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Special pages :
XI. Dans la social-démocratie allemande
- Tome 1
- Préface et introduction
- I. D’Autriche en Suisse
- II. Les premières semaines de la guerre. « Extraits de mon journal en Suisse. »
- III. La guerre et l’Internationale. Principes de la question fondamentale.
- IV. La guerre dans la politique
- V. Échos de Russie
- VI. De la théorie du social-patriotisme
- Tome 2
- Introduction
- VII. Zimmerwald
- VIII. Étapes
- IX. Le social-patriotisme russe
- X. La crise du socialisme Français
- XI. Dans la social-démocratie allemande
- XII. Dans la social-démocratie autrichienne
- XIII. La persécution contre Racovski
- XIV. Dans un monde de vilénie et de désarroi
- XV. Expulsé de France
- XVI. À travers l'Espagne
- XVII. Aux USA
- XVIII. Dans les geôles de Lloyd George
- XIX. Programme de paix
Il y a encore des sociaux-démocrates[modifier le wikicode]
Nous avons reçu, avec beaucoup de retard, le numéro de Février de Lichtstrahlen, petit journal de propagande autour duquel se groupent de nombreux Internationalistes. L’article de tête — « Il y a encore des sociaux-démocrates » — est consacré à la conduite des socialistes français et russes vis-à-vis de la Conférence de Londres.
« Comme une consolation dans un grand chagrin, comme une étincelle dans l’obscurité, poursuit le journal, nous parvient la nouvelle qu’en dépit de tout, il existe encore des sociaux-démocrates. La nouvelle nous vient de nos camarades, les sociaux-démocrates russes. Ils ont refusé avec indignation de jouer le rôle d’instrument dans les mains du Tsarisme qu’ils considèrent comme l’arme de leur mortel ennemi, le Capitalisme…
« Dans un article admirable, dont quelques passages furent reproduits par « Vorwaerts » [il s’agit de la déclaration rédigée par un collègue des collaborateurs de Naché Slovo], ils ont montré au monde que le Socialisme n’est pas mort, qu’il y a encore des socialistes de l’Entente comme si ces derniers avaient entre eux des liens étroits et particuliers. En premier lieu, cette Conférence contredit l’internationalité des problèmes posés au prolétariat, disent nos camarades russes. N’ont-ils pas raison ? Si les capitalistes anglais, français et russes ont jugé bon de conclure une alliance, est-ce une raison pour que les socialistes de ces pays forment entre eux une sorte d’union, qui exclut les socialistes allemands, autrichiens et neutres ? N’est-ce pas là sanctionner les actions sanglantes du Capitalisme et abaisser les socialistes au rôle d’une garde du corps ?
« Allons plus loin. Quel but veut atteindre la Conférence de Londres ? ». — « À soutenir politiquement et moralement la politique de l’Entente », nous répondent nos camarades russes. Là encore, ils sont dans le vrai. La « Défense nationale » comme l’imaginent les diplomates de l’Entente n’est qu’une tromperie, elle est un mensonge si la guerre est proclamée libératrice, cette tromperie et ce mensonge doivent être fortifiés par « le mauvais usage des idées et de l’autorité du Socialisme international ».
« Le problème fondamental des éléments socialistes de l’Entente, ainsi parlent nos camarades russes, consiste à dévoiler les significations réelles de cette guerre et à montrer au monde que les socialistes gouvernementaux n’ont pas pour eux tous les socialistes des nations alliées… »
« Il est bien difficile de croire, ainsi s’achève l’article, que Guesde, Sembat et leurs frères se réjouissent de ce langage sincère, honnête et viril. Nous nous en réjouissons d’autant plus qu’il existe des sociaux-démocrates qui, dans le tohu-bohu enragé de la guerre, n’oublient pas leur devoir. »
Jamais encore, ajouterons-nous, l’activité des socialistes dans un pays ne fut aussi dépendante de la politique socialiste des autres pays. L’accroissement de la solidarité internationale et la lutte pour la paix ne peuvent se développer que parallèlement dans les nations emportées par un tourbillon sanglant. Les socialistes gouvernementaux français contemplent avec espoir la montée du sentiment révolutionnaire chez les prolétaires allemands. Et toute leur conduite repose sur cet espoir. Au contraire, les sociaux-démocrates révolutionnaires russes ne soutiennent pas l’Impérialisme allemand comme le prétendent calomnieusement les sycophantes patriotiques, mais son mortel ennemi, l’aile internationaliste de la Social-démocratie allemande. La lutte menée par cette dernière nous est, à son tour, un appui précieux dans notre lutte contre la réaction « ententiste ».
En vérité, il y a encore des sociaux-démocrates révolutionnaires, demain, il y en aura plus encore.
(Naché Slovo, 31 mars 1915)
« Ils sont d’un autre esprit »[modifier le wikicode]
Le premier numéro (avril) de l’Internationale, journal de Rosa Luxembourg et de Franz Mehring, a paru en Suisse. C’est seulement maintenant que nous avons l’occasion de recevoir ce journal qui fut toujours confisqué par la police allemande qui veille attentivement à protéger la « paix civile ».
Aucun article n’est consacré à l’explication du caractère de la guerre et aux motifs historiques de la crise de l’Internationale. La publication se donne des buts de guerre directs. Estimer le comportement du Parti officiel mettant son puissant mécanisme au service de l’Impérialisme. Opposer à la politique officielle, la politique de lutte de classe. On cite quelquefois les paroles de Luther au sujet de ses ennemis idéologiques : « Ils sont d’un autre esprit. » « L’esprit » du Marxisme est opposé à « l’esprit » du Social-nationalisme.
Ce numéro de revue est centré sur un article que Rosa Luxembourg avait écrit avant son emprisonnement. En voici les idées essentielles :
Le Socialisme ou l’Impérialisme — cette alternative a caractérisé l’orientation politique des Partis ouvriers ces derniers temps… La guerre éclatant, l’alternative s’est changée en une situation politique. Placée devant cette alternative, qu’elle reconnaissait et portait à la conscience des masses, la Social-démocratie… a laissé la place sans combattre à l’Impérialisme. Jamais encore, depuis qu’a commencé la lutte des classes, depuis qu’existent les Partis politiques, on n’a vu un Parti occupant une position de premier ordre après cinquante ans de lutte ininterrompue, groupant des millions d’adhérents, jamais on n’a vu un Parti disparaître en tant que facteur politique, en moins de 24 heures, comme ce fut le cas pour la Social-démocratie allemande.
Rosa Luxembourg s’en prend avec indignation à Kautsky et aux Marxistes autrichiens, propagandistes de la non-résistance au mal et de l’attentisme. « Cette théorie, qui s’imagine conserver la vertu du Socialisme du fait que celui-ci est exclu de l’Histoire mondiale à un moment décisif, souffre du péché fondamental de tous les calculs de l’impuissance politique : elle fait les comptes sans l’hôte. »
L’opinion que la lutte de classe et l’Internationale ne doivent pas se consacrer à l’auto-défense, est rejetée avec indignation par Rosa Luxembourg, non seulement comme une politique de capitulation, mais comme une trahison théorique du Marxisme.
« En conséquence, il existe pour le prolétariat non une règle vitale comme l’enseignait le Socialisme, mais deux : une pour la paix et l’autre pour la guerre. En temps de paix, dans chaque pays existe la lutte de classe, et ici intervient la solidarité internationale ; en temps de guerre, à l’intérieur joue la solidarité de classe ; à l’extérieur, c’est la lutte entre les travailleurs de différents pays… Mais la lutte prolétarienne n’est que la conséquence de la mainmise de la bourgeoisie. En guerre, celle-ci ne disparaît pas pour autant ; au contraire, son fardeau se fait plus pesant du fait de la spéculation et des conséquences de la dictature militaire sur les travailleurs. La prédominance bourgeoise ne fait que s’accentuer grâce à la suppression des droits constitutionnels et se transforme en une dictature de classe. »
Ou l’Internationale ne sera qu’un monceau de ruines après la guerre, ou son rétablissement se fera sur le terrain de la lutte de classe, d’où elle tirera son suc nourricier. La renaissance de l’Internationale ne pourra se faire si, après la guerre, on reprend le vieil accordéon pour rejouer les mêmes mélodies comme s’il ne s’était rien passé depuis le 4 août. Non ! Elle ne sera possible que « par l’élimination impitoyable de ses propres faiblesses », par la liquidation de sa tactique depuis le 4 août. Le premier pas à accomplir dans cette direction est la lutte pour la fin de la guerre, pour la conclusion d’une paix répondant à l’intérêt général du prolétariat international.
