Nationalisation du sol

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La nationalisation du sol est une mesure visant à interdire l'achat et la vente de terre. La répartition de l'usage des terres et de leurs productions (usufruit) peut toujours avoir lieu.

Son principal but est de mettre fin à la rente foncière.

Étant donné l'opposition de principe entre la rente et le libre-marché, et l'opposition de classe entre nobles (ou autres grands propriétaires) et bourgeois, il est arrivé que des courants de la bourgeoisie libérale défendent la nationalisation du sol.

Cependant, le plus souvent, ces courants proposaient en pratique de passer par un impôt sur la valeur foncière.

1 Débats chez les économistes bourgeois[modifier | modifier le wikicode]

David Ricardo définissait la rente foncière comme « cette part du produit de la terre payée au propriétaire foncier pour l’usage des facultés productives originelles et indestructibles du sol »[1]. La productivité du sol est certes influencée par certains investissements (drainage, irrigation, engrais…), mais elle dépend largement de facteurs « naturels » sans rapport avec une quelconque activité de son propriétaire (fertilité, localisation prisée, présence de gisements miniers...). Or, Ricardo soulignait qu'avec le développement de la population, de plus en plus de terres tendaient à être utilisées (il parlait de l'agriculture), or le coût de production plus élevé sur les terres moins fertiles fait monter les prix, et « la rente de toutes les terres plus fertiles s’en trouvera donc augmentée ».

Partant de cette logique, l’économiste John Stuart Mill fut le premier à critiquer frontalement « ces propriétaires [qui] composent dans la société une classe que le cours naturel des choses enrichit sans qu’ils ne fassent rien. […] Ils s’enrichissent en dormant en quelque sorte, sans travailler, sans courir de risques, sans épargner. » Stuart Mill défend alors que l’État pourrait légitimement s’approprier cette rente : « Ce serait, à proprement parler, prendre ce qui n’appartient à personne ; ce serait employer au profit de la société une augmentation de richesse créée par les circonstances au lieu de l’abandonner sans travail à une classe particulière de citoyens »[2] Le mécanisme qu'il envisage est celui d'une évaluation générale de la valeur des terres (via les prix agricoles), et d'une taxation de la plus-value réalisée à partir de cette référence.

Le chartiste James Bronterre O'Brien, qui se définissait comme « social-radical », défendait la nationalisation de la terre.

Le débat est momentanément retombé en Angleterre suite à l'ouverture à la concurrence internationale (abrogation des Corn Laws en 1846), qui a fait chuter les prix des céréales et donc raboté les rentes agricoles.

Stuart Mill alla plus loin vers la fin de sa vie. A la tête de la Land Tenure Reform Association, il rédigea un programme (1871), qui prônait la confiscation (avec compensation) des terres et leur administration par l’Etat.

De façon similaire l'économiste belge Emile de Laveleye, rappelait que les terres avaient longtemps été propriétés communes, comme il en restait des traces (en Russie, en Inde, à Java, en Suisse...), et qu'il fallait s'en inspirer pour lutter contre les inégalités. Il soutenait par ailleurs que cette forme collective convenait mieux aux grands travaux autour de l'agriculture (déboisement, irrigation, greniers...)[3]

Léon Walras, fondateur de l'économie marginaliste, fut marqué par de Laveleye. Il était foncièrement libéral et soutenait que les impôts étaient toujours inefficaces car perturbant le libre-marché. Mais il considérait que l'État pouvait et devait nationaliser le sol, pour ainsi disposer du revenu de la rente foncière, à la place des impôts.

Badge utilisé par les georgistes dans les années 1890

L'économiste états-unien Henry George a lieu aussi dénoncé l'enrichissement par la rente, notamment foncière (mais pas seulement)[4], et préconise comme Stuart Mill une récupération de la rente par un impôt sur la valeur foncière. Il avait alors devant les yeux l'exemple frappant des colons s'appropriant des terres lors de la conquête de l'Ouest, pouvant ensuite en retirer une rente du seul fait d'avoir au bon endroit au bon moment. Henry George a fait un certain nombre d'émules pendant quelques temps, qui ont été appelés les georgistes.

