Programme minimum et programme maximum

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Dans les programmes des partis se revendiquant du socialisme, on distingue souvent le programme minimum et le programme maximum.

Le programme minimum se compose d'une série de revendications immédiates.

Le programme maximum consiste en une série de mesures révolutionnaires pour établir le socialisme et le communisme.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Manifeste communiste et Révolution de 1848[modifier | modifier le wikicode]

Dans le Manifeste communiste (écrit fin 1847), Marx et Engels ne définissent pas à proprement parler de programme. Ils listent quelques mesures que prendrait un État révolutionnaire des travailleurs (« dictature du prolétariat ») : abolition de l'héritage, impôt fortement progressif...

Lorsque la Révolution de 1848 éclate en Allemagne, la Ligue communiste qu'ils dirigent diffuse un programme de revendications, qui ne vise pas immédiatement le socialisme, mais qui n'hésite pas un seul instant à revendiquer le meilleur rapport de force pour les classes populaires (ouvriers, petits-bourgeois), des réformes sociales avancées.[1] En 1848-1849, la bourgeoisie montre clairement qu'elle préfère reculer face à la réaction que voir le prolétariat prendre la tête du processus révolutionnaire.

Cela conduit en 1850 Marx et Engels à pousser plus loin la logique de ce qu'ils appellent la révolution permanente.[2] Il théorisent qu'il faut faire front avec les démocrates bourgeois mais maintenir l'indépendance du mouvement ouvrier, pour que celui-ci se tienne prêt à aller plus loin lorsqu'il en est capable et que ses alliés le lâchent. Le but est à la fois de mettre à bas tous les obstacles féodaux au capitalisme, malgré la bourgeoisie, et de pousser le processus révolutionnaire vers l'avant, vers le socialisme. Ces analyses étaient dans la pratique celle d'une logique de transition, nettement opposée à tout « étapisme ».

Lénine fera plus tard le commentaire suivant :

« Marx et Engels ne faisaient point, en 1850, de distinction entre dictature démocratique et dictature socialiste, ou plutôt ne parlaient pas du tout de la première car le capitalisme leur semblait caduc et le socialisme proche. C'est aussi pourquoi ils ne distinguaient pas, à cette époque, le programme-minimum du programme-maximum. »[3]

1.2 Lassalle[modifier | modifier le wikicode]

Ferdinand Lassalle, un des pionniers du socialisme allemand, pensait qu'il valait mieux ne pas parler publiquement du communisme :

« Supprimer la propriété foncière et le capital - voilà précisément ce qui constitue le noyau le plus intime de ma pensée, depuis que je réfléchis à l'économie ! C'est l'idée que vous avez déjà exprimée à la fin de votre troisième Lettre sociale, et c'est pourquoi depuis lors je vous suis chaudement dévoué. Ce sont des choses qu'il n'est pas encore possible de dire aujourd'hui à la populace, aussi, dans ma brochure, les ai-je largement esquivées. » Lettre à Rodbertus du 28 avril 1863

1.3 Premier programme minimum (1880)[modifier | modifier le wikicode]

Un des premiers exemples d'un programme minimum est dans le programme de 1880 établi pour le Parti ouvrier français par Jules Guesde avec Paul Lafargue, Friedrich Engels et Karl Marx. Celui-ci contient un court préambule introductif sur l'objectif communiste, également connu sous le nom de « section maximale », qui a été dicté à Guesde par Marx. Il se termine par le paragraphe suivant qui introduit le programme minimum :

« Les travailleurs socialistes français, en donnant pour but à leurs efforts l'expropriation politique et économique de la classe capitaliste et le retour à la collectivité de tous les moyens de production, ont décidé, comme moyen d'organisation et de lutte, d'entrer dans les élections avec les revendications immédiates suivantes : »

Ce programme a été adopté lors de la conférence du Havre en Novembre de 1880 contre l'opposition des possibilistes comme Paul Brousse et Benoit Malon et est devenu connu sous le nom « programme minimum ».