L’auteur passe ensuite à la critique de la déclaration de la fraction parlementaire social-démocrate contre la politique d’annexion : « Les déclaration solennelles au Parlement contre toute politique de conquête n’ont aucune influence sur l’issue de la guerre. Celle-ci, dont la prolongation est soutenue par Scheidemann et autres, possède sa propre logique dont les auxiliaires actifs sont les éléments parlementaires et des journalistes sociaux-démocrates tenant l’étrier à leurs maîtres… Le combat victorieux pour la paix et l’Internationale ne peut être engagé que par les socialistes des nations belligérantes. Le premier pas dans cette direction est la volte-face décidée sur la route du social-impérialisme. »
Dans un article de Za mir, Clara Zetkine rapproche les signes du dégrisement dans les Partis ouvriers des différents pays… L’article se termine par un appel à la Social-démocratie allemande, lui enjoignant de prendre le chemin de la lutte pour la paix. « Il faut se décider enfin… avec des chefs, s’il y en a ; sans eux, s’ils hésitent encore ; contre eux, s’ils veulent freiner le mouvement. Seule une lutte de ce genre peut poser la pierre de base de l’édification de l’Internationale prolétarienne. »
Franz Mehring, dans son article « Nos précepteurs et la politique d’instance », démontre que la nouvelle orientation du Parti, essayant de dissimuler son activité sous des références à Marx, Engels et Lassalle (que les nouveaux dirigeants considéraient jusqu’à cette guerre comme « dépassés »), rompt totalement avec les méthodes marxistes et n’est qu’une capitulation devant les intérêts de classe de l’ennemi à peine camouflés par les conceptions d’un empirisme vulgaire. La politique des instances du Parti, ainsi termine Mehring, présente une rupture complète avec l’héritage spirituel de nos premiers maîtres, avec l’histoire et les conceptions fondamentales de la Social-démocratie allemande. La conséquence logique de cette politique serait la fondation d’un Parti ouvrier Social-national réconciliée avec le militarisme et la monarchie et se contentant des réformes qu’accorde aux prolétaires une société bourgeoise… Ce serait l’étouffement du mouvement ouvrier si l’on pouvait dissimuler sous des flots de paroles sonores la crevasse béante qui sépare le passé du présent… Contre cette auto-falsification, contre cette lâche soumission des méthodes du Socialisme à des buts mortels, Mehring appelle à une lutte implacable sous le drapeau du Marxisme. Il faut clairement montrer qu’eux et nous, sommes d’un autre esprit !
(Naché Slovo, 13 juin 1915)
« La gauche » et « le centre » dans la social-démocratie allemande[modifier le wikicode]
L’Internationale, le journal de Rosa Luxembourg et de Mehring, eut disparu après la parution de son premier numéro, la Gauche ne disposa plus que d’un unique journal de propagande Lichstrahlen [Rayons de lumière]. Les tentatives de la rédaction de passer d’une publication mensuelle à un hebdomadaire ou de faire augmenter le format des brochures mensuelles, se brisèrent chaque fois sur l’interdit lancé par les autorités militaires. Dans les ténèbres de l’Union nationale, les « Rayons de lumière » ne pouvaient prétendre à plus de 24 pages par mois.
Le numéro de juillet, imprimé avec retard — comme l’annonce la rédaction —, contient un article sur le « Centre ». Après avoir caractérisé les groupements tels qu’ils existaient dans la Social-démocratie jusqu’à la guerre et soumis à la critique l’organisation du Centre groupé autour de Kautsky, l’article ajoute :
« La guerre en éclatant trouva la classe ouvrière nullement préparée. Parmi les dirigeants, le nombre des opportunistes se révéla plus grand que prévu.
« Ils assumèrent la responsabilité de la guerre. Et comme se sont comportés les partisans de Kautsky, le Centre du Parti ? En complet désarroi idéologique, ils n’eurent plus qu’une idée en tête, éloigné l’organisation de tout péril. Alors que le Centre marchait, mais dans la main avec les sociaux-impérialistes, il se différenciait d’eux par la pensée qu’après la guerre il pourrait reprendre la vieille chanson ; les opportunistes avaient déclaré fort justement : il est indispensable de tirer de la politique du 4 août toutes les conséquences !
« Actuellement, le Parti est déchiré par une lutte intérieure qu’il n’a jamais connue dans toute son histoire. L’impossibilité de déclarer ouvertement les divergences ne fait qu’envenimer la situation. Les contradictions ne concernent pas seulement l’évaluation de la guerre mondiale et de la future politique de la Social-démocratie. Elles consistent dans la différence de l’activité. À la Droite social-patriotique qui persévère dans la collaboration dans tous les domaines — même dans le futur, la Gauche répond par une propagande et une action diamétralement opposées. La Droite d’efforce de chasser la Gauche du Parti. Que fait le Centre ? Il défend en réalité la politique de la Droite. Il déplore les excès tant de la Droite que de la Gauche, recommande la patience et réchauffe les vieilles espérances que l’on peut guérir l’Impérialisme de « ses dangereuses tendances ». Si Kautsky et ses partisans se fâchent de temps à autre contre les résultats de la politique de l’aile droit, s’ils sont convaincus de pouvoir conserver les vieux principes, ils ne font qu’augmenter le chaos. C’est une profusion d’arguments semblables que Kautsky offre aux éléments du Parti qui, même dans cette tempête mondiale, ne veulent pas être arrachés à leur tranquillité. Grâce à la grande autorité dont jouit Kautsky auprès des masses laborieuses, en tant que principal vulgarisateur de Marx, il arrête le processus de l’explication idéologique.
« Il est impossible de lutter contre la Droite sans lutter contre les conceptions de Kautsky. La lutte contre ce dernier n’est pas une lutte à l’intérieur du camp marxiste ; elle n’est pas une séparation de la Gauche. C’est une lutte pour le transfert des principes marxistes dans la période historique actuelle, une lutte pour l’union de tous les éléments de gauche du Parti, dont une fraction, sous l’influence de Kautsky, balance de droite à gauche, attaque la Droite en paroles, mais la soutient en fait. »
Comme on le sait, cette lutte décisive menée par la Gauche aida Kautsky à sortir du quiétisme où il se trouvait depuis le début de la guerre. Le manifeste signé de son nom, en dépit des limitations politiques et particulièrement tactiques de son contenu — en un certain sens grâce à ces limitations — porta un coup inappréciable à cette politique « de tout va très bien » dont Kautsky avait été le théoricien pendant toute la guerre. La position du Centre fut politiquement compromise irréversiblement. Le Manifeste de Bernstein, de Haase et de Kautsky donna une impulsion indubitable à la de larges cercles du Parti. Mais ne représentant qu’un pas timide hors du Bloc national, le Manifeste contient des « excès », c’est-à-dire des conclusions tactiques à tirer à partir des tentatives des Révolutionnaires internationalistes. Voilà pourquoi la lutte de la Gauche et du Centre n’a pas encore dit son dernier mot. Les masses laborieuses sortiront d’autant plus vite de la tutelle idéologique du Centre, que la Gauche accomplira avec plus de décision son travail de critique et de propagande.
(Naché Slovo, 11 juillet 1911)
Sans échelle de mesure[modifier le wikicode]
La lettre de Kossovsky[1], reproduite dans notre numéro 137 de Naché Slovo, ne fait que rétablir la confusion des compréhensions et des définitions, à laquelle nous avions voulu mettre un peu d’ordre par notre article de tête, celui qui provoqua la réponse de Kossovsky.
L’auteur de la lettre nie énergiquement toute attirance pour « l’échelle allemande ». Qu’est-ce que l’échelle allemande, demande-t-il ? La politique internationale de l’Impérialisme allemand ? Avec elle, Kossovsky, évidemment, ne sympathise pas. Mais il ne regarde pas comme un péché sa sympathie pour la Social-démocratie allemande. Le nœud de l’affaire consiste en ce que la Social-démocratie incarcérée par ses dirigeants officiels s’est ralliée à la politique gouvernementale. On peut partager les idées de la fraction du reichstag. Mais qui les partage ou les approuve reconnaît par-là que la politique internationale allemande a le droit d’être appuyés par le Parti du prolétariat. Comme le Parti a mis ses forces et son autorité au service du Pouvoir, on ne peut plus établir de distinction entre la politique du Socialisme serviteur et celle de l’Impérialisme maître. Il est vrai que Kossovsky tente de nier le fait de la domestication de la Social-démocratie. Mais si le vote des crédits, la confiance accordée au Pouvoir, le refus de la lutte de classe, le virement de la politique socialiste cers celle des dirigeants junkers, si cela n’est pas, suivant Kossovsky, une politique de soutien à l’Impérialisme, cela signifie que nous ne parlons pas la même langue, et il faudrait nous mettre d’accord avec lui sur les conceptions fondamentales dans le domaine de la politique prolétarienne.
