Laïcité

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Inspiré par Voltaire, Émile Combes sépare l'Église et l'État. Caricature anonyme vers 1905

La laïcité est le principe de séparation de l’Église et de l’État. Ailleurs qu'en France, on parle surtout de sécularisme. C'est un principe progressiste puisqu'il permet :

Les croyances sont par définition présentes dès l'apparition de la conscience humaine, mais les religions organisées apparaissent sans doute avec les sociétés de classe, car elles sont fondamentales pour justifier l'ordre social. La très grande majorité des sociétés depuis lors ont été des sociétés dans lesquelles les autorités se sont appuyés sur une (parfois plusieurs) religion dominante, qui imprègnent la superstructure sociale (le droit, les rites de naissance, mariage, décès...).

Les luttes des classes se sont très souvent exprimées par des luttes entre courants religieux. Mais le développement capitaliste a eu tendance à bouleverser de plus en plus les sociétés, déstabilisant l'hégémonie d'une religion unique, au profit d'autres religions (protestantisme...) et de philosophies athées.

Face aux affrontements religieux, progressivement l'idée a émergé de parvenir à de vivre ensemble malgré les différences religieuses. Cette idée a été et continue d'être un combat de longue haleine, comme les autres conquêtes démocratiques, jamais définitivement acquises sous le capitalisme.

En France, la laïcité n'est pas totalement acquise : en Alsace-Moselle le Concordat s'applique toujours (les cultes sont financés par l'État), les écoles privées catholiques sont financées aux trois quart par les fonds publics[1], les présidents font fréquemment des hommages catholiques...

Par ailleurs, en France, il existe une certaine tendance à déguiser l'islamophobie derrière la revendication de laïcité.

1 Définitions[modifier | modifier le wikicode]

Le mot « laïc », apparu au 13e siècle et d'usage rare jusqu'au 16e siècle, désigne les personnes (et les choses) qui ne sont pas de condition religieuse (prêtres, religieux), de la même manière que le mot civil désigne ceux qui ne sont pas de condition militaire. Ce terme est issu du latin laicus du grec λαϊκός, laikos, « commun, du peuple (Laos) », par opposition à κληρικός, klerikos (clerc), désignant les institutions religieuses[2]. Il désignent ceux qui sont profanes et ne connaissent pas la théologie, qui forment le « laïcat ». Cependant, dans la conception chrétienne traditionnelle, les laïcs appartiennent aussi à l'Église (étant forcément tous croyants), et peuvent même y exercer des fonctions importantes.

Le terme « laïcité » est contemporain de la Commune de Paris qui vote en 1871 un décret de séparation de l'Église et de l'État.[3]

Dans le monde chrétien, il existe également une distinction traditionnelle entre :

  • clergé séculier : les curés et leur hiérarchie (évêques...) qui sont au contact des laïcs, qui vivent « dans le siècle » ;
  • clergé régulier : les moins et leur hiérarchie (abbés...) qui vivent reclus dans des monastères, moins influencés par la vie profane, suivant une règle particulière.

A partir de là, le terme « sécularisation » a pris un sens de perte d'influence de la religion dans la société, de fin de la séparation de l'Eglise (par exemple par le passage de ses biens dans le domaine public). Le sécularisme est l'attitude de prôner activement la sécularisation. Sécularisation et laïcité sont donc quasiment synonymes. Il existe bien entendu de nombreuses attitudes, conceptions et justifications différentes, selon les histoires nationales notamment, mais tout comme il existe ces différences entre personnes utilisant le terme sécularisme ou utilisant le terme laïcité.

2 Éléments historiques[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Antiquité gréco-romaine[modifier | modifier le wikicode]

Chaque cité grecque avait sa propre divinité tutélaire et le clergé n'était pas séparé du pouvoir.

Dans la Rome antique, les empereurs étaient considérés comme des êtres divins et occupaient la plus haute fonction religieuse, celle de Pontifex maximus. Dans un premier temps, en position de persécutés, les chrétiens ont d'ailleurs contesté ce système, en reconnaissant l'autorité politique de l'empereur mais en refusant de reconnaître la divinité de l'empereur. Les enseignements de Jésus lui-même sont parfois cités comme exemple du principe de la séparation de l’Église et de l’État (par exemple dans l'Évangile selon Marc, 12:17 : « Rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »).

L'Empire romain est devenu chrétien avec la conversion de Constantin Ier en 337 et plus définitivement avec l'édit de Théodose Ier en 390. Dès lors se pose la question de qui dirige au nom de Dieu, le pape ou l'empereur.

