de l’Entente ? », demanda Morgari ? — « Oui ! », répondit Vandervelde. — « Un gage de droit et de justice », expliqua Renaudel qui, du riche répertoire rhétorique de Jaurès avait retenu quelques formules à son profit. Alors, Morgari en vint à une proposition plus modeste : la convocation à une Conférence des partis socialistes des nations neutres (rappelons, qu’à cette époque, l’Italie était encore neutre). Le Président de l’Internationale formula un refus catégorique. Morgari, en tant que représentant du Parti italien, entreprit — avec l’accord des camarades russes et suisses — les préparatifs nécessaires à l’établissement d’une Conférence internationale, malgré et contre la volonté des sociaux-patriotes. C’est ainsi que naquit Zimmerwald.

Un an et demi après, Huysmans entre en scène. Il propose la convocation du Bureau international. Il fait le voyage « de propagande » à Londres et à Paris, ne rencontre pas d’obstacle de la part des gouvernements éclairés des deux démocraties occidentales, a des entretiens avec les partis officiels et l’opposition, retourne à La Haye et y déclare, que le Bureau international ne sera pas convoqué, mais que le 26 Juillet, se tiendra une conférence des partis « Neutres ». Il fallut tout un an à Huysmans pour s’approprier ce « programme minimal » que Morgari avait soumis à l’attention de Vandervelde.

Mais cette année, l’idée d’une Conférence des neutres avait perdu tout sens. D’abord, l’Italie et la Bulgarie étaient passées dans les camps belligérants. Puis Zimmerwald eut lieu dans le courant de l’année. Les partis roumains et suisses participèrent à Zimmerwald. La séparation se faisait, en Suisse et en Hollande, entre les sociaux-patriotes et les Zimmerwaldiens. Si la Conférence des neutres devait avoir lieu — on ne pourra en être sûr que dans quelques semaines —, elle pourra seulement constater que la neutralité ne peut rien créer de commun entre les Internationalistes et les sociaux-patriotes. L’on pourrait déplorer les difficultés de voyage que rencontreraient les partis neutres, si les détours de la route ne les conduisaient pas à… Zimmerwald (pour certains d’entre eux du moins). Plus le point de vue zimmerwaldien sera clairement opposé à celui de La Haye, plus vite sera accompli le voyage circulaire qui mène à Zimmerwald.

Huysmans exposa dans son manifeste les motifs du refus concernant la convocation du bureau : les Partis français et anglais ne veulent pas en entendre parler, pas plus que d’une campagne internationale pour la paix. « Non pas qu’ils ne veulent pas la paix, explique Huysmans avec un bon sens étonnant, mais ils ne veulent pas d’une paix prématurée. » Et comme l’Internationale reste un « gage de droit et de justice », Huysmans propose de se contenter de l’Internationale restreinte des neutres. Puis il se permet de donner une leçon de morale aux Zimmerwaldiens, « ces camarades impatients », qui ont osé sauter par-dessus les frontières et les cordons policiers et aussi… par-dessus la tête de Huysmans ! Quelle attitude peut être plus lamentable et plus honteuse que celle d’un Secrétaire de l’Internationale recommandant la patience et le silence aux socialistes qui renouent les liens internationaux, et ce, après vingt-deux mois de guerre ! De surcroît, Huysmans considère Zimmerwald comme une intrigue… russe. (Il parle des méthodes schismatiques des socialistes dans ce pays, où « il n’y a pas encore de démocratie ».) Pour son esprit bureaucratique borné, il faut soutenir Renaudel contre Longuet et Bourderon, Scheidemann contre Haase et Liebknecht. Contre sa volonté, mais de façon plus frappante encore, Huysmans désavoue les Laskine français et russes qui ne sont pas loin d’attribuer Zimmerwald aux menées de Bethmann-Hollweg.