Notre antagoniste essaie de définir son comportement pacificateur envers le Parti officiel allemand par un nouvel argument tout à fait particulier : dans les rangs « du Parti » « s’accomplit un travail intense d’auto-critique, qui se poursuit malgré l’oppression de la dictature militaire ; la Social-démocratie continue son intense vie intellectuelle et cherche désespérément une issue à la crise idéologique… » Tout à fait juste ! Mais en quoi consiste exactement « l’intense vie intellectuelle » de la Social-démocratie allemande ? L’aile gauche s’est levée contre les sphères dirigeantes officielles qui ont capitulé devant l’Impérialisme ; elle le fait sous le drapeau de l’Internationalisme. Le Centre a tenté de paralyser « l’intense vie intellectuelle » en alléguant les intérêts de l’unité du Parti. En conséquence de quoi il patauge dans des courants irréconciliables, en rejetant dans l’opposition ses meilleurs représentants. Pourquoi et à qui Kossovsky donne-t-il sa sympathie ? Pour le socialisme, qui a le devoir de participer à la vie spirituelle de sa communauté internationale, c’est une position trop bon marché que de négliger les péchés (d’ailleurs à demi reconnus par Kossovsky) de la Social-démocratie, en considérant la variété de ses différents courants. Il faut faire plus, il faut prendre une position pour ou contre, et ne pas s’attribuer le droit d’un protectorat historique sur le processus en cours.
Kossovsky est pour « un comportement prudent envers les partis, qu’on nomme officiels, particulièrement envers la Social-démocratie allemande ». La prudence est une qualité respectable si elle est soumise à l’esprit de décision et au courage. Mais sous le fracas des appels à « la prudence », les dirigeants du Parti tentent d’étouffer l’aile internationale. Pour qui tient Kossovsky dans cette lutte à la vie, à la mort ? Pour Kossovsky — avec « prudence », et c’est tout. Si nous affirmons « que les principaux Partis de l’Internationale sont en pleine faillite, que partout règne le social-impérialisme, c’est…, nous dit Kossovsky, que notre affaire est sans espoir ». Quelle affaire ? Le sauvetage des centres des Partis, des organisations officielles et d’autres de réputation respectable ? Oui, cette affaire est sûrement sans espoir. Mais celle du prolétariat socialiste auquel l’époque précédente a donné une école insuffisante certes, mais immense, y consacrant les forces intellectuelles et morales de générations de grands et de petits « chefs », cette affaire-là n’est nullement désespérée. Cet espoir vient de ce qu’au sein du Parti, la protestation est sans cesse plus forte. On proteste contre cette politique qui résume en soi tout ce qu’il y avait d’arriéré, de borné et de réactionnaire dans la pratique et l’idéologie de la IIe Internationale. Une critique et une auto-critique courageuse et impitoyable sont les conditions essentielles pour se sauver du désespoir. Qui ne l’a pas compris aujourd’hui le comprendra peut-être demain. Et qui ne le comprend pas sera rejeté par le mouvement dans les rangs des observateurs impuissants.
La position de Kossovsky est caractérisée par sa condescendance envers les éléments de gauche qui recherchent le contact mutuel ! « L’Internationale, écrit-il, renaîtra en tant que somme des anciens Partis » : donc il faut faire disparaître les contradictions entre eux. En ce qui concerne l’union des minorités, des oppositions, elle ne peut donner « autre chose qu’un petit cercle, une secte, la caricature de l’Internationale dépourvue d’influence et de signification ». À qui donc Kossovsky confie-t-il le soin de rétablir l’Internationale ? À ceux qui l’ont tuée par la politique des blocs ou à ceux qui, sous le drapeau de la lutte de classe, ont pris l’initiative de la faire revivre ? Si nous pensions que la politique d’Union nationale puisse encore, après les convulsions mondiales de la guerre, séduire la classe ouvrière, alors, notre tâche serait sans espoir. Mais nous sommes convaincus du contraire, nous prévoyons — et tous les symptômes nous disent que nous sommes dans le vrai —, que le Bloc national s’écroulera sur la tête de ceux qui l’ont créé. Notre problème consiste à préparer les masses à la prise de conscience de leurs buts révolutionnaires. C’est notre problème, celui de l’aile gauche de l’Internationale. Si nous cherchons des rapprochements, ce n’est pas pour « créer » des sectes, mais pour imprimer le cachet révolutionnaire à la lutte contre le nationalisme dans tous les domaines des vieux Partis du prolétariat.
Kossovsky ne peut pas nous pardonner ce que nous pouvions, en son temps, pardonner à Vorwaerts, son reniement à la poursuite de la guerre de classe : « Un client vivant, nous dit notre adversaire, vaut mieux qu’un lion mort. » Malheureusement nous devons renoncer à l’inclure ce principe nouveau dans notre arsenal intellectuel et nous recommandons instamment à Kossovsky d’appliquer ce principe avec « prudence ». Aucune organisation, aucun journal n’est, en fin de compte, un but en soi. Un journal est bon et nécessaire quand il crée un lien intellectuel entre les particules atomisées d’une classe. Il y a des moments où ce lien peut être créé par la disparition d’un journal. L’organe central du Parti a déclaré aux travailleurs, qu’en ce moment le problème du Socialisme consistait à refuser la lutte de classe. En cessant de paraître, Vorwaerts aurait annoncé aux masses que cette lutte était le critère suprême de la politique prolétarienne : par sa disparition, le journal aurait suivi la même politique qu’il servait depuis sa création. Et qui sait ? Peut-être cela aurait-il incité les autorités militaires, dans leurs propres intérêts, à retirer leur impudent ultimatum adressé à la Social-démocratie. Et Vorwaerts aurait pu renaître sans estampille « canine » sur le front. Même, ayant accepté cette marque, il n’a pris aucune assurance contre une fermeture éventuelle.
Pour Kossovsky, notre « échelle » est « démodée ». Elle l’est dans ce sens que nous restons fidèles aux meilleures traditions du Socialisme révolutionnaire. Nous ne renonçons pas à notre échelle. L’exemple lamentable de Kossovsky nous confirme que nous avons raison. Ne se décidant pas à adopter l’échelle du social-militarisme, notre adversaire demeure devant nous sans aucune échelle. C’est la raison de la pauvreté intellectuelle de sa lettre.
(Naché Slovo, 17 mars 1915)
Les groupements dans la social-démocratie allemande[modifier le wikicode]
À propos de l’article du camarade Boukvoied (Riazanov) — « Mehring face à la guerre » — la direction estime indispensable de fixer sa position au sujet de la question posée par cet article, particulièrement en ce qui concerne les groupements dans la Social-démocratie allemande.
« Il est admis de considérer, nous dit le camarade Boukvoied, l’aile extrême des Internationalistes allemands comme constituée par le groupe “Internationale »[2]” Nous sommes entièrement d’accord. Nous ne nous sentons nullement obligés de partager toutes les opinions théoriques et les critères tactiques du groupe entier ou de chacun de ses membres, mais nous reconnaissons que le courant, sous le drapeau duquel paraît le journal L’Internationale, représente le flanc gauche de l’Internationalisme allemand et qu’il nous faudra, avec ce groupe, marcher, la main dans la main, dans notre lutte future. Nous sommes loin de vouloir rapetisser la signification de l’orientation théorique de la Social-démocratie ou de ses différents courants. Nous ne doutons pas que des divergences non seulement philosophico-historiques, mais de tactique, soient possibles et même inévitables. Mais les groupements normaux se définissent et s’unissent par-dessus tout par leur position politique et active. Sous cet angle notre solidarité va entièrement à ce groupement dont l’action politique s’exprime par les votes et les déclarations de Liebknecht, dans le manifeste appelé « Votre principal ennemi est dans votre pays », etc., etc.
