Françafrique
Françafrique est le terme tristement célèbre qui évoque les liens politiques et économiques néocoloniaux de la France avec ses ex-colonies africaines.
1 Origine[modifier | modifier le wikicode]
En 1900, plus de 90% du continent africain était colonisé, dont une bonne partie par la France.
Le néocolonialisme est d'abord une forme de domination qui a permis de prendre le relais après la décolonisation. Il est évident que les puissances coloniales n'ont pas voulu les indépendances, elle s'y sont d'ailleurs violemment opposées. Mais face à la nouvelle donne mondiale (luttes des peuples, opposition socialiste au colonialisme...) il était nécessaire d'inventer un nouveau paradigme. Cette "invention" a été empirique, au grès des défaites apparentes et des négociations discrètes entre élites économiques.
Officiellement, chaque nouvel État indépendant est convié à venir prendre toute sa place au concert des nations et du commerce international. En réalité, ces pays héritent d'une économie tournée vers l'exportation et sans capitaux suffisants pour assurer une industrialisation auto-centrée. Le fonctionnement tacite qui s'est mis en place est une collaboration entre une bourgeoisie comprador qui reçoit les miettes des affaires juteuses que continuent de faire les trusts français. En échange elles doivent maintenir une stabilité dans le pays, malgré la misère et l'absence de démocratie.
L’Afrique est toujours le principal pourvoyeur des matières premières qui sont essentielles à la France : pétrole (Algérie, Gabon...), minerai (Zaïre...). Elle ne les obtient plus gratuitement comme sous la colonisation, mais à des prix dérisoires. De plus, compte tenu de la stabilité bien plus grande (plus de révoltes indépendantistes) et de l'absence "officielle" de responsabilité de la France dans la misère du continent Noir, l'ancienne métropole est largement gagnante.
Encore au niveau macro-économique, il est révélateur que le solde des capitaux et des emplois avec la France avec l'Afrique est toujours positif.
2 Historique[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Pendant la Seconde guerre mondiale[modifier | modifier le wikicode]
2.2 Sous le gaullisme[modifier | modifier le wikicode]
En 1960, sous l'effet de la vague des mouvements de libération nationale, la France "accorde l'indépendance" à ses colonies d'Afrique (sauf l'Algérie qui luttera jusqu'en 1962 et ses DOM-TOM). Mais de Gaulle s'assure alors que les dirigeants à la tête de ces nouveaux pays vont être de bons amis, pour ne pas dire des pions : Omar Bongo, Sassou Nguesso... En réalité, sous le vernis d'indépendance, la domination coloniale restait quasi-intacte, avec des dictateurs Noirs soumis au lieu de gouverneurs Blancs. L'armée française n'est d'ailleurs jamais partie d'Afrique : les ex-colonies du Nord du continent sont encerclées par des bases militaires toujours là, au Gabon, à Djibouti et au Sénégal.
Du sommet de l'État français, tout un réseau mafieux de relations était organisé pour exercer une direction politique sur les ex-colonies. Un homme clé de ce réseau était Jacques Foccart, un dirigeant des services secret et responsable à l’Élysée des affaires africaines. On lui doit la carte de l'Afrique dessinée à la règle, la mise en place des régimes dictatoriaux « amis de la France » et la continuité des pillages des ressources naturelles. Et en tant que trésorier du parti gaulliste il supervisait le financement occulte du parti par les amis d'Afrique.
La bourgeoisie française a aussi utilisé son influence politique en Afrique pour renforcer son influence diplomatique sur la scène internationale (par exemple de nombreux pays africains votaient en bloc les mêmes positions que la France à l'ONU ou autre). De Gaulle, qui a été un des piliers de l'élaboration du réseau françafricain, ne s'en cachait pas :
« Il importe qu'un pays comme le nôtre, la France, retrouve cette grandeur perdue, sous peine soit de ne jouer aucun rôle dans la scène internationale, soit d'y tenir celui de vassal de quelque superpuissance. [...] Faute d'Empire, la République doit réunir autour d'elle et entretenir, même à grands frais, toute une clientèle d'États susceptibles d'épauler ses entreprises dans l'univers entier. » [1]
Pendant la « guerre des sables » entre le Maroc et l'Algérie (1963), De Gaulle soutenait en fait les deux camps et se réjouissait de les affaiblir simultanément, tout en les méprisant profondément :
« Ce sont des histoires d’Arabes ! […] Il faut qu’ils se chamaillent, les Égyptiens avec les Syriens, les Syriens avec les Kurdes, etc. Il y a bien deux mille ans que c’est comme ça. Quand nous étions là en force, nous avons pu imposer le silence ; puis ils se sont tournés contre nous. Maintenant que nous ne pouvons plus être le bouc émissaire, ils se tournent les uns contre les autres. Nous aidons les Marocains, en leur fournissant des armes. Nous aidons les Algériens, en mettant à leur disposition notre aérodrome de Colomb-Béchar. Nous les aidons à s’entretuer. Pourtant, il faut faire comme si nous étions neutres. »[2]
Avec certains scandales qui ont éclaté, comme l'affaire Elf, la Françafrique a cherché à se faire plus discrète.
