X. La crise du socialisme Français

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Une époque s’en va[modifier le wikicode]

Aujourd’hui, le corps d’Édouard Vaillant a été incinéré.

C’est toute une époque du socialisme français qui disparaît. Le Socialisme international s’est affaibli non seulement spirituellement, mais physiquement, avec la mort de ses représentants les plus illustres. Bebel est mort pendant la Conférence de Bucarest, entre la guerre balkanique et la guerre actuelle. Je me souviens d’avoir appris cette nouvelle, dans la gare de Ploesti, de la bouche de Ghéréa, célèbre écrivain roumain ayant fui la Russie. Elle me semblait incroyable, comme celle de la mort de Tolstoï. Pour qui était lié à la vie politique allemande, Bebel en était une part inséparable. À cette époque-là, le mot mort avait une toute autre signification que maintenant. « Bebel est mort ! ». « Que deviendra la Social-démocratie allemande ? ». Je me souviens comment, il y a cinq ans, Ledebour définissait la vie de son Parti : 20 % de radicaux décidés, 30 % d’opportunistes, et le reste tenait pour Bebel.

La mort de Liebknecht était déjà un avertissement pour la vieille génération — en ce sens qu’elle pouvait quitter la scène sans avoir rempli sa mission historique. Mais tant que Bebel vivait, le lien avec la période héroïque du mouvement demeurait, et les traits non « héroïques » des dirigeants de seconde zone ne ressortaient pas aussi nettement.

Quand la guerre éclata et que les socialistes eurent voté les crédits, la question vint naturellement : qu’aurait fait Bebel en ce cas ? Mais Bebel n’appartenait plus au monde des vivants ; l’Histoire l’a enlevé de son chemin pour laisser apparaître en pleine lumière les sentiments et l’état d’esprit qui, presque invisibles mais d’autant plus insoumis, s’accumulèrent dans la Social-démocratie allemande.

Jaurès, non plus, n’était plus de ce monde. La nouvelle me frappa quand j’étais à Vienne que je devais quitter précipitamment : elle me causa une impression aussi profonde que les premiers coups de tonnerre de la guerre. Les événements s’enchaînent fatalement : la personnalité s’efface quand se produit le choc des peuples en armes, choc provoqué par des causes lointaines, indirectes, profondes et superficielles. Mais la mort de Jaurès, avertissement du heurt futur de masses innombrables, donna un cachet dramatique aux événements en marche. C’est la plus haute variante du thème antique, mais toujours actuel, de la lutte du héros et du destin. Une fois de plus la fatalité a triomphé. Jaurès est tombé, la tête transpercée de balles. Le Socialisme français fut décapité, et bientôt la question se posa : quelle sera sa place dans les événements actuels ?

Il semblerait que l’Histoire, en préparant la chute de l’Internationale, se soit facilité la tâche en écartant deux hommes qui symbolisaient le mouvement de cette époque : Bebel et Jaurès.

Bebel incarnait le mouvement obstiné et inflexible de bas en haut de la nouvelle classe. Ce vieillard sec ne semblait fait que de volonté tendue vers un but unique. Dans sa pensée, dans ses discours, dans ses écrits, il évitait les pertes d’énergie qui ne mènent pas directement au but. Il n’était pas seulement l’ennemi de toute rhétorique, mais il était absolument étranger aux fioritures esthétiques. Là, résidait la suprême beauté de son éloquence politique. Il illustrait une classe qui étudie pendant le peu d’heures libres, tient compte de chaque minute et assimile avidement ce qui lui est nécessaire.

Jaurès en était l’antithèse — tout entier — de haut vol ! Son monde spirituel consistait en traditions idéalistes, en fantaisies philosophiques, en conceptions poétiques, et il possédait autant de traits aristocratiques que Bebel de traits plébéiens. En dehors de cette différence psychologique de deux types d’homme — l’ancien tourneur et l’ex-professeur de philosophie — il existait aussi une différence profonde logique et politique de la conception du monde. Bebel était un matérialiste, Jaurès un idéaliste éclectique. Bebel était un marxiste révolutionnaire, Jaurès un réformiste ministérialiste. Mais, en dépit de ces différences, ils illustrent, à travers le prisme de la politique française et allemande, l’une et l’autre de ces positions politiques.

C’était le temps de la paix armée dans les relations internationales aussi bien que dans les relations de classes. L’organisation du prolétariat allemand croissait sans arrêt, les caisses se remplissaient, le nombre des journaux, des députés, des conseillers municipaux augmentait sans interruption. La réaction tenait fermement ses positions. Le choc entre ces pôles d’attraction de la collectivité germanique était inévitable. Mais comme ce heurt mettait du temps à se produire, que les forces et les moyens de l’organisation croissaient, que toute une génération s’habituait à cet état de choses, et bien que tous écrivaient et prédisaient que ce choc devenait inévitable — comme la rencontre de deux trains lancés l’un contre l’autre sur les mêmes rails — on finit néanmoins par pressentir que le choc était inéluctable. Le vieux Bebel se distinguait de beaucoup d’autres par sa conviction, jusqu’à la fin de ses jours, que les événements sont guidés par la fatalité, et, le jour anniversaire de ses soixante-dix ans, il parla en termes d’une passion singulière de la révolution sociale dont l’heure était proche.

En France, n’existaient ni développement méthodique du Parti ni domination ouverte de la réaction. Au contraire, l’appareil gouvernemental, sur les bases du fonctionnement parlementaire, était accessible. Quand Jaurès eut rejeté les attaques du cléricalisme et du royalisme pendant l’affaire Dreyfus, il estima que commençait la période des conquêtes « réformatrices ». Son adversaire, Jules Guesde, donnait aux tendances marxistes et aux perspectives à la française un caractère sectaire. Fanatique enragé, il attendait le coup libérateur de tout le feu de sa conviction et de son impatiente tension. Jaurès restait sur le terrain de la démocratie et de l’évolution. Il regardait comme sa tâche essentielle de balayer de la route du Socialisme les obstacles réactionnaires et d’opérer, grâce au mécanisme parlementaire, des réformes sociales qui devaient reconstruire, rationaliser et faire renaître l’ordre collectif. Mais le développement économique français était lent, les relations de classes conservaient les diverses fractions parlementaires, mais n’affectant pas le rapport des forces de base. De même qu’en Allemagne on s’habituait à la croissance satisfaisante du parti, de même en France les Socialistes entraient dans le jeu parlementaire, ne se souvenant des « conquêtes » indispensables que dans de solennels discours.

Un processus singulier se produisit dans le domaine des questions de politique internationale. Après la guerre de 1870, on s’attendait à sa répétition. Le militarisme croissait sans cesse, mais la guerre s’éloignait au fur et à mesure. Des deux côtés du Rhin, on parlait de la guerre inévitable, mais, finalement, la majorité finit par cesser d’y croire. On s’habitua à la croissance du militarisme comme à celle des organisations ouvrières. 45 années de paix armée, intérieure et extérieure, enlevèrent, petit à petit, à toute une génération les traits de la psychologie révolutionnaire. Et justement quand ce travail fut accompli, l’Histoire fit tomber sur la tête de l’Humanité cette immense catastrophe qui en entraîne tant d’autres à sa suite. Vous ne pouvez rien y faire : c’est la dialectique du développement.

Bebel et Jaurès, chacun à sa manière, reflétaient leur époque ; en tant que génies, ils la dépassaient de la tête ; ils ne s’y anéantirent pas, et c’est pourquoi ils auraient pu être pris au dépourvu par les événements, à un moindre degré toutefois que leurs collaborateurs directs. Mais ils sortirent à temps de l’arène politique pour procurer la possibilité à l’Histoire d’expérimenter les influences de la catastrophe sur une conscience non révolutionnaire.

Aujourd’hui ont eu lieu les obsèques d’Édouard Vaillant. Il était l’unique survivant de marque des représentants de la tradition du Socialisme national français, le blanquisme, qui alliait des méthodes d’action violente allant jusqu’à l’insurrection, au plus ardent patriotisme. En 1870, Blanqui, dans son journal La Patrie en danger ne voulait pas connaître d’autre ennemi que le « prusco ». Gustave Tridon, un ami de Blanqui, sortit avec Malon de l’Assemblée Nationale, le 3 mars 1871, pour protester contre la ratification du Traité livrant l’Alsace-Lorraine aux allemands : « je lutterai sans trêve contre ce traité criminel, écrivait Tridon à ses électeurs, jusqu’au jour où la révolution et votre patriotisme l’auront détruit. » Il n’y a là aucune contradiction. Vaillant était issu de Blanqui, comme celui-ci était issu de Babeuf et de la Grande Révolution. Cette filiation épuisa et stoppa tout développement de la pensée politique. Bien que Vaillant appartînt au petit nombre des Français qui connaissaient bien l’allemand et la littérature allemande, il regardait toujours la France comme une nation messianique choisie pour être la libératrice des peuples et leur apporter la vie spirituelle. Son socialisme était profondément patriotique, de même que son patriotisme était libérateur et messianique. La France avec sa natalité stagnante, son économie arriérée et ses formes conservatrices de pensée et de vie, lui semblait être l’unique pays de mouvement et de progrès.