Marx écrivait : « Ce document très bref contient dans sa partie économique seulement des revendications qui ont effectivement émergé spontanément du mouvement ouvrier lui-même. Il y a en supplément un passage introductif où l'objectif communiste est défini en quelques lignes. » Engels admirait la clarté et la concision du programme maximum.

Le programme minimum est en contraste avec un programme maximum. À court terme, les partis devaient poursuivre seulement le programme minimum qui permettraient d'améliorer les conditions de vie des travailleurs jusqu'à l'effondrement inévitable du capitalisme. D'autres groupes ont estimé que la réalisation d'un programme minimum leur permettrait de devenir des partis de masse et de poursuivre leur programme maximum.[4]

Un conflit éclata entre Marx et Guesde par la suite. Alors que Marx voyait le programme minimum comme des mesures atteignables dans le cadre du capitalisme, utiles pour l'agitation, Guesde affirmait qu'elles était impossibles à atteindre, et qu'en proposant ainsi aux ouvriers de les revendiquer, ils se rendraient compte qu'il était nécessaire de rompre avec les républicains radicaux. Guesde estimait qu'ainsi, cette lutte allait « libérer le prolétariat de ses dernières illusions réformistes et le convaincre de la nécessité d'un 1789 ouvrier ».

1.4 Débats dans la social-démocratie allemande[modifier | modifier le wikicode]

1.4.1 Programme d'Erfurt (1891)[modifier | modifier le wikicode]

De même dans le programme d'Erfurt (1891) du parti social-démocrate allemand, les considérations générales sur l'horizon de la socialisation de l'économie figurent dans le préambule qui peut être vu comme le programme maximum, puis suivent les revendications concrètes (programme minimum). De par l'influence du SPD, cette conception va se refléter dans une grande partie de l'Internationale Ouvrière.

1.4.2 Après 1918[modifier | modifier le wikicode]

La première guerre mondiale est suivie d'une vague révolutionnaire dans plusieurs pays, notamment l'Allemagne et l'Empire austro-hongrois. En Allemagne, la révolution (essentiellement ouvrière) renverse la monarchie, et le parti social-démocrate se retrouve pendant quelques mois au pouvoir. Pourtant, il ne fait que consolider la nouvelle république sous une forme capitaliste.

Celui qui était avant la guerre le principal théoricien marxiste, Karl Kautsky, constate alors que les publications se multiplient sur la façon dont pourrait concrètement être socialisée et planifiée l'économie. Lui qui avait jusque là plutôt refusé d'en parler concrètement par refus du socialisme utopique, se met à les discuter.[5]

Il signale alors : « On nous a reproché de n’avoir pas mené ce travail plus tôt, car, dans ce cas, l’issue de la Révolution aurait été différente. » Mais il se défend en disant que l'expérience de la révolution était nécessaire pour mener les réflexions, et que le SPD ne pouvait pas anticiper quand il serait propulsé au pouvoir. Surtout, il prétend que la socialisation n'a pas pu être menée parce que la social-démocratie s'est retrouvée « trop divisée ». Même s'il était légèrement critique de la direction du parti (il a brièvement fait partie d'une scission, l'USPD), il tendait à concentrer ses reproches sur les « impatients » (Luxemburg, Liebknecht). C'est-à-dire ceux qui ont été tués par les dirigeants SPD... Ainsi Kautsky ignore ou fait semblant d'ignorer que ce n'était pas un simple et fâcheux concours de circonstances qui a empêché la révolution de devenir une révolution socialiste, mais le fruit d'une opposition ferme.

1.5 Débats dans la social-démocratie russe[modifier | modifier le wikicode]

Au début du 20e siècle, les socialistes russes (bolchéviks comme menchéviks) sont convaincus qu'une révolution est proche en Russie, et que ce sera une révolution démocratique.