Comme le déclare le camarade Boukvoied dans son article, Liebknecht orientait sa conduite, au début de la guerre, suivant le critère de la guerre offensive et libératrice. Nos lecteurs savent que nous regardons ce critère comme absolument impropre et nous ne pouvons que renvoyer le lecteur aux autres articles de Boukvoied où celui-ci dénonce cette impropriété avec une pleine conviction. Mais nous estimons indispensable de rappeler que dans la déclaration prononcée par Liebknecht à l’occasion du second vote des crédits de guerre, il n’a pas donné à son vote une argumentation formelle, non du point de vue de la guerre offensive ou défensive, mais du point de vue révolutionnaire et socialiste. On peut déplorer que Liebknecht n’ait pas adopté de suite cette position et qu’il ait marché avec Haase. Mais cette rectification tardive nous donne peu de possibilité pour nous orienter dans les groupements actuels de la Social-démocratie. Depuis le 4 août, quinze mois se sont écoulés. Les positions ont eu le temps de se définir. Le nom de Liebknecht — quelle force d’action politique ! — est devenu dans le monde entier le synonyme de courage socialiste, tandis que les noms de Haase et de Kautsky ne sont, dans les meilleurs cas, que synonymes de compromission.
Kautsky avait, déjà avant-guerre, compris le danger que présentaient les mots « défense » et « offensive » pour la tactique du prolétariat. Au Congrès d’Essen, en 1907, il avait répondu à Bebel en termes prophétiques.
Quand cette prophétie, présentée par Kautsky comme un argument logique, devint une tragique réalité, Kautsky capitula devant la majorité du Parti acquise au nationalisme, en employant les arguments qui le compromettaient le moins. Il démontra que tout allait très bien ; il ferma les yeux sur la monstrueuse démoralisation dans les rangs du parti, il rassura les mécontents et les invita à observer la discipline. Si l’opposition dans le Parti, au premier rang, Liebknecht, éleva la voix, ce fut malgré Kautsky.
C’est seulement quand les contradictions entre la majorité et l’opposition arrivèrent au suprême degré de tension que Kautsky, ne se rapprochant pas de l’opposition et ne signant pas le « Manifeste 200 » (si profondément de principe), reconnut, enfin, la différence des tendances impérialistes et du Socialisme allemand, et qu’il protesta, il est vrai avec Bernstein et Haase, mais uniquement contre les menées annexionnistes. Quand, plus tard, on souleva la question du rétablissement des relations internationales, Kautsky et Bernstein se rendirent à Berne pour des pourparlers stériles avec Jouhaux ; mais tous les trois, évidemment, furent absents à Zimmerwald. Pour autant que furent présents à cette Conférence des éléments qui de la Gauche se rapprochaient de Kautsky, comme Ledebour et d’autres révolutionnaires, y compris la délégation de Naché Slovo, il fallut persévérer dans la ligne de la gauche allemande (« Internationale », « Manifeste 200 ») contre celle passive et pacifiste du « Manifeste des trois » (Kautsky, Bernstein et Haase).
De tout ce que l’on vient de dire, il ressort clairement que nous nous solidarisons avec le groupement « Internationale », avec Liebknecht et Zetkine, les représentants les plus marquants du courant international qui va en grandissant dans le mouvement ouvrier allemand. Ces éléments mènent une lutte courageuse contre la « Paix civile », démasquent l’idéologie hypocrite de la « Défense nationale », brisent les cadres de la légalité et soulèvent les mases contre la guerre et les dirigeants. Main dans la main avec ces éléments, nous avons commencé et continuerons notre effort pour créer la IIIe Internationale !
(Naché Slovo, 17 novembre 1915)
La déclaration des vingt[modifier le wikicode]
À la séance du Reichstag, le 22 décembre 1915, le député Geyer lut, au nom de vingt députés, la déclaration suivante :
« La dictature militaire, qui écrase impitoyablement nos efforts pour la paix, s’efforce d’étouffer la liberté de penser, nous prive de la possibilité, hors du Reichstag, de faire connaître notre opinion sur le projet de loi concernant les crédits de guerre. De la même manière que nous condamnons les plans de conquête conçus par les gouvernements et les Partis des autres pays, nous nous élevons contre les plans porteurs d’aussi grands dangers de nos annexionnistes, qui constituent autant d’obstacles aux pourparlers de paix. Le Chancelier, le 9 décembre, répondant à une interpellation social-démocrate, non seulement ne s’est pas élevé contre ces plans annexionnistes, mais encore, il les a approuvés (Exclamations : « Tout à fait injuste ! »). Tous les Partis bourgeois l’ont soutenu, exigeant des compensations territoriales (« Tout à fait vrai ! »). Les pourparlers de paix ne peuvent être conduits avec succès, que s’ils sont menés sur la base suivante : aucun peuple ne doit être écrasé, l’indépendance économique et politique de chaque peuple doit être garantie, tous les plans de guerre doivent être définitivement rejetés. Nos frontières et notre indépendance ne sont exposées à aucun danger. Une invasion ennemie ne nous menace pas. Mais le péril nous menace, ainsi que le reste de l’Europe, de provoquer la misère et de détruire la culture, si la guerre se prolonge. (« Tout à fait vrai ! »). Par conséquent, le gouvernement allemand doit faire le premier pas vers la paix, car il se trouve avec ses Alliés dans la situation la plus favorable. (« C’est vrai ! »). La fraction social-démocrate a proposé au gouvernement de formuler ses propositions de paix. Le chancelier a répondu par un refus (« Tout à fait juste »). Cette horrible guerre continue. Chaque jour apporte d’innombrables souffrances. Nous ne pouvons appuyer une politique qui n’emploie pas toutes ses forces à mettre un terme à cette misère incommensurable, qui se trouve en contradiction irréconciliable avec les intérêts des larges couches de la population (« C’est vrai ! »). Notre désir de donner une forte impulsion aux efforts pour la paix qui se manifestent dans tous les pays, notre volonté de paix, notre répugnance à tous les plans de conquête — tout ceci, nous ne pouvons le lier au vote des crédits militaires. Donc, nous refusons le projet de loi. »
Voilà la déclaration de l’opposition parlementaire allemande, motivant son vote contre le nouveau crédit de dix milliards. Comme nous le voyons, la déclaration ne place pas la question de la politique « de guerre » de la Social-démocratie au niveau qu’il convient. La déclaration, basée sur une conception de la position stratégique de l’Allemagne, insiste sur le fait que celle-ci doit engager les pourparlers de paix. Supposer que l’opposition ait pris pour tout de bon la position des classes dirigeantes et des sociaux-patriotes, c’est lui causer une offense imméritée. Si l’aile gauche a souligné dans sa déclaration le fait que les frontières allemandes n’étaient pas menacées, c’est, par-dessus tout, pour dévoiler aux masses abusées la fausseté des formules défensives.
Mais l’affaire ne se limite pas à ces conceptions de propagande purement légitimes : cette motivation instable et politiquement superficielle a facilité, pour tous les partisans de l’opposition parlementaire, le passage de la passivité politique à une lutte active contre le militarisme national.
En soulignant l’indécision de la conscience révolutionnaire sur la question de principe de la « Défense nationale », la Déclaration des Vingt donne aux sociaux-patriotes de l’autre bord[3] des arguments à bon compte pour justifier leur oubli de la politique de classe et leur soumission. C’est en ceci que réside le côté faible de la Déclaration des Vingt.
Mais le fait de leur intervention garde toute sa valeur. L’opposition a cessé de s’abstenir et d’attendre passivement que la logique des événements, la pression des masses et sa propre action intérieure « éclairent » la majorité de la fraction parlementaire. L’opposition est intervenue activement contre le Bloc national, a placé ouvertement l’unité de la politique internationale prolétarienne au-dessus de l’union, à vrai dire fictive, de la fraction parlementaire.
À Zimmerwald, les délégués de toutes les nuances exigèrent des députés allemands qu’ils votent contre les crédits. Ledebour et ses amis, se fondant sur des considérations étroites d’organisation intérieure, s’opposèrent à ce que cette exigence fût insérée dans le texte du Manifeste, étant d’avis qu’elle ne pourrait que nuire à leur action future.
Les sociaux-patriotes tentèrent rapidement d’interpréter le comportement de la délégation allemande à Zimmerwald comme un refus de voter contre les crédits de guerre. Aucune explication, aucun démenti ne purent empêcher ces messieurs de torturer leurs lecteurs et leurs auditeurs avec cette invention, qui leur servait d’atout-maître dans la lutte des sociaux-patriotes contre la Conférence de Zimmerwald.