Après les épreuves de 1870-1871, Vaillant devint un adversaire fanatique de la guerre et, en luttant contre elle, préconisait les moyens les plus extrêmes, de même que son collègue des Congrès internationaux, l’anglais Keir-Hardie, décédé quelques mois avant lui. Mais quand la guerre éclata, toute l’histoire européenne, passée et future, se concentra pour Vaillant autour du destin de la France. Comme toutes les victoires de la pensée et les succès de la justice découlaient, selon Vaillant, de la Révolution qui était et restera française, il devait finalement arriver à lier ses idées avec le sang de la race. Il s’agissait du salut du peuple portant le message divin et, dans ce but, Vaillant était prêt à mettre toutes ses forces en action. Et le vieillard se mit à écrire des articles dans le journal de Blanqui. Il bénissait le militarisme — qu’il avait si ardemment combattu — mais à la condition que cet héritier de la grande Révolution écrase le militarisme allemand. Vaillant était le partisan de la guerre jusqu’au bout. Ses articles quotidiens respiraient une telle passion chauvine que des nationalistes plus modérés, du type Renaudel, se sentaient froissés. Dans la cervelle du blanquiste de 75 ans se forma une conception mécaniquement révolutionnaire. Le militarisme allemand n’était pas issu des conditions sociales allemandes, mais devenait une espèce de création monstrueuse que devait abattre le glaive de la République, Vaillant désespérait de la « race » allemande. Et quand Clara Zetkine eut manifesté son opposition au militarisme (à Stuttgart), Vaillant se mit à rechercher des traces de sang gaulois dans le Sud de l’Allemagne pour expliquer le courage des socialistes würtembourgeois…

Renaudel, Compère-Morel et Longuet considéraient avec inquiétude le vieillard, le Don-Quichotte du messianisme révolutionnaire de la France, qui ne voyait pas à travers ses éternelles lunettes sombres les changements profonds des conditions historiques. Quelques mois plus tard, on écarta définitivement Vaillant. La direction du journal fut prise par Renaudel, le vulgarisateur des idées de Jaurès, l’héritier des traits les plus faibles de son maître génial…

J’ai rencontré Vaillant, il y a quelques mois, au Comité d’action (institution militaire, composée de délégués du Parti et de représentants des syndicats). Vaillant ressemblait à son ombre, l’ombre du blanquisme avec les traditions des guerres sans-culottes à l’époque de la guerre mondiale impérialisme. Il vécut jusqu’au moment où le glaive de la république, qui devait anéantir la dynastie Hohenzollern, fut confié au catholique et royaliste Castelnau. À ce chapitre de l’histoire de France, le vieux blanquiste mourut, donnant à sa mort un trait de caractère politique. Le Socialisme français perd un homme solide. Les médiocrités de l’époque des interrègnes n’en seront que plus significatives. Mais pas pour toujours et pas pour longtemps. La vieille époque quitte la scène avec ses personnages, une nouvelle époque en trouvera d’autres.

(Paris, 22 décembre 1915).

Notre concours[modifier le wikicode]

Deux journaux parisiens ont jugé utile de secouer l’apathie de leurs lecteurs au moyen d’un concours. Le premier, L’Événement, journal jusqu’auboutiste, est très lié, paraît-il, à la firme d’armements Maxim dont le patriotisme est à la hauteur de ses dividendes. Le député social-patriote, Alexandre varenne, membre de la rédaction, a reçu le surnom de « chasseur de chez Maxim ». À ce titre, prétend un des rédacteurs de Prisiv, il écrit dans le journal « munitionnaire » sous le pseudonyme d’un ex-député. Et voici que L’Événement offre 50 000 F à ses lecteurs pour désigner les guerriers qui se sont les plus distingués dans les combats.

Le Bonnet Rouge, journal inspiré par le financier radical Caillaux, adversaire du jusqu’auboutisme, bien que prudent, se permet, sous la direction d’Almereyda, de jouer avec les Longuettistes et même avec les Zimmerwaldiens. En harmonie avec son caractère, la rédaction du Bonnet Rouge offre 5 000 F au lecteur qui désignera les dix lois sociales les plus indispensables.

Encouragé par ces exemples, Naché Slovo a décidé de gratifier ses lecteurs d’un concours. Il n’est pas compliqué. Dans les n° 174 et 175, nous avons tenté de dire que la place de Jaurès était occupée par des … épigones. Mais la censure, par deux fois, a biffé les vocables caractérisant ces épigones. À en croire le dictionnaire encyclopédique, on appelle épigone les individus de petite taille essayant de reprendre les qualités de leur maître. On demande : quel mot fut barré par la censure ? Pour faciliter la solution du problème, nous faisons savoir que le mot biffé ne renferme aucun secret politico-militaire, pas plus qu’un appel à renverser l’ordre établi. Malheureusement, nous ne pouvons offrir à nos lecteurs ni 50 000 ni même 5 000 F pour des motifs qu’il est aisé de deviner.

(Naché Slovo, 3 août 1916).

Manœuvres des longuettistes[modifier le wikicode]

Les nuages de poussière soulevés dans toute la presse française par le premier Congrès national du Parti socialiste ne sont pas encore retombés qu’on découvre en eux la question principale posée par l’opposition longuettiste : le rétablissement des relations internationales. Les longuettistes se sont prononcés en faveur de la nécessité de rétablir l’Internationale. C’est l’unique différence « de principe » entre leur résolution et celle de la majorité officielle. Mais la question reste la suivante : comment les Longuettistes envisagent-ils de rétablir les relations internationales si, toutefois, ils le désirent réellement ? Là-dessus, la résolution des Longuettistes se limite à proposer une convocation préliminaire des partis socialistes alliés, en espérant (à vrai dire, en promettant) d’agir à travers cette Conférence sur les sphères officielles du Parti socialiste français.

Mais quels sont ces Partis alliés ? Les Partis italien, russe, anglais (les deux), serbe et portugais adhèrent à Zimmerwald. Les nationaux-réformistes italiens et le parti purement chauviniste de Hyndemann ne sont pas membres de l’ancien Bureau international (et c’est une condition essentielle de participer à la Conférence « alliée »).

En dehors de Zimmerwald, outre le Parti français, il ne reste plus que le Parti belge, c’est-à-dire les sphères officielles, car la volonté d’action du Parti ouvrier est écrasée par l’occupation allemande. Qu’espèrent donc les Longuettistes ?

Ils pensent que les Partis « alliés » s’accorderont sur la participation d’un seul camp. Ils espèrent que les Partis « zimmerwaldiens » se précipiteront sur une Conférence tenue avec Renaudel et Vandervelde, afin d’aider Jean Longuet à convaincre ces messieurs de la nécessité d’harmoniser les relations avec Scheidemann. On pourrait épiloguer sur la miraculeuse cécité des Longuettistes, mais l’affaire ne s’arrête pas là. Jean Longuet doit savoir que le parti italien, lui, a répondu négativement quant à la convocation d’une Conférence « alliée ».

Les anglais ont fait savoir qu’ils étaient pleinement d’accord avec les Italiens. Quant aux russes, Longuet ne peut nourrir aucune illusion. Donc les dirigeants longuettistes savent que la majorité des Partis « alliés » ne veulent rien savoir d’une Conférence « alliée ».

Et cependant les Longuettistes proposent aux masses cette Conférence insensée en tant que moyen unique de sauver l’Internationale. Cela signifie que, pieds et poings liés par leur politique gouvernementale, ils exploitent le manque d’information des masses et ne cherchent qu’une chose : gagner du temps. Mais dans ce cas, gagner du temps, c’est le perdre. Une pareille politique ne pourra jamais être assez sévèrement jugée.

(Naché Slovo, 13 août 1916).

