Association générale des travailleurs allemands
L'Association générale des travailleurs allemands (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, ADAV) était le premier parti ouvrier d'Allemagne, fondé en 1863 par Ferdinand Lassale. Il fusionne en 1875 avec le SDAP pour former le SAPD, lors du congrès de Gotha.
C'est ce SAPD fusionné qui devient en 1890 le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) qui existe toujours.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
Un des premiers moments d'expression du mouvement ouvrier allemand fut la révolte des tisserands de Silésie en 1844. Globalement dans les années 1840 (années de dépression économique), c'est surtout des mouvements d'artisans ruinés par l'essor de l'industrie auxquels on assiste. Leurs révoltes sont souvent violentes et spontanées.
A l'inverse, un courant d'intellectuels révolutionnaires émerge, mais contrairement à ce qui se passera en France il restera assez coupé des révoltes. Des exilés fondent la Ligue des proscrits (1934) puis la Ligue des justes (1836). A part quelques étudiants, les premiers membres sont des artisans eux aussi, horlogers (Joseph Moll de Cologne), tanneurs (Simon Schmidt) ou tailleurs (Weitling). En 1836, deux partis s'affrontent dans cette ligue: le «parti des ébénistes » qui en tient à pour la révolution partielle et républicains, et le « parti des tailleurs» qui imagine une république mystique, chrétienne, où règnerait la communauté des biens. C'est ce dernier courant qui l'emportera, et qui influencera plus tard la Ligue des communistes (1848).
Les intellectuels révolutionnaires comme Marx et Engels connaissent eux-aussi l'exil après l'échec de la révolution allemande de 1848. Ils se sont ensuite intéressés davantage à la France ou à l’Angieterre qu'à leur propre pays. Cela les a conduit à développer un internationalisme théorique et pratique (avec la fondation de l'Association internationale des travailleurs), mais aussi à rester relativement coupés de la classe ouvrière allemande. C'était dû non seulement à leur exil, mais aussi au fait que l'agitation ouvrière allemande était, avant 1862, multiforme et difficilement saisissable.
Le groupe ouvrier organisé le plus important d'Allemagne se donne, en 1848, le nom de Fraternité ouvrière allemande (Allgemeine deutsche Arbeitverbrüderung, DAV). Son organisation (une fraternité) renvoie aussi bien à un idéal chrétien qu'à la Révolution française. La DAV pose à la fois, de façon confuse et mêlée, la question nationale, la question sociale et la question politique. Elle servait aussi à mettre en pratique la solidarité entre travailleurs par des caisses communes. Elle est aussi la première à utiliser le terme Arbeiter (traduction du français "ouvrier"), et à vouloir unifier les travailleurs au delà des corporations, ce qui marque une forme embryonnaire de conscience de classe. La DAV comptait environ 200 sections, fortes surtout à Leipzig et Berlin. Ses dirigeants principaux étaient Franz Schwenniger et Stefan Born. Ce dernier avait été brièvement à la Ligue des communistes, mais globalement il n'y avait pas de lien entre les deux.
2 Histoire[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Fondation[modifier | modifier le wikicode]
L'ADAV a été créée le 23 mai 1863 à Leipzig, par Ferdinand Lassalle et douze délégués des plus importantes villes allemandes : Brême, Dresde, Düsseldorf, Elberfeld, Francfort, Hambourg, Harburg, Cologne, Leipzig, Mayence et Solingen. Environ 600 travailleurs étaient présents, ayant emprunté la nouvelle ligne ferroviaire Dresde - Leipzig. dans le royaume de Saxe.
L'ADAV fut le premier parti ouvrier allemand, créé en Prusse avant l'unification allemande au sein de l'Empire allemand. Ses membres étaient appelés les lassalliens.
Lassalle fut élu président pendant 5 ans. C'est en grande partie lui qui apporta des fonds au parti grâce à ses relations personnelles.
2.2 Der Social-Demokrat[modifier | modifier le wikicode]
L'ADAV n'avait pas d'organe de presse. Lassalle était très sceptique sur l'opportunité d'en créer un.
Johann Baptist von Schweitzer et Johann Baptist von Hofstetten proposèrent de publier un journal à leurs propres frais, demandant que Lassalle le reconnaisse comme organe de l'ADAV. Il fut nommé Der Social-Demokrat.
Wilhelm Liebknecht , qui était membre de l'ADAV, contribué au journal. Les noms de Marx et Engels furent inscrits dans la liste des contributeurs.
