Bêcheux

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Gravure réalisée d'après un texte bêcheux, par William Everard.

Les Bêcheux, ou Piocheurs, ou Creuseurs (Diggers en anglais), sont un groupe que l'on pourrait qualifier de "communiste chrétien" qui était actif durant la Première Révolution Anglaise. Ce groupe qui apparaît au plus fort du processus révolutionnaire fut très marginal, mais sa signification historique et politique est très importante.

1 Histoire[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Durant la Révolution anglaise, la radicalité politique s'exprime quasi-exclusivement par le biais religieux (même si les doctrines étaient souvent mêlées avec des éléments de rationalisme). Le catholicisme et ses réminiscences dans l'anglicanisme officiel sont associés à l'absolutisme, les puritains calvinistes représentent la gauche révolutionnaire, et de multiples groupes se démarquent par une volonté de changement plus profond de la société et de la religion.

Les puritains de gauche, autour de John Lilburne, sont appelés les Niveleurs (Levellers). Ils veulent l'égalité en droit, notamment le suffrage universel (ce qui était déjà trop pour les leaders de la révolution, Cromwell et Fairfax). Les Creuseurs (Diggers), qui se revendiquaient aussi « Vrais niveleurs », voulaient aussi l'égalité réelle, sociale, et s'attaquaient donc à la propriété privée.

1.2 Saisie et collectivisation de terres[modifier | modifier le wikicode]

En avril 1649, le drapier Gerrard Winstanley, venu du Lancashire à Londres, commence à cultiver dans le Surrey des terres en friches, et il annonce son intention, avec quelques compagnons, de s’en prendre aux parcs et d’abattre des enclosures à St George’s Hill. L’action s’inscrivait dans la vague des mouvements paysans contre les enclôtures que les niveleurs vont animer un peu partout dans le bassin de Londres entre 1646 et 1651.

Winstanley dénonçait l'expropriation des pauvres qui menait certains au vol et à la peine de mort : « [le pouvoir] enferme les faibles hors des terres, et soit il les affame, soit il les oblige par la misère à prendre à d'autres, et alors il les pend pour avoir agi ainsi. »[1]

1.3 Théorisation proto-communiste[modifier | modifier le wikicode]

Gerrard Winstanley.png

Ce qui en fait l’originalité, c’est que Gérard Winstanley est un théoricien de l’abolition de la propriété privée qui veut fonder une expérience modèle de communisme agraire. Et Winstanley et ses camarades veulent fonder leur expérience sur le dernier cri de la technique agricole et les nouvelles cultures (carottes, panais, haricots, laitues, trèfle) qui vont permettre la révolution fourragère. Leur projet est donc rien moins que de proposer une autre voie, communiste, à la révolution agricole naissante, que la voie capitaliste des grands propriétaires “améliorateurs”.

Le mouvement avait été précédé de la publication d’un pamphlet : La lumière brillant dans le Buckinghamshire, remplie de citations bibliques :

« Pleurez donc, hurlez, vous autres, riches. Dieu viendra vous punir de toutes vos oppressions ; vous vivez du travail des autres hommes, mais ne leur donnez que du son à manger, extorquant à vos frères loyers et impôts énormes. Mais qu’allez-vous faire désormais ? Car le peuple ne sera plus soumis à votre esclavage, puisque la connaissance du Seigneur l’éclairera. »

En 1648, dans le Paradis des fidèles, Winstanley a dénoncé l’inégalité dans un style qui annonce Rousseau :

« Aussi longtemps que les gouvernements diront que la terre leur appartient, en soutenant ce principe d’une propriété particulière, du « mien » et du « tien », jamais les gens du commun n’auront leur liberté... Ainsi certains se sont élevés sur le trône de la tyrannie, tandis que d’autres sont écrasés par le tabouret de la misère. Qu’on cesse d’enclore et clôturer quoi que ce soit sur terre, en disant : ceci est à moi. »

De nombreuses brochures établissent le lien entre mysticisme et christianisme :

« Ils vivent de richesse, d’honneur, de plaisirs, de clergé, d’hommes de loi, d’épouses et d’enfants, et toute forme culturelle extérieure... Ils n’osent pas vivre en une vie d’amour universel. »