Dans ce contexte, ils assimilaient souvent minimum à démocratique et maximum à socialiste. Lénine faisait par exemple en 1905 « la distinction rigoureuse du programme minimum démocratique et du programme maximum socialiste. »[6] :

« Aucune des revendications du programme minimum, pas plus que la somme totale de ces revendications, n'aboutit « au passage à un régime social fondamentalement différent ». Prétendre le contraire, cela revient en fait à adopter la position du réformisme, à abandonner le point de vue de la révolution socialiste. »[7]

En revanche, il reconnaissait que la lutte pour les mesures du programme minimum favorisera la lutte pour le programme maximum :

« La seule chose que l'on peut affirmer, c'est qu'il est tout à fait probable qu'à chaque fois qu'il y aura une lutte sérieuse en faveur des grandes revendications du programme minimum, cela provoquera un essor de la lutte pour le socialisme et qu'en tout état de cause, c'est à cela que nous tendons. »

Lorsqu'éclate la Révolution de Février 1917, formellement, bolchéviks comme menchéviks se réfèrent encore au même texte programmatique. Les bolchéviks commencent cependant à réfléchir à l'actualisation de leur programme, notamment lors de la 8e Conférence qui eut lieu à Pétrograd du 24 au 29 avril (a.s) 1917. Celle-ci avait adopté une résolution sur la nécessité d'une révision et indiqué en 8 points l'orientation de cette révision[8]. Plusieurs contributions sont ensuite parues : une brochure à Pétrograd, une à Moscou, un article de Boukharine en août... La révision du programme a ensuite été mise à l'ordre du jour du congrès extraordinaire du parti, convoqué par le Comité central pour le 17 octobre.[9] Boukharine et Smirnov avancent alors l'idée que le programme minimum n'est plus nécessaire, car il s'agit maintenant de construire le socialisme (programme maximum). Lénine s'y oppose, en soulignant que le pouvoir n'a pas encore été pris, qu'il n'y a pas de garanties que le parti bolchévik puisse s'y maintenir longtemps, qu'il devra probablement composer encore un certain temps avec la petite-bourgeoisie, etc.

1.6 Internationale communiste (1919)[modifier | modifier le wikicode]

L'Internationale communiste a développé l'idée alternative d'un programme de transition. La justification de cette rupture a été présentée comme reposant sur un changement de période, les communistes étant convaincus de vivre la période « des guerres et des révolutions », « l'époque de transition ». Ainsi, lorsque Radek introduit en juin 1922 une discussion sur l'établissement d'un programme de l'Internationale communiste, il précise :

« Il ne s’agit pas d’un programme minimum de l’Internationale communiste. Un semblable programme ne serait historiquement possible que lorsque nous serions persuadés que nous entrons dans une période de longue stabilisation du capitalisme. Il s’agit de l’établissement d’un programme de revendications transitoires servant de levier à l’action qui conduira à la conquête de la dictature. »[10]

La crise du capitalisme rend incapables les réformistes de se battre ne serait-ce que pour leur programme minimum :

« Non seulement le capitalisme, pendant la période de sa dislocation, n'est pas capable d'assurer aux ouvriers des conditions d'existence quelque peu humaines, mais encore les social-démocrates, les réformistes de tous les pays prouvent chaque jour qu'ils n'ont pas la moindre intention de mener le moindre combat pour la plus modeste des revendications contenues dans leur propre programme. »[11]

A l'inverse, les communistes doivent porter des revendications partant des besoins urgents des travailleurs, sans se soucier de leur "viabilité" dans le cadre du système, celles-ci permettant au contraire de convaincre dans la lutte qu'une révolution est nécessaire :

« Les Partis Communistes doivent prendre en considération non pas les capacités d'existence et de concurrence de l'industrie capitaliste, non pas la force de résistance des finances capitalistes, mais l'étendue de la misère que le prolétariat ne peut pas et ne doit pas supporter. Si ces revendications répondent aux besoins vitaux des larges masses prolétariennes, si ces masses sont pénétrées du sentiment que sans la réalisation de ces revendications leur existence est impossible, alors la lutte pour ces revendications deviendra le point de départ de la lutte pour le pouvoir. A la place du programme minimum des réformistes et des centristes, l'Internationale Communiste met la lutte pour les besoins concrets du prolétariat, pour un système de revendications qui dans leur ensemble démolissent la puissance de la bourgeoisie, organisent le prolétariat et constituent les étapes de la lutte pour la dictature prolétarienne et dont chacune en particulier donne son expression à un besoin des larges masses, même si ces masses ne se placent pas encore consciemment sur le terrain de la dictature du prolétariat. »