2.2 Moyen-Âge[modifier | modifier le wikicode]

Au 5e siècle, le pape Gélase Ier conçoit le premier dans une lettre à l'empereur Anastase, la distinction entre le pouvoir temporel (potestas) et l’autorité spirituelle (auctoritas)[4]. Cette lettre pose les bases de la doctrine médiévale[5] des deux glaives[6], devient à fin du 11e siècle l’un des textes clefs invoqués pour soutenir la supériorité du pape. Si une telle théorie a pu un temps être soutenue, c'est essentiellement parce que dans la période médiévale les différents royaumes européens qui succèdent à l'empire romain sont très divisés, permettant à la papauté et à son réseau (le clergé) de disposer d'une très forte autorité morale et d'une position d'arbitre. Mais au fur et à mesure de leur montée en puissance, les conflits se sont multipliés (lutte du sacerdoce et de l'Empire, Guelfes et les Gibelins, papes d'Avignon, gallicanisme, expulsions des Jésuites, schisme anglican...).

Averroès, philosophe et théologien musulman andalou de langue arabe du 12e siècle, est également considéré comme l'un des pères fondateurs de la pensée laïque[7].

Dans l'Empire romain oriental, également connu sous le nom d'Empire byzantin, l'empereur disposait d'un pouvoir suprême, au-dessus de l’Église, et il contrôlait son plus haut représentant, le patriarche de Constantinople. L'orthodoxie était la religion d’État. Lorsque l'Empire ottoman a conquis Constantinople, le sultan a nommé un nouveau patriarche.

2.3 Philosophes de l'époque moderne[modifier | modifier le wikicode]

Le concept moderne de séparation des Églises et de l'État est souvent attribué au philosophe libéral anglais John Locke (lui-même se rapprochant d'une sorte de déisme). Suivant son principe de contrat social, Locke affirme que l'État n'a pas de légitimité suffisante en ce qui relève de la conscience individuelle.

Pierre Bayle est également un précurseur de la laïcité.

Au siècle des Lumières, un certain nombre de philosophes critiquent le clergé catholique, surtout pour ses aspects les plus rétrogrades ou irrationnels. Si Diderot est athée, la plupart d'entre eux se disent croyants, même si leur vision tend vers le déisme. Diderot et Voltaire ont produit des réflexions pro laïcité, de même que d'Alembert qui a vivement critiqué, dans le Discours préliminaire de l'Encyclopédie, sans la nommer, l'Inquisition, et déploré l'« abus de l'autorité spirituelle réunie à la temporelle ».

2.4 La Révolution états-unienne[modifier | modifier le wikicode]

A l'issue de la guerre d'indépendance des États-Unis, une forme de laïcité est inscrite dans la Constitution de la jeune république (1787). Les fondateurs (James Madison, Thomas Jefferson, Thomas Paine...) sont marqués par la conception de Locke, mais aussi par le fait que nombre d'états-uniens ont émigré d'Europe notamment suite à des persécutions religieuses, et enfin par pragmatisme : les états-uniens ont d'innombrables courants religieux différents et il serait vain de chercher une religion d'État.

2.5 La Révolution française[modifier | modifier le wikicode]

Pendant la Révolution française, les premières tentatives de laïcisation du pays ont été faites. Cependant le processus révolutionnaire et contre-révolutionnaire a conduit à des tensions telles qu'il y a eu un grands nombres de violences anti-religieuses, et à l'inverse de réactions de réaffirmation de la religion d'État par la suite.

Estampes opposant le « prêtre patriote prêtant de bonne foi le serment civique » au « prêtre aristocrate ».

Le haut clergé, lié à la haute noblesse et à la royauté, va s'opposer à la Révolution. Étant donné l'influence idéologique de la religion, cela constituait une menace à combattre, en particulier pour les Jacobins. A l'inverse, de nombreux religieux s'engagent côté révolutionnaire. C'est un évêque, Talleyrand qui soumet au vote le décret de 1789 qui transfère les biens de l'Église à l'État. Les révolutionnaires votent le 12 juillet 1790 la constitution civile du clergé : les curés et évêques sont fonctionnarisés, le clergé régulier est supprimé... Il faut noter qu'il y avait des points d'appui au sein du clergé en faveur de cette réforme (gallicanisme, richérisme...). Le 10 mars 1791, le Pape condamne cette réforme, ce qui conduit à une rupture (environ 50/50) entre religieux qui jurent fidélité à la Constitution, et prêtres réfractaires.

L’institution du mariage civil en 1792 est un autre jalon de la laïcité.