La religion enseignée par les pasteurs n’apparaît à Winstanley que comme un moyen de maintenir le petit peuple dans la pauvreté, « puisque le ciel, ils l’auront ultérieurement ». Winstanley attribue d’ailleurs l’inégalité des conditions à la conquête normande : Guillaume le Conquérant a divisé le pays entre ses hommes et a créé pour les protéger la loi, les légistes et le clergé : la loi a été écrite en français pour ne pouvoir être lue, les légistes pour la rendre inintelligible, le clergé (qui reçoit la dîme) pour enseigner le respect à son égard. Aux Niveleurs qui cherchent à se dédouaner auprès de Cromwell de l’accusation de communisme, Winstanley répond dans l’Etendard dressé des vrais Niveleurs que la guerre qui ravage le pays est liée aux conditions actuelles de la propriété, dont l’immense majorité se trouve exclue :

« Pourquoi les hommes sont-ils si déments qu’ils se détruisent entre eux ? Pour nulle autre raison, sinon pour maintenir la propriété civile, faite d’honneurs, de puissance et de richesses. C’est là la malédiction sous laquelle gémit la Création, dans l’attente de la délivrance. »

En 1649 l’un des Diggers, Pierre Chamberlen, publia son Avocat du pauvre, qui prévoyait un programme de réhabilitation des classes pauvres : nationalisation des biens du roi, du clergé et des entreprises commerciales, minimum vital, mise au service de la collectivité des biens nationalisés, politique de grands travaux, exploitation par des coopératives des terres en friches sous le contrôle de l’État.

Au moment où le mouvement était en plein reflux, en 1652, Winstanley avait adressé à Cromwell, dans l’espoir qu’il appliquerait ses idées, son livre La Loi de la liberté ou la vraie magistrature restaurée, largement inspiré de l’Utopie de More, dans lequel il montrait que la transformation morale de l’Angleterre dépendait pour une grande part de son économie. Il prévoyait dans cette optique la création de deux secteurs dans l’économie, l’un collectivisé, l’autre privé, mais où l’État fournira outils et équipements. Dans les deux cas il n’y aura ni argent ni transactions : chacun apportera le produit du travail dans des magasins généraux et en tirera ce qui est nécessaire pour sa subsistance et son travail. Le système tout entier reposera sur le principe : A chacun selon ses besoins. L’économie restaurée, l’instruction généralisée, le rôle du clergé ramené à celui d’un instituteur des lois de la nature (dans une vision spinoziste : « connaître les lois de la nature, c’est connaître Dieu lui-même »).

En une année environ dix colonies se rattachent au mouvement dit des “creuseurs” ou “vrais niveleurs”. Ils revendiquent que les terres confisquées soient mises dans un fonds de la République pour les paysans pauvres.

1.4 Dispersion des Diggers (1650)[modifier | modifier le wikicode]

Le général Fairfax se rend alors sur les lieux contestés, et ouvre une série d’enquêtes et de procès.

Les colonies de creuseurs ne dureront que tant que l’Armée les protégera contre les propriétaires du voisinage qui sont furieux. Et en avril 1650, l’armée les disperse elle-même, assez gentiment d’ailleurs.

2 Postérité[modifier | modifier le wikicode]

Encadrés dans une vaste littérature étrangement apocalyptique — celle des Ranters ou divagateurs, celle des hommes de la Cinquième Monarchie, etc. —, la pensée des Diggers n’exerça en Angleterre qu’une influence très limitée. Elle n’est qu’un des aspects, et le plus nihiliste, du puritanisme anglais du 17e siècle. On retrouve cependant la trace affaiblie de son influence dans les projets phalanstériens du Hollandais Corbelis Plockhoy (1659), chez le quaker John Bellers, qui écrivit en 1695 une Proposition pour la création d’un Collège industriel où se pose la question du plein emploi, et bien plus tard chez Robert Wallace, dont les Perspectives variées (1761) formulent des vœux en faveur d’un régime collectiviste, tempérés cependant par la crainte prémalthusienne de la surpopulation.

3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. George H. Sabine (dir.), The Works of Gerrard Winstanley, New York, Russell and Russell, 1965, p. 492