La déclaration proposée au comité pour la reprise des relations internationales[modifier le wikicode]

L’opposition en France se compose de deux groupes : les Longuettistes et les Zimmerwaldiens. Comment ces derniers peuvent-ils et doivent-ils regarder la politique longuettiste ? La réponse à cette question a une importance considérable : pour pouvoir exister en tant qu’organisation indépendante, nous, les zimmerwaldiens, devons savoir clairement ce que nous avons l’intention de faire et ce qui nous sépare des longuettistes. Si nos différences étaient secondaires, ce serait un crime que de diviser nos forces.

En quoi consiste la politique des Longuettistes ? Dans toutes les questions fondamentales, ils marchent la main dans la main avec la majorité du Parti socialiste, par conséquent avec les partis de l’Impérialisme bourgeois. Les longuettistes regardent la guerre comme étant leur guerre. Ils ont inscrit sur leur drapeau tous les slogans qui illusionnent les masses : « Défense nationale »… « Rétablissement du droit »… « Destruction du militarisme » (au moyen de la guerre), etc. Ils portent la responsabilité devant l’Histoire de la transformation du Socialisme français en une arme au service de l’Impérialisme. Ils continuent sciemment à augmenter le poids de cette responsabilité en approuvant les crédits militaires qui servent à l’anéantissement des peuples.

C’est cette politique que suivent les Longuettistes, après deux ans d’une guerre dont le sens n’échappe plus à personne. Nous les jugeons d’après leurs actes et non d’après leurs pompeux discours. À la lueur de leurs actions politiques, toutes les déclarations « internationa­listes » des Longuettistes manquent de signification sérieuse. Du point de vue de la lutte des classes, ces déclarations présentent soit une phraséologie vide, soit, pis encore, un moyen de masquer aux masses le caractère purement gouvernemental du Socialisme officiel.

Le bloc impérialo-gouvernemental a besoin du Socialisme officiel qui discipline les masses laborieuses et les soumet au militarisme en usant de l’autorité du Socialisme. C’est exactement ce qui se passe entre le Socialisme officiel et les longuettistes qui groupent autour d’eux les éléments mécontents, apaisent les consciences socialistes et les obligent à adopter cette politique qui suit la majorité guidée par Renaudel.

Le premier slogan « oppositionnel » des Longuettistes est la convocation du Bureau socialiste international.

Les Congrès internationaux, et en particulier le dernier, celui de Bâle, exigeaient que le B.S.I. continue son activité pendant la guerre. Mais cette dernière est caractérisée par la résolution du Congrès comme devant être la lutte pour la cessation immédiate de la guerre et l’exploitation des terribles dommages infligés aux masses laborieuses, afin de mobiliser celles-ci contre le Capitalisme. Mais les Longuettistes, en appliquant mécaniquement les exigences du Congrès de Bâle, à savoir la convocation du Bureau socialiste, ne renoncent pas à pratiquer « l’Union sacrée ». D’un autre côté, il est parfaitement clair que, sur la base de la paix sociale au sein de chaque nation, l’existence du Bureau serait dépourvue de toute signification. Plus encore, il s’avère que la convocation du Bureau, dans ces conditions, est pratiquement dépourvue de valeur. Donc, le principal slogan des longuettistes — le rétablissement des relations internationales — est privé de tout contenu socialiste ; il est pratiquement illusoire et n’a pour seul effet que d’apaiser les masses en leur présentant un espoir brumeux quant au travail sauveteur accompli par le Bureau socialiste. Plus encore, plus se dévoile l’inutilité de la politique de Huysmans à mesure que la convocation du Bureau employée comme slogan sera opposée à la force montante de Zimmerwald. D’où la nécessité pour Les longuettistes de promouvoir un nouveau programme. Ils insistent maintenant — avec l’indécision qui est la marque même de leur nature — sur le retrait des socialistes du gouvernement. Il est hors de doute que la logique et l’esprit de suite ne sont pas du côté des Longuettistes ; un Parti qui participe à l’Union sacrée et soutient la guerre n’est pas fondé à refuser une participation au pouvoir ; mieux encore, du moment qu’un Parti juge possible de mettre des milliards à la disposition d’un ministre, il a le droit de superviser l’usage de ces sommes. L’anti-ministérialisme des Longuettistes n’a pour but que d’apaiser la conscience éveillée des travailleurs et de les détourner de leur vraie lutte.

Si la politique de la majorité, conduite par Renaudel, Sembat et Guesde, enterre l’avenir du Socialisme français, celle des longuettistes menace de compromettre l’idée même de l’opposition au Socialisme officiel.

Aux yeux des larges masses populaires, le gouvernement de guerre, la dictature militaire, le Socialisme officiel, le syndicalisme officiel et la soi-disant opposition des Longuettistes doivent fusionner en eu seul bloc lié par une politique commune et une responsabilité commune.

La politique longuettiste n’est pas l’apanage du Parti : elle se retrouve avec des variations correspondantes dans les rangs des syndicats. Dans la proximité immédiate des ouvriers, la politique ouvertement pro-gouvernementale des Sembat et des Thomas est impensable. Plus la clique syndicaliste se lie au char sanguinaire de l’Impérialisme, plus ses dirigeants — tel Jouhaux — s’efforcent, en apparence, de s’écarter de la politique gouvernementale, et plus ils multiplient les déclarations et les gestes semi-oppositionnels. Leur journal La Bataille comporte de nombreux blancs, signe de son attachement à la lutte des classes ! La différence entre la conduite des Longuettistes et celle des partisans de Jouhaux provient de la non-identité objective de leurs conditions et de leurs activités : les Longuettistes conservent une apparence d’opposition au sein de l’organisation du Parti, alors que Jouhaux et Cie forment la majorité dirigeante de la C.G.T. D’un autre côté, Jouhaux et Cie, n’étant pas députés, ne sont pas obligés d’approuver les crédits et conservent une apparence d’indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie parlementaire. Mais sous ces différences extérieures, se dissimule la même tendance fondamentale qui s’efforce de soutenir la politique sanglante du pouvoir, en masquant cette aide par des déclarations et des gestes semi-oppositionnels.

Donc, définir la position des Zimmerwaldiens par rapport au longuettisme n’est pas seulement une affaire intérieure socialiste. Dans la même mesure, cette question concerne les syndicalistes révolutionnaires, de même que la politique de la C.G.T. concerne directement les socialistes révolutionnaires.

Il est tout à fait clair qu’il n’y a aucune différence de principe aux yeux des Zimmerwaldiens partisans de la lutte des classes révolutionnaire, entre les positions de Renaudel et de Longuet. Si nous voulons réellement combattre le Social-patriotisme et freiner la chute du mouvement ouvrier, nous avons le devoir de répéter partout aux travailleurs la vérité sur le longuettisme : ce dernier n’est qu’une arme de la bourgeoisie, un socialisme désarmé et inoffensif, qui dans l’intérêt de l’exploitation des masses se sert de la phraséologie de l’Internationalisme et de quelques articles inoffensifs de son Programme.

Dans le comité pour la reprise des relations internationales[1][modifier le wikicode]

Le projet de la déclaration proposée au « Comité pour la reprise des relations internationales », avait pour but de se différencier des Longuettistes. Cette nécessité vint principalement de la conduite des « Zimmerwaldiens » du Parti, tels que Bourderon et Brizon au dernier Conseil national ; nous savons qu’ils se joignirent à la résolution des Longuettistes et donnèrent ainsi le droit à la presse bourgeoise de traiter les Longuettistes et les Zimmerwaldiens comme étant un même groupe. Donc le Comité, dont Bourderon tire son autorité, courait le danger de se changer en un simple rameau de l’organisation longuettiste. La déclaration traitant le Longuettisme comme une simple variante de Social-patriotisme et déchargeant le Comité de toute responsabilité quant à la tactique des Longuettistes, était, répétons-le, absolument nécessaire. Le projet souleva de tumultueux remous dans les deux sessions de la Commission spéciale et dans celles du Comité même. Les éléments les plus modérés du Centre étaient contre « la déclaration de guerre aux Longuettistes dans les colonnes de Ce qu’il faut dire. Mais les éléments les plus radicaux exigeaient de se distinguer d’avec les Longuettistes.

Bourderon tenta de placer la question sur un terrain inattendu : peut-on permettre à des anarchistes et des syndicalistes de « juger » des socialistes en général et des Longuettistes en particulier ? Cette prise de position fit sensation. « Mais nous sommes unis pour un combat commun contre le nationalisme, nous avons donc des principes collectifs au-dessus des différences théoriques et d’organisation ; sinon, ce n’était pas la peine de s’unir.

