Ancien Régime
L'Ancien Régime est le nom que l'historiographie française[1] donne à la période de l'histoire de France qui va du 16e siècle jusqu'à la Révolution française en 1789.
Cette société était caractérisée par la mise en place d'un État absolutiste, plus centralisé par rapport à l'époque féodale, et, l'évolution très lente des rapports de production et de son infrastructure, qui explosera lors de la révolution.
1 Définitions variables[modifier | modifier le wikicode]
Fixer un début de la période est forcément arbitraire[2]. Elle est généralement fixée à partir du règne de François Ier (1515) ou à partir de celui d'Henri IV (1589), qui voit l'accession au trône de la maison de Bourbon.[3] Cette expression a été fixée par Alexis de Tocqueville dans son ouvrage L'Ancien Régime et la Révolution (1856) puis adoptée par les historiens du 19e siècle.
2 Caractéristiques[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Monarchie[modifier | modifier le wikicode]
L'une des caractéristiques les plus importantes de l'Ancien Régime était bien sûr le régime monarchique, dont l'influence aura toutefois varié au cours de l'histoire : ainsi, on distingue des périodes de féodalisme, lorsque le roi était incapable d'assurer sa domination et devait donc déléguer son pouvoir à des fifres (ducs, barons...) ; et des périodes d'absolutisme lorsque le roi, invoquant le Droit d'origine divine, dirigeait le royaume d'une main de fer, notamment durant le 15e et 16e siècle. C'est ce qui aurait fait dire à Louis XIV : « L'État c'est moi. », bien que cette anecdote soit fausse[4].
Véritables parasites, les nobles et la Cour coûtaient très cher à l'État français. Les dépenses faramineuses accumulées notamment par la famille royale - peintures, nourriture, vêtements, statues, et même le personnel de maison... - trouèrent littéralement la dette publique de l'époque : 28 millions de Francs sous Louis XVI[5].
2.2 Autoritarisme religieux[modifier | modifier le wikicode]
Si le régime était autoritaire et plus ou moins corrompu, il n'en demeurait pas moins que c'était l'Eglise qui était l'artisan de l'oppression de la population, notamment avec la mise en place de l'Inquisition, première organisation supranationale de l'Histoire ayant agi dans toute l'Europe dont le but était de traquer les "hérétiques" (tous ceux qui s'opposaient, de près ou de loin, au pouvoir de l'Eglise ou qui réfutaient les dogmes). Le rôle de l'Inquisition se renforcera après la Réforme religieuse. Si son nombre de victimes exact est inconnu, il n'en demeure pas moins qu'elle en aurait fait à travers l'Europe un très grand nombre[6].
2.3 Une société profondément injuste[modifier | modifier le wikicode]
Dans l'Ancien Régime, un grand nombre d'injustices et d'inégalités différentes s'entremêlaient. La société était divisée en ordres : noblesse, clergé, tiers-état, et il n'y avait donc pas d'égalité devant la loi. Notamment, les sommets du pouvoir étaient réservés à la noblesse et au haut clergé.
Par rapport au Moyen Âge, la société s'était transformée, avec le développement de la bourgeoisie et des rapports marchands, mais cela n'avait fait qu'ajouter des injustices. Un grand nombre de postes de pouvoir (offices) étaient monnayés (vénalité), et les rois avaient accentué ce phénomène, en multipliant les offices inutiles pour renflouer les caisses. Ces offices permettaient à certains bourgeois d'être anoblis, ce qui avait fait émergé une noblesse de robe à côté de l'ancienne noblesse d'épée.
Avec le développement des rapports marchands, de profondes inégalités économiques s'étaient développées au sein de chaque ordre. Dans la noblesse, on pouvait trouver aussi bien la haute noblesse passant son temps à la cour (touchant des rentes de leurs grands domaines gérés par d'autres), des nobles « intermédiaires » plus proches de leurs terres, que des petits nobles ruinés. Dans le clergé, la masse des curés de campagne était très éloignée des évêques et autres abbés. Dans le tiers-état, les écarts étaient encore plus vastes :
- une bourgeoisie financière directement liée à la royauté et à la haute noblesse,
- des maîtres de corporations et des gros marchands bien installés, attachés à la conservation des règles en vigueur,
- des compagnons et autres artisans beaucoup plus nombreux et n'ayant plus d'espoir de devenir maîtres,
- une bourgeoisie intellectuelle (avocats, médecins...) qui fut le ferment de la critique sociale,
- des proto-prolétaires (journaliers, mendiants...),
- de nombreux paysans arrivant tout juste à survivre sous le poids des servitudes féodales et des divers impôts.
