Propriétaire terrien

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Une hacienda, grande exploitation agricole dont les propriétaires s'enrichissent essentiellement via la rente foncière

Un propriétaire terrien est celui qui possède une terre. Le terme sous-entend généralement un gros propriétaire, qui vit de la rente foncière grâce à d'autres travailleur·ses qui exploitent sa terre.

L'essentiel des classes dominantes dans les sociétés précapitalistes sont des gros propriétaires terriens. Dans ces sociétés très majoritairement rurales et agricoles, l'essentiel de la richesse provenait de l'agriculture et les dominants étaient donc ceux qui profitaient du travail de nombreux paysans. Selon les pays et les époques, la forme que prenaient cette exploitation a cependant pu être très diverse.

1 Luttes de classes[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Apparition des classes[modifier | modifier le wikicode]

Il semble que l'invention de l'agriculture ait favorisé l'apparition de luttes pour contrôler le surplus social. Historiquement, elle a été suivie dans plusieurs cas de ce que l'on a appelé la révolution néolithique, conduisant à l'apparition des classes sociales. Le contrôle de la production de certaines terres a donné naissance aux premiers « propriétaires terriens » (même si la notion de propriété n'existait pas encore au sens juridique moderne).

1.2 Antiquité et latifundia[modifier | modifier le wikicode]

Dès l'Antiquité, des phénomènes de concentration des terres par de gros propriétaires sont attestés. Cela se produisait à la fois :

  • par des conquêtes : les vaincus tombant en esclavage au service des vainqueurs (les hilotes chez les spartiates, les italiques du Sud chez les Romains...) ;
  • par des biais marchands : les plus gros pouvaient racheter les terres des moins fortunés.

Même si des révoltes paysannes éclataient de temps à autre, elles ne stoppaient pas ce phénomène de concentration. Même lorsque des luttes importantes aboutissaient à une redistribution des terres, cela ne pouvait que freiner temporairement et localement le phénomène.

C'est pour cela que les marxistes parlent de mode de production esclavagiste pour les sociétés de la Grèce antique et de la Rome antique. Il restait des petits propriétaires indépendants, mais la richesse des classes dominantes (patriciens) provenait du contrôle de vastes domaines agricoles extensifs (les latifundia).

1.3 Féodalité et noblesses terriennes[modifier | modifier le wikicode]

Au Moyen-Âge, les propriétaires terriens formaient le gros de la noblesse (noblesse terrienne : landed gentry, chevaliers, écuyers, gentilhommes, samouraïs, hidalgos...). Le haut de la pyramide sociale pouvait cependant être formée par des nobles qui n'étaient pas les plus gros propriétaires terriens, mais qui étaient considérés héréditairement de rang supérieur et de ce fait proches du pouvoir central (pairie, barons, comtes, ducs, kuge...). Leur pouvoir provient du contrôle sur l'ensemble de la classe dominante et donc en dernière analyse sur l'ensemble de la paysannerie (plus ou moins servile).

1.4 Petits propriétaires[modifier | modifier le wikicode]

Même lorsque l'esclavage ou le servage était particulièrement développé, il restait une proportion non négligeable de « paysans libres » (alleu). Certaines régions entières d'Europe étaient largement dominées par la petite paysannerie indépendante, contrairement à d'autres dominées par les latifundia (Sud de l'Italie, Sud de l'Espagne...).

Les petits propriétaires étaient toutefois soumis à certains impôts.

1.5 Biens communaux[modifier | modifier le wikicode]

Les coutumes féodales laissaient un certain nombre de terres pour un usage « commun » : les biens communaux. En général, ce sont des bois, des prés, des landes et des marais. La plupart de ces biens appartiennent à un seigneur qui en a concédé l'usage soit à titre gratuit, soit en échange de corvée soit en échange d'un cens. À partir du 17e siècle, les seigneurs essayent de reprendre ces terrains, surtout lorsqu'ils sont boisés, en obtenant des triages ou des cantonnements, afin de les exploiter plus intensivement et de profiter de la hausse des prix des bois de chauffage, ou d'en faire des terrains destinés à l'élevage de leurs bêtes.

L'Angleterre a été pionnière dans cette privatisation rampante, avec le mouvement des enclosures.

1.6 Traditions communautaires[modifier | modifier le wikicode]

Dans certains pays et à certaines époques, des petits paysans ont mis en place des systèmes de solidarité communautaires. C'est le cas par exemple en Russie avec le « Mir » : les paysans se réunissaient régulièrement en assemblées dirigées par les anciens, et procédaient à des décisions pouvant aller jusqu'au repartage des terres en fonction des besoins des familles.