Vous, socialistes, vous avez le devoir de vous déclarer contre le nationalisme dans le mouvement ouvrier, contre Charles Albert et Jouhaux, comme nous, avec vous, nous nous déclarons contre la politique du Parti socialiste. »

Après des débats prolongés, le projet de déclaration fut adopté.

Comment combattre le longuettisme ?[modifier le wikicode]

Nous pensons que les objections de Lozovsky avec lequel la rédaction — pendant son éloignement de Paris — n’est pas la possibilité d’échanger ses points de vue au sujet des problèmes soulevés et d’apaiser les malentendus, nous pensons que les objections de Lozovsky ne sont pas justes et qu’elles sont dangereuses par leurs conclusions politiques. Nous laissons de côté, pour le moment, les objections en ce qui concerne les groupements dans le syndicalisme correspondant aux organisations fondamentales du parti socialiste : la résolution de cette question exigerait une analyse détaillée qui nous entraînerait loin du problème de tactique et de principe soulevé par Lozovsky. Disons seulement que, dans la rédaction du projet de résolution, participèrent non seulement des socialistes, mais aussi des syndicalistes suffisamment versés dans les questions des groupements internes du Socialisme français.

Quelles sont les objections de principe de Lozovsky ?

En premier lieu, la Déclaration soupçonne la bonne foi des Longuettistes en parlant du « désir conscient de tromper les travailleurs. » En fait, la Déclaration ne dit pas cela, mais les citations que nous fournit Lozovsky disent tout-à-fait autre chose. Les Longuettistes veulent-ils détourner les masses de la lutte contre la guerre ? Ils ne le cachent pas en se déclarant contre « Zimmerwald ». Ils sont passés à l’opposition, produisant l’un après l’autre des slogans de second ordre (tels que la Conférence des partis « alliés »), sous la pression du mécontentement et de l’inquiétude des masses : ils tentent, en pleine conscience, de discipliner ces masses et d’apaiser leur mécontentement, afin de ne pas gêner la « défense nationale » et le bloc sacro-saint. Présenter l’affaire en disant qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, est de la pure illusion. Ce sont des vétérans de la politique qui ont trempé dans toutes les eaux et qui agissent en pleine conscience – plus conscients que bien des Zimmerwaldiens qui s’égarent désespérément dans leur comportement vis-à-vis des Longuettistes soit en se soumettant à leur critique impitoyable, soit en capitulant devant eux. Que le camarade Lozovsky se souvienne au moins de la position des Zimmerwaldiens la veille du dernier Congrès national quand ils déclaraient que les Longuettistes asséneraient « un coup de poignard dans le dos » à l’opposition allemande, mais ils n’empêchèrent pas Bourderon de voter pour la résolution de Longuet. Pour une minorité numériquement aussi faible que les Zimmerwaldiens, ce serait courir un danger mortel que de se représenter ses adversaires politiques comme faibles intellectuellement et de se poser des problèmes idéologiques de défense au lieu de questions politiques et combatives. Sous-estimer l’ennemi est, en politique, la pire des fautes.

Mais, nous dit le camarade Lozovsky (l’aile gauche du Centre), ce sont nos amis de demain. C’est possible. Mais l’on peut dire avec tout autant de justesse, ce sont nos amis d’hier. Des Zimmerwaldiens tels que Bourderon et Brizon se sont rangés sous le drapeau de Longuet : remarquons en passant que la Déclaration parle de Longuettisme et non, comme chez le camarade Lozovsky, de « Centre ».

Le pont entre les deux groupes fut le slogan du rétablissement des relations internationales. La Haye ou Zimmerwald ? Quand le camarade Lozovsky insiste, à l’aide de conclusions idéologiques, sur la nécessité de participer à La Haye, en ignorant que cette question ne figure pas à l’ordre du jour et qu’une lutte implacable sévit entre les principes de La Haye et de Zimmerwald, il aide — contre sa volonté — des Zimmerwaldiens, du type Bourderon, à passer au longuettisme. Nous ne lui avons déjà démontré.

Le camarade Lozovsky, en se hâtant de nous donner des amis de « demain », ne se rend pas suffisamment compte de la distinction qu’il est indispensable d’établir avec nos ennemis d’aujourd’hui. Pour les Longuettistes, le manque de sincérité est l’arme principale du combat politique ; pour les Zimmerwaldiens, elle équivaut au trépas — plus exactement à leur dissolution dans le Longuettisme. En l’ignorant, Lozovsly pousse vers cette dissolution quand il oppose à l’acte politique — la Déclaration opposant les Longuettistes aux Zimmerwaldiens — une certaine — « discussion » entre eux. Si, suivant le camarade Lozovsky, en un an de travail politique après Zimmerwald, le Comité n’a pas réussi à définir sa politique vis-à-vis des longuettistes, il n’y a aucune raison fondamentale d’espérer que l’on peut y arriver au cour de débats avec ces mêmes Longuettistes. Quand une proposition semblable fut avancée, les éléments de gauche de la Commission s’exprimèrent, aussitôt, ainsi : « Pour entamer la discussion avec les Longuettistes, il est indispensable que nous définissons au préalable notre comportement envers les Longuettistes. » C’est ce but que définit la Déclaration.

Les objections de Lozovsky concernant la composition du Comité sont, pour le moins, attardées et, en tout cas, dépassent le but : elles sont dirigées contre ce Comité qui, il nous faut le remarquer ici, gêne Bourderon et ses plus proches amis. Si la politique du Parti n’est pas soumise au jugement du Comité grâce à la présence de syndicalistes, et si la politique des syndicats est exemptée également de critique en raison du motif inverse, de quels problèmes doit donc s’occuper le Comité ? Il est faux que de la part des anarchistes et des syndicalistes adhérant à Zimmerwald, il existe une tendance à attaquer le Parti en tant que Parti. Il suffit d’arguer du fait que l’anarchiste Sébastien Faure ait envoyé des félicitations aux Longuettistes, alors que le camarade Lozovsky le soupçonnait, sans aucun fondement, d’hostilité envers eux. En ce qui concerne le Longuettisme, comme dans toutes les autres questions, les syndicalistes modérés marchent avec les socialistes modérés en s’opposant aux éléments des deux camps.

Voici pourquoi nous pensons que le Comité a agi parfaitement bien quand il a approuvé, à la majorité, la Déclaration imprimée chez nous — il est vrai, elle ne l’est qu’en principe, car sa critique n’est pas encore achevée en commission. C’est la seule voie raisonnable, car de principe. Le succès pratique, c’est-à-dire l’influence sur les masses, est assurée dans cette voie. Tâchons seulement de ne pas nous en écarter.

(Naché Slovo, 18 août 1916).

Les sociaux-patriotes français et allemands[modifier le wikicode]

Quelle est la réalité de l’opposition longuettiste ?

La Fédération socialiste de l’Oise a exigé le retrait des ministres socialistes. L’affaire a soulevé un grand intérêt en animant la vie terne du Socialisme français. Les leaders officiels ont rappelé une fois de plus, — en deux ans, on oublie si aisément ! — qu’il n’y a pas de ministérialisme en France, qu’il n’y a qu’une participation à la Défense nationale, et qu’après la guerre toute tentative de refaire l’expérience en temps de paix sera rejetée par l’immense majorité du Parti. Un des leaders de l’opposition longuettiste, Pressemane, a écrit que si eux, les opposants, tolèrent la participation de Guesde, de Sembat et de Thomas, ils ne le souffriront plus une fois la paix conclue. Paul Louis a menacé, à la dernière session de Sens, de provoquer la scission. L’intérêt de l’affaire ne réside pas dans le fait que les Longuettistes montrent de la fermeté là où elle n’est nullement nécessaire, mais dans celui où ils sont obligés maintenant de se plaindre de l’inconfort où les place la présence de ministres socialistes. La Fédération de l’Oise n’est pas isolée. Nombre de Longuettistes voudraient en finir avec le ministérialisme avant même la fin de la guerre. Le Populaire publie un article intéressant exclusivement par le titre : « Les ministres socialistes doivent-ils s’en aller ? » où il est démontré que le principal malheur du parti français est la participation des socialistes au gouvernement.