L'économiste Charles Gide, qui traduisit Henry George en français, renchérissait :

« Nous en souffrons aussi en Algérie, où le système de concession gratuite dérobe de vastes terrains à la production, […] fait renchérir artificiellement le prix des terres et force les vrais cultivateurs et les travailleurs à aller chercher plus loin et dans des conditions plus défavorables l’instrument indispensable de la production »[5]

Par la suite la plupart des penseurs bourgeois ont cessé de critiquer frontalement la rente foncière.

2 Position des socialistes[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Marx[modifier | modifier le wikicode]

La nationalisation du sol est notamment une des mesures révolutionnaires-bourgeoises que Marx espérait voir advenir dans la guerre civile américaine.

Tout en restant dans le cadre du capitalisme, cela signifierait une abolition de la composante « absolue » de la rente foncière, donc un affaiblissement de la classe parasitaire des propriétaires fonciers.

Dans l'analyse de Marx, la rente foncière est constituée de la rente absolue et de la rente différentielle. La rente différentielle ne peut être abolie en régime capitaliste ; par contre, la rente absolue peut l'être, par exemple avec la nationalisation du sol. Ce passage du sol à l’État saperait le monopole des propriétaires privés et ouvrirait la voie à une liberté de concurrence plus conséquente et plus complète dans l'agriculture. Voilà pourquoi, dit Marx, les bourgeois radicaux ont, plus d'une fois dans l'histoire, formulé cette revendication bourgeoise progressiste de la nationalisation du sol, qui effraie néanmoins la majorité de la bourgeoisie, car elle « touche » de trop près à la remise en cause d'une autre propriété, celle des moyens de production en général.[6][7]

2.2 Chez les marxistes russes[modifier | modifier le wikicode]

Une des difficultés qui s'est posée pour les marxistes russes au début du 20e siècle est qu'ils ont longtemps eu du mal à cerner la nature du mouvement révolutionnaire qui couvait en Russie. Les survivances du féodalisme étaient nombreuses, en particulier dans les campagnes, et ils s'attendaient donc à ce que la Russie connaisse une vague d'insurrections paysannes dirigées contre la noblesse terrienne. Dans le même temps, ils voyaient le développement du capitalisme qui gagnait de plus en plus de terrain, et hésitaient sur le positionnement par rapport à la bourgeoisie : puisque la révolution serait une révolution bourgeoise, fallait-il limiter les revendications pour que celles-ci ne visent pas la propriété bourgeoise ?

A l'origine, Lénine essayait d'opérer cette distinction. En 1902, il écrivait :

« D’une manière générale, il est réactionnaire de soutenir la petite propriété parce qu’un tel soutien est dirigé contre l’économie capitaliste de grande dimension, et, par conséquent, retarde le développement social, et obscurcit et nie la lutte des classes. Dans ce cas, cependant, nous voulons soutenir la petite propriété non pas contre le capitalisme mais contre la propriété des serfs. »

Par conséquent :

« La revendication de la nationalisation de la terre, tout en étant valide en principe et parfaitement appropriée à certains moments, est politiquement inefficace au moment présent. »[8]

Plus tard, notamment suite à l'expérience du mouvement révolutionnaire de 1905, et à un échange avec Gapone[9], Lénine défendit la radicalisation du programme agraire, lors du 4e congrès (1906). Il écrit alors :

Si la victoire décisive de la révolution actuelle en Russie assure la souveraineté pleine et entière du peuple, c’est-à-dire si elle instaure la république et un régime vraiment démocratique, le Parti luttera pour l’abolition de la propriété privée de la terre et la remise de toutes les terres à l’ensemble du peuple.[10]

Il reconnaissait que le parti manquait auparavant de retours concrets sur l'état d'esprit des paysans, et que le programme était basé