1.7 Empire chinois[modifier | modifier le wikicode]

L'empereur Wang Mang, connu avoir tenté une redistribution générale des terres

Le cas de l'Empire chinois est particulier, dans la mesure où l'État central y était particulièrement stabilisé et développé. Ainsi après l'instauration des examens impériaux, la classe des lettrés (mandarins) était réellement la classe supérieure. En effet à partir des Song (960–1279) la cour impériale s’est attaché étroitement les fonctionnaires en faisant que ceux-ci doivent leur prestige social et leurs salaires au gouvernement central, plutôt qu’à leur qualité de riches propriétaires terriens. L'idéologie correspondant à cette structure sociale tenait les marchands dans le mépris, et valorisait le savoir intellectuel. Même si les mandarins achetaient souvent des terres, de fait, « l'aristocratie terrienne chinoise » est une couche plus faible dans l'Empire chinois qu'ailleurs.

1.8 Affaiblissement relatif sous le capitalisme[modifier | modifier le wikicode]

Au plus fort de la féodalité, l'exploitation de la paysannerie a pu passer intégralement par des prélèvements en nature (part de la récolte, corvées...). Avec le développement des rapports marchands, les propriétaires fonciers ont eu tendance à percevoir de plus en plus leur revenu sous forme monétaire. La rente foncière était en train de se formaliser.

Les seigneurs percevaient une taxe (les lods et ventes) lorsque leurs serfs ou anciens serfs revendaient les terres dont ils avaient l'usage. Ce type de taxe sur les ventes de terres a eu tendance à être transféré à l'État bourgeois. Par exemple en France cela a été fait au moment de la Révolution de 1789.

Les artisans, les marchands, puis les manufacturiers constituaient des personnages minoritaires et secondaires en termes de richesse et de pouvoir. Les physiocrates, parmi les premiers économistes théorisaient encore que seul le travail de la terre créait des richesses.

Avec le développement de l'industrie, la situation a changé. Des secteurs industriels entiers émergeaient, et avec eux des masses de profit jamais vues auparavant. Des antagonismes apparaissaient entre industriels et propriétaires fonciers : sur le coût des loyers, sur les politiques économiques (Corn Laws...). La bourgeoisie ascendante a fait valoir ses intérêts, et son poids lui a fait remporter inexorablement des victoires. En Angleterre, l'économie politique classique, son expression idéologique, dénonçait le caractère rentier de l'aristocratie terrienne. Certes l'agriculture créé des richesses, mais la part qui revient au propriétaire oisif est abusive. Certains économistes bourgeois ont même prôné la nationalisation du sol pour purger tout caractère rentier dans l'agriculture. Cependant, cette revendication effraie beaucoup trop la bourgeoisie, car elle touche au droit de propriété, ce qui peut vite se retourner contre elle. Bourgeois et propriétaires terriens préfèrent donc en général rester dans un rapport de compromis, protégés par un État assurant leurs propriétés.

Upper Brook Street à Londres. La famille Grosvenor, arrivée avec Guillaume le Conquérant, possède encore la majeure partie de Mayfair et de Belgravia au centre de Londres, depuis que Sir Thomas s'est marié et a hérité de ce foncier en 1677.

En Angleterre et ailleurs, la rente foncière a été rognée par le développement du libre-échange national et international, avec la nécessité de fournir les produits agricoles les moins chers face à la concurrence. L'essor du capitalisme a signifié un affaiblissement relatif des propriétaires fonciers par rapport aux capitalistes. A tel point qu'aujourd'hui dans les pays capitalistes industrialisés, on doit plutôt considérer les gros propriétaires comme une partie de la bourgeoisie.

Néanmoins les propriétaires fonciers anglais sont restés une couche sociale puissante, même plus puissante que dans d'autres pays. Mêmes les industriels devaient la plupart du temps louer la terre, alors que dans d'autres pays comme l'Allemagne, ils devenaient plus facilement propriétaires.[1]

Par ailleurs, si sur le plan économique, ce sont les propriétaires fonciers qui ont dû devenir des capitalistes, sur le plan politique, ce sont les industriels qui sont devenus des conservateurs (parti historique des propriétaires fonciers) tandis que le parti libéral (parti historique des industriels) s'est effondré.