2.3 Divisions politiques[modifier | modifier le wikicode]
Les positions de Lassalle suscitèrent cependant rapidement des désaccords, dont les plus importants furent ceux sur l'unification de l'Allemagne et le rapport à la monarchie prussienne.
2.3.1 L'unité allemande[modifier | modifier le wikicode]
Au 19e siècle, le cadre germanique était divisé entre la Prusse, l'Autriche et de nombreux petits États, et deux options sont alors défendues sur la question nationale :
- La solution grande allemande, qui vise à unifier l'ensemble des peuples germaniques.
- La solution petite allemande, qui est prête à se limiter à l'unification de la Prusse et des autres petits États, sans l'Autriche.
Étant donné les rivalités entre les deux puissances que sont la Prusse et l'Autriche, la solution grande allemande ne peut être réalisée que par un mouvement populaire qui renverse les États réactionnaires. La révolution de 1848 a été une tentative dans ce sens (Marx et Engels militaient dans cet objectif de solution grande-allemande révolutionnaire), mais son échec éloignait cette perspective. En parallèle, la Prusse dirigée par le chancelier Bismarck montait en puissance, surtout après que celui-ci remporte une guerre contre l'Autriche en août 1866 et fonde la Confédération de l'Allemagne du Nord. Les partisans de la solution petite allemande voient alors pour solution de se ranger derrière Bismarck, malgré son caractère réactionnaire.
Or c'est précisément ce que Marx et Engels reprochaient à Lassalle, de chercher le compromis avec Bismarck. Pour eux et pour leurs partisans (comme Bebel et Liebknecht), c'était inacceptable.
2.3.2 Rapport avec la Prusse[modifier | modifier le wikicode]
Lassalle avait rencontré le chancelier prussien Bismarck, et échangea beaucoup avec lui. Après la révolution allemande de 1918, sa correspondance fut retrouvée dans un coffre de l'État.[1]
L'ampleur de ces rapports n'étaient pas connus de son vivant, mais les observateurs extérieurs pouvaient constater que Lassalle était moins virulent que d'autres militants vis-à-vis de la monarchie prussienne et de Bismarck. Par exemple, dans son célèbre discours de Ronsdorf, Lassalle a recours à des formules flatteuses envers le roi de Prusse.
En parallèle, Lassalle critiquait très durement la bourgeoisie libérale.
La logique de Lassalle, exprimée par lui-même auprès de Bismarck, était que la bourgeoisie était égoïste, et qu'il fallait plutôt réaliser une alliance de la monarchie et du peuple... C'était une logique inverse à celle de Marx et Engels, qui tout en critiquant la bourgeoisie libérale, considéraient les aristocrates et la monarchie comme l'ennemi principal. Selon la grille d'analyse qu'ils développaient dans le Manifeste communiste, la position de Lassalle revenait à une forme de socialisme féodal, et un socialisme d'État.
2.3.3 Organisations rivales[modifier | modifier le wikicode]
Ces désaccords firent que certaines associations ouvrières restèrent en dehors de l'ADAV, en particulier celles qui se regrouperont dans la Fédération des associations ouvrières allemandes (Vereinstag Deutscher Arbeitervereine, VDAV).
Certains socialistes également, comme Wilhelm Liebknecht, qui quitta l'ADAV pour créer le Parti populaire saxon (1866) avec August Bebel. Puis en 1869, Liebknecht et Bebel fondent le Parti ouvrier social-démocrate (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, SDAP) à Eisenach en tant que section de l'Association internationale des travailleurs, la Première Internationale.
2.4 Mort de Lassalle[modifier | modifier le wikicode]
Lassalle est tué dans un duel le 31 août 1864, pour une histoire sentimentale. Sa mort laisse l'ADAV en difficulté.
Il avait espéré des milliers d'adhésions, mais en 1864 il n'y en avait que 4600.
Johann Baptist von Schweitzer prend la tête du parti, mais n'a pas autant de talents d'organisateur, tout en étant également considéré comme autoritaire en tant que président du parti.
En 1871, des communications secrètes entre Schweitzer et le gouvernement de Bismarck fuitent, et Schweitzer démissionne. Wilhelm Hasenclever est élu comme son successeur.
Le journal Der Social-Demokrat est remplacé par Der Agitator, puis par le Neuer Social-Demokrat.
2.5 LADAV[modifier | modifier le wikicode]
De 1867 à 1872, il a existé une scission de l'ADAV nommée Association générale des travailleurs allemands lassallienne (Lassallescher Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, LADAV).
