Brevets
Un brevet est un titre de propriété industrielle qui porte sur une invention et en interdit l'utilisation par autrui pour une certaine durée (20 ans en général) pour toute production visant à être commercialisée.
1 Principe et droit du brevet[modifier | modifier le wikicode]
Pour qu'une invention puisse être brevetée, elle doit :
- être véritablement nouvelle ;
- être "inventive", ne pas découler trivialement de l'état actuel de la technique ;
- être industrialisable.
Il va de soi que ces critères n'offrent pas une délimitation extrêmement rigoureuse de ce qui est brevetable, ce qui laisse une certaine latitude aux lobbies pour "convaincre" les institutions.
L'inventeur doit déposer en même temps que sa demande de brevet une notice complète, permettant publier le contenu de l'invention dans le domaine public. Cette diffusion de l'information technique et scientifique concernant l'invention est la contrepartie de l'exclusivité industrielle que permet de défendre le brevet.
Malgré une base commune très répandue, il existe de grandes disparités entre les droits des différents Etats.
2 Intérêt du brevet pour les capitalistes[modifier | modifier le wikicode]
Les brevets permettent aux entreprises de profiter d'une rente de monopole, et de vendre des produits à des prix bien supérieurs à leurs coûts de production. La justification des économistes bourgeois est que dans certains domaines la recherche est longue et coûteuse, et que si les industriels de ces domaines n'étaient pas « récompensés » par des (sur)profits suffisants, ils ne pourraient pas réaliser ces investissements de long terme.
Des entreprises peuvent toutefois trouver intérêt à ne pas poser de brevet, si elles pensent pouvoir garder le secret industriel. En effet, elles évitent ainsi de diffuser toute information quant à l'invention qu'elles utilisent, ne la publient pas, et il n'y a aucune durée au bout de laquelle elles devront renoncer à l'exclusivité de la production.
Certaines multinationales utilisent également les brevets pour ne pas qu'une technologie voit le jour, dans le cas où celle-ci nuirait à un de leurs marchés. A noter que le droit français actuel comprend une clause permettant à un breveté qui aurait cédé ses droits de les reprendre dans le cas où aucune application n'est lancée. Un intense lobbying vise à faire disparaître cette clause avec l'opportunité de "l'harmonisation européenne".
Les lois sur les brevets sont un exemple de régulation économique que pose l'État officiellement dans l'intérêt général. Comme souvent, ces mécanismes de régulation profitent surtout aux plus grandes entreprises, et beaucoup de réformateurs soutiennent que même d'un point de vue capitaliste libéral, les lois sur les brevets doivent être réformées.
3 Champ d'application[modifier | modifier le wikicode]
Les brevets ont permis depuis les débuts de la Révolution industrielle de protéger des innovations technologiques, des machines aux produits chimiques en passant par les ampoules. À mesure que la marchandisation capitaliste progresse, leur champ d'application s'est élargi, y compris à des domaines où c'était préalablement impensable ou dans le domaine public.
Il existe une régulation de ce qui est brevetable et ce qui ne l'est pas, et des règles qui sont censées protéger les inventeurs, qu'ils soient un scientifique isolé ou une multinationale. Dans la pratique, contrairement à la fiction du droit bourgeois, la puissance économique est un facteur primordial pour tordre le droit dans un sens ou un autre.
Les brevets peuvent être attaqués en justice, et si l'attaquant est une entreprise disposant d'une armée de juristes, elle a de fortes chances de réussir. Inversement, un brevet illégitime voire même théoriquement illégal peut être défendu avec succès si le breveté est un capitaliste puissant. Des sociétés comme Apple, Samsung ou Google ont l'habitude de s'attaquer mutuellement pour violation de brevet à chaque lancement d'un nouveau produit. L'idée? Obtenir l'injonction d'un juge et retarder la commercialisation de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois : un temps précieux pour tenter de s'emparer de parts de marché. Un peu à la traîne dans la course aux brevets, Google a récemment racheté Motorola Mobility pour 12,5 milliards de dollars afin de mettre la main sur ses très nombreux brevets.[1]
Dans les années 1950, un système un peu particulier de brevets a été élaboré pour les semences sélectionnées ou hybridées, les Certificats d'Obtention Végétale.
Le droit des marques (souvent affichées avec ® ou ™) est encore un cas particulier. Il a été codifié d'abord au Royaume-Uni en 1875 avec le Trade Mark Registration Act.
Durant les dernières décennies, les multinationales ont poussé incroyablement loin les limites :
- Le Costa Rica a transformé le quart de son territoire en réserves naturelles, où la grande firme pharmaceutique américaine Merck prospecte et analyse des échantillons de plantes, de microbes et d'insectes (moyennant une compensation financière). Des contrats analogues existent entre des industriels européens et certains pays africains.
- Environ 20% du génome humain a été breveté (afin de percevoir des droits sur d'éventuelles avancées médicales basées sur ces gènes...)