« Les conservateurs en Angleterre deviennent de plus en plus un parti capitaliste, car l’agriculture a de plus en plus cédé le terrain à l’industrie, et les propriétaires fonciers n’ont pas le moindre espoir de se relever aux dépens des bénéfices et des salaires de l’industrie. Ce n’est qu’en participant aux profits de l’industrie, aux revenus fonciers toujours croissants des terrains à bâtir, au pillage des pays lointains par la politique coloniale, qu’ils peuvent réparer les pertes subies sur la rente foncière de leurs terres. En Angleterre, il n’y a presque plus de conservateurs comme en possède l’Allemagne. Le parti conservateur est aujourd'hui un parti capitaliste plus puissant que jamais, il ne rencontre d’opposition sérieuse ni au Parlement ni dans le pays. »[2]

1.9 Les propriétaires de logements[modifier | modifier le wikicode]

Néanmoins, les propriétaires terriens sont loin d'avoir disparu. En particulier en ville, le marché de l'immobilier offre de nombreuses possibilités de rentes pour ceux qui louent des logements. En France en 2021, 3,5 % des ménages possèdent au moins 5 appartements et détiennent à eux seuls la moitié du parc locatif privé.[3]

Le fait d'être propriétaire de son logement est un marqueur d'appartenance à la « classe moyenne ». Il y a un vrai matraquage idéologique pour inciter les ménages à acheter, même quand ce n'est pas forcément le meilleur choix économique.[4]

Pourcentage de ménages propriétaires de leur logement.

2 Notions de droit[modifier | modifier le wikicode]

La propriété foncière est un type de propriété qui concerne les biens immobiliers au sens juridique, c'est-à-dire « qu'on ne peut déplacer », ce qui inclut les terrains bâtis ou non bâtis, les bâtiments et les meubles incorporés au bâti[5].

L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture liste quatre types de régime foncier (qui peut être formalisé juridiquement ou coutumier)[6] :

  • régime privé
  • régime communautaire
  • régime d'accès libre
  • régime public

3 La question des individus[modifier | modifier le wikicode]

Marx rappelle dans sa préface au premier volume du Capital, que son propos n'est pas de blâmer moralement les individus qui appartiennent à la bourgeoisie, car ils sont déterminés par la société :

« Pour éviter des malentendus possibles, encore un mot. Je n'ai pas peint en rose le capitaliste et le propriétaire foncier. Mais il ne s’agit ici des personnes, qu'autant qu'elles sont la personnification de catégories économiques, les supports d'intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue, d'après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l'individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu'il puisse faire pour s'en dégager. »[7]

4 Expropriation sans indemnité[modifier | modifier le wikicode]

Le jeune PC français justifiait ainsi en 1921 l'expropriation sans indemnité des grands propriétaires terriens :

« L'expropriation, appliquée aux grands propriétaires oisifs, constitue simplement une restitution. Elle est aussi légitime que la suppression des privilèges de l'ancienne noblesse. Elle ne saurait, par conséquent, donner aux capitalistes terriens dépossédés le droit d'être indemnisés. Tout au contraire, après la restitution, ils resteront moralement débiteurs envers la société pour avoir vécu de père en fils, parfois depuis des siècles, sans rembourser par leur travail à la communauté humaine l'équivalent des richesses qu'ils consommaient. Par ailleurs, le droit à l'indemnité aboutirait à des résultats inadmissibles ; comme l'indemnité devrait logiquement être proportionnelle à la valeur des terres reprises, le régime nouveau servirait aux parasites de la veille des rentes d'autant plus fortes que leur parasitisme aurait été plus onéreux pour la société. La plupart d'entre eux jouiraient ainsi, dans la Révolution, d'une situation supérieure à celle des travailleurs. »[8]

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  • Le Roy, Étienne. 2011. La terre de l’autre. Une anthropologie des régimes d’appropriation foncière. Paris, France: LGDJ : Lextenso éd., DL 2011.
  • Coulomb, Pierre. (1994). “De la terre à l’état: Éléments pour un cours de politique agricole“ - ENGREF, INRA-ESR Laboratoire d’Économie des Transitions - Montpellier, France - 47 p.
  • Galhano Alves, João Pedro. (2009). "The artificial simulacrum world. The geopolitical elimination of communitary land use and its effects on our present global condition” – Eloquent Books – New York, USA – 71 p.
  1. Karl Kautsky, Le programme socialiste, 1892
  2. Karl Kautsky, Politique et Syndicats, 1900
  3. L'Obs, 3,5 % des ménages détiennent la moitié des appartements à louer, Novembre 2021
  4. Elucid, 🏠 ACHETER OU LOUER SON LOGEMENT ? Ce qu'on ne vous dira jamais sur l'immobilier, 11 mars 2023
  5. Éditions Larousse, « Définitions : foncier - Dictionnaire de français Larousse », sur www.larousse.fr (consulté le 16 mai 2020)
  6. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, Le régime foncier et le développement rural, Rome, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, (ISBN 92-5-204846-4 et 978-92-5-204846-6, OCLC 53854643, présentation en ligne, lire en ligne), chap. 3 (« Qu’est-ce qu’un régime foncier »)
  7. Karl Marx, Le Capital, Livre I - Préface de la première édition, 25 juillet 1867
  8. Thèses adoptées par le premier congrès de la SFIC, décembre 1921