Les premières nouvelles qui nous parviennent disent que les Zimmerwaldiens ont résolu de faire convoquer le Bureau, que cela plaise ou non aux Français et aux anglais. Nous ignorons en quels termes cette résolution est formulée, ni quelle majorité l’a adoptée[4]. Ce n’est pas une surprise pour nous. Cela signifie que pour beaucoup le chemin de Zimmerwald n’est qu’une étape forcée sur la route de La Haye. En d’autres termes, beaucoup de Zimmerwaldiens regardent le rétablissement de la IIe Internationale comme le problème actuel. Ils veulent la rétablir telle qu’elle était jusqu’au « malentendu » ou « la catastrophe » du 4 août. D’aucuns appuient l’idée de Haase par des conceptions idéologiques. Nous ne tenons ni pour les uns, ni pour les autres. Nous regardons avec une méfiance totale les utopies bureaucratiques de rétablissement d’une organisation dans le genre de la IIe Internationale. Nous ne reconnaissons que la voie organiquement révolutionnaire : l’épanouissement et l’union de groupes initiateurs, d’organisation et de partis prolétariens, sur les bases de nouvelles méthodes et de nouveaux problèmes. Plus exactement : nous voulons adapter les vieux principes aux conditions et aux questions de notre époque. Comme nous ne convertissons pas la politique en pédagogie pour arriérés, nous aurions pu voter contre la demande de la convocation du Bureau. Cette résolution ne nous effraie nullement : elle caractérise le niveau du mouvement. Il faudrait donner aux cadres zimmerwaldiens, pour qu’ils trouvent le chemin menant à la IIIe Internationale, la même expérience que dut acquérir le Comité central du Parti Italien incarné par Morgari. Nous, Internationalistes, révolutionnaires, conservons la même position indépendante et critique envers les Internationalistes passifs, les pacifistes, les organisations restauratrices qui se dirigent de notre côté ; nous les aiderons, ainsi que les masses qui leur sont proches, à franchir la période d’indécision, de recherches, de regards en arrière et d’hésitation entre La Haye et Zimmerwald, pour déboucher sur la grande route de la révolution qui conduit au pouvoir.

(Naché Slovo, 10 mars 1916).

Le jubilé de « Naché Slovo »[modifier le wikicode]

Modeste jubilé que celui de Naché Slovo — et pourtant cinq cents numéros pour une publication d’outre-frontière, c’est incontestablement une date de jubilé ! Elle coïncide presque avec la seconde Conférence de Zimmerwald.

Ce qui se passa avant la guerre nous semble enseveli profondément dans le passé. La nouvelle Histoire de l’humanité débute le 4 août 1914. Les choses et les gens, les idées et les institutions nous semblent avoir une double physionomie : l’une, la vraie, jusqu’à la guerre ; l’autre, qui s’est formée pendant la guerre. Ceci s’applique, en premier lieu, à l’idée et à l’institution auxquelles est lié notre travail et auxquelles se rattachent nos espérances et notre vie, ce qui donne la peine d’être vécu : nous parlons du Socialisme et de Zimmerwald.

Jusqu’à cette date du 4 août, le Socialisme est l’organisation indépendante de la classe la plus digne d’attention et la plus opprimée ; le Socialisme est un travail inlassable de propagande, l’opposition incessante à l’oppression, à la violence et à l’exploitation — particulièrement à celles qui se joignent au militarisme capitaliste. Plongeant profondément ses racines dans les couches les plus arriérées, intéressées par des tâches prosaïques et quotidiennes, le Socialisme, cimenté par l’esprit créateur et idéaliste de la jeune classe, apparaît comme un défi à la société bourgeoise, comme le héraut des mondes futurs. Ce tableau su Socialisme, dont le principal trait était la fierté de la masse tendue vers un idéal, perdit ses couleurs, se défit à la lueur de l’écrasante catastrophe du 4 août 1914. Les chefs élus et reconnus du mouvement ouvrier, eux qui avaient été élevés à une si grande hauteur grâce aux sacrifices de deux générations de travailleurs, contrairement à ce qu’ils avaient appris et enseigné, s’agenouillèrent — à l’heure d’une épreuve historique, — devant le pouvoir et, en contradiction avec la lettre et l’esprit du programme, appelèrent les travailleurs à verser leur sang pour le Capital. Ces actions et les commentaires qui les accompagnaient semblaient incroyables, fantastiques par la logique même de leur indépendance envers le Socialisme. Pourtant, ils éclairaient, de manière frappante, la nouvelle physionomie du Socialisme. Le premier réflexe fut l’incrédulité ; le second, la résistance. Mais beaucoup conservaient l’espoir qu’il ne s’agissait que d’un malentendu provoqué par la panique et renforcé par la presse bourgeoise, que cette crise serait passagère, tout comme la guerre. Ce fut dans cette atmosphère que naquit Goloss, voix de la résistance, de la protestation et de l’espoir.