2.3 La guerre froide et la chasse gardée française[modifier | modifier le wikicode]
A cette époque de guerre froide, la plupart des dirigeants anti-colonialistes adoptaient des idéologies pseudo-marxistes, (même s'il s'agissait surtout de forces staliniennes, et dans leur nature, de partis bourgeois anti-impérialistes). Ils étaient soutenus par l'URSS, qui espérait par là affaiblir ses rivaux et agrandir le bloc de l'Est. Dans ce contexte, les États-Unis, qui avaient par ailleurs d'autres chasses gardées, ont accepté que la France joue un rôle de gendarme régional en Afrique de l'Ouest et de force anti-"communiste".
2.4 Le tournant néolibéral[modifier | modifier le wikicode]
Dans la période des années 1980 à nos jours, sous l'effet conjugué du ralentissement économique et de la paupérisation de l'Afrique, le volume des investissements français s'est réduit. Cependant, les quelques multinationales qui détiennent des marchés privilégiés obtiennent sans cesse des taux de profit plus élevés.
2.5 La gauche dans la continuité[modifier | modifier le wikicode]
Déjà lorsqu'il était dans l'opposition, le PS critiquait peu la Françafrique. Mais on aurait pu penser qu'il la remettrait en question s'il en avait les moyens... Mais lorsque le PS et le PCF entrent au gouvernement après la victoire de Mitterrand en 1981, ils se couchent devant le capitalisme français, et maintiennent les intérêts français en Afrique, et recyclent les réseaux gaullistes. Ainsi le réseau africain Mitterrand pouvait rivaliser avec ceux des "grands hommes" de droite, et il le revendiquait !
Ce d'ailleurs, pour certains socialistes peut-être un peu plus sincères, un sujet de honte. Ainsi le ministre PS de la coopération, Jean-Pierre Cot, démissionne en 1982 du gouvernement, en désaccord avec la politique menée, qu'il résume ainsi :
« Entretenir au coup par coup un réseau de relations, de complicités qui devaient perpétuer l'influence de la France dans ses ex-colonies et assurer ses positions politiques, commerciales et stratégiques. »[3]
Il n'y a eu aucune rupture perceptible jusqu'à aujourd'hui, que ce soit sous les gouvernements "rose" (Jospin) ou bleu.
2.6 Libéralisation et affaiblissement français[modifier | modifier le wikicode]
Plusieurs facteurs ont modifié les rapports des forces impérialistes présentes en Afrique :
- La fin de la guerre froide
- La stagnation prolongée poussant les multinationales à rechercher plus de rentabilité, notamment par les investissements à l'étranger
- Les mesures de libéralisation accrues après les années 1970, qui ont fait peser davantage sur la France la concurrence des États et multinationales d'autres pays (notamment états-uniennes ou chinoises).
La présence toujours plus forte des États-Unis et de la Chine font que certains dictateurs négocient plus volontiers avec eux (c'était le cas de Gbagbo), certains dictateurs sont aussi assez vieux (Amadou Toumani Touré, 10 ans au pouvoir à la tête du Mali) et savent beaucoup trop de choses. Il y a une longue histoire de magouille politique, de financement occulte de la politique française entre les gouvernements africains et français. Ainsi la carte politique africaine change, certains "amis de la France" sont mis de coté pour placer d'autres personnes à la botte de la France (comme au Mali ou au Gabon) soit qui représentent un compromis entre la France et les USA (Côte d'Ivoire).
Une lutte sourde entre les USA et la France se déroule, même dans les pays africains traditionnellement subordonnés à Paris, pour le contrôle des appareils et des hommes qui les dirigent. Les institutions économiques internationales constituent en particulier une pépinière où les États-Unis puisent les hommes destinés à prendre la relève de ceux installés ou protégés par la France là où cela peut s’opérer par des élections. Mais l’exemple du Zaïre montre que les États-Unis n’hésitent pas à l’occasion à trouver leurs protégés dans bien d’autres milieux...