Maintenant la question est tranchée définitivement et sans appel. En plein accord avec l’esprit de la résolution de Zimmerwald, les « Vingt » de la Gauche allemande ont voté contre les crédits de guerre. Zimmerwald a trouvé un retentissement significatif dans les murs du Reichstag. Le vote des « Vingt » ne sera pas qu’un épisode — il restera une date mémorable dans l’histoire de la renaissance socialiste.
(Naché Slovo, 28 décembre 1915)
Vers le schisme de la fraction parlementaire social-démocrate[modifier le wikicode]
Le schisme de la fraction parlementaire social-démocrate ouvre un nouveau chapitre du mouvement socialiste international « du temps de guerre ».
Pendant les dix-douze dernières années, approximativement entre la guerre des Boers et le conflit actuel, le développement des forces de production et l’expansion capitaliste prirent un tour gigantesque. Parallèlement se manifestaient l’accroissement du mouvement ouvrier et l’égalisation de ses méthodes et de ses formes. Dans le domaine politique, la tactique formellement indépendante du parlementarisme s’orientait suivant la ligne du « moindre mal ». Le prolétariat anglais, par la création du Parti travailliste, s’alignait sur tout le front politique. Dans les sphères professionnelles, les différences de type anglais, français et allemand, disparurent : les comités de l’industrie dominèrent dans l’organisation ; l’accord douanier devint la suprême constitution des rapports industriels.
L’uniformité des conditions et des méthodes de la lutte de classe engendra une psychologie uniforme. Dans les pays les plus anciens du capitalisme et du mouvement ouvrier, la guerre provoqua une réaction uniforme : l’affaiblissement des Partis prolétariens. En faut-il de l’aveuglement pour ne pas le voir et chercher les causes de la faillite de l’Internationale dans les livres jaunes, orange et autres des diplomates ou dans les dispositions stratégiques des armées belligérantes ! Quel degré d’aveuglement idéologique ne faut-il pas pour voir une opposition de principe dans les tendances que défend ici Renaudel et là-bas Scheidemann ! Admettons que les coupables soient les diplomates des monarchies centrales : cela change-t-il la valeur de Plékhanov, Potriessov, Guesde, Sembat, Renaudel, Longuet, telle qu’elle s’est dévoilée dans l’épreuve des événements ? N’est-il pas clair que si demain, par la volonté du destin, se trouvaient à la tête de l’Allemagne des parangons de morale internationale tels que les Romanov et sa bureaucratie, ou même les personnalités des gouvernements français successifs, si, à la tête des Alliés se trouvaient les « pirates et les bandits » de l’école Hohenzollern, — nous demandons respectueusement à la censure de nous accorder cette hypothèse purement logique —, ces changements, mesurés à l’aide d’un étalon micrométrique, n’apporteraient rien de nouveau à la conscience politiquement nationale avec laquelle Scheidemann, Ebert, Plékhanov et Renaudel sont entrés en guerre. Mais c’est le nœud de l’affaire : le social-patriotisme paralyse la volonté et la pensée.
Qu’ont-ils à se déchaîner comme les salauds — il n’y a pas d’autre expression — contre la Social-démocratie allemande, ces chauvinistes franco-russes, sous la direction de Laskine, ce sycophante de bas étage et de Hervé, l’oracle des concierges ? Que signifie pour eux la vie intérieure de la Social-démocratie ? Cette lutte interne, que signifie-t-elle pour eux si elle ne soulage pas les armées de Nicolas, « la victoire la plus complète possible » sur l’Allemagne ?
C’est dans la Social-démocratie, le parti classique de la IIe Internationale que se rencontre l’expression la plus parfaite du processus de la crise et de la renaissance socialistes.
Les autres Partis : russe, italien, serbe, roumain et bulgare, se sont montrés — subitement, à première vue —, plus stoïques que l’allemand, dans l’épreuve de fer et de feu de la guerre. Notre Social-démocratie russe, sous la forme de sa maudite émigration, joue, dans une large mesure, un rôle initiateur dans la formation de la nouvelle Internationale. Mais il serait impardonnable de se tromper soi-même quant aux prémisses historiques de ce rôle. Seul un revirement total de la Social-démocratie allemande peut assurer la création d’une Internationale révolutionnaire centralisée, tout comme, seule, la prise du pouvoir en Allemagne par le prolétariat peut assurer la victoire de la révolution sociale en Europe.
Voici pourquoi l’on peut affirmer que le schisme de la fraction parlementaire social-démocrate ouvre un nouveau chapitre du mouvement ouvrier européen.
Personne ne dira que le groupe oppositionnel de Haase et Ledebour a péché par manque de patience ou par un excès d’initiative révolutionnaire. Au contraire, il a fait tout son possible, — tant qu’il en avait la possibilité physique —, pour réduire son opposition au minimum et sauver l’unité de son organisation. Personne ne dira — en tout cas, nous ne le dirons pas — que les conceptions du groupe Haase-Ledebour se distinguent par la netteté politique et, raison de plus, par la fermeté social-révolutionnaire. En dépit de fortes divergences individuelles dans le groupe, ses opinions aboutissent au pacifisme socialiste : pour lui, la guerre se présente, non comme une étape vers le développement des contradictions mondiales et la locomotive de l’Histoire, mais comme un « malheur colossal » qui a arrêté le développement de la culture, en particulier celle qui s’exprimait par la lutte du prolétariat. Ces pacifistes ne voient qu’une fin rapide, si possible « inoffensive » de la guerre, qui assurerait le rétablissement de « l’ancienne » organisation et de ses méthodes « éprouvées ». C’est ignorer totalement que l’Impérialisme, tendant à la domination mondiale (une pensée de fous et d’idiots, selon Haase) ne rendra pas possible le retour sur les anciennes routes. Le prolétariat, devant la crainte de la dissolution politique, devra accomplir un saut historique sur une marche plus haute de la lutte révolutionnaire.
Donc, le schisme de la fraction social-démocrate est un événement de grande importance.
Le propriétaire allemand, comme l’industrie allemande, est né avec une rapidité fiévreuse. Le développement industriel engendrait sans cesse des contradictions, mais il les résolvait par son expansion même. L’absence de démocratie bourgeoise entraîna la lutte du prolétariat pour la prise du pouvoir. La tactique de la Social-démocratie consistait à éviter des heurts trop violents avec un Pouvoir fortement concentré, à accumuler les problèmes non résolus et, en vue de leurs futures solutions, de rassembler les forces organisatrices. Toute l’énergie de classe du prolétariat, tout son idéalisme créateur ne trouvèrent pas d’exutoire dans une lutte ouverte, pleine d’abnégation pour son idéal et se dispersèrent dans l’établissement de l’organisation du Parti, dans l’agrandissement, l’enrichissement de cette dernière. Dans son propre Parti, dans ses comités, ses coopératives, le prolétariat ne trouva pas d’arme pour une lutte directe, mais le succédané de ce qu’il ne trouvait pas dans le gouvernement : sa propre « démocratie ouvrière » où il se sentait patron. « Le fétichisme organisationnel » de la Social-démocratie allemande — quel moujik ne se moquerait pas du « Fritz » à cette occasion ? — s’est révélé comme un affaiblissement du développement prolétarien.
Hilferding a répété, il n’y a pas longtemps, une pensée, paradoxale par la forme, qu’il exprimait souvent autrefois : la Social-démocratie allemande est devenue, par la force de la dialectique historique, un facteur anti-révolutionnaire freinant l’énergie révolutionnaire du prolétariat. Tout mécanisme possède sa force d’inertie qui n’est combattue que par la force vive de l’énergie prolétarienne. Mais dans cette organisation qui remettait toujours à plus tard les solutions énergiques, l’inertie finit par atteindre des dimensions colossales. Quand la guerre impérialiste secoua les fondements capitalistes des sociétés et mit en question le développement de l’Europe, quand sonna l’heure de « l’action décisive », l’appareil du Parti, se refusant à une refonte interne profonde, se trouva en contradiction avec son propre but. Le personnel dirigeant se montra incomparablement plus lié avec les besoins du Capitalisme qu’avec les problèmes du Socialisme et, suivant le courant social-patriotique, entraîna les masses avec lui. L’idée de la discipline et de l’unité organiques devint une arme réactionnaire directe dans les mains du personnel dirigeant qui se transforma en une oligarchie. De même qu’en France l’idée de la République, héritière de la Révolution, etc…, fut un moyen idéologique pour hypnotiser les masses, de même en Allemagne, l’idée de la démocratie ouvrière. L’exploitation du fétichisme organisationnel fut accomplie par les sociaux-patriotes, avec l’appui actif du centre oppositionnel, qui plaçait l’unité au-dessus du but grâce auquel l’organisation avait été créée. Il fallut vingt mois de guerre et d’hostilité entre les sociaux-patriotes et les intérêts élémentaires des classes laborieuses, pour amener au schisme. Ce dernier porte un coup mortel au fétichisme organisationnel. Il y a maintenant deux fractions devant le prolétariat allemand l’obligeant à faire son choix dans le feu de l’action, le délivrant de l’automatisme de la discipline devenu l’arme de la réaction impérialiste. C’est seulement par la faillite de la routine que le prolétariat allemand arrivera à l’unité et à la discipline de l’action révolutionnaire.