Du point de vue de la simple logique, le fait de disposer de trois ou plutôt de deux portefeuilles et demi ne supporte pas l’examen. Les longuettistes, on le sait, sont pour la Défense nationale et « l’Unité nationale ». Ils votent pour des motifs patriotiques de principe, les crédits militaires[2]. « Quels arguments pourrions-nous avancer, demande Longuet, pour justifier un refus de voter les crédits de guerre, c’est-à-dire la participation totale à la Défense nationale ? ». Mais si les Longuettistes regardent comme le devoir du parti socialiste de prendre la responsabilité de voter les crédits, leurs objections à toute participation au ministère prennent un caractère politique de double jeu. Le pari qui met volontairement au service du Pouvoir des hommes et de l’argent n’a pas le droit de refuser à ce même Pouvoir une collaboration à l’œuvre de répartition des crédits. Si le gouvernement, suivant Longuet, n’est pas assez parfait pour méditer la coopération d’un Guesde, pour quel motif Longuet accorde-t-il à ce même gouvernement les moyens de diriger le destin du pays ? Dans cette affaire, la logique est entièrement du côté des « ministérialistes ». Mais une incohérence ouverte et visible n’a jamais gêné les longuettistes. Sans aucune hésitation, ils isolent Brizon, Raffin-Dugens et Blanc, quand il s’agit de voter les crédits et, en même temps, les uns directement, les autres de façon détournée, donnent à entendre qu’il serait salutaire de faire sortir Guesde, Sembat et Thomas des rangs de ceux qui disposent des crédits.

Expliquer le tout par une simple « incohérence » serait trop facile et n’entre pas en ligne de compte. Les Longuettistes ont prôné, dès le premier jour de la guerre, la

Défense nationale et ne se sont révélés des ennemis de toute participation au gouvernement que quand cette question a été soulevée. « Sembat a rappelé que Viviani n’a pas voulu assumer la responsabilité de sauver le pays sans la participation des socialistes. » Tous étaient terrifiés. Longuet rappela l’exemple de Rochefort et s’éleva contre toute participation. « J’ai déclaré moi-même, déclare l’auteur de l’article qui se cache sous un pseudonyme, avec amertume, mais avec des expressions assez maladroites (je ne recherchais pas les nuances) que la proposition me semble être une manœuvre… » Mais Paris était menacé, et l’on sait depuis longtemps que paris vaut bien une messe, même pour les Socialistes. Les Longuettistes ont manifesté leur mécontentement à tout lien de leur Parti avec le ministère en toute occasion. Ils sont forcés, maintenant, de montrer leur « anti-ministérialisme ». Mais ils soulignent que cette circonstance ne change en rien leur politique qui reste nationale et gouvernementale : l’opposition à Renaudel ne signifie nullement opposition au gouvernement de classes. Ainsi, en dépit de son manque de sincérité, le longuettisme se révèle assez ferme dans ses traits fondamentaux. Il faut se comporter vis-à-vis du Longuettisme, non comme vis-à-vis d’un phénomène passager, mais comme vis-à-vis d’un groupement politique et idéologique bien déterminé, qui poursuit ses buts propres avec ses propres moyens.

Nous avons que les longuettistes placent la Défense nationale comme base de leur action. « Une des erreurs les plus répandues, écrit Longuet dans le Populaire consiste dans le changement des membres de la minorité en partisans de la paix immédiate à tout prix… ». Montrant ensuite les mérites de l’opposition dans les services rendus à la Défense, Longuet poursuit : « Il n’y a pas un membre de la minorité qui ne soit prêt à refaire ce qu’il a fait, en le centuplant, pour la conservation de l’indépendance de notre pays et l’intégrité de notre territoire. » Mais il y a mieux encore : « Que l’insuccès le plus retentissant possible de la tentative d’hégémonie allemande, que sa défaite soit la condition indispensable à l’établissement de la paix, est pour moi irréfutable. » après vingt-cinq mois de guerre, après les coups de tonnerre et les éclairs du dernier Comité national du parti, Longuet formule son programme dans le même journal que Renaudel : Défense nationale et défaite du militarisme allemand. Ceci ne laisse aucune place aux illusions.

Mais le programme commun avec Renaudel ne suffit pas à longuet. « Avec les résultats militaires, il faut obtenir des résultats diplomatiques : une paix qui ne contienne aucun germe de conflits sanglants pour l’avenir. » Pour garantir ces résultats diplomatiques il faut, à côté de la défaite du militarisme allemand, l’élaboration d’un programme commun de paix, le rétablissement des liens internationaux entre les prolétaires et la pression de l’opinion collective du socialisme et de la démocratie sur la diplomatie européenne. Nous avons ici le longuet tout entier et le contenu de sa pensée politique — la sienne et celle de ses amis.

Le programme d’action unilatérale de défense nationale et de victoire sur le militarisme germanique exige un parti purement gouvernemental. Une politique de ce genre enlève au parti socialiste le droit de se refuser à une participation directe au pouvoir.

Les Longuettistes, depuis quelque temps, insistent sur le retrait des ministres socialistes. En même temps, ils exigent la convocation du Bureau international socialiste. C’est à quoi se borne leur programme de sauvetage de l’Internationale.

Les Longuettistes, nous le répétons, ne peuvent pas ne pas comprendre tout l’illogisme d’un refus de la part d’un socialisme patriotique et gouvernemental à une participation au pouvoir ; mais au prix de cet « illogisme », ils veulent acquérir une plus grande liberté de manœuvre dans la sphère des relations internationales. Le but officiel de ces manœuvres est de placer, au service de la France et de « L’Humanité », la « force morale » de l’Internationale social-patriotique (Longuet et Huysmans ont compté par avance les voix en faveur des Alliés), et de compléter avec l’appui de l’Internationale l’œuvre « libératrice » du militarisme national.

Mais à côté de ce but officiel, il y a un motif beaucoup plus direct : l’état d’esprit des masses et en particulier celui des électeurs socialistes. La politique de Renaudel-Sembat suit celle du Bloc national, et l’électeur peut douter des motifs qui l’avaient poussé à voter socialiste. Or, il faut penser au lendemain. Les Longuettistes proposent donc au gouvernement une politique de soutien, mais ils lui demandent de les libérer de toute responsabilité dans toute mesure prise par le pouvoir. Quel que soit la minceur de la distance qui sépare le socialisme gouvernemental et le ministère, elle peut être, suivant Longuet, « salvatrice » : en effet, elle libère les mains du parti, d’un côté pour les Internationalistes, de l’autre, pour les manœuvres intérieures qui permettent de garder une apparence « oppositionnelle » et de conserver les électeurs.

Le problème commun de Renaudel et de Longuet est de maintenir le Parti socialiste, pendant la guerre comme instrument de discipline des masses, pour les intérêts et sous le contrôle du gouvernement capitaliste, et d’utiliser ce travail pour élargir ou, pour le moins, pour maintenir les positions politico-parlementaires du Parti. Les deux diffèrent simplement dans la technique de l’exécution. Ils diffèrent, mais se complètent. Le Janus social-patriote regarde avec les yeux de Renaudel, avec foi et espoir, la République ; avec ceux de Longuet, il contemple les masses avec inquiétude.

Le longuettiste et la « majorité » allemande[modifier le wikicode]

La politique des Longuettistes, se manifestent sous le drapeau de l’opposition, crée incontestablement de sérieuses difficultés en Allemagne. Celle-ci, même sous la forme de son aile modérée (Haase-Ledebour), a invoqué, en votant contre les crédits militaires, l’antagonisme de principe entre le prolétariat et le pouvoir capitaliste. La guerre est caractérisée exclusivement par des traits humanitaires et sentimentaux, et les longuettistes envoient « l’expression de leur chagrin » aux prolétaires de tous les pays afin d’y déclarer leur aptitude à prolonger leur action en faveur de la défense nationale, ce qui revient à dire qu’ils approuvent les crédits de guerre. Désavouant l’action de l’opposition allemande, les Longuettistes, pour leur auto-justification, falsifient le sens de leur politique. « En dépit de la vigilance de la censure, l’habileté de leurs dirigeants, en dépit du désordre créé par la guerre. Désavouant l’action de l’opposition allemande, les Longuettistes, pour leur auto-justification, falsifient le sens de leur politique. « En dépit de la vigilance de la censure, l’habileté de leurs dirigeants, en dépit du désordre créé par la guerre, les socialistes allemands, comme l’écrivait un des chefs de l’opposition longuettiste, Pierre Mistral, ou du moins une bonne partie d’entre eux, ont pu découvrir la vérité et se convaincre de la volonté de guerre de leur gouvernement. C’est pourquoi Liebknecht, Meyer, Rosa Luxemburg, Clara Zetkine et des centaines d’autres sont emprisonnés tandis qu’une forte minorité avec Haase, Kautsky, Bernstein et Ledebour à sa tête, refuse les crédits militaires. » (Le Populaire du Centre 31 août.) De cette façon, la position de Kautsky, de Haase et aussi de Liebknecht est déterminée par la question : « qui a voulu la guerre ? ». Là, même l’expérimenté Homo ne s’est pas risqué à trancher la question indispensable au salut de « l’opposition » longuettiste. En dessinant la position de Liebknecht dans cette affaire « peu claire », il se voit obligé — en ce qui concerne Rosa Luxembourg et Meyer — de reconnaître dans les colonnes de l’Humanité que leur position « simpliste » découle du caractère impérialiste de la guerre et non de la nature pécheresse du Kaiser. Il ne faudrait pas, cependant, en conclure que Rosa Luxembourg le tienne pour un Juste !