Mais la crise ne cessait pas ; au contraire, elle augmentait, prenant des formes plus significatives et par là même, plus abaissantes. Au sentiment de trouble qui sauvait du désespoir, se joignit la nécessité de comprendre les causes historiques de la crise. De même que le Marxisme nous a enseigné que la guerre n’est que le produit combiné de forces préparées par le développement du Capitalisme de l’époque précédente, de même il exige que nous découvrions dans la trahison des organisations ouvrières, l’action des tendances déposées dans le Socialisme par les conditions et le travail des années précédentes. La critique rétrospective et l’autocritique sont les conditions indispensables à notre nouvelle orientation. C’est seulement pour le quiétisme courant que comprendre signifie « pardonner ». Du point de vue de la dialectique révolutionnaire, comprendre signifie trouver l’appui objectif pour une contre-réaction révolutionnaire. Nous ne sommes pas écartés, une seule minute, de notre méthode et n’avons jamais songé à remplacer par le seul processus historique de ces forces qui s’exercent pour et contre nous. Si, nous autres, Internationalistes révolutionnaires, minorité insignifiante au début, avons osé élever la voix contre les puissantes organisations ouvrières et leurs dirigeants émérites, c’est parce que nous avons puisé dans nos études théoriques la conviction profonde que les forces de développement capitaliste, qui ont conduit la Socialisme à la déroute, amèneront inéluctablement à une tension extraordinaire des contradictions de classes, déboucheront sur l’écrasement implacable des illusions nationales et réformistes pour finir sur des convulsions sociales d’une ampleur jamais encore atteinte. Les derniers numéros de Goloss et les premiers de Naché Slovo furent consacrés à l’analyse des causes de la guerre et à l’explication des perspectives historiques.

L’effondrement du Socialisme officiel se fit de plus en plus sensible et profond. Rien ne justifiait les calculs passivement optimistes suivant lesquels les organisations socialistes pourraient, sous la pression de la guerre et de ses conséquences, reprendre le chemin de la lutte révolutionnaire. Au contraire, les partis les plus influents de la IIe internationale, en lutte pour leur propre survivance, se posèrent le problème : comment agir contre l’influence « révolutionnisante » de la guerre. La nécessité vint d’elle-même — avec, simultanément l’estimation de la théorie et de la pratique social-patriote de rassembler, à l’échelle internationale, les éléments d’opposition et les initiatives révolutionnaires. Ce travail préparatoire à la première Conférence internationale dura tous les mois de l’été de l’année écoulée.

Il creuse plus profondément encore le fossé entre les Internationalistes et les sociaux-patriotes, mais il dévoile des divergences dans le camp des premiers. Sur le flanc gauche se groupent les pacifistes et les Internationalistes passifs dont le programme est caractérisé par le slogan : statu quo ante bellum, le retour à la tactique d’opposition formelle à l’intérieur du pays, le retour à la IIe Internationale telle qu’elle était jusqu’à la guerre, enfin, le retour aux anciennes frontières européennes (la guerre sans annexions). L’internationalisme passif, pour qui la guerre est une catastrophe extérieure, préfère se comporter lus diplomatiquement envers le social-patriotisme qu’envers l’expression « provisoire » de la catastrophe extérieure.

Pour l’internationalisme révolutionnaire, sous le drapeau duquel combat Naché Slovo, la guerre n’est pas seulement une « catastrophe », mais un fait historique qui accélère notre développement social et élève le mouvement ouvrier sur une plate-forme plus haute, où l’alternative de principe — Impérialisme ou Socialisme — est placée devant le prolétariat comme le problème de l’action directe révolutionnaire. De ce point de vue, nous nous posons le problème du « programme mondial », non comme celui d’un retour à l’Europe d’hier, programme utopique et conservateur que nulle force ne pourrait ressusciter, mais d’un programme indépendant, révolutionnaire, que l’Histoire fait déboucher sur la lutte directe pour la conquête du pouvoir. La contradiction entre les Internationalistes passifs et les Internationalistes révolutionnaires trouve son expression frappante dans le slogan du rétablissement de la IIe Internationale (sur un pôle) et la lutte pour la IIIe Internationale (sur l’autre pôle). La Haye et Zimmerwald !