Le schisme — l’étape la plus importante sur cette voie !
(Naché Slovo, 2 avril 1916)
Impérialisme et socialisme[modifier le wikicode]
Le dernier discours de Scheidemann témoigne de ce dont on se doutait déjà sans crainte de démenti : à savoir que la majorité dirigeante de la Social-démocratie allemande ne se prépare pas à aiguiser ses couteaux contre la monarchie Hohenzollern. Au contraire, la pensée essentielle mise en avant par Scheidemann, pour démontrer les conséquences bénéfiques du 4 août pour le Socialisme, est la suivante : la collaboration de la Social-démocratie et du pouvoir doit défaire les « préjugés » des masses à l’encontre du caractère « anti-patriotique » du Parti socialiste et en même temps, augmenter sa force et son influence.
Il est vrai que l’estimation politique du 4 août et des perspectives qui en ont découlé, ne peut que frapper, par sa fausseté monstrueuse, tout connaisseur de l’histoire politique de l’Allemagne et des particularités de l’histoire de son Parti ouvrier. La politique de la Social-démocratie, qui a provoqué des accusations et des « préjugés » contre son « anti-gouvernementaliste » et son « anti-patriotisme », a rassemblé sous le drapeau du Parti plus de quatre millions d’électeurs, à une cadence telle que les organisations se plaignirent que l’accroissement de l’armée socialiste devançait le travail de propagande du Parti. Si la politique du 4 août devait ouvrier aux socialistes l’accès des couches patriotes de la population, elle a rejeté dans l’opposition près de la moitié des travailleurs enregistrés. Il ne peut y avoir deux opinions au sujet de cette politique qui, poursuivant l’encadrement problématique de ses nouveaux partisans, commence par démanteler les bases de son ancienne organisation édifiée par deux générations de socialistes. On ne peut douter que Haase et Kate Dunker aient dénoncé dans leurs discours le mensonge aveuglant de l’optimisme Scheidemannien.
On se tromperait cependant si l’on pensait que Scheidemann lui-même ne se rend pas compte de la réalité. Mais il est le porteur ou l’esclave de tendances historiques déterminées, une des deux tendances fondamentales que la guerre a placées devant la classe laborieuse.
Si la Social-démocratie allemande s’était présentée au combat en tant que Parti de la révolution sociale — et serait ainsi devenue le Parti des masses prolétariennes —, sa pratique parlementaire, professionnelle, municipale, coopérative n’aurait pas dépassé, en fait, les limites d’un travail de réforme sur des bases capitalistes, tout en s’adaptant au développement capitaliste. La contradiction entre la pratique possibiliste et réformiste et la conception social-révolutionnaire aurait été transmise, de cette façon, à la Social-démocratie dans les conditions les meilleures pour son développement. L’Impérialisme a donné à cette contradiction le maximum de tension et d’âpreté.
L’Impérialisme est, historiquement, l’effort inévitable du Capitalisme « national » pour s’arracher aux cadres survivants du gouvernement national et dominer le monde. Comme la Social-démocratie s’adaptait au Capitalisme national, elle est obligée, par la logique même des choses, de l’accompagner sur la route de l’entreprise impérialiste, ou alors à refuser toute adaptation ultérieure au gouvernement capitaliste, lui déclarant une guerre implacable.
Placé par son développement même devant la nécessité d’une conflagration mondiale, le Moloch du pouvoir impérialiste s’est adressé à Scheidemann en ces termes : « Si tu veux continuer ton activité pour obtenir de meilleures lois sociales et des tarifs douaniers favorables, tu dois m’aider à assurer au Capitalisme national une position mondiale telle qu’elle puisse créer la base indispensable à ton propre travail de réforme ! » Le Réformisme socialiste s’est converti en Impérialisme socialiste. En se refusant d’user de méthodes révolutionnaires contre le Pouvoir capitaliste, la Social-démocratie officielle a dû reconnaître et approuver les méthodes impérialistes. De là l’idée du « Quatrième État », comme s’exprime Scheidemann. Les nouvelles « couches » dont il espère se rapprocher se trouvent non en bas, mais en haut. Scheidemann comte réussir au moyen d’une collaboration semi-oppositionnelle avec les forces dirigeantes de l’Allemagne impérialiste. La difficulté politique consiste dans la rééducation des masses. Ici Scheidemann se heurte, corps à corps, à l’opposition.
Dans les conditions indiquées, le problème posé à l’opposition ne peut se confondre avec la tactique traditionnelle de la Social-démocratie déchirée définitivement par ses contradictions internes. En d’autres termes, une opposition réelle ne doit pas tenter de sauver « l’honneur » de la conception révolutionnaire d’un Possibilisme réformateur totalement épuisé. L’Histoire pose ainsi la question : ou la capitulation devant la violence impérialiste, ou la mise en œuvre de la violence révolutionnaire. Le devoir de l’opposition se traduit concrètement par : lutte pour le pouvoir.
L’allié n’a pas toujours la même idée[modifier le wikicode]
Simultanément avec la publication dans l’Humanité d’un article reproduisant le discours de Haase, les journaux parisiens produisent le texte de la lettre envoyée par Liebknecht à ses juges. On ne peut traiter cette coïncidence de malheureuse, car elle donne l’occasion de comparer les deux principaux courants de l’opposition allemande. Haase refuse les deux principaux courants de l’opposition allemande. Haase refuse de voter les crédits de guerre et d’accorder sa confiance au chancelier. « En soutenant la politique des Partis bourgeois, déclara-t-il à la majorité, vous partagez leur responsabilité. » En dehors du chancelier et des Partis bourgeois, lui répondit-on, il y a la nation qui se trouve en péril. « Vous auriez dû déjà voter les crédits nécessaires à la défense du pays. » Dans ce dialogue, les points faibles sont des deux côtés. Haase a parfaitement raison quand il affirme que la participation du Parti à la défense signifie la condamnation de l’ancienne tactique de rejeter les crédits militaires. La philosophie aventuriste et incendiaire — « La maison brûle, il faut la sauver » — ne vaut rien. Pour éteindre le feu, il faut de la bonne volonté, mais aussi des seaux et des tuyaux d’arrosage. Donc, qui s’apprête à combattre un incendie doit se munir du matériel approprié. Autrement dit, cette politique, pour joindre les deux bouts (être cohérente), doit supposer le refus d’une opposition de principe au militarisme. C’est ce que réclame David. Si Scheidemann se refuse à le suivre, c’est qu’il se refuse à joindre les deux bouts.
D’un autre côté, Scheidemann et David ont raison, quand ils démontrent à Haase que l’affaire ne se limite pas à exprimer sa « confiance » ou sa « défiance » au chancelier. La guerre signifie : danger pour l’Allemagne, et le Parti doit préciser ses positions. Mais ici Haase ne répond pas. Il définit sa conduite par rapport au chancelier, mais non par rapport à l’Allemagne ; donc il évite de donner une réponse précise à la question de la Défense nationale. « Je ne veux pas prendre la responsabilité d’une défense telle que la conçoit le chancelier », voilà en réalité sa position. À première vue, on pourrait penser que c’est suffisant pour aujourd’hui. Liebknecht distingue, pour lui-même, « le devoir », en principe de la Défense nationale, Haase refuse la responsabilité de la mise en pratique, mais l’un comme l’autre refusent les crédits au Pouvoir. Comme les deux attitudes se rejoignent pratiquement, quelques camarades sont enclins à nier ou, du moins, à minimiser la différence entre les deux positions. Il est hors de doute que Haase, partisan de Kautsky, en votant contre les crédits, est plus près de Liebknecht que le partisan de Kautsky, Hoch et ses amis, qui se sont abstenus. (Nous ne parlons pas des représentants de la faune « oppositionnelle », qui ne votent les crédits, car cette espèce n’existe pas en Allemagne.) Il est indubitable que Haase, Ledebour et d’autres sont des alliés politiques de Liebknecht, d’autant plus que le groupe Haase-Ledebour est sorti de l’ancienne fraction et lui fait de l’opposition, alors que le groupe de Hoch demeure dans la fraction Scheidemann-David.