Nous n’avons aucune raison ben fondée d’inscrire cette mauvaise volonté au compte de Mistral. Il est plus vraisemblable qu’il n’a, tout simplement, aucune compréhension de ce qu’il écrit. Mais sa caractéristique déplacée et antisocialiste de l’opposition allemande lui est nécessaire pour justifier sa place qu’il doit à l’Union sacrée. De plus, il découvre le caractère purement formel, presque phraséologique de « l’opposition » longuettiste, qui se tient dans l’opposition par rapport à Sembat et à Renaudel, mais non par rapport au gouvernement de classes.

En compliquant à l’extrême la position de l’opposition allemande, ce que Vorwärts avait déjà montré sous une forme modérée et prudente, les Longuettistes éveillent d’autant les espérances des cœurs nullement sensibles de la majorité allemande. Le plus sûr témoignage en est apporté par les échos de la presse social-patriote quant à la dernière résolution des Longuettistes.

Les cercles dirigeants de la Social-démocratie se sont depuis longtemps prononcés sur la nécessité de convoquer le Bureau socialiste international pour juger les questions posées par une cessation rapide de la guerre. Le terrain a déjà été tellement creusé sous les pieds de Scheidemann et d’Ebert que ces derniers sentent le besoin de raffermir leur autorité. Les sociaux-patriotes neutres, en insistant particulièrement sur la Conférence de La Haye, ont déjà proposé leurs bons offices pour le rétablissement des relations internationales sur le terrain d’un pardon mutuel des péchés commis. Mais la « résistance » du Parti social-patriote français constitua un obstacle non encore surmonté. Il ne s’agit pas de l’impossibilité pour Renaudel, ce descendant pas tout à fait en ligne droite de Robespierre, de tendre la main à Scheidemann tant que celle-ci ne s’est pas couverte du sang des Hohenzollern, père et fils. En fin de compte, Renaudel aurait tiré un bel effet scénique de cette poignée de main. D’autant plus que Renaudel a besoin de la pureté socialiste démontrée internationalement pour son propre usage interne. Mais — horreur ! — Renaudel est une victime du parlementarisme républicain. Scheidemann et Ebert font tout ce qu’ils peuvent pour soutenir la monarchie impérialiste ; mais il ne viendra jamais à l’idée au Kaiser de les prendre comme ministres. Dans les pays de régime semi-absolu, le social-patriote le plus complaisant conserve une… apparence semi-indépendante. Scheidemann ne se serait jamais déplacé à La Haye sans la bénédiction de Bethmann-Hollweg. Mais ce faisant, il n’engagerait pas la responsabilité du chancelier. La misère du régime politique allemand crée ainsi des privilèges tant pour le social-patriote que pour le patron.

En France, il en va tout autrement. Le régime parlementaire a une logique presque automatique. Un parti, qui soutient le gouvernement, ne doit pas renoncer à des portefeuilles. De sorte que Renaudel ne peut se rendre à La Haye sans engager le gouvernement français. Quand Longuet, rompant avec la logique du régime parlementaire, se prononce contre la participation des socialistes au Pouvoir, il s’efforce simplement de donner au social-patriotisme les « privilèges » dont jouit… son confrère allemand.

Rien d’étonnant dans ces conditions que la majorité patriotique de la Social-démocratie allemande se soit hâtée de découvrir une âme sœur dans le Longuettisme. Homo a publié toute une série d’extraits de la presse allemande qui établissent, en chœur, l’identité de leurs bases tactiques avec celles des Longuettistes.

Pour se convaincre de la véracité de ces affirmations, il suffit d’opposer la résolution de la minorité française à la pétition lancée par la Direction du mouvement allemand en vue de rassembler des signatures parmi les travailleurs. La pétition déclare que la guerre est purement défensive du côté allemand. Elle se déclare catégoriquement opposée à toute annexion. Elle se limite à l’intégrité du territoire allemand et à la liberté de son développement économique. Elle exige du Pouvoir l’ouverture de pourparlers de paix et, en cas de refus de l’ennemi, promet au gouvernement la continuation de son aide. Si l’on compare ce programme à celui élaboré en août 1915 (liberté des mers, intégrité de l’Autriche et de la Turquie, libre accès aux colonies, etc.), on constate, suivant le commentaire parfaitement juste de Berner Tagwacht, une retraite à partir des positions du social-impérialisme sur celles du social-patriotisme. Cette retraite est mise en lumière par les attaques déplacées de sociaux-impérialistes avérés tels que Lentsch et les éléments les plus veules de l’opposition. Les brimades de l’administration empêchent la quête des signatures donnent à l’entreprise l’indispensable vernis oppositionnel. Il serait donc inconséquent de juger ce qui différencie la position des Longuettistes de celle de la majorité officielle du Socialisme allemand.

Les Longuettistes n’approuvent pas Haase et Liebknecht, ne se distinguant pas en cela de Renaudel ; mais le Populaire du Centre fut obligé récemment de confesser son identité de principe avec les sociaux-démocrates d’Allemagne et d’Autriche. « Nous ne contestons pas qu’il existe des points sur lesquels la majorité allemande s’accorde avec la minorité française — par exemple, sur la nécessité salutaire d’une réunion de l’Internationale en vue de la paix… De même, nous sommes prêts à signer le manifeste adressé à la Conférence des Neutres par le parti socialiste autrichien. La nécessité de prolonger notre aide à la défense nationale tant que dureront les hostilités, ne nous libère pas de l’obligation de faire tout notre possible pour hâter la fin de la guerre. » Nous pouvons encore ajouter que les sociaux-patriotes autrichiens, dans le programme desquels le journal longuettiste a mis tout le poids de son internationalisme, se trouvent dans une situation privilégiée : aucun d’entre eux n’est lié par un portefeuille, mais les vacances continuelles du Parlement autrichien les a dispensés de la nécessité de voter les crédits demandés par François-Joseph.

Ainsi, le Longuettisme, grâce à ses principaux journaux, s’est approché de la définition juste qu’il occupe. Rejeté provisoirement par la mauvaise volonté du régime républicain sur la position d’une opposition au sein du Parti socialiste, il ne sort pas des rangs du social-patriotisme international grâce à ses principes de base et, par la formulation de ses problèmes successifs, il s’approche des cercles dirigeants des Social-Démocrates allemande et autrichienne.

De ce qui précède, la tactique que l’Internationalisme doit employer envers le Longuettisme devient fort claire. Sur ce point, nous ne pourrions rien ajouter de plus à ce que nous avons écrit dans le document envoyé par nos soins et ceux de la rédaction de Vie Ouvrière à la Conférence de Berne. Reproduisons les lignes se rapportant à la question qui nous intéresse actuellement : « Les organisations social-patriotiques, tenant compte de l’accroissement de l’opposition chez les travailleurs, ont recours de plus en plus à une phraséologie purement socialiste ; ils parlent de paix sans annexion, de rétablissement des relations internationales, etc., mais ne changent cependant pas leur politique. C’est dans cet esprit que sévit une soi-disant opposition, le Longuettisme en France, « l’abstentionnisme » en Allemagne, l’O.K. en Russie qui, en recourant volontiers à la phraséologie socialiste et en jouant avec la Conférence de Zimmerwald, capitule de fait à chaque manifestation du Social-patriotisme.

« Le développement plus lent que prévu de la lutte révolutionnaire contre la Guerre et l’Impérialisme peut inciter certains Internationalistes à recourir à des procédés semi-oppositionnels et même à se rapprocher à de la majorité. Nous regardons chaque pas en ce sens comme mortel. Ce qui fait la force de l’opposition, c’est de poser nettement, irréfutablement les questions politiques dans une opposition irréconciliable à celle des sociaux-patriotes. Toute équivoque, toute ambiguïté ne peut que servir le Social-patriotisme.