Sous l’étendard de la IIIe Internationale, notre journal estime que notre position n’a rien de commun avec un refus de l’héritage socialiste du passé. Seule une estimation critique de cet héritage, après que nous aurons écarté tous les éléments de possibilisme et d’étroitesse nationaliste, nous rendra les héritiers incontestables du travail socialiste inestimable réalisé par les générations précédentes, travail que nous continuerons jusqu’au bout. Car la IIIe Internationale devra non pas abolir la loi, mais la faire respecter.

Pendant nos préparatifs de la Conférence de Zimmerwald, Naché Slovo dut mener une lutte idéologique contre les extrémistes qui, combattant implacablement les sociaux-patriotes, cherchent contre eux des garanties fictives dans l’ignorance des questions politiques et nationales créées par la guerre, dans l’exagération des slogans « « la défaite russe, c’est le moindre mal », « pas de lutte pour la paix, mais guerre civile ») et se distinguent des autres nuances de l’Internationalisme.

Naché Slovo fut privé de la possibilité de participer à la seconde Conférence de Zimmerwald. Il nous reste à en étudier de façon critique la résolution, la popularisation de celle-ci et son interprétation. Nous appliquerons à ce travail les mêmes méthodes que nous avons employées jusqu’ici.

Tout témoignage dans ce sens qu’avant de livrer à la bourgeoisie « le dernier et décisif combat », le prolétariat devra nécessairement lutter intérieurement pendant longtemps et épurer les rangs du parti. Nous avons l’espoir que notre journal continuera à servir la cause du Socialisme révolutionnaire. Nous comptons fermement sur la sympathie et l’appui actif de nos amis.

(Naché Slovo, 16 mars 1916).

Dates[modifier le wikicode]

Jetons un coup d’œil en arrière. Le 4 août, les organisations prolétariennes, dont le problème essentiel était de renverser la Capitalisme, devinrent, d’un seul coup, les meilleurs auxiliaires du pouvoir capitaliste. Les gouvernements des nations en guerre ne doivent qu’à cette circonstance le fait d’être encore en place. Mais l’Internationale a perdu plus de forces que n’en ont gagnées les gouvernements nationaux. Le profond processus interne démolit les anciennes organisations ouvrières et prépare des groupements nouveaux des forces révolutionnaires du prolétariat. Quel caractère aurait pris le mouvement socialiste européen si la guerre s’était terminée après trois ou quatre mois ? (On l’espérait, surtout en Allemagne.) Si les conséquences de leur collaboration se fassent sentir, que se serait-il passé ? Il est trop difficile à l’heure actuelle d’émettre là-dessus des suppositions. Mais la technique du militarisme contemporain et le rapport de forces entre les deux camps a rendu la guerre désespérément longue : la « puissance » e la « faculté d’adaptation » de la société capitaliste se sont, alors, dévoilées (les socialistes sont seuls à en parler) ; on découvre l’impasse de l’impérialisme et l’incompatibilité du social-patriotisme avec les intérêts de la classe ouvrière. Les contradictions de l’Impérialisme et du Socialisme ne se révèlent que lentement, car le pouvoir a exproprié, à son profit, les principaux organes politiques du prolétariat. Ce dernier ne peut formuler son attitude envers la guerre que par le complet désarroi de ses membres, dans les conditions imposées par la dictature militaire et, c’est le point principal, contre la volonté de ses propres organisations pourvues de toute l’autorité de la IIe Internationale. Il fallait citer toutes ces conditions historiques pour bien faire comprendre la longueur du processus auquel nous attachons l’avenir du Socialisme.

La première Conférence de Zimmerwald n’a pu avoir lieu que le treizième mois de la guerre. En dépit du fait que les participants avaient un an de guerre derrière eux, des représentants de sections nationales importantes, en France et en Allemagne — elles ne furent pas les seules — continuèrent à penser que la crise de l’Internationale n’était qu’une conséquence provisoire de la guerre l’Internationale n’était qu’une conséquence provisoire de la guerre et se terminerait avec elle. Ils ne voyaient qu’un but dans la Conférence : se renseigner et s’assurer d’un appui mutuel pour agir sur leurs partis respectifs ; ceux-ci devaient être prêts, pour la fin des hostilités, à rétablir l’Internationale. Chaque tentative d’opposer l’épreuve de la guerre à l’héritage spirituel de la IIe Internationale et de souligner la tactique prolétarienne à l’époque des guerres impérialistes, rencontrait la résistance acharnée des « conservateurs » à bonne conscience, qui voyaient dans ce genre de critique des complications sur le chemin du statu quo ante bellum. L’idée d’une résolution programmée tactiquement était rejetée par la majorité qui attribuait une grande importance à ce que Ledebour appelait die Vermittelungstelle (le Bureau provisoire de transmission).