Mais l’allié n’a pas toujours la même conception. Accordant leurs activités avec celles du groupe Haase, pour autant que celles-ci sont dirigées contre les dirigeants et la majorité dans le Parti, Liebknecht et rosa Luxembourg conservent, devant les masses, leur position indépendante et critiquent inlassablement les bases de la politique de leurs alliés ainsi que le caractère passif et attentiste de leur tactique. Les internationalistes dévoilent au groupe Haase les points non défendus qu’attaque la majorité du Parti.
— Vous ne fiez pas au chancelier et vous lui refusez les crédits ? Pour commencer, c’est très bien, mais ce n’est pas assez. À droite, on vous démontre qu’il ne s’agit pas du chancelier, mais de la défense de ce que nous avons appelé « l’Allemagne » : ses frontières, sa place sur le marché mondial (Ici la majorité se tait et passe sous silence le fait qu’il s’agit de la défense de la structure politique-sociale actuelle : la monarchie, le système policier, la domination capitaliste, etc.). Quelle est votre attitude devant cette question : défendre l’Allemagne ?
Cette question ne présente pas de signification « académique ». Le groupement socialiste, qui persiste à vouloir adopter l’ancienne tactique, c’est-à-dire la ligne nationale et possibiliste, ne peut se refuser de défendre les bases de cette tactique, donc la défense de l’Allemagne.
En votant contre les crédits militaires en temps de paix, la Social-démocratie, en tant que minorité, n’a jamais pu empêcher le gouvernement de développer l’appareil militaire. Et ne votant pas les crédits, la Social-démocratie « risque de démoraliser » les ouvriers-soldats, donc d’affaiblir et de désorganiser la défense. La majorité de la fraction parlementaire s’est arrêtée devant cette perspective.
— Vous voyez, dit David à Scheidemann, notre tactique purement oppositionnelle du temps de paix a démontré son inefficacité, et vous-même avez été obligé de la rejeter. Après la guerre, nous serons forcés de voter les crédits indispensables à la défense.
— Non, répond Scheidemann, notre tactique actuelle comporte un caractère exclusif. Après la guerre, nous voterons contre les crédits militaires.
— Mais, ce n’est pas logique !
— C’est pratique ; si nous refusons la tactique oppositionnelle, nous perdons notre influence sur les masses.
— Par conséquent, vous vous apprêtez à repartir de zéro.
— Je veux, au moins… essayer.
Dans ce dialogue exemplaire, David ressort devant nous comme un doctrinaire de l’opportunisme, alors que Scheidemann sauve son droit d’être un opportuniste dans l’opportunisme même.
Haase a tout à fait raison quand, semblable à David, il exige que la tactique en temps de guerre concorde avec celle de la tactique en temps de paix : David exige l’égalité après la guerre ; Haase, après la paix.
— Qu’est-il arrivé ? s’écria Haase dans son discours. Qui vous a fait renoncer à l’opposition au chancelier ?
— Rien de particulier, lui répondit-on ironiquement à droite, à condition, évidemment, de ne pas compter la guerre qui menace l’existence même de l’Empire.
L’extrait du discours que nous possédons ne dit pas comment Haase réagit à cette remarque. Il se tout, probablement. Que pouvait-il dire ? Il ne veut pas voir que la crise socialiste provient de la rupture de la tradition qui possédait deux extrémités : possibiliste et révolutionnaire. Aucune force au monde ne pourra plus les relier.
L’avenir pour les spartakistes[4][modifier le wikicode]
David exige que la Social-démocratie fasse son travail réformateur à l’intérieur du pays grâce à son concours à la puissance militaire. Cette position, à laquelle on ne peut refuser une certaine logique, correspond au refus total du prolétariat à toute politique indépendante, y compris la réformatrice. Bismarck a reconnu que la législation sociale dépend de la crainte éprouvée par les classes dirigeantes devant la Social-démocratie. C’est un fait indubitable : tant que le Pouvoir se trouve entre les mains des classes possédantes, les réformes en faveur des masses exploitées ne sont que le fruit de leur peur devant les mouvements populaires. La position oppositionnelle et menaçante de la Social-démocratie, particulièrement dans les questions sensibles touchant le militarisme, était la condition indispensable pour obtenir des réformes. Si le gouvernement capitaliste des junkers avait eu la garantie que la Social-démocratie, au moment du danger, ferait tomber les fusils des épaules, le prolétariat attendrait encore des réformes ! Mais comme justement, maintenant, la Social-démocratie fournit ces garanties, David veut les faire inscrire au programme transformant celui-ci en une lettre de cachet pour la classe ouvrière. Cela signifie : fin des réformes. Les motifs de celles-ci ne disparaîtront pas seulement chez les classes possédantes, mais demain, l’homme gouvernemental, David, se déclarera obligé de reconnaître que les impératifs suprêmes de la défense nationale exigent des économies dans le domaine de la formation professionnelle et des assurances ouvrières. Si la pratique du réformisme a conduit au social-patriotisme, ce dernier réussit à lui couper l’herbe sous le pied.
L’impuissance du social-réformisme pose aux classes laborieuses la question des méthodes révolutionnaires de lutte.
La Social-démocratie allemande, appuyée par des millions de travailleurs — cela, la majorité l’a compris — ne peut continuer de limiter son refus d’aider le pouvoir par des manifestes d’une opposition platonique. Il faut choisir entre le soutien au gouvernement et une déclaration de guerre révolutionnaire. Le neutralisme, même celui « non-bienveillant » de Haase, n’est plus valable ni dans les circonstances intérieures, ni dans les circonstances extérieures.
Le Parti qui ne veut pas dépasser les frontières de l’opportunisme parlementaire, ne pourra se maintenir s’il refuse son aide au gouvernement national.
Pour rompre avec le bloc nationalo-impérialiste et mettre la Défense nationale en péril (ce danger n’est pas ignoré par Liebknecht, de Rosa Luxembourg et de Kate Dunker, qui vient de prononcer un très beau discours), pour ne pas craindre d’affaiblir la force combattante du pays, il faut un Parti qui place les problèmes révolutionnaires au-dessus des considérations stratégiques et des intérêts mondiaux du Capitalisme national. En d’autres termes, seul un Parti social-révolutionnaire, luttant pour le pouvoir, peur s’opposer à la guerre, profiter des succès comme des revers, pour atteindre ses buts, autrement importants que la question des frontières de l’Allemagne. C’est la position de Liebknecht. En même temps que Haase refuse sa confiance au gouvernement, Liebknecht lui déclare la guerre. Il suffit de lire la lettre de Liebknecht au tribunal pour se rendre compte de la différence entre les deux tendances…
La formule de Raffin-Dugens est célèbre : « Je vote contre les crédits, mais si leur sort ne dépendant que de ma voix, je voterais pour. » Elle exprime sinon la pensée, du moins la conscience politique de la majorité des dirigeants politiques du « Centre » (Haase-Kaytsky-Bernstein). Cette formule n’est nullement aussi caricaturale qu’on le pense à première vue. Un vote négatif est une manifestation de méfiance, mais ce n’est pas un acte de mobilisation des masses pour la lutte révolutionnaire. La principale accusation de Liebknecht lancée contre les politiciens du Centre était motivée par leur refus de répandre parmi les masses le slogan de la lutte ouverte. Aucun doute là-dessus — cette pensée a été souvent exprimée —, le Centre social-démocrate n’est qu’une étape sur le chemin politique du dégrisement et de l’éveil révolutionnaire des masses. La meilleure garantie du travail maximum des Internationalistes qui ne s’arrêtent pas trop longtemps à l’étape du Centre, est suivant l’expression de Dunker — en accord avec la résolution de Stuttgart —, « qu’ils veulent profiter de la crise actuelle, pour anéantir l’État capitaliste ». Seule une stratégie décidée, ne s’arrêtant pas à des considérations secondaires de lutte intérieure, à la politique à double sens et à la passivité du « Centre », est capable de faire sonner l’heure de l’offensive révolutionnaire des masses contre le Pouvoir impérialiste. Malgré le petit nombre de leurs délégués à la Conférence[5], nous regardons le groupe « Internationale » — les Spartakistes —, comme un facteur de première importance dans les destinées futures de l’Allemagne.