La dynamique révolutionnaire provoque ensuite très vite une radicalisation entre les deux bords, qui a un double effet : côté réfractaires, une tendance de plus en plus marquée vers la contre-révolution ; côté religieux révolutionnaires, une tendance à abandonner la religion (beaucoup de prêtres se marient et/ou quittent l'église, certains comme Jacques Roux ou Pierre Dolivier deviennent d'ardents défenseurs de l'égalitarisme...). Si bien que dans le contexte, le catholicisme devient associé pour beaucoup à la réaction.

En août 1793, des mouvements populaires spontanés commencent, en province, à s'en prendre aux églises et aux religieux (iconoclasme, vandalisme, blasphèmes...). C'est un mouvement anticlérical intense et profond qui s'amorce, la déchristianisation. Il gagne Paris plus tardivement, et tend à se généraliser. Certains clubs et représentants du pouvoir encouragent le mouvement et ses excès, sans qu'officiellement la déchristianisation soit imposée. La Convention adopte le calendrier républicain le 5 octobre 1793, par opposition au calendrier grégorien lié à l’Église. A Paris les hébertistes, qui tiennent la Commune de l'automne 1793 au printemps 1794, sont des fers de lance de la déchristianisation. Ils développent le culte des martyrs de la Révolution, organisent le 10 novembre une « fête de la Raison » dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, et finalement le 23 novembre ordonnent la fermeture des églises.

Mais les dirigeants montagnards sont hostiles à la déchristianisation et voient les dangers que fait courir ce mouvement à la République tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’intervention de Danton, appuyé par Robespierre, fait refluer le mouvement. Mais le Comité de salut public, s’il rappelle la liberté des cultes (6 décembre 1793), ne peut pas la faire observer normalement et n’obtient là qu’un succès de principe. Contenu à Paris, le mouvement balaiera le pays pendant des mois encore. Au Culte de la Raison des hébertistes, les robespierristes tentent de substituer le Culte de l'Etre suprême, une sorte de déisme.

Au plus fort de la dictature jacobine, la loi du 19 décembre 1793 crée des écoles primaires, obligatoires, gratuites et laïques.

Le 18 septembre 1794, le financement des prêtres par l'État est supprimé. A ce moment-là, l’Église constitutionnelle est en miettes, il ne reste en fonction qu'une trentaine d'évêques constitutionnels. Sous Napoléon, le calendrier grégorien est rétabli, et finalement un compromis sur le clergé est établi avec la papauté, avec le Concordat (1801) : les prêtes sont à nouveau rémunérés par l'État.

2.6 La réaction en France au 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

La réaction thermidorienne reviendra sur cette avancée, dans une volonté de réaffirmer la morale chrétienne (en fait, la morale bien particulière du clergé de cette époque)[8].

Clairement, ce qui intéressait les classes dominantes à ce moment-là, ce n'était pas n'importe quel aspect de la moralité, mais surtout la « qualité » de l'obéissance, opposée à l'esprit de remise en question. Napoléon préconisait ainsi à 1807 à une maison d'éducation de jeunes filles : « Elevez-nous des croyantes et non des raisonneuses ! » [9]

Encore en 1849, le conservateur Adolphe Thiers se déchaîne contre les instituteurs, ces « anti-curés ».

« Qu’on ferme les écoles normales, que le curé de la paroisse se charge de l’instruction primaire. Aussi bien il apprendra toujours au peuple qu’il a plus besoin de moralité que de savoir. (...) J’aime mieux l’instituteur sonneur de cloches que l’instituteur mathématicien ».[8]

2.7 La Commune de Paris[modifier | modifier le wikicode]

La Commune de 1871 entreprend une laïcisation de la vie publique à Paris, 34 ans avant la loi de 1905. Un décret du 2 avril 1871 supprime le financement de l’Église et saisit ses biens.[8]

Elle met en place une éducation gratuite, laïque et obligatoire, 10 ans avant la réforme du républicain bourgeois Jules Ferry, membre du gouvernement versaillais qui l'a écrasée. Des sociétés populaires, comme «  l’Éducation nouvelle  » qui regroupe enseignants et parents, se développent. Les délégués du IVe arrondissement de «  l’Éducation nouvelle  » déclarent le 26 mars vouloir une école qui « apprend à l’enfant que toute conception philosophique doit subir l’examen de la raison et de la science  ».[10]

La Commune entendait laïciser aussi d’autres services municipaux, tels que l’Assistance publique et les bureaux de bienfaisance (où les infirmières étaient des religieuses).[11]