Huit mois s’écoulèrent entre les deux Conférences. Les progrès accomplis au cours de ce laps de temps furent incontestables. Mais ces succès étaient, pour la plus grande part, acquis dans la lutte intérieure. Ils étaient modestes et épisodiques en ce qui concerne les masses. Les éléments révolutionnaires de la première Conférence avaient élaboré leur tactique en comptant sur ces succès. Ainsi en considérant objectivement la situation du mouvement ouvrier, il semblait que tout marchait le mieux du monde pour l’aile droite, c’est-à-dire les sociaux-pacifistes, les internationalistes passifs et les « Fabius Conctator » de l’organisation (temporisateurs). La seconde Conférence représenta un grand pas en avant dans la critique de l’héritage de la IIe Internationale et l’élaboration d’une conception social-révolutionnaire définitive.

Outre le manifeste, qui exigeait de façon catégorique le refus de voter les crédits militaires, la Conférence formula deux résolutions : l’une, de caractère tactique et programmé (« Les thèses du prolétariat par rapport aux problèmes mondiaux »), et l’autre, consacrée au Bureau socialiste international (Huysmans and Cie).

Que la résolution programmée ait été adoptée à Kienthal signifie la cassure avec l’opinion prévalant à Zimmerwald. La majorité de la première Conférence avait allégué que le principal problème ne consistait pas à bâtir les fondements de la IIIe Internationale. Ainsi, Martov, membre de la majorité zimmerwaldienne, écrivait dans Naché Slovo que la Conférence avait allégué que le principal problème ne consistait pas à bâtir les fondements de la IIIe Internationale. À la deuxième Conférence, les mêmes éléments, dont Martov exposait le point de vue si borné, devaient reconnaître que le problème ne consistait pas en la restauration du passé, mais qu’un examen critique et l’élaboration des « principes généraux d’activité » étaient indispensables. Il est vrai que les Izvestia, dont Martov est membres de la rédaction, écrivent, en approuvant, « que la Conférence de Kienthal n’apparaît pas et, suivant la majorité des participants, ne doit pas être une étape de la construction de la IIIe Internationale ». La rédaction oublie d’ajouter qu’à l’époque de Zimmerwald (y voyant — non sans raison un travail « d’édification de la IIIe Internationale ») elle refusait l’élaboration de la résolution de principe que, maintenant, à Kienthal, elle est obligée — bien qu’en termes sibyllins — de saluer comme un pas en avant.

Qu’en est-il du refus de la Conférence d’organiser une étape sur le chemin qui conduit à l’édification de la IIIe Internationale ? Cette question trouve sa réponse dans la résolution adressée au Bureau de La Haye. Celle-ci soumet la politique de Huysmans à une critique impitoyable et refuse d’exiger la convocation di bureau international. Elle reconnaît le droit aux différentes Sections nationale de demander cette convocation. C’est souligner plus vivement encore — il est impossible de défendre aux Sections les plus arriérées de faire un nouveau pas de clerc — que la Conférence ne pense nullement que le chemin de l’Internationale passe par La Haye et qu’elle décline toute responsabilité quant au choix de ce chemin. Martov peut bien conclure (dans son article « Kienthal » dans les Inf. Listka du Bund) que la résolution reconnaît « la possibilité de créer l’Internationale sans cassure avec l’organisation », nous ne nous intéressons pas à cette possibilité hypothétique. Ce qui est important pour nous, c’est le refus pratique et combatif exprimé par la Conférence de lier le rétablissement de l’Internationale à « l’appareil légal » du bureau international. Ceci signifie — il ne peut en être autrement — que l’appareil zimmerwaldien, représentant les seules relations réelles internationales entre les travailleurs, a résolu le problème posé par le « Bureau provisoire des transmissions ». Il s’agit de travailler indépendamment à fonder la IIIe Internationale, en luttant directement contre ceux qui gouvernent la IIe Internationale et parlent en son nom.