- etc...
Certains domaines restent en dehors de la brevetabilité : les théories ou découvertes "purement" scientifiques, les procédures chirurgicales, ou encore les inventions dont l'application serait illégale (un virus par exemple). Cela n'empêche pas les plus cyniques des capitalistes de passer outre :
« La fonction mathématique ou exclusif a par exemple été brevetée pour son application au procédé d'inversion des couleurs sur un écran comme celui qui est utilisé pour faire clignoter un curseur sur un écran. Or, il s'agit d'un procédé connu et tellement élémentaire que personne n'avait osé déposer un brevet auparavant. Il s'agit aussi du procédé le plus naturel et efficace, ce qui interdit de s'en passer. De nombreuses sociétés ont alors été attaquées pour contrefaçon parce qu'elles utilisaient la fonction ou exclusif dans des applications graphiques sans savoir qu'un brevet existait et ont dû accepter de verser des royalties au détenteur du brevet pour éviter un coûteux procès. » [2]
4 Dérogations[modifier | modifier le wikicode]
4.1 Licences libres humanitaires[modifier | modifier le wikicode]
Dans certains cas, des « licences libres humanitaire » sont prévues pour déroger aux brevets.[3]
Ce système a par exemple été utilisé pour la diffusion du riz doré. Ce riz est modifié génétiquement pour produire plus de vitamine A qu'un riz classique. Il a été mis au point dans l'optique (cette publicité étant positive pour les grands groupes) d'amélioration la situation de nombreuses populations d'Asie qui sont carencées en vitamines A, et dont le riz est l'aliment de base. Concrètement, si un agriculteur ne génère pas plus de 10 000 $ par an, il peut obtenir une licence libre humanitaire (en) auprès de Monsanto.[4]
4.2 Licence d'office[modifier | modifier le wikicode]
Dans plusieurs pays, les législations prévoient dans certains cas la possibilité pour l'État de donner l'autorisation à un laboratoire de produire un médicament dont le brevet a été déposé par un autre laboratoire. Il s'agit de la « licence d’office ».
Ce mécanisme, justifié au nom de l'intérêt général, est très rarement mis en pratique par les gouvernements bourgeois. Pendant la crise du Covid, plusieurs personnalités ont réclamé son utilisation, pour rendre plus rapidement, et plus égalitairement accessible les vaccins au monde entier. Mais malgré l'ampleur de la pandémie, les profits des laboratoires pharmaceutiques sont passés avant.[5]
5 Historique[modifier | modifier le wikicode]
5.1 Origine[modifier | modifier le wikicode]
La forme du brevet remonte au moins à l'Antiquité (à Sybaris) mais ses premières utilisations dans le sens actuel remontent à la fin du Moyen-Âge. En 1421 à Florence, l'ingénieur-architecte Filippo Brunelleschi reçut un brevet de 3 ans pour une machine de manutention. En 1449, John d'Utynam reçut un brevet de 20 ans pour une technique de verre coloré.
5.2 Formalisation[modifier | modifier le wikicode]
La République de Venise passe à l'étape supérieure en 1474, en formalisant le cadre juridique du brevet. L'Angleterre édicte le Statute of Monopolies en 1623, qui codifie le brevet. Aux États-Unis, le Congrès le vote en 1790, et en France c'est pendant la Révolution en 1791.
5.3 Mondialisation et limites[modifier | modifier le wikicode]
L'extension du champ des brevets a été impressionnante et inquiétante. Certaines résistances ont été balayées face aux intérêts en jeu.
Avec le processus de mondialisation, un brevet ne peut évidemment plus être déposé dans un seul pays, et différentes tentatives de normalisation ont donc vu le jour :
- 1967 : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
- 1973 : Office européen des brevets
- 1977 : Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle
- 1995 : Office eurasien des brevets
Cependant, les différences entre pays recouvrent aussi des différences d'intérêts, ce qui en pratique rend illusoire une totale internationalisation.
Un autre phénomène remarquable est qu'avec la concurrence internationale exacerbée, chaque Office de brevetage a intérêt à accepter le brevet, et l'économie prime sur la technique[6]. En effet, les droits perçus par ces organismes représentent des revenus importants qu'ils ne veulent pas voir filer vers d'autres.
5.4 Biopiraterie[modifier | modifier le wikicode]
Des multinationales n'hésitent pas à breveter des plantes médicinales sans apporter aucune plus-value et en privent ensuite leurs utilisateurs traditionnels. Une pratique dénoncée sous le terme de biopiraterie.
5.5 État des lieux actuels[modifier | modifier le wikicode]
Les brevetés sont en très large majorité des entreprises, et le nombre de personnes physiques diminue toujours plus du fait de la difficulté à innover sans capital suffisant.
Les recettes perçues pour brevets sont passées de 9 milliards de dollars en 1982 à 98 milliards en 2004[7].