2.4 Frein au développement économique[modifier | modifier le wikicode]
En plus d'être injuste, cette situation à la fin de l'Ancien régime était devenue une réelle source d'inefficacité, et entravait le développement des forces productives :
- La noblesse de robe, qui prélevait des taxes directement, était devenu une couche parasitaire qui pesait fiscalement sur la population, le tout pour une administration globalement inefficace, que la royauté était obligée de doubler d'un système contrôlé plus étroitement (commissaires...).
- La réglementation sur les corporations devenait un carcan pour les artisans et les proto-capitalistes qui voulaient investir (notamment pour rivaliser avec la proto industrie anglaise).
- De même pour les règlements des manufactures royales : « Ils avaient permis de diffuser les meilleures méthodes de travail, mais à présent, ils imposaient artificiellement de garder les pires. »[7]
- La bourgeoisie industrielle était aussi liée à la noblesse parce que luxe qu'elle consommait était une part importante de sa production (soie, velours, dentelle, tapis, porcelaine...). Elle ne voulait donc pas que la noblesse soit dépouillée de ses richesses.
- La paysannerie n'était pas du tout incitée à produire, et beaucoup abandonnaient. Immédiatement avant la Révolution, Arthur Young déclarait qu'un tiers des sols cultivables était en friche.
- Les paysans étaient taxés en moyenne à 50%, parfois jusqu'à 70%.
- À tout instant, pendant les travaux des champs les plus pressants, le paysan pouvait être rappelé pour une corvée.
- La dîme reposait sur les vieilles espèces connues, pas sur les plantes récemment introduites, par exemple la pomme de terre ou la luzerne. Raison pour laquelle la culture lui en était bien souvent interdite. Cela gênait considérablement l'introduction de procédés améliorés, ainsi le passage de l'assolement triennal à la rotation des cultures.
- Ce qui restait du régime de la communauté rurale, et notamment les servitudes ayant trait au rythme des cultures, entravait à vrai dire dans une plus large mesure encore tout progrès dans l'agriculture.
- Les récoltes étaient souvent ravagées par les animaux élevés comme gibier de chasse par les nobles. Parfois il était même interdit aux paysans de clôturer leurs champs, voire on les obligeait à choisir certaines cultures en fonction des intérêts de la chasse.
- La récolte fauchée devait rester dans le champ jusqu'à ce que les agents du fisc aient fait le décompte des gerbes pour déterminer ensuite le montant des prestations en nature. Si, dans l'intervalle, le temps se gâtait, la récolte était perdue.
- Les chemins étaient dans un état déplorable, les péages et les redevances sur le marché étaient d'un niveau élevé. Le paysan avait lieu d'être content s'il tirait de son surplus l'équivalent de ses frais de transport.[7]
2.5 Philosophie des Lumières[modifier | modifier le wikicode]
Si les auteurs du siècle des Lumières se sont surtout centrés sur une critique idéaliste de la religion, certains ont critiqué la propriété privée, contribuant notablement au développement des idées socialistes. Notamment Meslier, un curé de campagne qui a développé une critique cinglante de la noblesse et du clergé oisif vivant au crochet de la paysannerie, ou encore Morelly.
Certains penseurs (Mably, Galiani, Linguet, Necker...) se retrouveront à polémiquer avec les physiocrates, qui sont parmi les premiers économistes à justifier la liberté du commerce des grains, quelles que soient les conséquences sociales (pauvres subissant des famines pendant que des marchands spéculent sur des grains...).