Kienthal a souligné, en principe, la victoire de l’Internationalisme révolutionnaire. La réalisation de cette victoire dépend du tempo du mouvement des masses.

(Naché Slovo, 6 juillet 196).

Deux ans : L’Europe entre en sa troisième année de Guerre[modifier le wikicode]

Les journaux français constatent que la presse allemande a baissé le ton — ce n’est pas judicieux. Le bloc central n’a résolu ses problèmes sur aucun front. Mais le commentateur du Bonnet Rouge auquel on ne peut nier un jugement sain en ce qui touche les opérations militaires, constate avec raison que les articles rassurants de la presse française à l’occasion du second anniversaire de la guerre, adoptent un autre ton. Même Hervé, dont le succès commercial est dû à son « optimisme robuste », a jugé indispensable de rappeler que l’Allemagne possède soixante-neuf millions d’habitants contre trente-neuf millions de Français et que l’appel de chaque nouvelle classe concerne un demi-million d’Allemands et seulement deux cent mille Français. Si le sort de l’offensive anglo-française en juillet a de nouveau renversé les calculs des imbéciles et les prophéties des charlatans, les chiffres significatifs cités par Hervé apportent les corrections indispensables à la théorie passive de l’épuisement du matériel humain en Allemagne. Bien sûr ! Les réserves d’hommes anglaises et russes rendent optimistes les critiques militaires de l’Entente. Mais on peut y opposer la supériorité technico-industrielle incontestable de l’Allemagne. L’insuffisance en produits alimentaires est indubitable en Allemagne et se traduit par de sévères mesures de rationnement. Mais cette réglementation met l’Allemagne à l’abri de toute surprise, de ce côté-là. En même temps nous voyons en Russie des dizaines de villes soumises au rationnement. Mais ce système possède tous les défauts de son équivalent allemand, sans en avoir les qualités.

« Point n’est besoin d’être un fanfaron ou un optimiste indécrottable, — ainsi s’exprimait Ribot au printemps de cette année, — pour percevoir la proximité de la paix. » Depuis cette déclaration, plus de quatre mois se sont passés, — et le Temps parle, dans un article, « de jubilé » de la paix française qui sera conclue en 1917. Nous avons donc l’annonce officieuse qu’une seconde campagne d’hiver est inévitable.

En Allemagne, la prolongation sans issue de la guerre n’a pas amené les fauteurs de guerre à se repentir, bien au contraire ! Les polémiques autour de la question des annexions indiquent clairement la peur des dirigeants de revenir à la maison, les mains vides. O pourrait traduire en français de nombreux articles officieux de la presse allemande — et vice-versa.

La puissance du pouvoir capitaliste a subjugué de larges cercles socialistes et a frappé de pessimisme stérile de nombreux éléments qui ne se posaient pas formellement en ennemis de classe. L’appareil qui devait exprimer la volonté de l’opposition, le Parti socialiste et les syndicats, est en pleine faillite. Mais cet écroulement prouve le profond processus intérieur des masses. A-t-on des exemples du passage des organisations ouvrières au social-patriotisme ? Nous n’en connaissons aucun. Le processus inverse s’observe de toutes parts. Suivant Hegel, il arrive un certain moment où se produit « la rupture de la graduation », — ce que nous appelons, catastrophe. Des ruptures catastrophiques se produiront inévitablement dans le processus se déroulant sous l’influence directe de l’événement le plus catastrophique, la guerre mondiale.

(Naché Slovo, 4 août 1916).