De plus, la carte des brevets en vigueur (ci dessous en 2000) montre clairement une répartition selon la puissance impérialiste des pays.
6 Brevets réactionnaires[modifier | modifier le wikicode]
Les communistes révolutionnaires estiment que ce droit bourgeois est un frein au progrès, et devient même brutalement réactionnaire.
6.1 Entrave à la santé[modifier | modifier le wikicode]
En particulier, dans le secteur pharmaceutique. Par exemple, le coût des brevets alourdit la facture des médicaments remboursés de près de 300 milliards de dollars par an aux États-Unis.[8] Et grâce à leur rente de monopole, les industriels peuvent vendre des médicaments plusieurs centaines de dollars, alors qu'ils en valent beaucoup moins. Par ailleurs, les entreprises concentrent leurs recherches sur des produits susceptibles d'être protégés. Le 20 mars 2012, le New York Times révélait que l'aspirine pouvait réduire de 30 % les chances de développer un cancer grave ; le lendemain, le même journal publiait un article sur l'acide tranexamique, une molécule capable de diminuer les saignements en un temps très court. Dans un cas comme dans l'autre, le coût des recherches ne pouvant être compensé par la rente liée à un brevet, l'industrie pharmaceutique a ignoré ce qui aurait pu constituer une grande avancée pour la médecine.
Et ces géants capitalistes ne reculent devant aucun cynisme, comme en 2001 lorsque 21 compagnies pharmaceutiques ont porté plainte contre l'Afrique du Sud pour avoir produit des génériques de traitement du SIDA, avant de reculer sous la pression de l'opinion publique.[9] L'Inde a également développé une puissante industrie de médicaments génériques, afin de pouvoir répondre aux besoins de santé sans dépendre des industries pharmaceutiques occidentales. Elle n’octroyait pas de brevets sur les médicaments, jusqu’en 2005, jusqu'à ce que les capitalistes occidentaux, à travers l'OMC, fassent pression pour que l'Inde « protège la propriété intellectuelle ».[10]
Au début des années 2000, la Thaïlande s'est mise à produire des génériques d'un traitement contre la méningite opportuniste du Sida. Résultat, en 2004, le traitement (fluconazole) était 30 fois moins cher en Thaïlande qu'au Kenya, où l'on n'utilisait que des médicaments sous brevets, et où cette méningite tue massivement.[11]
6.2 Entrave à l'écologie[modifier | modifier le wikicode]
Le système des brevets (et du secret industriel) est également réactionnaire sur le plan écologique. En effet, il arrive fréquemment que des innovations technologiques améliorent à la fois les rendements et l'efficacité énergétique. Les meilleures techniques disponibles sont en général plus développées dans les vieux pays impérialistes, et ces derniers protègent leur avance technologique, qui est un atout dans la concurrence (la haute technologie contre-balance partiellement les effets de salaires plus élevés : une heure de travail humain coûte plus cher mais produit plus de survaleur).
Bien sûr il y a des transferts de technologie malgré tout, que ce soit par l'expiration des brevets, des accords entre entreprises (par exemple la Chine a acquis un rapport de force suffisant pour réclamer des transferts de technologie aux entreprises occidentales qui veulent délocaliser sur son sol), de l'espionnage industriel... Mais cela constitue néanmoins un frein incroyablement absurde du point de vue de l'intérêt général.
7 Perspective socialiste[modifier | modifier le wikicode]
En visant à la collectivisation de tout le capital, le mouvement socialiste rendrait de fait obsolète tout brevet, et plus généralement toute propriété industrielle. Une transition vers une économie communiste pourrait permettre un transfert généralisé et systématique des meilleures technologies.
8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Le Monde diplomatique, Course aux brevets, prime au gâchis, août 2012
- ↑ Logiciels libres, Liberté, Égalité, Business, chap. 8, p. 141
- ↑ Wikipedia (en), Humanitarian use licenses
- ↑ « Frequently asked questions », sur www.goldenrice.org
- ↑ Michaël Rochoy, Eric Billy, Matthieu Calafiore, À quoi sert la licence d’office, si elle n’est pas utilisée lors d’une pandémie ?, PubMed Central, 12 mai 2021
- ↑ Des sites comme CrazyPatents.com recensent d'ailleurs des brevets sans queue ni tête.
- ↑ CNUCED (2005), World Investment Outlook
- ↑ Dean Baker, Course aux brevets, prime au gâchis, Le Monde Diplomatique, Août 2012
- ↑ Les Echos, Les laboratoires perdent une manche dans la bataille des génériques, 20 avril 2001
- ↑ Médecins sans frontières, Le régime des brevets en Inde et l’affaire Novartis : Questions/Réponses, 2012
- ↑ Jean-Pierre Berlan, Le brevet tue, Revue Critique d’Ecologie Politique, 2004