Les trotskistes considèrent généralement que l'Internationale communiste a opéré une profonde rupture sur ce point avec l'Internationale socialiste. Cependant, selon l'historien Lars Lih, il faudrait nuancer :

« Nos techniques et nos pratiques, tout notre rapport au monde, sont plus proches de la IIe Internationale que nous le croyons. (...) [L]e terme même de « manifestation », pour désigner un rassemblement de masse ou quelque chose de similaire, provient de cette période et [il] a été plus ou moins inventé par la gauche socialiste. Ainsi, la presse officielle de parti, les pétitions, les protestations, les placardages, les banderoles, à peu près tout ce que la gauche fait au quotidien, ont été élaborés et déterminés par la logique fondamentale selon laquelle la IIe Internationale se comprenait elle-même, à savoir : nous avons un but, l’enjeu est alors d’articuler la condition présente à ce but plus large. »[12]

Cependant, bien qu'il y ait eu de nombreuses discussions et résolutions, le programme de l’IC ne fut voté qu’à son VIe Congrès (1928)[13]

1.7 Programme de transition (1938)[modifier | modifier le wikicode]

Mais c'est Léon Trotski qui a plus tard théorisé la nécessité pour un parti révolutionnaire de ne pas cloisonner le programme minimum et le programme maximum, comme le faisait la social-démocratie :

« La social-démocratie classique, qui développa son action à l'époque où le capitalisme était progressiste, divisait son programme en deux parties indépendantes l'une de l'autre : le programme minimum, qui se limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise, et le programme maximum, qui promettait pour un avenir indéterminé le remplacement du capitalisme par le socialisme. Entre le programme minimum et le programme maximum, il n'y avait aucun pont. La social-démocratie n'a pas besoin de ce pont, car de socialisme, elle ne parle que les jours de fête. »[14]

A l'inverse, il expliquait ainsi la logique d'un programme de transition :

« Il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. »

Cette notion de continuité entre le programme minimum et maximum se retrouve dans la théorie de la révolution permanente :

« En entrant dans le gouvernement, non pas en tant qu'otages, impuissants, mais comme force dirigeante, les représentants du prolétariat vont par cet acte même faire disparaître la distinction entre le programme minimum et le programme maximum, c'est-à-dire mettre le collectivisme à l'ordre du jour. »[15]

2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Friedrich Engels, Karl Marx, Revendications du parti communiste en Allemagne, 21 mars 1848
  2. Friedrich Engels, Karl Marx, Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes, Mars 1850
  3. Lénine, Sur le Gouvernement révolutionnaire provisoire. Premier article : La référence historique de Plékhanov. Publié dans le nos 3 et 9 du « Prolélari » des 3 et 9 juin (21 et 27 mai) 1906
  4. Friedrich Engels, Critique du projet de programme social-démocrate de 1891, 1891
  5. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
  6. Lénine, La dictature révolutionnaire, démocratique du prolétariat et de la paysannerie, « Vpériod » n° 14. Conforme au texte du journal du 12 avril (30 mars) 1905
  7. Lénine, Œuvres, Tome XXX, pp. 7-9
  8. Lénine, Résolution sur la révision du programme du parti, Œuvres, Paris-Moscou, t. 24, pp. 282-283.
  9. Lénine, Pour une révision du programme du parti, octobre 1917
  10. Discussion sur le programme de l'IC, 8 juin 1922
  11. Internationale Communiste, IIIe Congrès - Thèses sur la tactique, juin 1921
  12. Lire Lénine. Entretien avec Lars Lih, 2013
  13. Internationale Communiste, VI° Congrès - Programme, 1928
  14. Léon Trotski, Quatrième internationale, Programme de transition, 1938
  15. Léon Trotski, Trois conceptions de la révolution russe, 1940