Rousseau influença beaucoup les intellectuels français à la veille de la Révolution, notamment par son Contrat social et son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Il peint un tableau très critique des civilisations (« L’esprit universel des lois de tous les pays est de favoriser toujours le fort contre le faible, et celui qui a contre celui qui n’a rien »[8]), et contrairement à d'autres, il considère que cet état civil est une construction sociale, qui ne découle pas de l'état de nature. Mais son analyse radicale contraste avec ses conclusions plutôt modérées, car au fond Rousseau ne croit pas qu'il soit possible de bouleverser radicalement la propriété privée. Il se contente de prôner une restriction de l'héritage, un impôt progressif... Finalement, Rousseau se réfugie en grande partie dans des utopies romantiques.
2.6 Années 1780[modifier | modifier le wikicode]
Les années 1780 sont un moment d'intense critique sociale. On y revendique l'égalité et la fin des privilèges aristocratiques. Mais si la critique de la grande propriété y est récurrente, c'est en réalité au nom de l'idéal d'une société harmonieuse de petits propriétaires. Un idéal petit-bourgeois naïf et généreux.
La propriété fut généralement considérée comme un droit purement civil et donc subordonné à la puissance de l’Etat. « Nulle propriété dans l’état de nature, écrivait le Mercure de France en juillet 1779, tout y est commun, tout y est à tous. Dans l’état social, au contraire, les hommes renoncent à la communauté des biens, se soumettent à la loi civile qui crée alors des propriétés, les distribue et les transmet à son gré. »
Brissot exprime de la compréhension pour ceux qui sont poussés au vol[9]. Le droit de propriété ne saurait permettre de « manger la nourriture de vingt hommes, tandis que la portion d’un seul nous suffit ». « Point de propriété exclusive dans la nature, ce mot est rayé de son code. Elle n’autorise pas non plus l’homme à jouir exclusivement de la terre, que de l’air, du feu et de l’eau. Voilà la vraie propriété, la propriété sacrée... C’est en vertu de cette propriété que ce malheureux affamé peut emporter, dévorer ce pain, qui est à lui puisqu’il a faim. La faim, voilà son titre. » « Le voleur dans l’état de nature est le riche, celui qui a du superflu ; dans la société, le voleur est celui qui dérobe à ce riche. »
Marat fustige une société qui oppose les classes :
« Périssent donc enfin ces lois arbitraires, faites pour le bonheur de quelques individus au préjudice du genre humain, et périssent aussi ces distinctions odieuses qui rendaient certaines classes du peuple ennemies des autres, qui font que la multitude doit s’affliger du bonheur du petit nombre, que le petit nombre doit redouter le bonheur de la multitude. »
« Le droit de posséder découle de celui de vivre : ainsi, tout ce qui est indispensable à notre existence est à nous, et rien de superflu ne saurait nous appartenir légitimement tandis que d’autres manquent du nécessaire. Voilà le fondement légitime de toute propriété et dans l’état de société et dans l’état de nature. »[10]
Carra dénoncent le fait que les lois « fixent les propriétés à chacun en favorisant toutefois exclusivement et ouvertement les plus riches : elles ordonnent aux plus pauvres et aux plus faibles de cultiver la terre pour nourrir les autres. Conséquemment, elles défendent à ceux qui meurent de faim de se plaindre et de demander du pain ». Il défend les notions « d’égalité morale, de propriété raisonnable ». Le bon droit « n’est obligé de garantir la propriété à un particulier que de ce qui doit former son nécessaire absolu ». Mais nul moyen pratique n’est prévu pour arriver à cette société où « l’égalité morale ne sera plus un problème », où « la distribution des biens sera réglée par l’équité distributive et non par le caprice d’un despote ». Les appels à la révolte (« Ils ont des bras ! S’ils ne peuvent s’en servir à cultiver une portion de terre en propriété, qu’ils s’en servent à purger cette même terre des monstres qui la dévorent ! »), tournent à l'incantation : il viendra le temps où « la grande famille des hommes sera donc réunie et ne sera plus qu’une même société ». [11]
L’influence de Rousseau dominait largement, chez Saige[12], Olympe de Gouge[13]... Les revendications égalitaires s'expriment dans les cahiers de doléances, dans le cadre de la convocation des états généraux.[14][15][16]
« De quoi serviront au pauvre manouvrier les lois de propriété ? Il ne possède que ses bras et encore, ne les possède-t-il que d’une manière très précaire. (...) Point de salut à espérer dans un ordre de choses où les institutions sociales continueront d’être une violation ouverte du droit naturel envers la partie la plus nombreuse et la plus laborieuse de la nation. »[17]
Certains prennent la défense du « quatrième ordre », la paysannerie, appelant au partage des terres.[18][19] Un utopiste prolixe comme Restif de la Bretonne se contente finalement de proposer quelques timides mesures (limiter le droit de succession en ligne collatérale, fixer le prix des denrées...).[20] Boissel déclame contre la propriété privée.