L'anticléricalisme était virulent parmi les républicains radicaux de la Commune, avec parfois des excès contre les croyants. Il faut cependant rappeler que les membres du clergé étaient souvent tout aussi farouchement hostiles. Ils ne voulaient pas admettre le principe de la laïcité dans leurs établissements scolaires, et certains frappaient les institutrices se présentant à leur poste. A l’école des Carmes (Ve), ils précipitent la directrice dans les escaliers…[10]

2.8 La loi de 1905 en France[modifier | modifier le wikicode]

Après avoir un temps frôlé la Restauration monarchiste suite à la vague réactionnaire qui suit la Commune, la IIIe République pose lentement les dernier jalons de ce qui allait se stabiliser comme la laïcité à la française.

D'abord avec les lois scolaires, puis avec la loi de 1881 « sur la liberté des funérailles », et enfin avec la fameuse loi de 1905.

2.9 La papauté sur la défensive[modifier | modifier le wikicode]

La laïcité a été condamnée par différents papes dans plusieurs encycliques, dont Mirari vos (1832), Quanta cura (1864), Vehementer nos (1906), Gravissimo officii munere (1906), Iamdudum (1911), Quas primas (1925) et Iniquis afflictisque (1926).

2.10 La Révolution d'Octobre[modifier | modifier le wikicode]

La Révolution bolchévique a dû faire face à un immense travail d'instruction publique. En 1917, l’écrasante majorité de la population russe ne sait ni lire ni écrire. Dès décembre 1917, les écoles religieuses sont nationalisées, et malgré quelques difficultés, au cours de l'année 1918, tous les signes religieux sont retirés des écoles.[12]

2.11 Le 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

Etat des lieux aujourd'hui :

2.12 Instrumentalisation islamophobe[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 2000, le racisme anti-maghrébins, largement discrédité sous la vieille forme du racisme biologique, tend à s'entourer de justifications culturalistes. Le thème de la défense de la laïcité, soi disant menacée par l'islam, va monter en puissance.

Or la laïcité était traditionnellement défendue par la gauche. Dans ce contexte de montée de l'islamophobie, où la laïcité est instrumentalisée, une partie de la gauche va donc rencontrer une partie de la droite qui se met à revendiquer la laïcité. Celle-ci sert de fait de passerelle confusionniste pour certains milieux, comme le groupe Riposte Laïque fondé en 2007.

Aujourd'hui, la République est ancrée depuis tellement de temps dans l'histoire du pays qu'elle est devenue un élément mobilisable par les nationalistes, même ceux d'extrême droite qui la veille encore étaient anti-républicains (monarchistes ou pétainistes). C'est ce qu'à commencer à faire

Le Front national s'est aussi mis à parler de laïcité et de république (alors que ce courant est issu du pétainisme) sous l'impulsion de Marine Le Pen dans les années 2000.[13]

Cette dérive a continué à opérer de plus en plus jusqu'aux années 2020.[14]

3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Le café pédagogique, Double hold up de l’enseignement privé : de l’argent public pour un public plus favorisé, février 2023
  2. Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française,  éd. Le Robert, 1998, p. 1961.
  3. P. Segur, « Aux sources de la conception occidentale de la laïcité », in Champs Libres, études interdisciplinaires : Justice et religion, Université de Toulon et du Var, éd. L'Harmattan, 2000, p. 31 et suiv.
  4. (en) Walter Ullmann, A History of Political Thought: The Middle Ages, 1965, p. 40 et suivantes.
  5. Bulle pontificale Unam Sanctam de 1302.
  6. Gélase ne parlait que de deux « pouvoirs », cf. Lettre 12, à l'empereur Anastase, édition Thiel.
  7. [1]
  8. 8,0 8,1 et 8,2 Les amies et amis de la Commune, La Commune et la séparation de l’Église et de l’État, 4 septembre 2022
  9. https://academiedecherbourg.wordpress.com/2010/06/07/madame-henriette-campan-1752-1822/
  10. 10,0 et 10,1 Les amies et amis de la Commune, L'enseignement sous la Commune, 4 septembre 2022
  11. Voir la Fiche Maîtron de Camille Treillard, communard en charge de l'Assistance publique.
  12. Samuel Joshua, L’expérience de l’école soviétique des années 1920, Contretemps, juin 2017
  13. Le Temps, Du Front au Rassemblement national, jalons d'un parti sulfureux, 2022
  14. Raberh Achi, Laïcité, islam et « séparatisme » : le confusionnisme de l’exécutif, AOC, 14 septembre 2020