2.6 Fusion avec le SDAP[modifier | modifier le wikicode]
La répression pousse les deux partis à se rapprocher. Par ailleurs, les deux principaux sujets de désaccord ont disparu depuis 1871 :
- l'unification allemande a été réalisée de fait, dans sa variante petite-allemande (contrairement à ce qu'espérait le SDAP),
- l'attitude conciliante de l'ADAV envers les autorités n'est plus envisageable avec la répression, et von Schweitzer a démissionné.
Le congrès du SDAP à Cobourg de 1874 déclare, malgré les nouveaux conflits avec l'ADAV, « n'être pas réfractaire à une fusion ». Une rencontre à Leipzig en septembre 1874 entre Karl Marx, Wilhelm Liebknecht, Wilhelm Blos entre autres permet de faire avancer les choses dans ce sens. En octobre les vraies négociations débutent. En janvier 1875, le président de l'ADAV Wilhelm Hasenclever se prononce également pour la fusion, en exigeant toutefois que les positions de Lassalle soient incluses dans le programme commun. Il plaide également pour une organisation centralisée.
Mi-février 1875, 16 membres des deux partis travaillent ensemble à l'élaboration d'un programme commun et d'une nouvelle organisation à Gotha. Peu après, les deux présidents convoquent une assemblée générale exceptionnelle des deux partis en mai pour opérer la fusion. Au même moment, les mesures antisocialistes sont de nouveau renforcées. Le procureur de Berlin von Tessendorff déclare ainsi : « détruisons les organisations socialistes, les partis socialistes n'existeront alors plus ».
Lors du congrès de Gotha de 1875, les deux partis fusionnent donc sous la présidence de Wilhelm Hasenclever pour former le Parti ouvrier socialiste d'Allemagne (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands, SAPD).
Le programme issu de ce congrès est un mélange qui fait une large part aux idées lassalliennes. Marx écrit alors une dure critique du programme de Gotha, même s'il décide finalement de ne pas la publier pour ne pas nuire au nouveau parti. Il souligne qu'il aurait fallu se contenter d'un programme d'action et reporter l'élaboration d'un programme plutôt que de produire un compromis moi sur les principes.
Peu après, les fameuses et explicites lois antisocialistes sont passées (1878), et le jeune parti est interdit. Mais le parti maintiendra avec succès une propagande clandestine, et une présence électorale croissante, et en ressortira renforcé.
En 1890, quand les lois antisocialistes sont abrogées, le SAP change de nom et devient le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), aussitôt un parti de masse.
3 Résultats aux élections législatives[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Sous la Confédération de l'Allemagne du Nord[modifier | modifier le wikicode]
Année | Mandats | |
---|---|---|
Février 1867 | 2 / 297 |
Le Parti populaire saxon (précurseur du SDAP) obtient 2 sièges de députés. |
Août 1867 | 6 / 297 |
Le Parti populaire saxon (précurseur du SDAP) obtient 3 sièges, l'ADAV 2 sièges, et sa scission LADAV, 1 siège. |
3.2 Sous l'Empire allemand[modifier | modifier le wikicode]
Année | % | Mandats | |
---|---|---|---|
1871 | 3,2 | 2 / 382 |
L'ADAV fait légèrement plus de voix que le SDAP (56 117 contre 41 040) mais n'obtient pas de député alors que le SDAP en obtient 2. |
1874 | 6,8 | 9 / 397 |
L'ADAV et le SDAP sont au coude à coude, chacun autour de 3%.
L'ADAV obtient 3 députés, et le SDAP, 7 députés. |
4 Postérité[modifier | modifier le wikicode]
Les portraits de Lassalle sont restés fréquents dans l'imagerie social-démocrate allemande, souvent mêlés aux portraits de Liebknecht, Bebel, Marx, Engels. Mais peu à peu, avec les succès du marxisme, il y eut une tendance à déconsidérer Lassalle. Franz Mehring tenta plus tard de le réhabiliter, d'autres comme le bolchévik David Riazanov critiqueront cette tentative de réhabilitation.[1]
5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- Sonia Dayan-Herzbrun, L'Invention du parti ouvrier : aux origines de la social-démocratie, 1848-1864, L'Harmattan, 1990.
- ↑ 1,0 et 1,1 David Riazanov, Lassalle and Bismarck, juillet 1928
- ↑ (de) Gerd Hohorst, Jürgen Kocka et Gerhard A. Richter, Sozialgeschichtliches Arbeitsbuch II : Materialien zur Statistik des Kaiserreichs 1870–1914, Munich, , p. 173-175.