3 Fin de l'Ancien Régime[modifier | modifier le wikicode]
La modification des rapports de productions féodaux, arriérés, au profit de la bourgeoisie qui devenait la force motrice économique de la société va finir par entraîner une révolution en 1789. Le roi est dans un premier temps conservé au trône, mais avec des pouvoirs limités (droit de veto), avant d'en être déchu et exécuté quelques années plus tard[21]. Dans le même temps, les privilèges de la noblesse sont mis en pièce dans la nuit du 4 août de la même année, et une série de révoltes paysannes renversent les seigneurs de campagne (Grande Terreur). La fin de l'Ancien Régime va permettre à la société de classes moderne, opposant la bourgeoisie et le prolétariat, de se développer sur de nouvelles bases.
La Révolution française donna naissance à une République bourgeoise qui réalisa non pas la justice et l’égalité éternelle et absolue mais l’égalité devant des lois le plus souvent faîtes pour protéger la propriété des possédants. Bien sûr c’était un immense progrès et le plus grand réalisable pour l’époque. Mais les grandes idées des philosophes étaient venues buter contre les faits économiques et sociaux. La nouvelle société n’était pas la société idéale rêvée par eux de la Justice et de la Raison.
Même si la Révolution française était avant tout dominée par l'idéal petit-bourgeois de la république de petits propriétaires, marginalement, certains imaginaient déjà une forme d'organisation collectiviste. C’est notamment le cas du premier "communiste", Gracchus Babeuf.
4 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Lucien Bély (dir.), Dictionnaire de l'Ancien Régime (voir notamment l'avant-propos, 11-15), PUF, 1996, 3e éd. Quadrige (2010).
- ↑ Larousse, Ancien Régime
- ↑ Définition de l'Ancien Régime sur "Toupictionnaire"
- ↑ Louis XIV n'a pas dit qu'il était l’État
- ↑ Le Roi s'effondre sous la dette (Valeurs actuelles)
- ↑ Combien l'Inquisition a-t-elle fait de victimes ? (linquisitionpourlesnuls.com)
- ↑ 7,0 et 7,1 Karl Kautsky, Les antagonismes de classes à l'époque de la Révolution française, 1889
- ↑ Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, 1762
- ↑ Jacques Pierre Brissot, Recherches philosophiques sur le droit de propriété et sur le vol considérés dans la nature et dans la société, 1780
- ↑ Jean-Paul Marat, Plan de législation criminelle, 1780
- ↑ Jean-Louis Carra, Système de la raison ou le prophète philosophe, 1782
- ↑ Joseph Saige, Catéchisme du citoyen, 1788
- ↑ Olympe de Gouge, Le bonheur primitif de l’homme ou les rêveries patriotiques, 1789
- ↑ Jean-François Lambert, Précis de vues générales en faveur de ceux qui n’ont rien, 1789
- ↑ Louis-Alexandre Duwicquet d'Ordre, La vie et les doléances d’un pauvre diable pour servir de ce qu’on voudra aux prochains états généraux, 1789
- ↑ Dufourny de Villiers, Cahier du quatrième ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents, etc., de l’ordre sacré des infortunés, 1789
- ↑ Jean-François Lambert, Cahier des pauvres, 1789
- ↑ Rétif de La Bretonne, Le plus fort des pamphlets. L’ordre des paysans aux états généraux, 1789
- ↑ Anonyme, Nécessité et moyens d’établir une loi agraire, d’assurer la subsistance des pauvres, de réformer le clergé et la constitution militaire, 1789
- ↑ Restif de La Bretonne, Le thesmographe, 1789
- ↑ 21 janvier 1793 - Exécution de Louis XVI (Herodote)