Pour la république ou pour le socialisme ?[modifier le wikicode]
Homo[6] cueille chaque phrase tombée des lèvres des représentants de l’opposition allemande consacrée à la question de responsabilité de la guerre, pour démontrer l’importance décisive de cette question sur la politique socialiste. Les « homunculi » (petits hommes) sociaux-patriotes russes font de même, mais comme des analphabètes, car ils ne connaissent ni le socialisme allemand, ni la langue allemande.
La question de « la responsabilité » joue, sans le moindre doute, un grand rôle dans la propagande tant de l’opposition pacifique que de l’opposition révolutionnaire. C’est inévitable quand on prend en considération que le travail politique exercé sur les mases par les classes dirigeantes et les sociaux-patriotes s’est fait sur la base de la question de la responsabilité.
Les classes possédantes se sont rendu compte que la guerre est faite non pour la défense du gouvernement national qui n’est pas de taille à développer les forces productives et le capital, mais pour accroître celui-ci au-delà des frontières. Pour recueillir l’adhésion des masses, il fallait leur présenter l’Allemagne comme la cible des mauvaises volontés de ses ennemis. L’idéalisme national des classes dirigeantes se nourrit des buts impérialistes. Au contraire, pour mobiliser l’idéalisme des classes exploitées, on ne pouvait agir autrement que par une argumentation défensive, présentant la cause de l’Allemagne comme « celle du bon droit et de la justice ».
Il est parfaitement naturel que l’opposition socialiste ait commencé par démontrer que le gouvernement allemand, une des principales pièces du mécanisme du monde capitaliste, porte une grande part de la responsabilité dans les événements actuels. Mais dévoiler seulement le caractère criminel de la politique mondiale des Hohenzollern et des Habsbourg ne suffit pas pour faire adopter par le prolétariat allemand l’obligation d’une politique anti-défensiste.
S’il est vrai que la politique social-patriotique signifie la défense de la patrie, et non du pouvoir, il faut en conclure que la patrie conserve sa signification pour les travailleurs allemands et qu’ils la défendront (en dépit du fait de posséder un gouvernement hypocrite et sans foi), contrairement par exemple, aux ouvriers russes.
Mais si la guerre a été provoquée uniquement par les Hoherzollern, les sociaux-patriotes de l’Entente en tirent leurs conclusions républicaines. Si les Hohenzollern sont la racine du mal, la garantie contre les guerres futures se trouvera dans la république. Cependant cet argument, qui ne rend pas responsable l’Allemagne des péchés de son empereur, se distingue par son extrême superficialité.
La destruction de la monarchie allemande est un problème purement révolutionnaire. Par quelles forces sera-t-elle réalisée ? Là-dessus, ni la question de la responsabilité, ni le slogan républicain ne donnent de réponse.
Une révolution démocratique en Allemagne est-elle envisageable ? Autrement dit : y a-t-il en Allemagne des classes bourgeoises intéressées par un changement en faveur de la République ? Quelle révolution est à l’ordre du jour ? Celle de la nation contre le régime politique ? Celle du prolétariat contre la monarchie impérialiste ?
Les philistins « évolutionnistes » (ils ne manquent pas parmi ceux qui se sont collé une étiquette marxiste) se représentent l’affaire comme suit : l’Allemagne doit accomplir sa révolution républicaine, frayant ainsi le chemin à la lutte prolétarienne pour la conquête du pouvoir. La République leur semble une étape politique « naturelle » dans le développement de la société capitaliste. Entre-temps, l’analyse matérialiste nous dit que la conquête du pouvoir par le prolétariat est la condition essentielle de l’établissement de la République allemande.
Jamais l’Europe des dix dernières années ne donna un tableau de la rapidité de différenciation des classes et de l’abaissement des classes intermédiaires, comme en Allemagne. La guerre parachève ce travail en anéantissant des centaines de milliers de petits capitalistes et de paysans. Si cette nouvelle armée peut fournir du matériel à la Révolution, il reste entendu qu’un mouvement révolutionnaire sérieux ne peut se développer qu’en tant que mouvement prolétarien. Si ce mouvement doit vaincre, il mettra au pouvoir le parti du prolétariat — ce parti nouveau formé des éléments de l’opposition actuelle et de la nouvelle génération révolutionnaire forgée dans le feu des combats contre les classes impérialistes et la monarchie. La question de la République est liée, pour le prolétariat allemand, à celle de la lutte pour le pouvoir. La République allemande ne peut exister que comme enveloppe politique de la dictature prolétarienne. Mais il est évident, qu’une fois au pouvoir, le Parti prolétarien sera rapidement obligé de réformer socialistiquement la société. Le problème historique du prolétariat s’exprime non par l’antithèse : Monarchie-République, mais par celle : Impérialisme-Socialisme.
La propagande républicano-bourgeoise peut se contenter de recherches sur la « responsabilité ». Le prolétariat doit avoir, lui, une représentation claire de la responsabilité du régime impérialiste.
(Natchalo, 6-24 octobre 1916)
Remarques à propos de l’article ci-dessus[modifier le wikicode]
La Révolution de 1918 contredit-elle l’analyse de l’article reproduit plus haut ? Oui et non. Dans la forme, oui. Dans la réalité, non. La Révolution n’a pas amené le prolétariat au pouvoir, mais au lamentable fœtus de la république d’Ebert. La lutte du prolétariat pour le Pouvoir est entrée à nouveau — mais à un degré plus élevé historiquement — dans un stade préparatoire et s’est convertie dans le long processus moléculaire de la formation du Parti communiste. Cela signifierait-il que la société bourgeoise s’est montrée capable de développer la lutte révolutionnaire sous le drapeau révolutionnaire ? Pas du tout. Mais cette société bourgeoise s’est montrée capable, une seconde fois, de profiter de la Social-démocratie pour maintenir provisoirement pour maintenir provisoirement la Révolution sur le palier bourgeois-républicain. La catastrophe militaire accéléra, de façon extraordinaire, l’explosion de la révolution, avant que les prolétaires eussent le temps de créer un Pari répondant à leurs tendances dans cette nouvelle époque. La lutte révolutionnaire dut se dérouler sous la direction de la Social-démocratie dont la politique se mit définitivement au service de la bourgeoisie. En d’autres termes, la république n’est pas le fruit d’une révolution commune de la bourgeoisie et du prolétariat, mais celui de la tromperie de ce dernier par la bourgeoisie aidée par la Social-démocratie, qui arracha aux travailleurs une victoire préparée par l’Histoire.
Si, en 1848, le bourgeois rêvait d’une République avec à la tête un grand-duc bienfaisant, en 1918, il se réconciliait avec la république du fidèle Ebert.
La République bourgeoise allemande ne tient que par l’appui exclusif de la Social-démocratie et dans la mesure où celui-ci a de l’influence sur les travailleurs. Les relations entre les classes et la conjoncture internationale exigent une révolution sociale en Allemagne, mais le passé récent du prolétariat, bridé par la Social-démocratie, est le dernier obstacle sur cette voie. La république bourgeoise n’est possible que comme une interruption du processus de la révolte de classe du prolétariat. Elle est née de la trahison de Scheidemann et Ebert, en novembre 1918, conséquence directe de leur trahison en août 1914.
(8 mai 1922)
- ↑ V. Kossovsky, publiciste du « Bund », envoya une lettre à la rédaction de Naché Slovo sous le titre : « Une échelle de mesure à l’ancienne mode. »
- ↑ Le groupe « Internationale » : le groupe Mehring et Luxembourg. Y sont liés idéologiquement et K. Liebknecht, Clara Zetkine, etc.
- ↑ Les sociaux-patriotes de l’autre bord : c’est-à-dire les Français.
- ↑ Les Spartakistes : article entièrement biffer par la censure.
- ↑ Les Spartakistes : Homo communique qu’il y avait 10 délégués de l’aile gauche. Il ne faut pas oublier :
1° qu’en certains endroits, les Internationalistes révolutionnaires boycottèrent la Conférence ;
2° qu’il leur était, dans tous les sens, beaucoup plus difficile qu’à leurs ennemis de paraître aux réunions du Parti ;
3° que beaucoup d’entre eux sont emprisonnés : Liebknecht, Mehring, Luxembourg, Meyer, etc. - ↑ Homo : le social-démocrate alsacien Grumbach, dans sa jeunesse partisan de Liebknecht, s’est rangé depuis le début de la guerre aux côtés du social-patriotisme français.