« Une pareille position exige des conceptions à la fois de principe et pratique politique. Si la crise du mouvement ouvrier prenait, dans l’avenir, un caractère aigu, la minorité internationaliste a le devoir de faire tout son possible pour que les masses soient éclairées le plus profondément possible quant à la nature de cette crise. Si le mécontentement des masses se fait brutalement jour, il faut que ce mouvement qui peut se rejeter du côté des sociaux-patriotes, rencontre, dès les premiers instants, un groupement révolutionnaire décidé et structuré capable de coiffer ce mouvement. Confronté à ces perspectives, les Internationalistes doivent approfondir et aviver leur lutte contre les sociaux-patriotes, en attirant à eux les hésitants non par des manifestations dépourvues de principe, mais pas la netteté décisive de leur position révolutionnaire. »

(Naché Slovo, 14-15 septembre 1916)

La crise du socialisme français[modifier le wikicode]

Personne n’a jamais accusé Briand d’être encombré du poids de la sagesse livresque. Par contre, il est un virtuose incontestable du mécanisme parlementaire. Le ministère actuel où l’apôtre de la lutte des classes, Jules Guesde, voisine avec le monarchisme catholique, Cochin, présente sans contredit le produit le plus élevé de la stratégie parlementaire. Les esprits chagrins grommellent que la répartition symétrique de toutes les nuances est l’expression d’un effort dépourvu de principe pour étaler la responsabilité sur la plus large échelle de personnalités et de Partis… Mais il reste le fait qu’avoir réalisé cette répartition n’a pas été aisé et que l’entretenir est encore plus difficile. La mosaïque parlementaire et ministérielle est très délicate. Il suffit de se tromper d’un petit gravier, et tout l’édifice s’écroule. Les graviers les plus malaisés à manipuler sont les socialistes. C’est ce que vient de dévoiler le Congrès national, ou « petit » Congrès du Parti socialiste.

Le point de vue officiel du Socialisme français est connu. Cette guerre est démocratique, la continuation directe des guerres de la Grande Révolution, et le Parti attend de cette guerre la réalisation du « principe national ». Cette conception a été mise en lumière par un article du jeune monarchiste Jacques Bainville, qui, remplissant une mission non officielle en Russie, a eu l’occasion de se convaincre que les « problèmes démocratiques » ne sont pas partout universellement reconnus dans le camp des Alliés. La propagande des idées républicaines en Allemagne… Mais même les gauches socialistes elles que Leipziger Volkszeitung déclarent qu’elles ne veulent pas d’une démocratie imposée par les baïonnettes. Il est vrai que l’aviateur Marchal a jeté au-dessus de Berlin des tracts républicains. Mais même le dirigeant de l’Humanité, Renaudel, dut remarquer que les tracts n’étaient signés ni par les gouvernements alliés, ni par le gouvernement de la République, mais par l’aviateur lui-même. Le principe des nationalités ? Mais il est à double tranchant, nous dit Bainville et, maintenant, après le malchanceux Congrès tenu à Lausanne, non seulement la politique, mais encore la rhétorique se comportent avec méfiance envers le programme de libération des peuples.

Au sein du Parti socialiste, l’opposition a fait constater cet état de choses avec insistance — avec un point de vue, cela va de soi, opposé à celui du monarchisme Bainville. La lutte à l’intérieur s’est accrue sans cesse pendant tout ce temps. Chassée de l’Humanité, l’opposition possède trois quotidiens en province et un hebdomadaire à Limoges : Le Populaire. De façon inattendue, la publication du soir, Le Bonnet Rouge, s’est mise du côté de l’opposition. Ce n’est un secret pour personne que ce journal est celui du radical Caillaux, ancien et (futur ?) Président du Conseil, adversaire déclaré du jusqu’auboutisme. L’opposition a deux courants très nettement distincts : les Zimmerwaldiens et es Longuettistes, ainsi nommés d’après Longuet qui, par sa mère, serait le petit-fils de Karl Marx. Il ne serait pas très exact d’appeler ce député si mou un « chef » de l’opposition modérée, c’est-à-dire non-zimmerwaldienne. Mais comme la première est composée de plusieurs tendances, on peut à la rigueur dire à Longuet qu’il en représente la résultante.

Le point principal de divergence demeure le problème du rétablissement des relations internationales. Les Longuettistes veulent que le Parti agisse simultanément dans les cadres nationaux et internationaux pour la conclusion la plus rapide de la paix. Donc le Parti veut obtenir du gouvernement qu’il déclare ouvertement du haut de la tribune parlementaire ses buts de guerre ; d’un autre côté, l’initiative par le gouvernement d’ouverture de pourparlers de paix doit faciliter la reprise des relations entre les Partis socialistes, ce qui représente un large programme de paix. Telles sont les idées de base des Longuettistes, comme on le voit, sans prétention.

Le « chef » incontesté de la majorité du Socialisme officiel est le vétérinaire Renaudel. Du temps de Jaurès, il se cantonna dans le rôle modeste d’administrateur de l’organisme central et se fit connaître par son œuvre distinguée dans la vie intérieure du parti, c’est-à-dire par sa cuisine.

Non dépourvu de dons en tant qu’orateur et journaliste, il était cependant privé d’originalité. La personnalité puissante de Jaurès l’écrasa à jamais. La rhétorique bouillonnante de Jaurès s’appuyait sur une riche fantaisie et sur le don remarquable de saisir les idées, alors que, d’un autre côté, l’opportunisme politique du tribun se dévoilait par son optimisme et sa magnanimité géniale. Renaudel tente en vain d’imiter les effets oratoires de son maître, mais son éloquence est pauvre et les accents de sa voix, suivant l’expression du poète Georges Pioch, nous rappellent que Jaurès n’est plus. La force principale de Renaudel consiste en son talent de stratège parlementaire et son habileté dans les couloirs. Dépourvu de haute perspicacité, mais non sans succès, Renaudel joue des passions humaines et sait opposer les intérêts qui, comme chacun sait, ne sont pas toujours des plus élevés. La politique, dite « de couloirs », permet à Renaudel de déployer toute sa force dans ce domaine, et ces méthodes, au sein du Parti, li ont conféré la première place.

Renaudel explique aux Longuettistes qu’on ne peut rétablir des liens avec la Social-démocratie que si celle-ci rompt avec son gouvernement et si son opposition prend la tête. Les Longuettistes répondent à Renaudel que l’opposition allemande regarde les adversaires de ce dernier comme des homologues et que parler du rétablissement des liens internationaux veut dire ceci : où il se fait au niveau de sphères officielles des Partis qui suivent la politique gouvernementale, ou à celui des deux oppositions ; toute tentative de combinaisons, où se trouveraient, d’une part Renaudel, de l’autre Haase ou Liebknecht, est par avance sans espoir.

Les Longuettistes comptent sur le tiers des députés socialistes ; à leur gauche, siègent trois parlementaires : Brizon, Raffin-Dugens, et Alexandre Blanc qui ont pris part à la deuxième Conférence de Zimmerwald (Kienthal). La conversation de Raffin-Dugens avec Poincaré causa une grande sensation dans les milieux politiques. Récemment, le Président de la République invita Raffin pour une conversation privée. Notre « Kienthalien » se rendit à l’invitation. L’entrevue dura une heure et demie, fut très « courtoise », d’après Raffin. Mais, autant que l’on peut en juger, les deux parties restèrent sur leurs positions.

L’influence des Zimmerwaldiens sur les hautes sphères du Parti est négligeable. Elle est même peu importante dans les Sections vidées par la mobilisation. Elle est incomparablement plus forte dans les rangs des syndicalistes, des jeunes et des femmes. Mais les Zimmerwaldiens soutiennent avec raison que l’opposition longuettiste n’est apparue que sous la pression de leur critique impitoyable. Les Longuettistes doivent en entendre de sévères, d’une part de la « Droite » où l’on exige qu’ils assument toutes les conséquences du principe de la « défense nationale », d’autre part de « la gauche » où les Zimmerwaldiens leur reprochent leur internationalisme platonique. « Vous insistez pour que le gouvernement rende publics ses buts de guerre ? disent les Zimmerwaldiens. — Fort bien. Mais le Parti socialiste fait partie du gouvernement : donc, il adresse à lui-même ses propres exigences. » Plus loin encore : « Comment se fait-il que les Longuettistes approuvent les crédits militaires s’ils ignorent les buts de guerre ? » Les zimmerwaldiens exigent, par conséquent, le retrait des ministres socialistes et le refus des crédits. Les Longuettistes sont d’accord en ce qui concerne la première exigence, mais repoussent la deuxième.