« sur une séparation approximative des terres servant à l’exploitation féodale et des terres exploitées sur le mode capitaliste. Cette séparation était absolument fausse, puisque dans la pratique le mouvement des masses paysannes ne pouvait être dirigé contre des catégories particulières de terres seigneuriales, mais contre la grande propriété foncière, en général. »

Mais au congrès la proposition des bolchéviks est minoritaire face à celle des menchéviks. Ces derniers sont alors nombreux à accuser les bolchéviks de vouloir aller directement au socialisme. Lénine s'en défendait sans cesse. Il expliquait que deux voies étaient possibles : la voie « prussienne », entravée et déformée par des survivances féodales, et la voie américaine, libre de tout vestige de servage.

Dans les Thèses d'avril (1917), Lénine disait que « des mesures comme la nationalisation du sol (...) n'ont rien à voir avec l'introduction du socialisme. » ​[11]

Néanmoins il n'établissait aucun étapisme rigide. En septembre 1917, il écrivait que « la nationalisation du sol est non seulement le « dernier mot » de la révolution bourgeoise, mais aussi un pas vers le socialisme. »[12]

Néanmoins, la nationalisation du sol fut une des premières mesures décrétées par le gouvernement révolutionnaire issu de la révolution d'octobre 1917.

2.3 Kautsky[modifier | modifier le wikicode]

Là où les terres sont assez morcelées, Kautsky proposait d'avancer progressivement vers la nationalisation du sol en utilisant un droit de préemption de l'État (rachat par l'État dès qu'un propriétaire veut céder une terre).[13]

2.4 France[modifier | modifier le wikicode]

En 1912-1914, le socialiste Édouard Vaillant écrit Cherté de la vie et nationalisation du sol.[14]

Le programme agraire du PC français en 1921 prévoyait la nationalisation du sol, et ajoutait :

« L'intérêt même des paysans leur commande de ne pas exiger la propriété absolue, c'est à-dire le droit d'acheter et de vendre immeubles, terre et cheptel. Ils savent par expérience que les familles les plus véritablement tranquilles et aisées sont celles qui possèdent, libre de toute hypothèque, la terre qu'elles peuvent travailler sans faire appel à la main-d'œuvre salariée. Ils savent aussi que, avec le régime de la propriété absolue, tel qu'il existe aujourd'hui, il suffit de quelques mauvaises récoltes, de la paresse ou de la légèreté d'un seul de ses membres pour que la famille, ruinée, retombe au métayage ou au salariat. La jouissance gratuite et perpétuelle procure tous les avantages de la propriété absolue et en supprime les inconvénients. »[15]

3 Exemples de nationalisation du sol[modifier | modifier le wikicode]

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  • Russie révolutionnaire
  • Éthiopie en 1974[16]

4 En savoir plus[modifier | modifier le wikicode]

  1. David Ricardo, Des principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817
  2. John Stuart Mill, Principes d’économie politique, 1848
  3. Emile de Laveleye, De la propriété et de ses formes primitives, 1874
  4. Henry George, Progrès et pauvreté, 1879
  5. Charles Gide, De quelques nouvelles doctrines sur la propriété foncière, 1882
  6. Karl Marx, Lettre à Friedrich Engels, 2 août 1862
  7. Karl Marx, Letter to Friedrich Engels, August 9, 1862
  8. Lenin, The Agrarian Programme of Russian Social-Democracy, March 1902
  9. Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 11, 1975
  10. Lénine, Révision du programme agraire du Parti Ouvrier, 1906
  11. Lénine, Les tâches du prolétariat dans notre révolution, Avril-Mai 1917
  12. Lénine, Postface à la seconde édition du Programme agraire de la social-démocratie, septembre 1917
  13. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
  14. Edouard Vaillant, Cherté de la vie et nationalisation du sol, 1914
  15. Thèses adoptées par le premier congrès de la SFIC, décembre 1921
  16. Thèse de ESSAYAS Deribe sur La gestion foncière et le développement urbain à d'Addis Abeba, 2003