3 Leviers de la domination[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Présence militaire[modifier | modifier le wikicode]
- Bases permanentes : Djibouti, Sénégal, Gabon, Côte d'Ivoire
- Terrains d’opérations : Côte d’Ivoire (opération Licorne + ONUCI), Tchad (opération Épervier + Force européenne de protection des réfugiés du Darfour), République centrafricaine (Eufor + mission Boali), Kosovo (OTAN et Eurofor), Liban (Finul), Afghanistan (OTAN), Libye...
3.2 Blocage de l'industrialisation[modifier | modifier le wikicode]
3.3 Echange inégal[modifier | modifier le wikicode]
L'échange inégal est le fait que la France (et les autres pays impérialistes) achètent à l'Afrique des produits à faible valeur ajoutée (pétrole, fruits, coton...) et lui vendent des produits de leur industrie, à forte valeur ajoutée. C'est à la fois la conséquence du blocage de l'industrialisation, et... un moyen de l'empêcher.
3.4 Pillage des ressources[modifier | modifier le wikicode]
La France tire énormément de ses ressources d'Afrique. On peut penser au pétrole (en Algérie, en Côte d'Ivoire...).
Concernant le nucléaire, les politiciens (de droite comme de gauche) répètent cyniquement qu'il permet "l'indépendance énergétique" de la France. Cela montre bien qu'ils considèrent toujours que le sous-sol du Gabon ou du Niger leur appartient.
Par exemple, en Afrique de l’Ouest, tous les ports de la côte appartiennent à… Bolloré ! De plus, ils possèdent les exploitations minières, les services de l’eau, etc. 60% des richesses du continent africain vont directement aux pays impérialistes. C’est plus de la moitié de leur production et de leurs ressources naturelles qui ne leur reviennent pas. Cela se voit dans le fonctionnement des exploitations minières. Elles vendent à l’Europe les matières premières qui y sont transformées en produits. Ces produits, ensuite, sont vendus dans l’Union Européenne et à ses partenaires. Rien ne retourne à l’Afrique.
3.5 Dette publique[modifier | modifier le wikicode]
3.6 Contrôle monétaire[modifier | modifier le wikicode]
La France contrôle directement la monnaie de nombreux pays d'Afrique, via ce qu'on appelle le Franc CFA. Cela signifie Communauté Financière Africaine... simple changement de vocabulaire pour ce qui voulait dire Colonies Françaises d'Afrique (avant 1958).
La france CFA a été dévalué de 50% en 1994, notamment sous la pression des États-Unis ou d'organismes financiers mondiaux comme le FMI. Cette pression continue à s’exercer pour que la zone franc CFA soit détachée de la France.
4 Exemples[modifier | modifier le wikicode]
5 Lutte contre la Françafrique[modifier | modifier le wikicode]
5.1 Information et dénonciation[modifier | modifier le wikicode]
Une des luttes primordiales à mener contre cette domination néocoloniale est de l'expliciter, de la porter au grand jour et de la dénoncer avec intransigeance. Car l'idéologie dominante cherche évidemment à nier cet état de fait, décrivant les pays d'Afrique de mille manières ("Pays Moins Avancés", "du Sud", "Tiers-Monde"...) avec toute la neutralité que cela peut véhiculer, afin de nier toute influence de l'ex-puissance coloniale depuis les déclarations d'indépendance.
Certains associations mènent un travail remarquable de ce point de vue-là, comme Survie.
5.2 Contre les intérêts des patrons français[modifier | modifier le wikicode]
La façon la plus directe de lutter contre la Françafrique, c'est de lutter contre les intérêts des capitalistes français en Afrique.
- Contre toute intervention militaire (comme récemment en Libye et au Mali...)
- Pour l'annulation de la dette des pays africains
- Pour l'expropriation des multinationales oppresseuses
5.3 Vers la révolution socialiste ![modifier | modifier le wikicode]
6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- Lutte ouvrière, Les relations entre l’impérialisme français et sa zone d’influence africaine, 1997
- François-Xavier Verschave, De la Françafrique à la Mafiafrique, Tribord, 2004
- L'Empire qui ne veut pas mourir: Une histoire de la Françafrique, Seuil, 2021
- ↑ Essai d'explication de la politique étrangère, Général De Gaulle
- ↑ Lemag.ma, De Gaule à propos du Maroc et de l’Algérie: Nous les aidons à s’entretuer, 13 juin 2016
- ↑ in Houphouët-Boigny: l'homme de la France en Afrique, Pierre Nandjui