C’est dans ces conditions que s’est réuni le Congrès national (tous les trois mois), composé des représentants des organisations départementales (Fédérations). Ce fut l’occasion d’une lutte acharnée entre les trois points de vue soutenus : la Majorité, les Longuettistes et les Zimmerwaldiens s’affrontèrent. Déjà, lors de la dernière séance, les Longuettistes, unis aux Zimmerwaldiens, avaient rassemblé un tiers des mandats. Ils démontrèrent que, si l’on faisait abstraction de la représentation fictive des départements occupés par les Allemands (plusieurs dizaines de réfugiés en détiennent les mandats), ils auraient atteint la majorité. Comme au cours des trois mois écoulés, l’opposition s’est renforcée, la presse bourgeoise a émis la crainte de voir la minorité devenir la majorité. Hervé, le plus officieux des publicistes, a tiré les conclusions suivantes : retrait des ministres et crise ministérielle. Cela ne se réalisa pas. Le rapport de forces se modifia : certes, l’opposition gagna en nombre, mais la majorité resta la majorité.

Les discussions prirent un tour passionné et même tumultueux. Trois ministres socialistes assistaient aux débats. Le journal sérieux Le Temps raconte qu’un jeune socialiste accosta Guesde à l’entrée de la salle de séance pour lui présenter une publication zimmerwaldienne. « Qu’est-ce que c’est ? » demanda le ministre peu aimablement. « Une publication de socialistes qui sont vos adversaires, Monsieur le Ministre. » — « Je n’en ai pas, répondit Guesde. Certains camarades pensent que je me trompe, je pense que ce sont eux qui sont dans l’erreur… »

Guesde n’intervint pas une seule fois. Par contre, un autre ministre socialiste, l’auteur du livre Faites un roi, sinon faites la paix, Marcel Sembat, attaqua énergiquement l’opposition et en particulier Kienthal qu’il qualifia de « pis que Zimmerwald ». Chaque phrase de l’éloquent ministre des Travaux publics fut interrompue. « Pour que l’on prenne le parti au sérieux, il faut que nous-mêmes nous nous prenions au sérieux et remplissions les obligations de nos Congrès. » — « En particulier, lui cria de sa place Raffin-Dugens, il faut que les ministres remplissent l’obligation de l’unité de vote ! »

Pour comprendre le sens de cette exclamation, il faut se rappeler que les ministres socialistes, en dépit de ce qui fut adopté par les Congrès, votèrent, parfois, en qualité de députés, contre leur groupe, plaçant la solidarité ministérielle au-dessus de la discipline du Parti. Sembat souligna l’organisation et l’activité de la minorité. Partout où voyageait le socialiste belge De Brouckère, ancien propriétaire du journal bruxellois Le Peuple, qui faisait une active propagande chauviniste, il rencontrait des opposants armés de son discours de la veille.

Un des leaders de l’opposition longuettiste, Pressemane, fit remarquer que les arguments n’étaient pas nouveaux et que toute l’affaire se réduisait à la comparaison des forces en présence. Un autre membre de l’opposition, en uniforme de sous-officier, Paul Faure (ne pas confondre avec le prince des poètes, Paul Fort, avec lequel il n’a rien de commun), fit remarquer que l’opposition faisait une grande concession à la majorité en proposant la convocation d’une Conférence des partis socialistes alliés qui devait décider de la convocation du Bureau international. Cette concession, qui comptait rallier les hésitants de la majorité au profit de l’opposition, était trop vague. Les Partis « alliés » : serbe, italien, russe, anglais, avaient déjà fait connaître leur désaccord quant à une Conférence unilatérale des Partis « alliés ». D’un autre côté, la majorité française, marchant la main dans la main avec des éléments belges, tels que Vanderdelde et De Bouckère, ne tenait pas du tout à soumettre la question au jugement des Zimmerwaldiens.

La majorité et la minorité inclurent dans leur résolution le souhait d’une Conférence des Partis alliés ; mais les partisans de Renaudel réduisaient la Conférence à l’élaboration d’un programme de paix de longue durée et d’une Conférence économique des pays de l’Entente. Les deux projets de résolution incluaient, quoique sous une forme différente, la reconnaissance de la nécessité d’oblige le gouvernement français à publier — suivant l’exemple d’Asquith — ses buts de guerre. Ainsi la différence fondamentale des deux résolutions ne consistait qu’en la reconnaissance de principe de l’inadmissibilité (pour Renaudel) et, par contre, de la nécessité (pour Longuet-Mistral-Pressemane) de rétablir les relations internationales. La motion Renaudel obtint 1 824 mandants, celle des opposants, 1 075, soit plus du tiers. Après le vote, l’opposition se refusa à poursuivre les débats et sortit au chant de l’Internationale.

Il faut dire, en général, que les séances du Comité National étaient riches en incidents dramatiques, car parfois les passions éclataient. Plusieurs incidents restent attachés au nom d’Alexandre Varenne. C’est un député bien connu, siégeant à l’extrême droite de la majorité officielle. Il était censeur, au début de la guerre, et devint ensuite un des trois principaux rédacteurs de L’Événement, paru pendant la guerre. Tous les milieux politiques et littéraires de paris savent que ce journal ne vit que par les fonds de la firme anglaise « Maxim », dont les buts se passent de commentaires. Voilà pourquoi, les dirigeants du journal, dont le député Varenne, sont surnommés « les hommes de chez Maxim » (en réplique à « la Dame de chez Maxim »). Ce sobriquet, qui parut dans la presse, souleva une tempête dans la salle de conférence du Comité National…

De façon particulièrement acharnée, la minorité dénonça l’attitude de l’appareil du Parti (l’Humanité et ses propagandistes) qui ne sert que les intérêts de la majorité et reste sourd à toute réclamation de l’autre courant. Mais, malgré toutes les menaces, l’opposition n’obtint aucune concession. La question fut ajournée jusqu’à la session de Noël…

Tous les articles de la presse bourgeoise reconnaissent que cette réunion est un facteur politique extraordinairement important. Le Temps, Le Figaro et même l’Action Française, félicitent la majorité d’avoir résisté à l’opposition sur cette question capitale : le rétablissement des relations internationales. En même temps ces journaux regrettent avec plus ou moins d’énergie les quelques concessions faites à « l’esprit de Kienthal ». Mais le plus intéressant est ce que ces gazettes écrivent sur l’opposition. Comme toujours, l’article le plus vif et le plus significatif est celui du rédacteur en chef du Figaro, Capus, très proche du Président de la République et de Briand. « L’opposition n’est pas une formation fortuite… elle représente plus du tiers du parti, elle ne fait aucune concession et continuera jusqu’à la fin des hostilités à forger ses plans les plus dangereux. Elle compromet le Parti socialiste, car celui-ci la laisse agir à l’ombre de son drapeau. » Capus cite le discours de Sembat sur la nécessité de la résistance dans l’opposition, et continue ainsi : « Sembat sait mieux que nous que ses efforts n’arrêteront pas les mouvements de Kienthal et de Zimmerwald ; il est placé, comme les autres sociaux-patriotes, devant le dilemme : ou bien, deux partis socialistes, l’un national, l’autre contaminé par des éléments allemands, ou bien, la conservation de l’unité du parti mais, alors, renoncement au pouvoir. »

On peut dire que Capus formule en partie, en partie anticipe sur la réponse de tout le bloc gouvernemental à l’accroissement de l’opposition dans le Parti socialiste : ou la scission ou le départ du ministère.

On entend de plus en plus souvent dire dans les rangs de la minorité que « la scission morale » est un fait accompli.

(Paris, septembre 1916)

  1. Le Comité pour la reprise des relations internationales se transforma en Comité de la IIIe Internationale. Entrèrent au Comité : Loriot, Rosmer, Monatte (qui fut mobilisé), des membres de la rédaction de Naché Slovo et aussi des éléments pacifistes, qui désertent bientôt : Merrheim, Bourderon, etc.
  2. Reproduisons ici, pour caractériser la dialectique brillante de Longuet, un de ses arguments « Comment expliquerons-nous à nos combattants notre refus de verser des allocations à leurs femmes et à leurs enfants ? » Nous recommandons à Plékhanov cette nouvelle philosophie du social-patriotisme, suivant laquelle la guerre est une entreprise philanthropique, servant — par des chemins un peu détournés — à l’entretien des orphelins.