Conférence des neutres… conférence des ombres[modifier le wikicode]

De la Conférence socialiste des partis « Neutres », on ne pouvait attendre ni action décisive, ni pensée nouvelle. À l’instar de leurs gouvernements qui n’osent élever la voix ou protester, les partis socialistes des nations neutres, se sont convaincus, après la Conférence de Copenhague, de leur impuissance, et ils ont supporté la rupture des relations internationales comme leurs États supportent la guerre, c’est-à-dire, en louvoyant entre les grands du « Socialisme » et en transportant, sous le couvert du pavillon neutre, la contrebande politique, soit en faveur de l’Allemagne, soit en faveur de la France. Au sens politique, les Partis socialistes neutres ne sont que le reflet des partis des grandes puissances, mais à une échelle provinciale. Ni le suédois Branting, ni le hollandais Troelstra, qui mènent chez eux une politique purement social-patriote et hostile à Zimmerwald d’une façon virulente, ne feront époque dans l’histoire du Socialisme ? Mais la complète dépendance vis-à-vis des Partis allemand et français, eux-mêmes dépendant de leurs gouvernements, a donné à la Conférence la possibilité de devenir un fait diplomatique international. Tous ces gens ont voyagé, non pas pour ouvrir une campagne contre la guerre, mais pour préparer le terrain au rétablissement de liens diplomatiques entre les socialistes gouvernementaux des deux camps en guerre : c’est tâter le terrain pour l’ouverture de pourparlers de paix.

Il y a deux mois, la censure ne nous permettait pas — on se demande pourquoi ? — de parler du « plan » Huysmans, qui consistait en ceci : établir successivement trois Conférences — « des Neutres », « des Alliés », « des Centraux » — et leur donner la possibilité de voter trois résolutions identiques : une paix rapide sans annexion, le rétablissement de la Belgique et de la Serbie ; le droit d’auto-détermination, la liberté du commerce, la reconnaissance de la dette nationale et (comme cela se comprend !) la condamnation de Zimmerwald ; après quoi, il ne resterait plus à Huysmans et à Troelstra qu’à constater que tous sont d’accord sur les points fondamentaux et qu’il n’existe plus d’obstacle à la convocation du Bureau international (ce qui signifie l’ouverture non-officielle des pourparlers de paix). Les Longuettistes qui voient en Huysmans le Messie de l’Internationale et la majorité du Parti socialiste français approuvèrent le « plan » et le projet de Conférence, tout en se rendant compte de l’irréalité d’une telle Conférence.

Il est évident que les partis neutres, dont la Conférence constitue le premier stade du « plan », ont leurs vues et leurs buts propres. La prolongation désespérée de la guerre fait planer sur les nations neutres le danger d’une intervention des nations belligérantes ou celui d’une tentative « aventuriste » de la part du gouvernement. Les nations neutres cherchent donc à faire cesser la guerre par l’intermédiaire de la diplomatie socialiste. De plus, Branting livre une lutte sans merci aux partisans de Hoeglund ; alors que Troelstra est aux prises avec le Groupe Roland-Holst et les « Tribunistes ».

En lutte avec les Zimmerwaldiens qui s’appuient sur leurs relations internationales, il est indispensable aux sociaux-patriotes d’avoir pour eux l’autorité de la IIe Internationale. Mais les buts indépendants des Neutres sont évidemment subordonnés à leur politique envers les belligérants.

La presse française souligna le fait que la Social-démocratie allemande avait été invitée à la Conférence. La direction du parti français n’accepta pas l’invitation et la presse traita la Conférence d’intrigue de Bethmann-Hollweg, — en dépit de ce que nombre de voix francophiles se firent entendre et trouvèrent leur expression dans la résolution, alors que l’on n’entendit pas une seule voix germanophile, du moins franchement déclarée… La minorité longuettiste n’eut pas le courage d’envoyer des messages de sympathie : pour ne pas briser les cadres de la légalité, pour ne pas causer de difficultés à la majorité et, principalement, pour ne pas baisser pavillon devant Scheidemann et ses amis.

Se composant de Neutres, la Conférence ne pouvait se consoler en recherchant les « coupables ». Comme il est lamentable et mesquin de venir annoncer au prolétariat, après deux ans de guerre, que guillaume et François-Joseph souffrent de mégalomanie et ne respectent pas les traités ! La Conférence aurait dû prendre des leçons de Zimmerwald et reconnaître l’Impérialisme comme cause première de la guerre (ce qu’elle fit) mais en réduisant cette affirmation à néant, en trônant « la liberté du commerce comme voie de la paix » : comme si l’Impérialisme s’embarrassait de principes douaniers et comme si on pouvait le renverser en lui subtilisant le protectionnisme !

Reconnaissant que les empires centraux avaient laissé derrière eux une époque de victoires, Troelstra souligna le caractère de prolongation sans espoir de la guerre et la répugnance de chacun des adversaires à remporter la victoire : il conclut — et la Conférence avec lui — qu’il était indispensable de se « préoccuper » de la cessation de la guerre. Au contraire, Branting est d’avis que les puissances de l’entente prennent le meilleur ; il veut ouvrir de sérieux pourparlers de paix. D’accord avec Branting, la Conférence fit remarquer que les puissances citées avaient été attaquées. Ainsi, balançant leur « neutralisme » entre les deux camps, les diplomates neutres s’efforcèrent de gagner les cœurs de Scheidemann et de Renaudel, auxquels ils proposèrent d’échanger leurs points de vue quant à l’Alsace-Lorraine.

Que peuvent signifier les « réflexions » des Neutres, alors qu’ils ne décident pas du sort des provinces conquises et de celle qui ne sont pas encore conquises ? Que peuvent signifier leurs jugements sur la guerre, alors que d’autres la font ? Les sociaux-patriotes des pays en guerre s’apprêtent-ils à pratiquer une politique indépendante pour défendre leurs « résolutions » internationales ? Non. Les sociaux-patriotes des pays neutres l’exigent-ils ? Non. Que peuvent signifier les résolutions de la Conférence de La Haye ? Nous avons déjà répondu à cette question ; ces résolutions sont aussi importantes qu’une bulle de savon. Il ne s’agit pas d’appel au combat, mais de demandes prudentes adressées aux gouvernements belligérants par l’intermédiaire des sociaux-patriotes neutres et des pays en guerre ; n’est-ce pas le moment ? L’ombre n’a pas d’existence propre, mais d’après elle, on peut juger des mouvements du corps.

La Social-démocratie allemande salua la Conférence. C’est un symptôme. La presse bourgeoise française l’attaqua avec rage. C’est un symptôme. Mais L’Humanité, la mauvaise conscience incarnée dans le domaine de l’information, a publié un compte rendu détaillé et, semble-t-il, sincère de la Conférence. La presse bourgeoise a attaqué Renaudel, exigeant de sa part des commentaires purement français. Mais ce dernier ne l’a pas fait et a publié en entier le passage du discours de Troelstra, où celui-ci souligne que la prolongation de la guerre ne fait qu’augmenter l’influence internationale du Tsarisme. C’est un symptôme. Quoi donc ? Nouveaux souffles sur les hauteurs gouvernementales ? Ou perte d’équilibre chez les hautes sphères du Socialisme français, qui jugent bon de maintenir ouverte la porte de La Haye. Nous ne pouvons-nous livrer qu’à des suppositions proches de devinettes. Toute la portée de la Conférence des Neutres revient à une sorte de devinette, à des plans, à des mesures à envisager. C’est le verdict le plus impitoyable de cette Conférence des ombres « Neutres ».

(Naché Slovo, 20 août 1916).

  1. Nous ne reproduirons pas les articles suivants de cette série, car ils sont consacrés à une polémique passagère et qui a perdu toute signification.
  2. Les partis libéraux sont des ramifications de l’ancien parti de Stamboulov (groupes de Radoslavov, Tontchev, Gennadiev, etc.)
  3. Le journal s’est maintenu : les Internationalistes français ont indiqué, dans leur exposé à Zimmerwald, l’importance de Naché Slovo dans l’établissement des liens idéologiques avec les internationalistes des autres pays. Racovsky déclara que Goloss et Naché Slovo — aux côtés d’Avanti et de Berner Tagwacht — avaient joué un rôle immense dans l’élaboration de l’Internationalisme chez les partis balkaniques. Le Parti italien connaissait Naché Slovo grâce à de nombreuses traductions d’Angélica Balabanova. Plus souvent, cependant les deux journaux russes étaient cités par la presse allemande. Les falsificateurs bourgeois et sociaux-patriotes usaient des articles de notre journal pour accuser le Tsarisme et la république française : pour l’opposition allemande, l’organe de l’internationalisme était un frère d’armes. Le fait que Naché Slovo paraît non dans un pays neutre, mais sur un territoire « allié », qu’il soit soumis à la censure et combatte le socialisme « officiel », a pour l’opposition anti-impérialiste une grande signification.
  4. En tout cas, nous sommes sûrs que la résolution n’a rien de commun avec celle de Longuet-Bourderon « approuvant » le comportement de Huysmans.